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Jean-Jacques Rousseau Julie ou la nouvelle Eloise, tome premier, LETTRES DE DEUX AMANS ... PDF

68 Pages·2012·0.42 MB·French
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Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Eloise, tome premier, LETTRES DE DEUX AMANS, HABITANS D'UNE PETITE VILLE AU PIED DES ALPES, TROISIEME PARTIE, in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 2, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012. Jean-Jacques Rousseau Julie ou la nouvelle Eloise, tome premier, LETTRES DE DEUX AMANS, HABITANS D'UNE PETITE VILLE AU PIED DES ALPES, TROISIEME PARTIE in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 2, in-4° édition en ligne www.rousseauonline.ch version du 7 octobre 2012 http://www.rousseauonline.ch/Text/julie-ou-la-nouvelle-eloise-tome-premier-lettres-de-deux-amans-habitans-d-une- petite-ville-au-pied-des-alpes-troisieme-partie.php Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Eloise, tome premier, LETTRES DE DEUX AMANS, HABITANS D'UNE PETITE VILLE AU PIED DES ALPES, TROISIEME PARTIE, in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 2, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012. Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Eloise, tome premier, LETTRES DE DEUX AMANS, HABITANS D'UNE PETITE VILLE AU PIED DES ALPES, TROISIEME PARTIE, in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 2, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012. JEAN JACQUES ROUSSEAU J U L I E , O U L A N O U V E L L E H E L O I S E . L E T T R E S D E D E U X A M A N S , H A B I T A N S D ʼ U N E P E T I T E V I L L E A U P I E D D E S A L P E S . [405] T R O I S I E M E P A R T I E LETT RE I . DE MA DAME DʼO RBE Que de maux vous causez à ceux qui vous aiment! Que de pleurs vous avez déjà fait couler dans une famille infortunée dont vous troublez le repos! Craignez dʼajouter le deuil à nos larmes: craignez que la mort dʼune mere affligée ne soit le dernier effet du poison que vous versez dans le coeur de sa fille, & quʼun amour désordonné ne devienne enfin pour vous-même la source dʼun remords éternel. Lʼamitié mʼa fait supporter vos erreurs tant quʼune ombre dʼespoir pouvoit les nourrir; mais comment tolérer une vaine constance que lʼhonneur & la Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Eloise, tome premier, LETTRES DE DEUX AMANS, HABITANS D'UNE PETITE VILLE AU PIED DES ALPES, TROISIEME PARTIE, in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 2, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012. raison condamnent, & qui ne pouvant plus causer que des malheurs & des peines ne mérite que le nom dʼobstination? Vous savez de quelle maniere le secret de vos feux, dérobé [406] si long-tems aux soupçons de ma tante, lui fut dévoilé par vos lettres. Quelque sensible que soit un tel coup à cette mere tendre, & vertueuse, moins irritée contre vous que contre elle-même, elle ne sʼen prend quʼà son aveugle négligence; elle déplore sa fatale illusion; sa plus cruelle peine est dʼavoir pu trop estimer sa fille, & sa douleur est pour Julie un châtiment cent fois pire que ses reproches. Lʼaccablement de cette pauvre cousine ne sauroit sʼimaginer. Il faut le voir pour le comprendre. Son coeur semble étouffé par lʼaffliction, & lʼexces des sentimens qui lʼoppressent lui donne un air de stupidité plus effrayante que des cris aigus. Elle se tient jour & nuit à genoux au chevet de sa mere, lʼair morne, lʼoeil fixé à terre, gardant un profond silence, la servant avec plus dʼattention & de vivacité que jamais; puis retombant à lʼinstant dans un état dʼanéantissement qui la feroit prendre pour une autre personne. Il est tres-clair que cʼest la maladie de la mere qui soutient les forces de la fille, & si lʼardeur de la servir nʼanimoit son zele, ses yeux éteints, sa pâleur, son extrême abattement me feroient craindre quʼelle nʼeût grand besoin pour elle-même de tous les soins quʼelle lui rend. Ma tante sʼen apperçoit aussi, & je vois à lʼinquiétude avec laquelle elle me recommande en particulier la santé de sa