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Introduction à la Lettre sur la racine de Chine PDF

21 Pages·2016·0.62 MB·French
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La Fab riq ue de Vésale et autres textes Éditions, transcriptions et traductions par Jacqueline Vons et Stéphane Velut Introduction à la Lettre sur la racine de Chine (1546) Maurits BIESBROUCK Theodoor GODDEERIS Omer STEENO Jacqueline VONS mai 2016 www.biusante.parisdescartes.fr 2 La Lettre sur la racine de Chine Sommaire Le prétexte de la lettre : la racine de Chine ........................................................................ 3 Le destinataire de la lettre : Joachim Roelants .................................................................... 4 La composition de l’ouvrage ................................................................................................ 5 La dédicace à Côme de Médicis....................................................................................... 6 Le contenu de la Lettre sur la racine de Chine .................................................................. 8 Un manuel de médecine pratique en annexe ? ............................................................... 9 Les éditions et traductions de La lettre sur la racine de Chine ........................................... 11 Quelques réflexions sur l’esthétique du livre-patrimoine ............................................ 18 La Lettre sur la racine de Chine sur le marché du livre ............................................ 19 Remerciements .................................................................................................................... 19 Bibliographie ....................................................................................................................... 19 mai 2016 La Fabrique de Vésale et autres textes 3 En octobre 1546, André Vésale (1514-1564) était en service comme médecin ordinaire de l’empereur Charles V depuis deux ans environ, lorsque sa Lettre sur l’usage de la racine de Chine parut à Bâle chez Oporinus. Elle était dédiée à Joachim Roelants de Mechelen (2 juillet 1496-14 août 1558), médecin de Charles Quint, qui lui avait demandé son opinion sur la racine de Chine, parce que celui-ci avait fait un bon usage de ce nouveau médica- ment pour traiter l’empereur contre la goutte1. Beaucoup d’autres à la Cour en avaient fait usage aussi. La réponse de Vésale a la forme d’une lettre, Epistola rationem modumque pro- pinandi radicis Chynae decocti (« Lettre sur l’usage et la manière de préparer une décoction de la racine de Chine ») qui, dans la première édition imprimée, comprend 204 pages sui- vies d’un index élaboré de douze pages, à vrai dire un livre. Le prétexte de la lettre : la racine de Chine Vésale distingue nettement la racine de Chine et la sarsaparilla, plante à laquelle il con- sacre une section à part. La racine de Chine elle-même est appelée aujourd’hui le Smilax china (Linné), bien que les racines d’autres espèces de cette famille (comme S. lanceifolia, S. glabra, S. ovalifolia), que l’on retrouve en Inde, aient probablement été employées dans le même but. La plante était exportée à Anvers via le Portugal. La description de Vésale ne laisse en tout cas aucun doute sur la nature exacte de la racine de Chine2. Il s’agit d’une plante grimpante, indigène en Chine, en Corée, au Taiwan, au Japon, aux Philippines, au Vietnam, au Myanmar et en Assam, elle pousse dans les bois et les buissons, sur les flancs des collines, dans les prairies et dans les lieux ombragés dans les vallées ou près des rivières. On la retrouve jusqu’à deux mille mètres d’altitude. La tige de bois est pourvue d’épines et atteint une longueur d’un à cinq mètres. La longueur du pétiole varie d’un demi à un et demi centimètre, la feuille elle-même est ronde ou elliptique, longue de trois à dix centi- mètres et large d’un et demi à six centimètres. Les fruits consistent en baies sphériques d’un demi à un et demi centimètre de diamètre. La plante contient du caempferol-7-O- glucoside, un glucoside flavonol avec des propriétés antioxydantes. La famille des Smila- caceae appartient à l’ordre des Liliales3. Le genre du Smilax comprend entre 300 et 350 d’espèces. Les plantes sont très résistantes et difficiles à exterminer. Des extraits de racines de certaines espèces sont utilisés aujourd’hui pour préparer de la bière ou des tisanes et parfois des