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L affaire Bernini PDF

194 Pages·2011·1.06 MB·French
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IAIN PEARS L’AFFAIRE BERNINI Traduit de l’anglais par Georges-Michel Sarotte belfond 12, avenue d’Italie 75013 Paris Titre original : THE BERNINI BUST publié par Victor Gollancz Ltd, Londres. Si vous souhaitez recevoir notre catalogue et être tenu au courant de nos publications, envoyez vos nom et adresse, en citant ce livre, aux Éditions Belfond, 12, avenue d’Italie, 75013 Paris. Et, pour le Canada, à Vivendi Universal Publishing Services, 1050, bd René-Lévesque-Est, Bureau 100, Montréal, Québec, H2L 2L6. ISBN 2-7144-3784-2 © Iain Pears 1992. © Belfond 2001 pour la traduction française. À Ruth Certains des bâtiments et des tableaux mentionnés dans ce livre existent, d’autres non, et tous les personnages sont imaginaires. S’il y a bien un service chargé du patrimoine artistique dans une caserne du centre de Rome, je l’ai fait arbitrairement dépendre de la police et non pas des carabiniers, afin de souligner que mon récit n’a rien à voir avec l’action de l’original. 1 Nonchalamment allongé sur un gros bloc de marbre de Carrare, une cigarette aux lèvres, Jonathan Argyll se dorait au soleil de ce milieu de matinée tout en réfléchissant à l’infinie diversité de la vie. Ce n’était pas un adorateur du dieu Soleil, tant s’en fallait ! En fait, il était très fier de son teint, jusque-là préservé des effets des rayons ultraviolets, mais – et tant pis pour les rides ! – il s’agissait d’un cas de force majeure. Considérant son paquet de cigarettes avec la même bienveillance qu’un vampire à qui l’on offre une gousse d’ail, ses collègues du moment étaient prêts à invoquer les innombrables lois du district de Los Angeles sur la pollution pour le contraindre à sortir dans le jardin lorsque ses nerfs avaient besoin d’être calmés et réconfortés. Cela ne l’ennuyait pas vraiment, même s’il arrivait que toute cette ferveur morale régnant dans un espace aussi restreint le rendît claustrophobe. Comme il ne devait rester au musée Moresby que quelques jours, ses réserves de tolérance suffiraient jusqu’à son départ. À Rome il faut vivre comme les Romains, dit-on. Si son séjour se prolongeait, il en serait sans doute réduit à se réfugier dans les toilettes et à rejeter la fumée dans les bouches d’aération. Il était cependant capable de survivre. C’est ainsi qu’on pouvait souvent le voir descendre le luxueux escalier lambrissé d’une boiserie d’acajou, passer les vastes portes de verre et de cuivre et déboucher dans la douceur du climat californien en ce début d’été. Puis il gagnait son bloc de marbre préféré où il effectuait plusieurs tâches à la fois : fumer sa cigarette, contempler le train du monde et cacher l’inscription annonçant aux passants – non que ceux-ci fussent très nombreux, les jambes jouant surtout le rôle d’appendices décoratifs dans cette région de l’univers – que le Musée des Beaux-Arts Arthur M. Moresby se trouvait dans le bâtiment situé derrière lui (ouvert de 9 h à 17 h en semaine et de 10 h à 16 h pendant le week- end). Sous ses yeux s’étendait ce qu’il avait fini par considérer comme le paysage urbain quasi typique de Los Angeles. Une large pelouse entretenue à grands frais – vivifiée par de l’eau puisée à près de quinze cents kilomètres de là avant d’être vaporisée en fines gouttelettes – séparait de la rue le musée en béton blanc flanqué de son bâtiment administratif. Partout se dressaient des palmiers qui n’avaient, apparemment, rien d’autre à faire que de se balancer dans la brise. Les voitures se traînaient dans les deux sens sur la large avenue s’étirant devant lui. Depuis son poste d’observation privilégié, Argyll dominait la scène, et