fille combien le coeur combat de part & dʼautre contre la gêne quʼelles sʼimposent, & combien on doit vous hair de troubler une union si charmante. Cette contrainte augmente encore par le soin de la dérober aux yeux dʼun pere emporté auquel une mere tremblante pour les jours de sa fille veut cacher ce dangereux secret. On se [407] fait une loi de garder en sa présence lʼancienne familiarité; mais si la tendresse maternelle profite avec plaisir de ce prétexte, une fille confuse nʼose livrer son coeur à des caresses quʼelle croit feintes, & qui lui sont dʼautant plus cruelles quʼelles lui seroient douces si elle osoit y compter. En recevant celles de son pere, elle regarde sa mere dʼun air si tendre, & si humilié, quʼon voit son coeur lui dire par ses yeux: ah! que ne suis-je digne encore dʼen recevoir autant de vous! Madame dʼEtange mʼa prise plusieurs fois à part, & jʼai connu facilement à la douceur de ses réprimandes & au ton dont elle mʼa parlé de vous, que Julie a fait de grands efforts pour calmer envers nous sa trop juste indignation, & quʼelle nʼa rien épargné pour nous justifier lʼun & lʼautre à ses dépens. Vos lettres mêmes portent avec le caractere dʼun amour excessif une sorte dʼexcuse qui ne lui a pas échappé; elle vous reproche moins lʼabus de sa confiance quʼà elle-même sa simplicité à vous lʼaccorder. Elle vous estime assez pour croire quʼaucun autre homme à votre place nʼeût mieux résisté que vous; elle sʼen prend de vos fautes à la vertu même. Elle conçoit maintenant, dit-elle, ce que cʼest quʼune probité trop vantée, qui nʼempêche point un honnête homme amoureux de corrompre, sʼil peut, une filles age, & de déshonorer sans scrupule toute une famille pour satisfaire un moment de fureur. Mais que sert de revenir sur le passé? Il sʼagit de cacher sous un voile éternel cet odieux mystere, dʼen effacer, sʼil se peut, jusquʼau moindre vestige, & de seconder la bonté du Ciel qui nʼen a point laissé de témoignage sensible. Le secret est concentré entre six personnes [408] sûres. Le repos de tout ce que vous avez aimé, les jours dʼune mere au désespoir, lʼhonneur dʼune maison respectable, votre propre vertu, tout dépend de vous encore; tout vous prescrit votre devoir: vous pouvez Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Eloise, tome premier, LETTRES DE DEUX AMANS, HABITANS D'UNE PETITE VILLE AU PIED DES ALPES, TROISIEME PARTIE, in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 2, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012. réparer le mal que vous avez fait; vous pouvez vous rendre digne de Julie, & justifier sa faute en renonçant à elle; & si votre coeur ne mʼa point trompée, il nʼy a plus que la grandeur dʼun tel sacrifice qui puisse répondre à celle de lʼamour qui lʼexige. Fondée sur lʼestime que jʼeus toujours pour vos sentimens, & sur ce que la plus tendre union qui fût jamais lui doit ajouter de force, jʼai promis en votre nom tout ce que vous devez tenir; osez me démentir si jʼai trop présumé de vous, ou soyez aujourdʼhui ce que vous devez être. Il faut immoler votre maîtresse ou votre amour lʼun à lʼautre, & vous montrer le plus lâche ou le plus vertueux des hommes. Cette mere infortunée a voulu vous écrire; elle avoit même commencé. O Dieu! que de coups de poignard vous eussent portés ses plaintes ameres! Que ses touchans reproches vous eussent déchiré le coeur! Que ses humbles prieres vous eussent pénétré de honte! Jʼai mis en pieces cette lettre accablante que vous nʼeussiez jamais supportée: je nʼai pu souffrir ce comble dʼhorreur de voir une mere humiliée devant le séducteur de sa fille: vous êtes digne au moins quʼon nʼemploie pas avec vous de pareils moyens, faits pour fléchir des monstres & pour faire mourir de douleur un homme sensible. Si cʼétoit ici le premier effort que lʼamour vous eût demandé, je pourrois douter du succes & balancer sur lʼestime qui [409] vous est due: mais le sacrifice que vous avez fait à lʼhonneur de Julie en quittant ce pays est garant de celui que vous allez faire à son repos en rompant un commerce inutile. Les premiers actes de vertu sont toujours les plus