soupes ou des purées. Les jets jeunes peuvent être mangés crus ou après avoir été cuits, ils ont le goût des asperges. À cause des divers composants actifs, la racine de Chine est employée sous forme de poudre par la médecine traditionnelle en Amérique latine. Des espèces riches en nectar fournissent du miel. Le commentaire le plus élaboré sur la racine de Chine dans la Lettre de Vésale est de la main du médecin indonésien Fred- dy Tek Tiong Tan. Outre une discussion du texte de Vésale, sa thèse de doctorat com- prend une description de la plante, sa distribution, des indications pour son usage, les composants actifs, des recettes et des modes d’emploi, ainsi qu’une discussion sur l’importance économique de la plante4. À l’époque de Vésale, la racine de Chine était un 1 Th. APPELBOOM, J. MARGAUX, « Vesalius, also a rheumatologist? », Arthritis Care and Research - Arthritis & Rheumatism, 2002, 47, 1, p. 109-110. 2 H. CUSHING, A bio-bibliography of Andreas Vesalius, New York, Schuman's, 1943, 229 p., ill., note p. 160-161. 3 Voir <http://en.wikipedia.org/wiki/Smilax_china> et <http://en.wikipedia.org/wiki/Smilax> 4 F. TEK TIONG TAN, A. Vesals “Epistola de radicis Chinae usu” in ihrer Bedeutung für die pharmaceutischen Verwendung von http://www3.biusante.parisdescartes.fr/vesale/pdf/racine.pdf 4 La Lettre sur la racine de Chine médicament tout à fait nouveau, on en attendait beaucoup et la racine était recommandée par conséquent pour le traitement d’une grande diversité de maladies, de la goutte à la sy- philis. Le destinataire de la lettre : Joachim Roelants Après la paix de Crépy, signée le 18 septembre 1544, Vésale revint à Bruxelles pour se marier avec Anna van Hamme, fille de Jérôme van Hamme et d’Anna Asseliers et voya- gea dans la suite de Charles Quint, dont il était second médecin ordinaire depuis 1543, derrière l’archiâtre Corneille de Baersdorp (1486-1565)5. La Lettre sur la racine de Chine, datée de Ratisbonne le 13 juin 1546, est donc une lettre d’actualité, écrite pour répondre à quelques questions de Joachim Roelants, concernant des sujets variés. Les deux hommes se connaissaient bien. Non seulement ils venaient de la même région, mais dans la Fabrica de 1543, Vésale écrit avoir entretenu une correspondance avec lui et son étudiant Vitus Tritonius Athesinus, pour échanger leurs opinions sur l’origine du sang menstruel6. Joachim Roelants pour sa part était médecin aussi, tout comme son père Corneille. Il était né à Mechelen (Malines) le 2 Juillet 1520, de Corneille Roelants et de Cécile Van Duffle. Il avait été immatriculé comme étudiant au Pedagogium Porci le 31 août 15157 et avait étu- dié la médecine à Louvain. Après avoir obtenu sa licence, il s’établit comme médecin dans sa ville natale et se maria avec Cornélie Pels. Il était également attaché comme médecin à la Cour de Marguerite d’Autriche. Il mourut le 14 août 1558, laissant trois enfants, Mar- tin, Jean et Cécile. Il reste connu par sa publication sur la suette anglaise, un ouvrage qui Smilax China L., Inaugural-Dissertation zur Erlangung der Doktorwürde der Naturwissenschaftlichen Fakultät der Phi- lipps-Universität Marburg/Lahn, Marburg, 1966, 135 p., ill. Pour une discussion du contenu de La lettre sur la racine de Chine voir p. 16-28, la description de la plante et sa distribution (66-83), les indications pour l’emploi (51-65), les re- cettes et les substances actives (84-110), le mode d’emploi (41-51) et l’importance économique (36-40). 5 Abondante littérature à son sujet : C. GYSEL, « Corneille De Baersdorp (1486-1565), archimédecin de Charles-Quint et commentateur de Galien », Acta Belgica Historiae Medicinae, 1995, 8, p. 2-8 ; J. O. M. de MERSSEMAN, Notice sur Corneille van Baersdorp, Bruges, Vandecasteele-Werbrouck, 1844, 14 p.; [I. J.] de MEYER, « Notice sur Corneille van Baersdorp », Annales de la société médico-chirurgicale de Bruges, 1845, 6, p. 16-57 ; J. de SAINT-GENOIS, « Baersdorp (Corneille van) », Biographie Nationale de Belgique, Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, Tome I, Bruxelles, H. Thiry-Van Buggenhoudt, 1866, col. 625-629 ; A. de WITTE, « Cornelis de Baersdorp, lijfarts van Keizer Karel. Korrespondentie 1548-1561 [Cornelis van Baersdorp, médecin ordinaire de l’empereur Charles V. Lettres de 1548 à 1561] », Scientiarum Historia, Anvers, 1959, 1, p. 177-190 ; Idem, Nationaal Biografisch Woordenboek, t. 7, 1977, col. 41- 43. 