à part lui on ne voyait pas âme qui vive. Non qu’il prêtât grande attention à la rue, au temps qu’il faisait, ni même aux palmiers. Il était davantage préoccupé par la vie en général, qui commençait à lui peser. La réussite… Voilà ce que signifiait sa présence sur ce bloc de marbre, mais les conséquences s’avéraient d’un intérêt douteux. Il s’efforçait de voir le bon côté des choses : après tout, il venait de fourguer le Titien d’un client au musée qui se trouvait derrière lui pour une somme exorbitante, somme dont il recevrait (ou, plus exactement, son employeur) huit vingt-cinq pour cent. Bien mieux, il n’avait presque rien eu à faire pour gagner cette commission. Un dénommé Langton avait débarqué à Rome et annoncé qu’il était acheteur. Pas plus compliqué que ça. À l’évidence, le Moresby se jugeait un peu faible dans le domaine de la peinture vénitienne du XVIe et souhaitait acquérir un Titien afin de renforcer sa notoriété. Réagissant au quart de tour, sans doute pour la première fois de sa carrière, Argyll demanda un montant grotesque dès le début de la négociation. À son grand étonnement, le Langton en question loucha, hocha la tête, puis répondit : « Très bien. À ce prix c’est donné. » Il possédait sans doute davantage d’argent que de bon sens, mais ce n’était pas Argyll qui allait s’en plaindre. Pas le moindre marchandage. Malgré sa satisfaction, il se sentait un tant soit peu frustré : les clients doivent marchander, c’est une question de politesse. La vente se fit à une telle vitesse qu’il en eut le souffle coupé. Un contrat fut dressé en moins de deux jours. L’acheteur ne prit pas la peine de faire procéder à une expertise et aux tests habituels, de manifester les hésitations et atermoiements de rigueur. Cependant, le contrat de vente stipulait que le tableau serait livré au musée franc de port et qu’Argyll devrait assister à la procédure d’authentification aux côtés du personnel du musée – vérification de l’origine, tests scientifiques, etc. Si le musée n’était pas entièrement satisfait, Argyll serait obligé de reprendre l’objet. Et surtout, il était précisé que le règlement s’effectuerait à la réception, ou, plus exactement, après acceptation. Il avait protesté par principe, invoquant vaguement le sens de l’honneur, la parole donnée entre gentlemen, etc. Rien n’y avait fait. Les termes n’étaient pas modifiables, ayant été établis par le propriétaire du musée qui, depuis quarante ans qu’il collectionnait les œuvres d’art, avait appris à se méfier comme de la peste des marchands de tableaux. En son for intérieur, Argyll le comprenait. La seule chose qui comptait, d’ailleurs, c’était d’empocher le chèque. En gros, il aurait revêtu le costume national grec et chanté des chansons de marins en public si nécessaire. Les affaires étaient dures pour les galeristes. Quelques jours plus tôt, il avait provoqué l’inquiétude des représentants du musée en leur remettant le petit tableau enveloppé d’un sac de supermarché et qu’il avait fait voyager en bagage à main dans l’avion. On lui en retira la garde sans ménagement avant de placer le Titien dans une caisse en bois extrêmement lourde, doublée de velours, fabriquée spécialement pour l’occasion, caisse que l’on transporta dans une camionnette blindée de l’aéroport au musée, où une équipe de six personnes commença à l’analyser tandis que trois autres se mettaient en quête du meilleur emplacement pour l’exposer. Argyll fut très impressionné. À son avis, une seule personne armée d’un marteau et d’un clou aurait amplement suffi. Mais ce furent les conséquences de la vente qui l’inquiétèrent et dissipèrent l’agréable et chaude sensation de bien-être qui aurait dû normalement l’envahir. S’il y avait pire qu’un patron mécontent c’était un patron