1 Jacques-Alain Miller Cette séance va consister à écouter et à discuter ce que nous amène aujourd'hui Patrick Valas mais nous pouvons d'abord entendre le résumé de la séance précédente. Résumé de la séance précédente par Sol Aparicio. Jacques-Alain Miller Avant de donner la parole à Patrick Valas, je voudrais faire quelques remarques, non pas sur la perversion, mais sur l'observation des choses. Je vous rappelle que la semaine prochaine, nous nous déplaçons au 1 rue Descartes Paris V, salle des débats A. La chose est annoncée sous l'enseigne du Collège international de philosophie, dans le cadre de la direction de programme de Jacques Poulain qui s'occupe de séminaires sur "Pragmatique de la communication et du discours philosophique", en collaboration avec le séminaire "Mathèmes et histoire de la psychanalyse" dirigé par Jacques-Alain Miller à l'Université de Paris VIII. Martia Cavell, Université de Californie à Berkeley fera une conférence intitulée Deux concepts d'esprit en psychanalyse. Voilà ce qui est annoncé. J'ai eu la surprise de voir que le débat sera introduit par René Major. René Major arrive à se glisser là-dedans... C'est quelqu'un qui a en effet des positions au Collège international de philosophie. Il s'est logé là-dedans alors que nous nous sommes abstenus, bien que dans les premières discussions sur la création de ce collège, nous étions représentés. Il ne nous avait pas paru cependant que nous ayons à nous en mêler. 2 Du coup, je ne sais plus très bien qui est l'autre, si c'est moi qui l'accueille dans cette affaire ou si c'est lui qui nous accueille. Mais enfin, de toute façon, le mot de notre hôte a les deux valeurs et implique de la courtoisie de part et d'autre. Enfin, à vrai dire, je dis ça pour moi. Donc, ceux qui ne connaissent pas ce Monsieur pourront voir ce qu'ils ont perdu. Je vais vous distribuer les papiers où il y a tout cela. D'autre part, il y a, samedi prochain, un colloque organisé par Poulain où Davidson parlera. Monsieur et non pas Madame Davidson, sous la présidence d'ailleurs de Fernand d'Hauteville. Ça m'amuse de le retrouver là puisqu'il a été assistant étranger au Département de psychanalyse, tout à fait au début en 74-75. Il y en a certains ici qui peut-être l'ont connu à l'époque. Ce colloque a lieu également au 1, rue Descartes, le samedi 30, de 9H30 à 18 h. L'entrée est libre puisqu'ils doivent penser qu'en faisant payer l'entrée il y aurait personne. Vous pouvez donc vous considérez comme invités. Ça se passera en anglais évidemment. Davidson parlera sous le titre "Pensée, action et vérité". Moi, j'y passerai et je pourrais donc vous dire ce que j'ai pensé de la pensée, de l'action et de la vérité. Je considère que pour un travail sérieux, il faut une certaine protection de silence et qu'au moins ici nous pouvons l'avoir. Mais, en définitive, il y a d'abord le nombre que nous sommes ici qui s'y oppose. La confidentialité du travail a peu de chances d'être préservée. De plus, dans les résumés, qui sont une condensation du travail, il n'y a rien, à mon sens, qui soit gênant pour personne. Nous discutons des choses mêmes sans que les positions se cristallisent. Enfin il me semble que ceux qui sont ici et qui ont à enseigner et à faire des conférences, au fond piochent dans ce que nous élaborons ici. Parfois, il ne faut pas plus de 48 h pour que ça se trouve diffusé à l'extérieur de ce lieu. Parfois, il y a des travaux plus anciens de ce séminaire qui nourrissent des enseignements qui se font. Tout ça est dans la logique 3 même du travail et donc rend sans doute vain de préserver la confidence de notre travail ici. Il faut entériner que, d'une certaine façon, c'est ouvert. Savoir que les résumés quand même très succincts, même s'ils sont précis, de nos travaux, vont circuler, ça ne me parait pas de nature à bouleverser la situation. C'est, en tout cas, ce que je pense. Je voulais cependant vous le dire et savoir s'il y aurait des objections fortes. Bon ! Il s'agit donc de la photocopie des résumés