6 André Vésale, De humani corporis fabrica libri septem, Bâle, Johannes Oporinus, 1543, p. 538 : Et mulierum menstruas purgationes ex uterum quoque petentibus venis evacuari indubitatum est : at quo modo id fiat, & per quas potissimum ve- nas, fundi scilicet, an cervices ille sanguis profluat, fortassis si diligens Natura operum fueris admirator, neque in alicuius iu- raveris verba magistri, et tu quoque non mecum modo, verum etiam cum eruditissimis viris Joachimo Roelants primario apud Mechlinienses medico, nostraeque Brabantiae singulari ornamento, ac Vito Tritonio Athesino, studiorum mihi dulcissi- mo comite, qui hac de re non semel mecum tum propter alias occasiones, tum maxime propter Hippocratis Aphorismum sexagesimum libri quinti, & Galeni in eundem commentarium literis egerunt, ambigas (« Il est indéniable que la purgation des menstrues des femmes est évacuées hors des veines qui gagnent l’utérus, mais comment cela se fait et surtout par quelles veines ce sang s’écoule, celles du fond [de l’utérus] assurément ou celles du cervix ? Si vous êtes un fer- vent admirateur des œuvres de la Nature et si vous n’avez pas prêté allégeance aux paroles d’un autre maître quel- conque, et que vous soyez aussi dans le doute à ce sujet, alors vous serez non seulement avec moi mais aussi avec des hommes très érudits, tel Joachim Roelants, éminent médecin de la ville de Malines, fleuron de notre Brabant, et Vitus Tritonius Athesinus, pour moi un compagnon fort agréable parmi les étudiants : ils ont correspondu sur cela avec moi plus d’une fois, en relation avec d’autres sujets, principalement avec le soixantième aphorisme du cinquième livre des Aphorismes d’Hippocrate et sur les commentaires de Galien sur le même».) 7 Pedagogium Porci (Pédagogie du Porc) était une des quatre Pédagogies de Louvain, ou écoles préparatoires reconnues par la faculté des Arts de Louvain, les trois autres portant respectivement le nom de Castrense ou Pedagogium Castri (Château), Lilium (Lys) et Falco (Faucon). mai 2016 La Fabrique de Vésale et autres textes 5 lui apporta la renommée8. Ce petit livre resterait introuvable, malgré la description que P.-J. d’Avoine en donna en 18469. Roelants avait donc dix-huit ans de plus que Vésale, il n’était pas seulement curieux de l’expérience de Vésale à la Cour avec ce nouveau médicament - un sujet qui intéressait aussi son étudiant Antonius Zucca10-, mais il s’interrogeait aussi sur l’opportunité de lais- ser son fils continuer ses études en médecine à Paris, sous Jacques Dubois (Iacobus Syl- vius) qui, lorsqu’il s’adressait aux étudiants, ne laissait passer aucune occasion pour rabais- ser les contributions de Vésale à l’anatomie. Dans La lettre sur la racine de Chine Vésale at- tire l’attention de Roelants sur les efforts considérables qu’il avait faits pour recommander son fils à Sylvius, lui rappelant qu’il avait lui-même suivi ses leçons chez lui et ajoutant que, s’il y avait quelque chose dans la Fabrica qui lui déplaisait, il espérait que Sylvius le lui dirait. Il est d’avis que cela serait aussi dans l’intérêt de Sylvius lui-même, parce qu’il était très estimé par ses confrères et qu’il avait entamé ses études en médecine sous sa férule11. Il défend aussi ses propres positions par rapport à Galien en rappelant comment il avait réfu- té dans une lettre précédente les arguments de Sylvius pour défendre le « vieux Grec ». Le fils de Roelants opérait comme intermédiaire dans cette correspondance12, ce qui n’était certainement pas dans son intérêt. Nous savons bien que Sylvius n’était pas du tout apaisé et que son irritation envers Vésale s’accumulait jusqu’à écrire, cinq ans plus tard, un pam- phlet injurieux13. La composition de l’ouvrage Selon le colophon de la dernière page, la première édition de cet ouvrage de Vésale fut imprimée à Bâle en octobre 1546, par Ioannes Oporinus. Une lettre-dédicace, écrite par François Vésale, frère cadet d’André, est adressée au duc Côme de Médicis : Illustriss. Maximoque / Tuscorum Duci Cos- / mo Medices, praecipuo / studiorum Mecœnati, Franci- / scus Vesalius S. (« François Vésale salue le très illustre et très grand duc de Toscane, Côme de Médicis, éminent Mécène des études »)14 ; elle est datée de Ferrariae, tertio idus Augusti: anno post natum Christum, M.D.LXVI (« Ferrare, le 3e jour des ides d’août »)15. La dédicace est ornée d’une grande initiale Q représentant la vivisection d’un porc et est suivie du 8 J. Roelants, De novo morbo sudoris quem anglicum vocant, anno 1529 grassantis, Antwerpiæ, [s.n.], 1530. Cf. L. MATTHYS- SENS, R. VAN HEE, « Joachim Roelants, Renaissance-arts uit Mechelen en zijn beschrijving van de Zwetende ziekte’ [Joa- chim Roelants, médecin de Malines à la Renaissance, et sa description de la “maladie de la suette”] », Geschiedenis der Geneeskunde, 2002, 12, p. 166-175. 