pénibles, & vous ne perdrez point le prix dʼun effort qui vous a tant coûté, en vous obstinant à soutenir une vaine correspondance dont les risques sont terribles pour votre amante, les dédommagemens nuls pour tous les deux, & qui ne fait que prolonger sans fruit les tourmens de lʼun & de lʼautre. Nʼen doutez plus, cette Julie qui vous fut si chére ne doit rien être à celui quʼelle a tant aimé; vous vous dissimulez en vain vos malheurs; vous la perdites au moment que vous vous séparâtes dʼelle. Ou plutôt le Ciel vous lʼavoit ôtée même avant quʼelle se donnât à vous; car son pere la promit dès son retour, & vous savez trop que la parole de cet homme inflexible est irrévocable. De quelque maniere que vous vous comportiez, lʼinvincible sort sʼoppose à vos voeux, & vous ne la posséderez jamais. Lʼunique choix qui vous reste à faire est de la précipiter dans un abyme de malheurs, & dʼopprobres, ou dʼhonorer en elle ce que vous avez adoré, & de lui rendre, au lieu du bonheur perdu, la sagesse, la paix, la sûreté du moins, dont vos fatales liaisons la privent. Que vous seriez attristé, que vous vous consumeriez en regrets, si vous pouviez contempler lʼétat actuel de cette malheureuse amie, & lʼavilissement où la réduit le remords, & la honte! Que son lustre est terni! que ses grâces sont languissantes! que tous ses sentimens si charmans & si doux [410] se fondent tristement dans le seul qui les absorbe! Lʼamitié même en est attiédie; à peine partage-t-elle encore le plaisir que je goûte à la voir; et son coeur malade ne sait plus rien sentir que lʼamour & la douleur. Hélas! quʼest devenu ce caractere aimant & sensible, ce goût si pur des choses honnêtes, cet intérêt si tendre aux peines & aux plaisirs dʼautrui? Elle est encore, je lʼavoue, douce, généreuse, compatissante; lʼaimable habitude de Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Eloise, tome premier, LETTRES DE DEUX AMANS, HABITANS D'UNE PETITE VILLE AU PIED DES ALPES, TROISIEME PARTIE, in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 2, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012. bien faire ne sauroit sʼeffacer en elle; mais ce nʼest plus quʼune habitude aveugle, un goût sans réflexion. Elle fait toutes les mêmes choses, mais elle ne les fait plus avec le même zele; ces sentimens sublimes se sont affoiblis, cette flamme divine sʼest amortie, cet ange nʼest plus quʼune femme ordinaire. Ah! quelle ame vous avez ôtée à la vertu! LET TRE II. DE LʼAMANT D E JULIE A M DE. DʼETANGE Pénétré dʼune douleur qui doit durer autant que moi, je me jette à vos pieds, Madame, non pour vous marquer un repentir qui ne dépend pas de mon coeur, mais pour expier un crime involontaire en renonçant à tout ce qui pouvoit faire la douceur de ma vie. Comme jamais sentimens humains nʼapprocherent de ceux que mʼinspira votre adorable fille, il nʼy eut jamais de sacrifice égal à celui que je viens faire à la plus respectable des meres; mais Julie mʼa trop [411] appris comment il faut immoler le bonheur au devoir; elle mʼen a trop courageusement donné lʼexemple, pour quʼau moins une fois je ne sache pas lʼimiter. Si mon sang suffisoit pour guérir vos peines, je le verserois en silence & me plaindrois de ne vous donner quʼune si foible preuve de mon zele: mais briser le plus doux, le plus sacré lien qui jamais ait uni deux coeurs, ah! cʼest un effort que lʼunivers entier ne mʼeût pas fait faire, & quʼil nʼappartenoit quʼà vous dʼobtenir! Oui, je promets de vivre loin dʼelle aussi long-tems que vous lʼexigerez; je mʼabstiendrai de la voir & de lui écrire, jʼen jure par vos jours précieux, si nécessaires à la conservation des siens. Je me soumets, non sans effroi, mais sans murmure à tout ce que vous daignerez ordonner dʼelle & de moi. Je dirai beaucoup plus encore; son bonheur peut me consoler de ma misere, & je mourrai content si vous lui donnez un époux digne dʼelle. Ah! quʼon le trouve, & quʼil mʼose dire, je saurai mieux lʼaimer que toi! Madame, il aura vainement tout ce qui me manque; sʼil nʼa mon coeur, il nʼaura rien pour Julie: mais je nʼai que ce coeur honnête & tendre. Hélas! je