Douleurs animales Les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage Synthèse du rapport d’expertise réalisé par l’INRA à la demande du Ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche et du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Décembre 2009 Expertise scientifique collective INRA Douleurs animales les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage Rapport d'expertise Pierre Le Neindre, Raphaël Guatteo, Daniel Guémené, Jean-Luc Guichet, Karine Latouche, Christine Leterrier, Olivier Levionnois, Pierre Mormède, Armelle Prunier, Alain Serrie, Jacques Servière (éditeurs) Décembre 2009 Le rapport d’expertise a été élaboré par les experts scientifiques sans condition d’approbation préalable par les commanditaires ou l’INRA. Il est disponible en ligne sur le site de l’INRA. http://www.inra.fr/l_institut/expertise/expertises_realisees/douleurs_animales_rapport_d_expertise Pour citer ce document : Pierre Le Neindre, Raphaël Guatteo, Daniel Guémené, Jean-Luc Guichet, Karine Latouche, Christine Leterrier, Olivier Levionnois, Pierre Mormède, Armelle Prunier, Alain Serrie, Jacques Servière (éditeurs), 2009. Douleurs animales : les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage. Expertise scientifique collective, rapport d’expertise, INRA (France), 340 p. Auteurs et éditeurs de l’expertise RESPONSABLE DE LA COORDINATION SCIENTIFIQUE Pierre LE NEINDRE, Chercheur INRA : biologie du comportement, adaptation. AUTEURS ET CONTRIBUTEURS Damien BALDIN, professeur agrégé d’histoire, enseignant et doctorant à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales : histoire des relations hommes-animaux. Sonia DESMOULIN, Chercheur CNRS, à l’ UMR de Droit comparé de Paris : droit du vivant, droit de la bioéthique, droit de la santé animale. Raphaël GUATTEO*,* Enseignant chercheur à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Nantes, Dipl ECBHM (Euopean college of Bovine Health Management), Médecine des animaux d’élevage (ruminants), appréciation des états de santé et de leurs déterminants dans les populations animales. Jean-Luc GUICHET*, Chercheur et directeur de programme au Collège international de philosophie, membre du Comité d’éthique Expérimentation animale Paris-Île-de-France : philosophie, animalité, anthropologie, bioéthique. Daniel GUEMENE*, Chercheur INRA, Unité de Recherches Avicoles de Tours-Nouzilly : Physiologie du stress et de l'adaptation, bien-être, pratiques et systèmes d'élevage chez les volailles. Raphael LARRERE, Directeur de recherche INRA (retraité) : éthique environnementale (rapports à la nature, rapports à la technique), éthique animale, évaluation des nouvelles technologies. Karine LATOUCHE*, Chercheur INRA, Unité d’Etudes et de Recherches en économie de Nantes : économie, consentement à payer, politiques publiques, production et échanges agricoles et agro-alimentaires. Christine LETERRIER*, Chercheur INRA, UMR Physiologie de la reproduction et des comportements de Nouzilly : neurobiologie et adaptation chez les volailles. Olivier LEVIONNOIS*, Vétérinaire et chercheur à l’hôpital vétérinaire de Berne (Suisse) : pharmacologie et anesthésiologie vétérinaires. Pierre MORMEDE*, Chercheur INRA, UMR Psycho-neuro-immunologie, nutrition et génétique à Bordeaux : composantes génétiques et physiologiques du stress chez les animaux domestiques, évaluation, moyens de prévention ou de thérapeutique. Luc MOUNIER, Enseignant chercheur à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Lyon : bien-être des ruminants dans les conditions d’élevage, adaptation et comportements sociaux. Jocelyne PORCHER, Chercheur INRA, UMR Sciences pour l’action et le développement, activités, produits, territoires à AgroParisTech : souffrance animal/éleveur, sociologie et élevage. Patrick PRUNET, Chercheur INRA, UR Ichtyophysiologie, biodiversité et environnement à Rennes : physiologie de l’adaptation et du stress chez les poissons d’élevage. Armelle PRUNIER*, Chercheur INRA, Unité Systèmes d’Elevage, Nutrition Animale et Humaine à Rennes : physiologie du stress et de l’adaptation chez le porc, élevage, comportement, bien-être. Alain SERRIE*, Médecin/clinicien à l’hôpital Lariboisière : médecine de la douleur, médecine palliative. Jacques SERVIERE*, Chercheur INRA, département Sciences de la Vie & Santé, AgroParisTech : neurobiologie, douleur, bien-animal. Claudia TERLOUW, Chercheur INRA, Unité de Recherches sur les Herbivores à Theix : bien-être des ruminants dans les conditions d’élevage, abattage. Pierre-louis TOUTAIN, Professeur à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse : médecine vétérinaire, pharmacodynamique et pharmacocinétique : devenir des xénobiotiques et substances endogènes dans l’organisme animal ; anti-inflammatoires. Noëlie VIALLES, Enseignant chercheur, Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France : anthropologie des relations hommes-animaux. RELECTEURS Joseph-Paul BEAUFAYS, Professeur en médecine vétérinaire, Université de Namur (Belgique), président et membre de la Commissions d’éthique en expérimentation animale. Henri BRUGÈRE, Professeur à l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort, laboratoire de Physiologie-Thérapeutique. Robert DANTZER, Professeur de Psycho-neuro-immunologie à l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign (USA). Unité Expertise Scientifique Collective (ESCo) de l’INRA Claire SABBAGH, ingénieur de recherche, INRA Paris : direction de l’unité Expertise scientifique collective Hélène CHIAPELLO, ingénieur de recherche, INRA Jouy : rédaction et coordination éditoriale. Isabelle SAVINI, ingénieur d’études, INRA Paris : conseil éditorial et rédaction. Dominique FOURNIER, ingénieur d’études, INRA Montpellier : ingénierie documentaire. Diane LEFEBVRE, ingénieur de recherche, INRA Versailles : ingénierie documentaire. * Experts coordinateurs de chapitre. Cette liste n’intègre pas les chercheurs qui ont pu être sollicités (par l’un des experts ci-dessus) pour contribuer ponctuellement à la rédaction d’une section du rapport, mais qui n’ont pas participé au travail collectif. Ces chercheurs sont cités dans les contributions écrites auxquelles ils ont apporté leur concours. ESCo Douleurs animales – Sommaire et Introduction – version 2 – 15/03/2010 1 Sommaire AVANT PROPOS INTROUCTION CHAPITRE 1. LA QUESTION DE LA DOULEUR DES ANIMAUX : LES COMPOSANTES DU DÉBAT. 1.1. Contexte et aspects des systèmes de production : caractéristiques du système d’élevage intensif 1.1.1. Le développement des systèmes de production depuis l’après guerre et leurs caractéristiques 1.1.2. Relations entre humains et animaux d’élevage et contagion de la souffrance en systèmes industriels et intensifiés – focus sur la production porcine 1.2. Les relations homme/animaux : représentations, évolutions et attitudes 1.2.1. Dimension anthropologique 1.2.2. Histoire de la douleur animale 1.2.3. La question de la douleur animale dans la littérature philosophique 1.3. Enjeux et acteurs 1.3.1. Les mouvements de protection et de défense des animaux 1.3.2. La réglementation et son impact 1.3.3. Prise en compte de la douleur des animaux dans les élevages : incitations, demande(s) et perspectives internationales 1.4. Conclusion 1.5. Liste des références bibliographiques du chapitre 1 CHAPITRE 2. DÉFINITIONS, CONCEPTS ET MÉCANISMES CHEZ L’HOMME ET LES ANIMAUX D’ELEVAGE. 2.1. Un intérêt scientifique croissant 2.2 Apports de la clinique humaine à la connaissance de la douleur 2.2.1. Les conceptions de la notion de douleur pour l’humain 2.2.2. Elargissement du champ de l’application de la douleur aux humains non parlant 2.2.3. Concepts et notions associés à la douleur : les frontières de la douleur 2.3. La douleur : mécanismes et structures impliquées 2.3.2. Les composantes de la douleur 2.3.3. La conscience sensorielle de la douleur 2.3.4. Mécanismes neuronaux de la nociception et de la douleur 2.3.5. Dimension ontogénétique de la douleur : l’apparition de la douleur chez le foetus ou le jeune 2.4. Transposition aux animaux 2.4.1. La transposition aux animaux de la définition de la douleur et des concepts associés 2.4.2. La composante émotionnelle de la douleur chez les animaux 2.4.3. Modulation des seuils de perception de la douleur par les signaux issus du milieu social 2.4.4. Approche phylogénétique de la douleur 2.5. Conclusion 2.6. Références bibliographiques citées dans le chapitre 2 CHAPITRE 3 : COMMENT ÉVALUER LA DOULEUR CHEZ LES ANIMAUX D’ÉLEVAGE ? 