9 P.-J. d’AVOINE, Notice sur le docteur Joachim Roelants, né à Malines vers la fin du 15e siècle, lue… le 27 mai 1846, Malines, J.F. Olbrechts, 1846. 10 O. STEENO, M. BIESBROUCK, Th. GODDEERIS, « Antonius Succa: een nobele student van Andreas Vesalius [Antonius Succa: un étudiant noble d’André Vésale] », Tijdschrift voor Geneeskunde, 2013, 69, 14-15), p. 734-739, ill. 11 A. Vésale, Epistola, rationem modumque propinandi radicis Chynae decocti, Basileæ, Ioannes Oporinus, 1546, p. 37 et sq. 12 C. D. O'MALLEY, Andreas Vesalius of Brussels 1514-1564, Berkeley and Los Angeles, University of California Press, 1964, XV-480 p., ill., p. 210-224. 13 Iacobus Sylvius, Vaesani cuiusdam calumniarum in Hippocratis Galenique rem anatomicam depulsio [Défense de l’anatomie d’Hippocrate et de Galien contre les attaques d’un fou], Parrhisiis, apud Catharinam Barbé, viduam Iacobi Gazelli, 1551, 29 f. 14 Côme de Médicis ou Côme Ier de Toscane (1519-1574), régent depuis le 9 janvier 1537, duc depuis le 20 septembre 1537, ne sera officiellement grand duc de Toscane que le 27 août 1569 ; son prédécesseur Alessandro fut nommé Ca- po della Repubblica en octobre 1530 et duc de Florence au premier mai 1532, titre qu’il avait obtenu de Charles Quint (mort le 6 janvier 1537). 15 Date erronée pour MDXLVI, soit « Ferrare, 15 août 1546 ». http://www3.biusante.parisdescartes.fr/vesale/pdf/racine.pdf 6 La Lettre sur la racine de Chine portrait de Vésale, identique à celui de la Fabrica de 1543, mais remarquable par un éclat de bois au bord supérieur gauche, que Cushing date de 1546, mais qui doit être plus an- cien ; en effet tous les exemplaires de l’Epitome en allemand (1543) présentent déjà cette écaillure16. Après le portrait commence la lettre à Joachim Roelants proprement dite, avec une grande lettrine T, un bois gravé représentant six putti en train de pendre un chien. La lettre se termine à la page 199, datée de Ratisbonne, Ratisponae, Idibus Iunii: Anno Sa- lutiferi partus MDXLVI (soit le 13 juin 1546) et est signée Tibi addictiss. Andreas Vesalius (« Votre très dévoué André Vésale »). La dédicace à Côme de Médicis Comme la lettre elle-même, cette dédicace se présente comme un texte d’actualité, riche d’enseignements par ses références aux événements contemporains et à la situation per- sonnelle de Vésale à cette époque. C’est aussi un texte très difficile à décrypter parfois, car le style en est particulièrement recherché, voire alambiqué, la syntaxe embarrassée, le vo- cabulaire emprunté. Vésale et Côme se connaissaient l’un l’autre. Quelques années plus tôt ils avaient eu une correspondance au sujet d’une invitation faite par le duc à Vésale pour donner une dissec- tion publique à Pise, à l’occasion de la réouverture de l’université, dont Côme était le grand mécène. Ces échanges épistolaires avaient eu lieu par l’intermédiaire de Benedetto Varchi (1502/1503-1565) de Florence, grand humaniste italien, homme de confiance du duc et ami de Vésale lui-même. Au moins cinq de ces lettres écrites par Vésale à ce sujet ont été conservées17. Il en ressort clairement que Vésale a décliné l’offre du duc de servir à sa cour, parce qu’il était déjà engagé avec l’empereur Charles Quint. Cependant, la dédicace de la Lettre sur la racine de Chine n’est pas écrite par André Vésale mais par son frère cadet. Né vraisemblablement en mai 1521, François Vésale fut imma- triculé à Louvain dans le groupe des Divites Castrenses le 31 août 1536, à peu près au mo- ment où son frère quittait Paris à cause des troubles engendrés par la guerre entre l’empereur Charles Quint et François Ier. Il avait entamé des études de droit, poussé par ses parents et contre son gré ; au début des années quarante il avait assisté aux dissections de son frère à Bologne et à Padoue. Depuis août 1542, il suivait apparemment aussi à Ferrare les dissections faites dans la maison de Giambattista Canano (1515-1578), où André lui rendit visite lors de son voyage de Padoue à Bâle autour du nouvel an de 1542-154318. En 1546 donc, François Vésale se trouvait encore à Ferrare où il étudiait la médecine. 