heureux, semblait-il… Une fois de plus, il revint par la pensée sur l’intempestive générosité de sir Edward Byrnes, son employeur et le propriétaire de la galerie portant son nom, située dans Bond Street. Cependant, sachant qu’aucune décision satisfaisante n’était susceptible de découler d’une réflexion plus approfondie sur l’offre – ou plutôt l’ordre – de Byrnes de rentrer à Londres, après trois années passées en Italie, il ne fut pas vraiment déçu que le cours de ses pensées fût interrompu par l’arrivée d’un taxi, lequel, quittant lentement la rue, s’engagea dans l’allée recouverte de carreaux de faïence fabriqués sur mesures, avant de traverser le brouillard qui maintenait le gazon dans une forme superbe et de s’arrêter enfin devant l’entrée du musée. Grand, mince à l’excès, l’homme qui émergea de la voiture produisait une impression jalousement entretenue de raffinement aristocratique agrémenté d’un soupçon d’esthétisme. La première qualité était évoquée par le costume épousant parfaitement la forme du corps et la chaîne traversant l’abdomen en diagonale, la seconde par la canne d’ébène à pommeau d’or tenue dans la main droite ainsi que la pochette couleur lilas. Tandis que le taxi s’éloignait, le nouvel arrivant demeura immobile tout en jetant des regards impérieux autour de lui, comme s’il était un peu étonné de ne pas apercevoir le comité d’accueil au grand complet, qui pourtant devait bien se trouver quelque part… Il avait également l’air fort agacé. Argyll poussa un profond soupir. Sa journée était gâchée ! Trop tard pour s’échapper ! Ne sachant guère où se poser, le regard de l’homme s’arrêta sur Argyll qui vit s’épanouir le visage vieilli mais aux traits encore finement ciselés. « Salut, Hector ! lança le jeune homme, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, tout en se gardant de se lever de son bloc de marbre en signe de bienvenue. Si je m’attendais à vous rencontrer ici ! » Hector de Suza, un Espagnol, négociant en œuvres d’art qui vivait à Rome depuis des temps immémoriaux, se dirigea vers le jeune Anglais et le salua d’un mouvement de canne bien rodé. « En ce cas, j’ai un avantage sur vous, répondit-il d’une voix onctueuse. J’étais sûr de vous trouver là. Mais pas dans cette pose langoureuse, évidemment. Vous paraissez apprécier votre séjour en ces lieux… Je me trompe ? » Du Hector tout craché. Larguez-le au pôle Nord et il se comportera comme s’il en était le propriétaire ! Argyll chercha une réplique cinglante adéquate, mais il avait l’esprit de l’escalier. Alors il bâilla, se redressa et écrasa sa cigarette à un endroit peu visible du bloc de marbre. Par bonheur, sans attendre de réponse, de Suza promena de nouveau son regard sur le paysage, le sourcil droit délicatement levé pour indiquer un certain mépris envers l’urbanisme américain. Lorsque, enfin, il considéra le musée lui- même, l’Espagnol émit un sonore grognement en signe de rejet catégorique. « C’est un musée, ça ? demanda-t-il, en plissant les yeux en direction du bâtiment sans grâce ni caractère qui s’élevait derrière l’épaule gauche d’Argyll. — Oui, pour le moment. Il est prévu d’en construire un plus grand. — Dites-moi, mon cher petit, est-il aussi médiocre qu’on le dit ? » Argyll haussa les épaules. « Ça dépend du sens que vous donnez au mot "médiocre". Quelqu’un de vraiment désintéressé dirait peut-être que c’est bourré de camelote. Mais, comme le musée vient de débourser une somme considérable pour acheter l’un de mes tableaux, je me sens moralement obligé de le défendre. À mon avis, cet argent aurait pu être mieux utilisé. — C’est ce qui vient d’arriver, cher ami, répondit de Suza avec une suffisance tout à fait insupportable. Le musée vient d’acquérir douze des meilleures sculptures gréco-romaines qu’on