3.1. Critères lésionnels 3.1.1. Chez le porc et les ruminants 3.1.2. Chez les oiseaux 3.1.3. Chez les poissons 3.1.4. A l’abattage 3.2. Critères physiologiques 3.2.1. Chez le porc et les ruminants 3.2.2. Chez les oiseaux 3.2.3. Chez les poissons 3.2.4. A l’abattage 3.3. Critères comportementaux de la douleur 3.3.1. Chez le porc et les ruminants 3.3.2. Chez les oiseaux ESCo Douleurs animales – Sommaire et Introduction – version 2 – 15/03/2010 2 3.3.3. Chez les poissons 3.3.4. Au moment de l’abattage 3.4. Critères zootechniques 3.4.1. Chez le porc et les ruminants 3.4.2. Chez les oiseaux 3.4.3. Chez les poissons 3.5. Echelles multiparamétriques 3.5.1. Chez le porc et les ruminants 3.5.2. Chez les oiseaux 3.5.3. Echelles multiparamétriques existantes 3.6. Conclusion 3.7. Références bibliographiques citées dans le chapitre 3 CHAPITRE 4. Sources avérées et/ou potentielles de douleur chez les animaux d’élevage. 4.1. Sources de douleur liées aux systèmes de production et aux pratiques d’élevages 4.1.1. En élevage de ruminants 4.1.2. En élevage de porcs 4.1.3. En élevage de volailles 4.1.4. En élevage de poissons 4.2. Sources de douleurs liées aux pratiques d’abattage 4.2.1. Aspects réglementaires 4.2.2. Cas de l’abattage 4.2.3. Cas de l’abattage hors abattoir 4.3. Sources de douleur liées à la sélection génétique 4.3.1. Exemples de sources de douleurs associées à la sélection génétique chez les bovins 4.3.2. Exemples de sources de douleurs associées à la sélection génétique chez les porcs 4.3.3. Exemples de sources de douleurs associées à la sélection génétique chez les volailles 4.3.4. Sélection génétique et sources de douleur : conséquence directe ou indirecte ? 4.4. Conclusion 4.5. Références bibliographiques citées dans le chapitre 4 CHAPITRE 5. SOLUTIONS POUR LIMITER LA DOULEUR CHEZ LES ANIMAUX D’ÉLEVAGE. 5.1. Démarche générale pour limiter la douleur en élevage 5.1.1. La règle des « 3S » comme principe à prendre en compte pour limiter la douleur chez les animaux d’élevage 5.1.2. Difficultés rencontrées pour limiter la douleur 5.1.3. Exemple de réussite à l’abandon d’une méthode douloureuse 5.1.4. L’utilisation de démarches volontaires incitatives pour les éleveurs pour la prise en charge de la douleur chez les animaux d’élevage 5.1.5 Conclusion 5.2 Options pour prévenir et diminuer la douleur chez les animaux d’élevage 5.2.1 Action sur les animaux : perspectives et limites de l’amélioration génétique 5.2.2 Remplacer la procédure à l’origine de la douleur par une autre technique 5.2.3 Améliorer la procédure afin d’en limiter le caractère douloureux 5.3. Soulager la douleur par un traitement pharmacologique 5.3.1. Principes généraux du traitement de la douleur en médecine vétérinaire 5.3.2. Les limites de l’utilisation de substances pharmacologiques chez les animaux d’élevage 5.3.3. Quelques exemples de traitement de la douleur en pratique rurale bovine 5.4. Conclusion 5.5. Références bibliographiques citées dans le chapitre 5 CONCLUSIONS LES BESOINS PRIORITAIRES DE RECHERCHE GLOSSAIRE ANNEXE : ELEMENTS DE METHODE ESCo Douleurs animales – Sommaire et Introduction – version 2 – 15/03/2010 3 Avant propos On constate dans nos sociétés une sensibilité croissante à la douleur des animaux telle qu’elle se manifeste dans des situations variées : l’expérimentation animale, la maltraitance des animaux de compagnie, les spectacles vivants, comme le cirque, et l’élevage des animaux destinés à l’alimentation humaine. Cette situation suscite un dialogue parfois difficile, entre les tenants de l’émancipation animale qui refusent toute exploitation des animaux, les partisans d’aménagements pour améliorer