16 H. CUSHING, op. cit., p. 163. Theodoor Goddeeris a été le premier à noter ce défaut dans l’exemplaire allemand de l’Epitome, lors de son exposition au Museum M à Louvain en 2014-2015. 17 Les lettres originales de Vésale à Benedetto Varchi sont conservées à la Biblioteca Nazionale di Firenze, Autografi Pala- tini, Cass. II, 116-118 (Padoue, 11 décembre [1543], Bruxelles, 26 novembre [1544], Ratisbonne, 11 mai 1546) et à la Biblioteca Apostolica Vaticana (BAV), Fondo Chigiano, 60.L.III. f. 90r-91v (Padoue, 26 mars [1544] et Spiers, 20 mai [1544]). 18 O. STEENO, M. BIESBROUCK, Th. GODDEERIS, « Franciscus Vesalius, jongere broer van Andreas [François Vésale, frère cadet d’André] », A. Vesalius, KU Leuven Faculteit Geneeskunde - Permanente Vorming, 2014, 26, 1, 43-55, ill. Selon Amatus Lusitanus, Franciscus Vesalius fit des dissections publiques à Ferrare, en 1547 et en 1550, mais il n’a jamais occupé de chaire, comme l’ont assuré plusieurs auteurs. Le 2 juillet 1552 il fut nommé médecin de la peste à Vienne. Il succomba aux conséquences de ce fléau à la fin de 1552 et fut enterré dans la Minoritenkirche, après avoir rédigé son testament le 6 novembre 1552 ; ce dernier, qui existe toujours, fut ouvert par Mathias Cornax le 30 décembre 1552. mai 2016 La Fabrique de Vésale et autres textes 7 Le seul fait qu’une lettre-dédicace soit écrite par un tiers est une chose étrange, qui suscite des questions, d’autant plus si elle a été envoyée pour être publiée, à l’insu de l’auteur du livre, selon les dires de François19. En réalité, André Vésale était au courant de cette ma- nœuvre, comme le prouvent deux lettres, l’une adressée à Jean Gast, son ami théologien (cf. infra) et l’autre envoyée au duc disant qu’Il Vessalio Anathomista avait dédié cette ope- retta della China au duc par reconnaissance pour des faveurs antérieures, sous le nom de son frère20. Il est peu probable, comme le suppose Carlos Gysel, que Vésale ait écrit la dé- dicace lui-même afin de se justifier aux yeux de ses amis face aux imputations de Sylvius mais sans intention de la publier21. François Vésale écrit avoir reçu le livre par l’intermédiaire de Jacobus Scepperus (Jacques De Schepper), étudiant en médecine avec lui, qui l’avait transcrit de l’original et l’avait emporté de Bruxelles à Ferrare; il avait en effet constaté que d’autres copies circulaient, et avait demandé à De Schepper de lui en faire parvenir une pour l’envoyer à Oporinus (1507- 1578) afin d’assurer une impression correcte à un contenu qui intéressait beaucoup de médecins. Sans donner de nom, il fait allusion au désastre que fut l’impression anglaise de l’Epitome22. Flattant le duc en termes élogieux, rappelant son mécénat dont bénéficie l’université de Pise, signalant au passage quelques relations communes, tels Franciscus Campana et Ioannes Baptista Recasulanus, évêque de Cortone, l’auteur de la lettre établit à l’évidence ses liens de familiarité avec le duc (citant par exemple l’anecdote selon laquelle Côme encore enfant était sorti indemne, après avoir été précipité d’une fenêtre par son père Jean de Médicis), ce qui lui donne une assise suffisante pour justifier une connivence intellectuelle. Le duc est ainsi promu au rang d’allié d’André Vésale dans sa conviction que Galien n’a disséqué que des animaux et jamais des êtres humains et qu’il ne pouvait donner par conséquent aucune description correcte de l’anatomie humaine ; ceux qui continuent à défendre Galien attaquent sans cesse son frère et l’insultent. Sous le prête- nom du frère cadet, c’est peut-être bien André Vésale lui-même qui demande la protec- tion du duc pour blanchir son blason des attaques de Sylvius, dont il ne dit justement pas le nom, et qui suggère qu’un retour à Pise pour donner une leçon d’anatomie est envisa- geable si les étudiants le demandent. Cela signifierait-il que Vésale ne fût pas toujours à l’aise à la cour impériale en 1546 ? En tout ca, François ajoute qu’il a assisté personnelle- ment aux leçons de son frère à Padoue devant une assemblée nombreuse, et qu’il préfère 19 Cf. note 18 et O. STEENO, « Andreas Vesalius-The Life: Franciscus and Anna: Andreas Vesalius’ Brother and Sister in the Spotlight », Vesalius – Acta Internationalia Historiae Medicinae – Special Issue for the Vesalius Continuum commemorating the 500th Anniversary of Andreas Vesalius, Zakynthos, Greece, September 4th-8th 2014, 2014, 20, 1, p. 18. 