trouve sur le marché. — Fournies par vous-même, je suppose ? De quand datent-elles ? D’une cinquantaine d’années ? Ou bien les avez-vous fait sculpter sur mesures ? » L’ironie d’Argyll était sans doute un peu lourde, mais de son point de vue parfaitement justifiée. Si de Suza n’était pas le plus grand filou en exercice sur le marché romain de l’art, sa malhonnêteté était en tout cas d’une constance quasiment sans égale. Non qu’il fût antipathique, loin de là. Bien sûr, d’aucuns étaient irrités par sa façon de frétiller dès qu’il apercevait un aristocrate, d’autres jugeaient agaçante sa galanterie exagérée envers les femmes (elle augmentait avec leur fortune). Dans l’ensemble, une fois qu’on s’était habitué à son arrogance, à son accent affecté et à son extraordinaire talent pour ne pas réussir à trouver son portefeuille au moment de payer l’addition au restaurant, il était d’un commerce fort agréable. Dans la mesure où ce genre de personnage vous amuse. Le seul problème, c’était qu’il ne pouvait résister à la tentation de gagner de l’argent, et le naïf et innocent Argyll l’avait jadis appris à ses dépens. Rien de grave, à proprement parler : une petite histoire au sujet d’une figurine étrusque en bronze (datant du Ve siècle av. J.-C.) moulée quelques semaines seulement avant qu’il persuade Argyll de l’acheter. Il est difficile d’oublier ce genre d’avanie. De Suza l’avait reprise – il n’en avait jamais fait autant vis-à-vis d’un vrai client –, s’était excusé et avait invité Argyll au restaurant pour se faire pardonner, mais celui-ci lui en voulait toujours un peu. Il est vrai que, cette fois encore, l’homme avait oublié son portefeuille. D’où le scepticisme d’Argyll et le désir de De Suza de minimiser la question. « Vous vendre des objets est une chose, en vendre au vieux Moresby en est une autre, répliqua-t-il avec désinvolture. Ça fait des lustres que j’essaye de le prendre dans mes filets. Maintenant que j’y suis enfin parvenu, je ne veux pas qu’il m’échappe. La marchandise expédiée au musée est tout à fait authentique. Et je préférerais que vous ne commenciez pas à répandre des rumeurs sur mon honnêteté. Surtout après le service que je vous ai rendu. » Argyll le fixa d’un air dubitatif. « Un service ? Lequel ? — Vous vous êtes enfin débarrassé de ce Titien, n’est-ce pas ? Eh bien ! vous pouvez me remercier… Ce Langton m’a interrogé sur votre compte et j’ai chanté vos louanges. Évidemment, une recommandation de ma part possède un poids considérable dans les milieux des vrais connaisseurs. Je lui ai affirmé que votre Titien était superbe et que vous étiez d’une totale intégrité. Et vous voici ! » conclut de Suza en balayant le paysage d’un large mouvement de canne qui suggérait fortement que c’était lui qui venait de le faire surgir. Si on ne pouvait guère dire qu’une recommandation venant de De Suza était un atout considérable, Argyll ne fit aucun commentaire. Cela expliquait, en partie tout au moins, pourquoi Langton s’était adressé à lui. Il s’était posé la question. « Ainsi donc, poursuivit de Suza, votre carrière italienne repose désormais sur une assise plus solide. Vous me remercierez plus tard. » Jamais de la vie ! pensa Argyll. En outre, sa carrière italienne semblait toucher à sa fin, et il en voulait un peu à de Suza de le lui avoir rappelé. Comment refuser l’offre de Byrnes ? Si le marché de l’art ne s’était pas totalement effondré, il battait de l’aile, et même un personnage à la réputation aussi bien établie que Byrnes se voyait contraint de rentrer les cornes. Ayant besoin de ses meilleurs collaborateurs sur place pour le conseiller, soit Argyll, soit son homologue de Vienne allait devoir regagner Londres. La vente du Titien

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