sur la psychose. Je ne sais pas si tout est dans ce cahier ou s'il faut utiliser également le cahier précédent. Je ne sais plus quand nous avons commencé. Je crois que c'était en janvier 1987. Elisabeth Doisneau Le début de ce cahier est en juin 87. Il faut donc que je reprenne l'autre cahier. Jacques-Alain Miller II faudrait peut-être que vous consultiez l'un et l'autre pour voir comment la photocopie pourrait être faite. . . Elisabeth Doisneau C'est fait. Jacques-AlainMiller C'est déjà fait ! Je suis en retard sur tout... Je me permettrai de demander à Nepomiachi que ces photocopies puissent être à la disposition d'autres personnes, et que l'on pourrait peut-être envisager alors la traduction de ces résumés. Je ne me rends pas compte, je ne les ai jamais relus intégralement et je ne vois pas l'aspect que ça donne dans l'ensemble. Après tout, je suis prêt à les lire en espagnol. Nous allons maintenant entendre Patrick Valas. Nous avons rarement eu l'avantage, quand nous abordons un thème, d'avoir un travail de cet ampleur qui soit déjà fait. Les deux 4 premières parties figurent dans les numéros 39 et 41 d'Ornicar? C'est donc un avantage pour nous d'avoir ce point de départ. Je ne fixe pas de limite de temps à Patrick Valas parce que nous sommes tout à fait au début. J'espère qu'il va pouvoir nous donner une vue d'ensemble et ponctuer ce qui lui paraît essentiel. N'oublions pas que nous n'avons pas du tout fait encore notre programme de travail et que nous aurons à l'élaborer, sinon aujourd'hui, du moins la fois prochaine. J'aime bien pourtant, je dois le dire, que rien ne soit fixé au moment ou l'on commence — ce qui laisse sa chance à l'invention. Voilà. Je passe maintenant la parole à Patrick Valas. Exposé de Patrick Valas sur la perversion. Mon exposé comportera sept points. Premier point : la pulsion n'est pas la perversion. Deuxième point : le fantasme pervers n'est pas la perversion. Troisième point : la Verleugnung — c'est à dessein que je conserve ce terme allemand. Quatrième point : y a-t-il une structure spécifique de la perversion ? Cinquième point : la perversion et l'acte pervers dans son rapport au sexuel et à la jouissance. Sixième point : pour une clinique différentielle. Septième point : la perversion et la cure analytique. Cet exposé est, en fait, un aller de Freud à Lacan et retour Lacan à Freud. Pour aborder la problématique de la perversion, je me suis adressé comme à quelqu'un qui ne savait rien de cette question — je me suis d'ailleurs aperçu que c'était moi-même au départ — et que donc il fallait introduire un certain nombre de signifiants-maîtres même s'ils ne sont 5 toujours pas très bien articulés dans mon texte. Premier point : la pulsion n'est pas la perversionVous savez que c'est un enjeu très important pour Freud, non seulement parce qu'il n'est pas loin de considérer la perversion comme une manifestation purement instinctuelle, animale — et ce jusqu'à une date très avancée, pratiquement jusqu'en 1913 — mais aussi parce que, découvrant que la tendance sexuelle est perver-sement orientée - il ne peut concevoir la sexualité humaine que comme perverse. Pourtant, dès 1905, il parle déjà d'idéalisation dans le processus de la tendance manifestant pour lui l'instance du sujet dans toute perversion. Il faut voir qu'à l'époque, dans le milieu scientifique, et même dans la doxa, la perversion était considérée comme une forme de bestialité, et que Freud, à la limite, ne prend pas la chose d'une façon tellement différente, comme s'il n'avait pas l'intention , là où il en était, de croiser le fer avec les autorités sur ce terrain. En 1915, dans sa Métapsychologie, l'invention de la pulsion sadomasochiste, qui n'existe pas, a bien entendu prêté à bien des confusions, non sans quelques flottements, puisque Freud distingue bien la mise en jeu de cette tendance dans la névrose, de l'exercice d'une perversion vraie. Je vous donne là deux citations : -"Dans la névrose obsessionnelle, dit-il, le besoin de tourmenter devient tourment