les conditions de vie des animaux et les acteurs économiques qui mettent en avant les contraintes financières dans leur secteur d’activité. On observe ainsi une tension entre une demande croissante dans le monde de produits d’origine animale et l’acceptabilité sociale du traitement réservé aux animaux de ferme dans les systèmes d’élevage modernes. Durant la seconde moitié du 20e siècle, la capacité à approvisionner les marchés a reposé largement sur une organisation de l’élevage qui ne situait pas la douleur animale au premier rang de ses préoccupations. C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu en 2008, à l’initiative du chef de l’Etat, les Rencontres Animal-Société, dont l’ambition était de dresser un état des questions posées dans les différents registres des relations entre l’homme et l'animal. Ces rencontres qui ont réuni professionnels, scientifiques, élus, pouvoirs publics et associations ont progressivement mis en évidence le besoin de s’accorder sur la cause première du débat : comment définir ce que peuvent être des états de douleur et de souffrance chez les animaux ? Quelles sont les connaissances disponibles pour éclairer cette question ? C’est ainsi qu’une demande d’expertise scientifique collective (ESCo) sur la douleur animale a été inscrite dans le plan d’actions issu de ces Rencontres et adressée à l’INRA par les ministres chargés de l’Agriculture et de la Recherche. L’expertise en appui aux politiques publiques à l’INRA La mission d’expertise en appui aux politiques publiques de la recherche publique a été réaffirmée par la loi d’orientation de la recherche (2006). Fournir des arguments scientifiques à l’appui de positions politiques est désormais une nécessité dans les négociations internationales. Or les connaissances scientifiques sont de plus en plus nombreuses, et produites dans des domaines très variés, difficilement accessibles en l’état aux décideurs. L’activité d’ESCo, développée depuis 2002 à l’INRA, se définit comme une activité d’analyse et d’assemblage de connaissances produites dans des champs très divers du savoir et pertinentes pour éclairer l’action publique. Une charte pour l’expertise scientifique à l’INRA Cette activité est encadrée par une charte qui énonce des principes d’exercice dont le respect garantit la robustesse des analyses produites. Cette charte énonce quatre principes : la compétence, la pluralité, l’impartialité et la transparence. La compétence se décline d’abord au niveau de l’institution INRA qui n’accepte de traiter des questions d’expertise que dans son domaine de compétences, validées par un ancrage dans des programmes pluriannuels de recherches justifiant sa légitimité scientifique. Ce principe de compétences s’applique aux experts qui sont qualifiés sur la base de leurs publications scientifiques, et également à la conduite des expertises dans le respect de la qualité du processus. La pluralité s’entend comme l’approche pluridisciplinaire des questions posées qui associe dans le traitement des questions les sciences de la vie et les sciences humaines et sociales pour une mise en perspective des connaissances. La pluralité se manifeste également dans la diversité des origines institutionnelles des experts puisque l’INRA fait appel à des experts extérieurs pour compléter la gamme des compétences nécessaires. La pluralité des domaines de recherches et des points de vue disciplinaires vise à stimuler le débat et contribue à favoriser l’expression de la controverse et de l’exercice critique. Le principe d’impartialité est mis en œuvre au travers d’une déclaration d’intérêts demandée à chaque expert, qui permet de faire état de ses liens éventuels avec des acteurs socio-économiques, ainsi que par la pluralité des angles de vue représentés. Le respect de la transparence, enfin, trouve sa traduction dans la production de documents d’analyse et de synthèse mis à disposition de tous. Définition et fonctionnement de l’ESCo L’ESCo consiste à établir un état des lieux des connaissances scientifiques académiques