nʼai rien non plus. Lʼamour qui rapproche tout nʼéleve point la personne; il nʼéleve que les sentimens. Ah! si jʼeusse osé nʼécouter que les miens pour vous, combien de fois en vous parlant ma bouche eût prononcé le doux nom de mere! Daignez vous confier à des sermens qui ne seront point vains, & à un homme qui nʼest point trompeur. Si je pus un jour abuser de votre estime, je mʼabusai le premier moi-même. [412] Mon coeur sans expérience ne connut le danger que quand il nʼétoit plus tems de fuir, & je nʼavois point encore appris de votre fille cet art cruel de vaincre lʼamour par lui-même, quʼelle mʼa depuis si bien enseigné. Banissez vos craintes, je vous en conjure. Y a-t-il quelquʼun au monde à qui son repos, sa félicité, son honneur soient plus chers quʼà moi? Non, ma parole & mon coeur vous sont garans de lʼengagement que je prends au nom de mon illustre ami comme Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Eloise, tome premier, LETTRES DE DEUX AMANS, HABITANS D'UNE PETITE VILLE AU PIED DES ALPES, TROISIEME PARTIE, in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 2, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012. au mien. Nulle indiscrétion ne sera commise soyez-en sûre, & je rendrai le dernier soupir sans quʼon sache quelle douleur termina mes jours. Calmez donc celle qui vous consume, & dont la mienne sʼaigrit encore: essuyez des pleurs qui mʼarrachent lʼame; rétablissez votre santé; rendez à la plus tendre fille qui fut jamais le bonheur auquel elle a renoncé pour vous; soyez vous-même heureuse par elle; vivez, enfin, pour lui faire aimer la vie. Ah! malgré les erreurs de lʼamour, être mere de Julie est encore un sort assez beau pour se féliciter de vivre! [413] LET TRE III. DE LʼAMANT DE JULIE A MD E. DʼORBE En lui envoyant la Lettre précédente. Tenez, cruelle, voilà ma réponse. En la lisant, fondez en larmes si vous connoissez mon coeur, & si le vôtre est sensible encore; mais sur-tout, ne mʼaccablez plus de cette estime impitoyable que vous me vendez si cher & dont vous faites le tourment de ma vie. Votre main barbare a donc osé les rompre, ces doux noeuds formés sous vos yeux presque dès lʼenfance, & que votre amitié sembloit partager avec tant de plaisir? Je suis donc aussi malheureux que vous le voulez & que je puis lʼêtre! Ah! connoissez-vous tout le mal que vous faites? Sentez-vous bien que vous mʼarrachez lʼame, que ce que vous mʼôtez est sans dédommagement, & quʼil vaut mieux cent fois mourir que ne plus vivre lʼun pour lʼautre? Que me parlez-vous du bonheur de Julie? En peut-il être sans le consentement du coeur? Que me parlez-vous du danger de sa mere? Ah! quʼest-ce que la vie dʼune mere, la mienne, la vôtre, la sienne même, quʼest-ce que lʼexistence du monde entier auprès du sentiment délicieux qui nous unissoit? Insensée, & farouche vertu! jʼobéis à ta voix sans mérite; je tʼabhorre en faisant tout pour toi. Que sont tes vaines consolations contre les vives douleurs de lʼame? Va, triste idole des malheureux, tu [414] ne fais quʼaugmenter leurs misere, en leur ôtant les ressources que la fortune leur laisse. Jʼobéirai pourtant, oui, cruelle, jʼobéirai; je deviendrai, sʼil se peut, insensible, & féroce comme vous. Jʼoublierai tout ce qui me fut cher au monde. Je ne veux plus entendre ni prononcer le nom de Julie ni le vôtre. Je ne veux plus mʼen rappeler lʼinsupportable souvenir. Un dépit, une rage inflexible mʼaigrit contre tant de revers. Une dure opiniâtreté me Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Eloise, tome premier, LETTRES DE DEUX AMANS, HABITANS D'UNE PETITE VILLE AU PIED DES ALPES, TROISIEME PARTIE, in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 2, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012. tiendra lieu de courage: il mʼen a trop coûté dʼêtre sensible; il vaut mieux renoncer à lʼhumanité. LET TR E IV. DE MDE . D ʼORBE A LʼAMANT DE JULIE Vous mʼavez écrit une lettre désolante; mais il y a tant dʼamour, & de vertu dans votre conduite, quʼelle efface lʼamertume de vos plaintes: vous êtes trop généreux pour quʼon ait le courage de vous quereller. Quelque