infligé à soi-même, autopunition et non masochisme. De la voix active le verbe passe, non pas à la voix passive, mais à la voix moyenne réfléchie". En quelque sorte, pour lui, le névrosé est un « auto-souffre-douleur ». - "Dans la perversion, dit-il encore, provoquant des douleurs pour d'autres, on jouit soi-même de façon masochiste dans l'identification à l'objet souffrant ". II est intéressant ici de noter qu'il fait déjà du sadisme un masochisme par procuration. "C'est au terme du trajet pulsionnel que la 6 possibilité de la douleur entre en jeu pour le pervers en tant qu'il l'éprouverait de l'autre". Le pervers serait pour Freud plutôt un « hétéro-souffre-douleur ». Dans cette veine, je vous rappelle qu'il définissait, au début de son œuvre, les névroses comme des perversions passives pour les opposer aux perversions actives qui seraient les perversions vraies. Si nous procédions à un même déchiffrage pour la tendance voyeuriste-exhibitionniste — je ne le ferai pas aujourd'hui — on verrait que la perversion est tout autrement structurée que cette tendance. Là, je fais un saut : quand Lacan, dans les Quatre concepts… , propose de traduire le mouvement de réversion de la pulsion par le "se faire", il va faire apparaître un trait distinctif essentiel dans la mise en jeu de la pulsion scopique dans la perversion voyeuriste, à savoir que le pervers se place en tant que sujet à l'aboutissement de la boucle — le voyeuriste, étant celui qui réussit le mieux, dit-il, mais en court-circuit, à se faire cible pour l'objet devenu missile. L'opposition entre perversion et pulsion apparaît mieux, dans le voyeurisme et dans l'exhibitionnisme. Par exemple, le voyeur se fait pur regard pour compléter l'autre de ce qui ne peut pas se voir. L'exhibitionniste, lui, force l'Autre pour faire surgir en son champ le regard. La pulsion 's'inscrit du défaut de l'Autre alors que, au contraire, le pervers s'efforce, ce défaut, de le compléter. Ça serait à déployer mais, pour l'instant, j’en resterai là. Deuxième point : le fantasme pervers n'est pas la perversion : La névrose est le négatif de la perversion, écrivait Freud, parce qu'il pensait que ce qui apparaissait au jour 7 dans la perversion se montrait seulement sous forme de fantasme inconscient chez le névrosé, en particulier dans des rêves. L'existence de fantasmes pervers conscients chez le névrosé rend alors d'autant plus précieuse son étude parue en 1919 et intitulée "Un enfant est battu", avec comme sous-titre : "Une contribution à la connaissan- ce de la genèse des perversions sexuelles". On verra plus loin comment garder la pertinence de cette définition freudienne. Cette étude a, à mon sens, un triple intérêt : 1- Démontrer d'abord comment le sujet est divisé entre un désir incestueux refoulé et une jouissance de type masturbatoire fixée par ce fantasme fonctionnant comme le souvenir-écran d'une scène originaire œdipienne. 2 – Souligner que de tels fantasmes, avec leurs particularités propres, observés chez les névrosés, "demeurent, dit Freud, la plupart du temps à l'écart du reste du contenu de la névrose et ne trouvent pas leur propre place dans la trame de celle-ci". Ils sont donc, pour Freud, à considérer seulement comme des traits primaires de perversion et non pas comme l'expression d'une perversion vraie. 3 - faire comprendre, et Freud le souligne assez, que la perversion ne reste pas isolée dans la vie sexuelle du sujet mais se constitue dans la dialectique oedipienne. Comme il l'écrit : "Elle se montre à nous pour la première fois sur le terrain de ce complexe et, même si la constitution innée lui a donné une direction particulière, elle en reste le témoin, héritière de sa charge libidinale ". II faudradétailler cela dans notre travail. Il faut saisir ici que Freud est en train d'élever la perversion à la dignité d'une position subjective spécifique en y introduisant le rôle du refoulement. Pour lui, la perversion se constitue bien à partir d'un premier noyau refoulé. Il précise, qu'il ne s'agit