dont sont extraits et assemblés les éléments pour répondre aux questions posées par les commanditaires. Les questions adressées ESCo Douleurs animales – Sommaire et Introduction – version 2 – 15/03/2010 4 à l’INRA sont énoncées dans un cahier des charges qui est le résultat d’itérations entre les commanditaires et le groupe d’experts, fixant les limites et le contenu de l’expertise. Un comité de suivi, réuni à l’initiative des commanditaires, sert d’interface entre les experts et les commanditaires et veille au bon déroulement des travaux. Les experts signent le rapport et sont responsables de leur contribution. L’INRA s’engage sur les conditions dans lesquelles se déroule le processus d’expertise : qualité du travail documentaire de mise à jour des sources bibliographiques, transparence des discussions entre les experts, animation du groupe de travail et rédaction des produits de communication de l’ESCo sous une forme qui concilie la rigueur scientifique et la lisibilité par un public large. A ce jour, cinq expertises scientifiques collectives ont été conduites sur des sujets vastes et complexes dans les domaines de l’environnement et de l’alimentation : "Stocker du carbone dans les sols agricoles de France ?", "Pesticides, agriculture, environnement", "Sécheresse et agriculture", "La consommation des fruits et légumes", "Agriculture et biodiversité". La présente expertise est la première réalisée dans le domaine des productions animales. La douleur animale : une question centrale pour l’INRA La recherche à l’INRA est fortement mobilisée depuis plusieurs années sur le bien-être animal. L’INRA a créé en 1998 le réseau Agri Bien-Etre Animal (AgriBea), qui réunit désormais une centaine de chercheurs appartenant à diverses structures, et mène des activités transversales de soutien et d’animation de la recherche dans ce domaine. L’INRA s’est donc fortement impliqué à la fois dans ses travaux sur les conditions d’élevage et de vie des animaux, mais aussi comme institut qui pratique l’expérimentation animale. La gamme des recherches conduites dans ce domaine est très large, allant des aspects fondamentaux à la dimension technico-économique, sans négliger la réflexion sur les questions éthiques. Les éléments rassemblés dans cette expertise ont pour vocation d’éclairer la décision publique, et au-delà, d’apporter au débat un référentiel robuste pour argumenter les positions et les décisions, et d’identifier les besoins de recherche dans le domaine, afin de mieux répondre aux questions posées. ESCo Douleurs animales – Sommaire et Introduction – version 2 – 15/03/2010 5 Introduction Le bilan des Rencontres Animal-Société pointe un profond renouvellement des relations homme-animal au cours des décennies passées du fait des évolutions des modes de vie de nos sociétés. Parmi les facteurs de changements, l’urbanisation a joué un rôle important, en distendant le lien traditionnel avec les animaux de ferme au profit des animaux de compagnie qui servent souvent de référentiel à la condition animale. Sont également en cause les mutations de l’élevage moderne dont les méthodes ont modifié le statut des animaux. Enfin, plus récemment, sont apparues les questions posées par l’expérimentation animale. Qu’il soit de compagnie, de rente, de ferme ou de laboratoire, l’animal est perçu de manière différenciée en fonction de l’usage pour lequel il est élevé avec, pour chaque catégorie, des représentations et des normes spécifiques sur le degré de protection dont il doit bénéficier. La commande d’expertise Les ministères chargés de l’Agriculture et de la Recherche ont formulé une demande d’expertise scientifique collective (ESCo) sur la perception de la douleur par l'animal, notamment au stade de l'abattage. Il s’agira d’abord de définir la douleur animale par rapport à des notions proches telles que la souffrance animale et le mal- être, et de préciser les modalités d’expression de la douleur. Tous les animaux sont-ils susceptibles de ressentir de la douleur et de quelle manière en fonction de leur