20 A. CORSINI, « Andrea Vesalio nello studio di Pisa », Volume pubblicato nel XXX anno di Direzione sanitaria del Prof. D. Bar- duzzi delle RR. Terme di S. Giuliano 1915, Sienne, S. Bernardino, 1915, 21 p. ; A. CORSINI, « Nuovi documenti riguardanti Andrea Vesalio e Realdo Colombo nelloStudio Pisano », Rivista di Storia Critica delle Scienze Mediche e Naturale, 1918, 9, 5-6, p. 507-512 ; P. BOEYNAEMS, « De brief van Vesalius aan Johannes Gast (1546) [Lettre de Vésale à Johannes Gast] », Scientiarum Historia, Vesaliusnummer, 1964, 6, p. 164-168. 21 Cf. C. GYSEL, « Rondom Vesalius’ brief aan Rolandus [La lettre de Vésale à Roelants] », Nederlands Tijdschrift voor Tan- dheelkunde, 1967, I, p. 63-68 et II, 136-147. Dans la IIe partie, il y a un portrait de Joachim Roelants, son écu et son arbre généalogique. Toutefois, cette interprétation reste hypothétique et ne tient pas compte des différences stylistiques entre la Lettre proprement et la préface à Côme de Médicis. 22 Il s’agit de la Compendiosa totius Anatomie delineatio publiée par Thomas Geminus à Londres en 1544, cf. J. VONS et S. VELUT, A. Vésale, Résumé de ses livres sur la Fabrique du corps humain, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. LXXX-LXXXI et LXXXIX-LXC. Le ton de la lettre ici n’est pas sans rappeler les accusations de plagiat portées dans la Lettre à Oporinus, précédant la Fabrica de 1543. http://www3.biusante.parisdescartes.fr/vesale/pdf/racine.pdf 8 La Lettre sur la racine de Chine étudier la médecine que le droit auquel ses parents le destinaient23 ; il espère reprendre un jour les fonctions de son frère en montrant l’anatomie correcte du corps humain, et ré- pondre à Sylvius (ici nommé), ce dont son frère n’a pas le temps. Le contenu de la Lettre sur la racine de Chine La Lettre sur la racine de Chine est donc adressée au Doctiss. Viro D. Ioachimo Roelants, me- dico apud Mechlinienses primario, amico charissimo suo (« Au très savant Docteur Joachim Roelants, éminent médecin de la ville de Malines, son meilleur ami »). Le texte monolithique comprenant cent quatre-vingt-neuf pages, sans aucune division, ni en chapitres, ni en paragraphes, ni autrement, n’invite pas du tout à la lecture. Par en- droits, on relève quelques indications dans la marge extérieure avec un court résumé du contenu, mais elles sont beaucoup trop rares pour être utiles. Heureusement l’index final est très élaboré et donne aux lecteurs suffisamment d’entrées pour se repérer dans le texte. D’après la page de titre, la lettre traite de la racine de Chine, mais en réalité le pavillon ne couvre pas la marchandise et Hyrtl était d’avis déjà que cet ouvrage, pourtant important, était trop rarement lu, précisément à cause de ce titre jugé trop « technique »24. Seules les trente-quatre premières pages traitent de la racine de Chine, mais d’autres médicaments sont également passés en revue (le gaïac, l’hellébore, le miel, l’essence de térébenthine). Vésale signale que la racine de Chine avait déjà été utilisée pendant son séjour en Italie, mais qu’elle était tombée dans l’oubli après quelques cas qui avaient connu une issue fa- tale. Plus tard après quelques succès et des récits favorables faits par des nobles en Espagne, ce remède vint aux oreilles de l’empereur, qui le substitua au gaïac pour traiter ses maux parce qu’il estimait le traitement moins pénible. En fait, Vésale prête peu attention aux recommandations de l’empereur concernant l’efficacité du remède, car il connaît bien le manque d’observance de son impérial patient et ses fantaisies dans les dosages. Il donne plus de précisions sur le mal articulaire dont souffre l’empereur et qu’il décrit comme un morbus articularis, périphrase le plus souvent comprise comme un synonyme de la goutte. Le mal se manifeste dans l’épaule gauche avec une diminution de la mobilité depuis une année, et dans la cheville gauche. Mais dès qu’il souffre moins, l’empereur arrête le traite- ment sous le prétexte d’occupations trop lourdes. Vésale entre dans les détails, montrant comment le régime de vie irrégulier de l’empereur pousse ses médecins (lui-même, Cor- neille de Baersdorp et Cavalius) au désespoir. Il rapporte aussi un effet favorable du re- mède chez d’autres patients et pour d’autres maux, surtout la syphilis, en association par- fois avec d’autres médicaments ou avec des saignées. Il est remarquable que Vésale, dans le cas d’une amélioration, parle d’un rétablissement « après » l’usage de la racine de Chine et non « par » son emploi. Toutefois, il estime la racine de Chine moins efficace que le gaïac pour certains maux et attribue à un effet de mode l’attribution à cette racine de nouvelles propriétés, faisant preuve de réserve dans l’enthousiasme généré par la nouveauté du mé- dicament25. Néanmoins, il poursuit selon le modèle habituel des prescriptions médicales : la manière de préparer la décoction, le dosage et le schéma de traitement, la nécessité de 23 Cette remarque sous-entend que leur père Andries van Wesele était peut-être encore en vie à la date du 15 août 1546. 