emportement quʼon laisse paroître, quand on sait ainsi sʼimmoler à ce quʼon aime, on mérite plus de louanges que de reproches, & malgré vos injures, vous ne me futes jamais si cher que depuis que je connois si bien tout ce que vous valez. Rendez grace à cette vertu que vous croyez hair, & qui fait plus pour vous que votre amour même. Il nʼy a pas jusquʼà ma tante que vous nʼayez séduite par un sacrifice dont elle sent tout le prix. Elle nʼa pu lire votre lettre sans attendrissement; [415] elle a même eu la foiblesse de la laisser voir à sa fille; & lʼeffort quʼa fait la pauvre Julie pour contenir à cette lecture ses soupirs & ses pleurs lʼa fait tomber évanouie. Cette tendre mere, que vos lettres avoient déjà puissamment émue, commence à connoître par tout ce quʼelle voit, combien vos deux coeurs sont hors de la regle commune, & combien votre amour porte un caractere naturel de sympathie, que le tems ni les efforts humains ne sauroient effacer. Elle qui a si grand besoin de consolation, consoleroit volontiers sa fille, si la bienséance ne la retenoit, & je la vois trop près dʼen devenir la confidente pour quʼelle ne me pardonne pas de lʼavoir été. Elle sʼéchappa hier jusquʼà dire en sa présence, un peu indiscretement* [*Claire, etes-vous ici moins indiscrete? Est-ce la derniere fois que vous le serez?] peut-être, ah! sʼil ne dépendoit que de moi.... quoi quʼelle se retînt & nʼachevât pas, je vis au baiser ardent que Julie imprimoit sur sa main quʼelle ne lʼavoit que trop entendue. Je sais même quʼelle a voulu parler plusieurs fois à son inflexible époux; mais, soit danger dʼexposer sa fille aux fureurs dʼun pere irrité, soit crainte pour elle-même, sa timidité lʼa toujours retenue, & son affoiblissement, ses maux, augmentent si sensiblement, que jʼai peur de la voir hors dʼétat dʼexécuter sa résolution avant quʼelle lʼait bien formée. Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Eloise, tome premier, LETTRES DE DEUX AMANS, HABITANS D'UNE PETITE VILLE AU PIED DES ALPES, TROISIEME PARTIE, in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 2, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012. Quoi quʼil en soit, malgré les fautes dont vous êtes cause, cette honnêteté de coeur qui se fait sentir dans votre amour mutuel lui a donné une telle opinion de vous quʼelle se fie à la parole de tous deux sur lʼinterruption de votre correspondance, [416], & quʼelle nʼa pris aucune précaution pour veiller de plus près sur sa fille; effectivement, si Julie ne répondoit pas à sa confiance, elle ne seroit plus digne de ses soins, & il faudroit vous étouffer lʼun & lʼautre si vous étiez capables de tromper encore la meilleure des meres, & dʼabuser de lʼestime quʼelle a pour vous. Je ne cherche point à rallumer dans votre coeur une espérance que je nʼai pas moi-même; mais je veux vous montrer, comme il est vrai, que le parti le plus honnête est aussi le plus sage, & que sʼil peut rester quelque ressource à votre amour, elle est dans le sacrifice que lʼhonneur & la raison vous imposent. Mere, parents, amis, tout est maintenant pour vous, hors un pere quʼon gagnera par cette voie, ou que rien ne sauroit gagner. Quelque imprécation quʼait pu vous dicter un moment de désespoir, vous nous avez prouvé cent fois quʼil nʼest point de route plus sûre pour aller au bonheur que celle de la vertu. Si lʼon y parvient, il est plus pur, plus solide & plus doux par elle; si on le manque, elle seule peut en dédommager. Reprenez donc courage, soyez homme, & soyez encore vous-même. Si jʼai bien connu votre coeur, la maniere la plus cruelle pour vous de perdre Julie seroit dʼêtre indigne de lʼobtenir. [417] LET TR E V. DE JU LIE A S ON A MANT Elle nʼest plus. Mes yeux ont vu fermer les siens pour jamais; ma bouche a reçu son dernier soupir; mon nom fut le dernier mot quʼelle prononça; son dernier regard fut tourné vers moi. Non, ce nʼétoit pas la vie quʼelle sembloit quitter, jʼavois trop peu sçu la lui rendre chére. Cʼétoit à moi seule quʼelle sʼarrachoit. Elle me voyoit sans guide & sans espérance, accablée de mes malheurs & de mes fautes; mourir ne fut