position phylogénétique ? Il s’agira ensuite de s’interroger sur la mesure de la douleur : quels sont les outils dont on dispose pour identifier et mesurer la douleur. Sont-ils accessibles ? Les conséquences de la douleur sur le comportement et les performances de l’animal devront également être documentées. Enfin, l’expertise devra faire l’état des alternatives et solutions envisageables pour limiter la douleur. Une mise en perspective des enjeux éthiques et socio-économiques de la question de la douleur animale est également demandée. Le périmètre de l’expertise Le cadre conceptuel de cette expertise est défini par une position d’acceptation du bien-fondé de l’élevage et de ses finalités, et d'exclusion des positions extrêmes, consistant, pour les unes, à refuser toute exploitation des animaux domestiques au bénéfice de l’homme et, pour les autres, à dénier à l’animal la possibilité de ressentir de la douleur. Son périmètre est limité à la composante "douleur" qui constitue une question scientifique spécifique, tout en étant reliée aux autres dimensions du bien-être animal. Les causes et la gestion de la douleur chez les animaux de ferme nécessitent d’être resituées dans le contexte des systèmes d’élevage actuels. Au cœur des débats actuels, la notion de douleur y apparaît souvent mal définie. L’expertise commandée à l’INRA a pour but de rapporter cette controverse de société à l’état des connaissances actuelles sur la douleur des animaux d’élevage. La partie générique de l’ESCo sur les manifestations et les mécanismes de la douleur, qui s’appuie sur les connaissances acquises chez l’homme et les animaux de laboratoire, peut trouver des applications aux animaux en général. Toutefois, l’expertise s’est focalisée sur la douleur chez les animaux de ferme, en lien avec les pratiques d’élevage intensif, en excluant les animaux à fourrure. Le choix de s’intéresser à la douleur des animaux de ferme témoigne d’un élargissement d’une préoccupation qui fut longtemps l’affaire exclusive de la sphère agricole. Cette question renvoie aujourd’hui à des débats de société sur la qualité et l’accessibilité économique de l’alimentation, les modes de production des aliments, en particulier lorsqu’ils sont issus d’animaux, c'est-à-dire d’êtres vivants et sensibles, et la prise en compte de la composante éthique de la consommation. La douleur animale, une approche pluridisciplinaire L’interrogation spécifique sur la douleur répond à un souci d’objectiver le phénomène et de le circonscrire à une composante psychobiologique identifiable et mesurable. Toutefois une telle approche se heurte à plusieurs difficultés. La première est le caractère encore peu développé des connaissances scientifiques sur la douleur dont la reconnaissance et la prise en charge par la médecine humaine - et a fortiori dans la médecine vétérinaire - sont récentes. La seconde tient au fait que l’animal ne parle pas et ne peut donc ni signifier ni décrire sa douleur, cette douleur ne pouvant être appréciée que par l’observateur extérieur qu’est l’homme. De cela naît ESCo Douleurs animales – Sommaire et Introduction – version 2 – 15/03/2010 6 un troisième obstacle lié au débat de société sur la douleur des animaux, débat qui met en jeu des composantes culturelles, éthiques, religieuses qui vont en moduler ou en exacerber la perception. Les questions posées s’attachent à toutes les phases de la vie de l’animal, de la naissance à l’abattage. Elles s’articulent autour de trois grands thèmes : d’abord quelle définition donner à la douleur animale ? Quel est son contenu par rapport à des notions voisines, telles que le stress ou la souffrance ? Peut-on dire que les animaux sont plus ou moins susceptibles de ressentir de la douleur en fonction de leur degré d’évolution phylogénétique ? Ensuite, comme apprécier cette douleur, sur quels critères, avec quels outils, et quelle fiabilité ? Enfin, comment traite-t-on la douleur aujourd’hui en élevage et quelles sont les limites à sa prise en compte ? Le traitement des questions