24 J. HYRTL, Das Arabische und Hebräische in der Anatomie, Wien, Wilhelm Braumüller, 1879, p. xxix (Einleitung). 25 André Vésale, Epistola, rationem modumque propinandi radicis Chynae decocti, Basileæ, Johannes Oporinus, 1546, p. 21. mai 2016 La Fabrique de Vésale et autres textes 9 stimuler la transpiration, le régime et l’hygiène corporelle en général, des occupations agréables et la compagnie d’amis, l’abstinence d’activités sexuelles (bien que la fréquence avec laquelle les hommes ont des érections sous ce traitement l’étonne). La durée du trai- tement ainsi que les soins ultérieurs sont également expliqués. Plus brièvement Vésale si- gnale l’usage d’autres remèdes comme la sarsaparilla (qu’il appelle Sparta parilla), et des plantes indigènes plus familières, comme le chamaedrys et le rhapontic, ressemblant quelque peu à la rhubarbe. Ici se termine l’exposé sur la racine de Chine proprement dit, le lecteur se trouvant à la page 40 sur 199. Le reste de l’ouvrage traite de sujets très variés, surtout de l’anatomie, de l’anatomie comparée et du fœtus, mais aussi de pathologies (excès de bile, maladies du foie, goutte, syphilis). Il renvoie souvent à ses connaissances et ses amis, comme aussi à ses adversaires tel Sylvius, et très fréquemment à Galien. Maintes fois il est question de Côme de Médicis. Sa propre famille et son histoire personnelle apparaissent largement. En résu- mé, la Lettre sur la racine de Chine est donc en premier lieu un ouvrage sur l’anatomie, et une source essentielle pour mieux nous faire connaître l’homme qu’était Vésale et son en- tourage. Un manuel de médecine pratique en annexe ? Ce n’est que tout à la fin du livre que Vésale revient sur l’usage pratique de la racine de Chine, en ajoutant un texte en italien, Italicum scriptum, traitant des propriétés pharma- ceutiques de la racine de Chine et de sa préparation. Dans l’introduction à ce texte, intro- duction écrite en latin, il explique à son correspondant qu’il lui envoie une transcription d’un texte qu’il a reçu à la Cour, ceci afin d’être le plus complet possible dans ses informa- tions sur le nouveau remède26. Il le lui envoie en italien, tout comme il l’a reçu lui-même, car il sait que Roelants maîtrise cette langue, même s’il pense que le texte original était en espagnol et plus court. Il dit en avoir aussi une traduction en latin. Le texte d’introduction en latin est orné d’une grande initiale O, qui représente cinq putti en train de bouillir des os dans un grand chaudron. Le texte italien est surmonté d’un titre, Regimento per pigliar l’aqua de la radice de Chyna, et commence par une initiale S or- née montrant à gauche deux putti laissant saigner un chien décapité et à droite deux putti étudiant des livres27. Ces quatre lettrines (Q, T, O et petit S) proviennent de la première édition de la Fabrica, comme en témoigne la présence d’un double encadrement28. D’après cette recette, la préparation de la décoction est fort simple : couper la racine en petits morceaux et les faire infuser dans l’eau pendant un jour et une nuit jusqu’au lende- main. Puis transvaser le tout dans un autre pot, remplir d’eau de source et faire réduire sur le feu jusqu’au tiers, puis laisser refroidir. La décoction doit être préparée fraîche chaque jour, car elle devient vite acide. Le traitement consiste en une cure durant vingt-quatre 26 André Vésale, Epistola p. 200 et aussi la note dans la marge, p. 17. 27 S. W. LAMBERT, « The initial letters of the anatomical treatise, de humani corporis fabrica, of Vesalius », S. W. LAMBERT, W. WIEGAND, W. M. IVINS jr. (ed.), Three vesalian essays to accompany the icones anatomicae of 1934, New York, Macmillan, 1952, p. 3-24. La littérature sur les lettrines est abondante, cf. index dans <www.andreasvesalius.be>, section biblio- graphy. 