rien pour elle, & son coeur nʼa gémi que dʼabandonner sa fille dans cet état. Elle nʼeut que trop de raison. Quʼavoit-elle à regretter sur la terre? Quʼest- ce qui pouvoit ici-bas valoir à ses yeux le prix immortel de sa patience & de ses vertus qui lʼattendoit dans le Ciel? Que lui restoit-il à faire au monde sinon dʼy pleurer mon opprobre? Ame pure & chaste, digne épouse, & mere incomparable, tu vis maintenant au séjour de la gloire & de la félicité; tu vis; & moi, livré eau repentir & au désespoir, privée à jamais de tes soins, de tes conseils, de tes douces caresses, je suis morte au bonheur, à la paix, à lʼinnocence: je ne sens plus que ta perte; je ne vois plus que ma honte; ma vie nʼest plus que peine & douleur. Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Eloise, tome premier, LETTRES DE DEUX AMANS, HABITANS D'UNE PETITE VILLE AU PIED DES ALPES, TROISIEME PARTIE, in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 2, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012. Ma mere, ma tendre mere, hélas! je suis bien plus morte que toi! Mon Dieu! quel transport égare une infortunée, & lui fait oublier ses résolutions? Où viens-je verser mes pleurs & [418] pousser mes gémissemens? Cʼest le cruel qui les a causés que jʼen rends le dépositaire! Cʼest avec celui qui fait les malheurs de ma vie que jʼose les déplorer! Oui, oui, barbare, partagez les tourmens que vous me faites souffrir. Vous par qui je plongeai le couteau dans le sein maternel, gémissez des maux qui me viennent de vous, & sentez avec moi lʼhorreur dʼun parricide qui fut votre ouvrage. A quels yeux oserois-je paroître aussi méprisable que je le suis? Devant qui mʼavilirois-je au gré de mes remords? Quel autre que le complice de mon crime pourroit assez les connoître? Cʼest mon plus insupportable supplice de nʼêtre accusée que par mon coeur, & de voir attribuer au bon naturel les larmes impures quʼun cuisant repentir mʼarrache. Je vis, je vis en frémissant la douleur empoisonner, hâter les derniers jours de ma triste mere. En vain sa pitié pour moi lʼempêcha dʼen convenir; en vain elle affectoit dʼattribuer le progres de son mal à la cause qui lʼavoit produit; en vain ma cousine gagnée a tenu le même langage. Rien nʼa pu tromper mon coeur déchiré de regret, & pour mon tourment éternel, je garderai jusquʼau tombeau lʼaffreuse idée dʼavoir abrégé la vie de celle à qui je la dois. O vous que le Ciel suscita dans sa colere pour me rendre malheureuse & coupable, pour la derniere fois recevez dans votre sein des larmes dont vous êtes lʼauteur. Je ne viens plus, comme autrefois, partager avec vous des peines qui devoient nous être communes. Ce sont les soupirs dʼun dernier adieu qui sʼéchappent malgré moi. Cʼen est fait; lʼempire de lʼamour est éteint dans une ame livrée au seul désespoir. [419] Je consacre le reste de mes jours à pleurer la meilleure des meres; je saurai lui sacrifier des sentimens qui lui ont coûté la vie; je serois trop heureuse quʼil mʼen coûtât assez de les vaincre, pour expier tout ce quʼils lui ont fait souffrir. Ah! si son esprit immortel pénetre au fond de mon coeur, il sait bien que la victime que je lui sacrifie nʼest pas tout-à-fait indigne dʼelle. Partagez un effort que vous mʼavez rendu nécessaire. Sʼil vous reste quelque respect pour la mémoire dʼun noeud si cher, & si funeste, cʼest par lui que je vous conjure de me fuir à jamais, de ne plus mʼécrire, de ne plus aigrir mes remords, de me laisser oublier, sʼil se peut, ce que nous fûmes lʼun à lʼautre. Que mes yeux ne vous voyent plus; que je nʼentende plus prononcer votre nom; que votre souvenir ne vienne plus agiter mon coeur. Jʼose parler encore au nom dʼun amour qui ne doit plus être; à tant de sujets de douleur nʼajoutez pas celui de voir son dernier voeu méprisé. Adieu donc pour la derniere fois, unique, & cher... Ah! fille insensée!... adieu pour jamais. [420]

Description:
jour de nouveaux? Non, mon cher, & digne ami, tout ce que nous fûmes les uns aux autres des. Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Eloise,
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