plus comme auparavant, dans sa détermination, d'un simple arrêt du développement avec fixation et régression d'une composante de la tendance sexuelle qui va s'exprimer de façon dominante par faiblesse de la composante antagoniste refoulée. Freud va modifier le sens du terme de fixation, il va plutôt parler de fixation de la jouissance et de régression qui joue sur les représentations du sujet. Cela, il va l'appliquer aussi bien à la 8 psychose qu'à la névrose. Ce changement de l'usage des termes est important. Pour lui, ce qui spécifiait la perversion, c'était la fixation d'une tendance. Là, ça se retrouve, mais avec un sens différent dans les trois structures. Jacques-Alain Miller Quel sens différent ? Patrick Valas Fixation d'une jouissance, d'une part, et, d'autre part, la régression concernant toutes les structures. 14 Jacques-Alain Miller Vous dites que cette différence est très importante. Il faudrait la faire bien comprendre. Patrick Valas Freud avait fait usage du terme de fixation uniquement pour désigner la perversion. Maintenant il modifie le terme et il l'étend. . . Jacques-Alain Miller .Maintenant, c'est-à-dire? Patrick Valas A peu près 1919. Avant, Freud fait plutôt usage de la fixation pour désigner ce qui typifierait la perversion. 9 Jacques-Alain Miller Admettons. Et après? Patrick Valas Après, ce n'est plus ça qui fonctionne pour lui. Jacques-Alain Miller C'est-à-dire ? Patrick Valas C'est-à-dire qu'on en arrive justement à la difficulté. Je disais que Freud essayait d'élever la perversion à la dignité d'une position subjective. C'est le cas de La jeune homosexuelle qui vient lui confirmer que la perversion se constitue bien dans l'OEdipe. Je pense que la question à laquelle il tente de répondre à cette époque, est à peu près de savoir comment certains sujets, qu'il désigne de pervers sans avoir pu encore en donner une définition bien précise, règlent leur difficulté à concevoir la castration. Troisième point : la Verleugnung. En découvrant que la mère est châtrée, parmi les modes de réponses du sujet dont résulteront les choix de positions subjectives différentes, y en aurait-il une qui spécifierait la perversion et qui, du même coup, permettrait de l'authentifier comme une entité clinique distincte de la névrose et de la psychose pour autant que cette distinction est quasiment impossible à faire sur le plan de la seule phénoménologie ? Dès 1908, dans son texte Les Théories sexuelles infantiles et aussi bien dans le cas du Petit Hans , Freud montre comment l'enfant peut se refuser à admettre que la mère est châtrée mais que c'est seulement sa persévération dans ce refus qui est importante. Freud a pu observer, chez un patient adulte, la production d'un rêve représentant une femme avec un pénis et qui témoignait donc de ce refus particulier. Dès cette époque, il fait de cette représentation une formation de l'inconscient par retour du refoulé. Le terme de la mère 10 phallique n'apparaîtra pour la première fois qu'en 1910 dans son texte Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci. Un certain nombre de jalons sont posés. Freud est en difficulté avec cette affaire puisque, au début du texte, il n'est pas loin de considérer Léonard de Vinci comme un homosexuel passif, alors qu'à la fin du texte, il en fait un obsessionnel qui sublime. Il est là aux prises avec quelque chose qui n'est pas facile à résoudre. Jacques-Alain Miller II est vrai qu'avec Le Léonard, on peut refaire ce qu'on a fait avec l'Homme aux loups. Patrick Valas Dès que Freud fait cette trouvaille de la mère phallique, il ne la lâchera plus. Je me contenterai là simplement d'indiquer les textes où l'on peut suivre l'essor conceptuel qu'il va en donner. Il y a le texte sur La fausse reconnaissance, en 1914, où il reprend l'hallucination de L'homme aux loups et un cas clinique de fétichisme qu'il présente, également 17 en 1914. Le terme de Verleugnung, en tout cas au moins comme concept pour désigner ce
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