28 Voir l’Introduction générale à la Fabrica, dans J. VONS et S. VELUT, La Fabrique de Vésale et autres textes, Paris, Biblio- thèque interuniversitaire de santé, 2014, p. 17-18, http://www3.biusante.parisdescartes.fr/vesale/pdf/intro.pdf http://www3.biusante.parisdescartes.fr/vesale/pdf/racine.pdf 10 La Lettre sur la racine de Chine jours. C’est pourquoi la quantité de racine achetée doit être partagée d’avance en vingt- quatre portions, dont on en prépare une chaque jour. Le mode d’emploi est plus compli- qué. Le patient doit se purger au début, à mi-chemin et à la fin de la cure. Puis il doit boire chaque matin un grand gobelet de la décoction aussi chaude que possible en restant encore au lit. Pendant les deux heures suivantes il lui faut transpirer le plus possible. Puis il peut se lever et faire des exercices, en étant toujours bien enveloppé. Il peut sortir après huit jours, mais bien vêtu et à l’abri du vent. Comme pour tant de traitements de cette époque, tout cela doit être combiné avec nombre de diètes alimentaires. Durant toute la période de traitement, l’usage du vin et du bouillon est défendu, ainsi que les activités sexuelles. Pas de poisson, ni un grand nombre d’autres aliments, sinon avec modération, à partir d’un certain moment du traitement et en fonction des réactions du patient. Après la cure les morceaux de racine restants sont séchés au soleil et coupés en tout petits mor- ceaux, que l’on fait bouillir à nouveau pour un traitement supplémentaire de huit à dix jours. Si le malade a une douleur dans une partie du corps, il faut la couvrir avec des com- presses trempées dans ce jus ou la baigner avec la décoction. La cure finie le patient doit être purgé avec un clystère préparé à l’eau de chicorée et continuer à se vêtir très chaude- ment en sortant. Vésale semble être convaincu que le texte original a été écrit en espagnol29 et déduit son succès du fait de ses traductions en cinq langues. Cushing remarque qu’une traduction en français avait aussi été publiée dans Les troys premiers livres de Claude Galien de la composi- tion des medicamens en general (Tours, par Iehan Rousset, 1545), un an avant l’editio princeps de Vésale. Dans son épitre au lecteur, Rousset signale que Thibault Lesplegney (1496- 1550), pharmacien humaniste de Tours avait constaté la présence de pages vides à la fin du texte de Galien et qu’il avait proposé de les utiliser pour un texte « De la nature, vertu et faculte de la racine du Boys nouuellement inventé, appellé L’esquine : & comme il en faut user », qu’il avait reçu d’un ami30. À la fin de l’épitre, Rousset donnait quelques indi- cations supplémentaires sur l’origine du texte : « Les choses dessusdites ont esté ap- prouuees, & experimentees par plusieurs. Et mesmement par Thomas Maglit, qui ha escrit la presente ordonnance, en l’an 1539, au mois de Septembre en la ville d’Anvers, layant eüe de son maistre Ruys Fernandes, qui par la grande vertu de ceste eaue dessusdite en vsant dicelle par quarante iours, & selon la methode & ordre deuant dite ha este gueri sain & net dun mal quil auoit à vne iambe, ou estoient plusieurs pertuis & fistules par lespace de sept ans apres auoir vsé de tous les remedes quon ha peu trouuer par toute l’Italie, & qui ny ont de rien serui ne proufité »31. Cette traduction en français n’est pas le même texte que l’Italicum scriptum donné par Vé- sale, qui est plus élaboré, mais il est clair qu’ils reviennent au même et qu’ils doivent avoir une même source. Outre ce texte en italien nous ne connaissons qu’une seule autre instance où Vésale traite 29 H. CUSHING, Op. cit., p. 169 et fig. 86. Traduction en anglais. 30 C. VIEL, « Deux figures du monde pharmaceutique tourangeau Thibault Lespleigney et Maurice Javillier », Revue d’histoire de la pharmacie, XLV, n° 315, 1997, p. 239-256. 31 Texte repris de Opvscvles de divers avthevrs medecins…, à Lyon, par Iean de Tournes, 1552, voir p. 280-286. Le même texte (avec seulement quelques différences dans l’orthographe) se retrouve dans De la composition des medicamens en general, à Lyon, par Benoist Rigaud, 1574, voir p. 225-235. mai 2016

Description:
commentateur de Galien », Acta Belgica Historiae Medicinae, 1995, 8, p. 2-8 ; J. O. M. de . O. STEENO, M. BIESBROUCK, Th. GODDEERIS, « Antonius Succa: een nobele student van Andreas Vesalius [Antonius Succa: un étudiant
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