posées à l’ESCo En préalable à un examen de la dimension neurophysiologique de la douleur, il est apparu nécessaire de resituer la question dans le débat actuel, en la replaçant dans une perspective historique, pour en retracer la genèse et en préciser les différentes composantes, éthiques, juridiques, économiques, culturelles et voir en quels termes elle est posée aujourd’hui. L’examen de la notion de douleur a été conduit en croisant les connaissances acquises sur ce phénomène par la médecine humaine et la médecine vétérinaire. Cette approche comparative permet de mieux cerner et d’interroger la spécificité du phénomène de douleur chez l’animal. La capacité à mesurer la douleur chez l’animal basée sur l’utilisation de critères fiables, et si possible opérationnels sur le terrain, est évidemment une question centrale pour l’ESCo car elle permet d’identifier le phénomène de douleur, donc de prouver sa réalité, mais également d’envisager des moyens pour la traiter. Deux chapitres sont plus particulièrement consacrés à la douleur des animaux en situation d’élevage. Sans rechercher l’exhaustivité dans l’analyse des pratiques jugées douloureuses, cette expertise s’attache à quelques situations d’élevage et d’abattage susceptibles de provoquer de la douleur, en envisageant, lorsque c’est possible, des alternatives ou des solutions permettant de la minimiser, voire de la supprimer. Méthode et portée de l’ESCo Le travail des experts a consisté en une analyse critique de quelque 1400 articles scientifiques dont ils ont extrait et assemblé les éléments utiles pour éclairer les questions posées. L’exercice avait pour objectif de dégager les consensus, mais aussi les lacunes, les incertitudes et les controverses dans le champ des connaissances. L’enjeu est d’importance dans un domaine de recherche récent, investi par des disciplines très diverses, et dont les évolutions rapides sont stimulées par la reconnaissance de compétences de plus en plus étendues aux animaux et par la pression du débat public. Au-delà, l’ESCo fournit des clés pour la compréhension des questions posées, tant au plan des définitions, notions et concepts, que du rappel des mécanismes biologiques en jeu, traçant ainsi le cadre conceptuel qui permettra de structurer l’analyse et de faciliter son appropriation par les acteurs sociaux impliqués dans le débat. Les compétences mises en oeuvre relèvent d’une large gamme de disciplines dans les domaines des sciences humaines, économiques et sociales (histoire, anthropologie, philosophie, éthique, droit, économie) et des sciences de la vie (neurophysiologie, clinique humaine, médecine vétérinaire, génétique, éthologie). L’expertise scientifique a réuni une vingtaine d’experts, issus de l’INRA et d’autres établissements de recherche (Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Collège de France, CNRS, Ecoles vétérinaires), en France et à l’étranger. L’ESCo n’apporte pas de solutions clés en main pour répondre à des questions pratiques. Elle pose le diagnostic le plus complet possible de l’état des connaissances sur la douleur chez les animaux de ferme et pointe les options pour l’action disponibles pour la réduire. ESCo Douleurs animales – Sommaire et Introduction – version 2 – 15/03/2010 7 ESCo "Douleurs animales : les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage." Chapitre 1. La question de la douleur des animaux : les composantes du débat. Coordinateurs : Jean-Luc Guichet Karine Latouche Autres auteurs : Damien Baldin Joseph Bonnemaire Sonia Desmoulin Raphaël Larrère Arouna P. Ouedraogo Jocelyne Porcher Noëlie Vialles NB1 : les premières occurrences des termes définis dans le glossaire sont annotés d’un *. NB2 : ce chapitre fait partie du rapport d'expertise « Douleurs animales : les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage ». http://www.inra.fr/l_institut/expertise/expertises_realisees/douleurs_animales_rapport_d_expertise ESCo Douleurs animales – Chapitre 1 – version 2– 15/03/2010 8
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