INFORMATIONS AUX ACTIONNAIRES ET INFORMATIONS AUX SALARIÉS: UNE ANALYSE TEXTUELLE DU RAPPORT ANNUEL ET DU RAPPORT DE L’EXPERT-COMPTABLE DU COMITÉ D’ENTREPRISE Mathieu Floquet To cite this version: Mathieu Floquet. INFORMATIONS AUX ACTIONNAIRES ET INFORMATIONS AUX SALARIÉS: UNE ANALYSE TEXTUELLE DU RAPPORT ANNUEL ET DU RAPPORT DE L’EXPERT-COMPTABLE DU COMITÉ D’ENTREPRISE. Crises et nouvelles problématiques de la Valeur, May 2010, Nice, France. pp.CD-ROM. hal-00481504 HAL Id: hal-00481504 https://hal.science/hal-00481504 Submitted on 6 May 2010 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. INFORMATIONS AUX ACTIONNAIRES ET INFORMATIONS AUX SALARIÉS : UNE ANALYSE TEXTUELLE DU RAPPORT ANNUEL ET DU RAPPORT DE L’EXPERT-COMPTABLE DU COMITÉ D’ENTREPRISE Mathieu FLOQUET, PRAG – Doctorant, ISAM – IAE Nancy, LOG, [email protected] Résumé : Le modèle de gouvernance actionnariale Abstract : The shareholder model of governance a permis d’accroître l’information diffusée par increases the diffusion of information by the firm to l’entreprise aux actionnaires. Mais, l’impact de ce its shareholder. But, the impact of this increase of surcroît d’information pour les autres parties information for the other stakeholder is not prenantes, notamment les salariés, est mal identifié. identified. This article examines the difference of Notre étude démontre, par une analyse statistique the lexical world between the information for the de données textuelles, les différences de mondes shareholder and the useless information for the lexicaux entre l’information transmise aux employees using a textual data analysis. This actionnaires et l’information utile aux salariés, difference refutes the hypothesis that an increase of remettant ainsi en cause l’hypothèse qu’un information for the shareholder is, also, benefit for accroissement d’information pour les actionnaires the other stakeholder. est, également, bénéfique aux autres parties Key words: Analysis of textual data, Information, prenantes. Stakeholder model, Work council. Mots clés : Analyse textuelle, Comité d’entreprise, Gouvernance partenariale, Information. 1 1 Introduction Dans beaucoup de pays européens, le modèle anglo-saxon de gouvernance d’entreprise paraît mis en cause par certains phénomènes sociaux : courant antimondialisation, résistance à l’ouverture des marchés et à la privatisation etc. (Artus 2002) L’accroissement soudain de la violence des conflits sociaux en 2009 (Continental, Caterpillar, New Fabris en France) démontre une rupture entre les intérêts des actionnaires et des salariés et abat un peu plus les espoirs d’une démocratie économique pacifiée espérée au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ainsi l’opposition se creuse entre actionnaires et autres parties prenantes. Les actionnaires ont, à la faveur de des réformes du droit des sociétés, vu leurs pouvoirs de contrôle s’accroître sur les directions des entreprises. La loi sur les Nouvelles Régulations Économiques (NRE) et la Loi de Sécurité Financière (LSF) en France ou la loi Sarbanes- Oxley aux États-Unis illustrent la recherche d’un meilleur contrôle des dirigeants par les actionnaires. La concurrence normative peut figurer comme un élément explicatif du phénomène conduisant les états à se doter d’institutions de gouvernance performantes, c’est- à-dire, protégeant le mieux les actionnaires minoritaires. (La Porta et al. 1998) A l’instar de cette tendance d’accroissement de la protection des actionnaires, la participation des salariés aux décisions de gestion semble stagner. En effet, en France, le droit à l’information est né avec la création du comité d’entreprise mais le législateur s’est gardé de franchir le pas du modèle de cogestion allemand, bien que le programme du Conseil National de la Résistance ait eu comme ambition de participer les salariés aux décisions de gestion. Cette instance de représentation du personnel se verra alors confier des attributions sociales, culturelles et des attributions économiques qui seront consolidées par les lois Auroux. Aussi, le comité d’entreprise, dans le cadre de ces attributions économiques, peut se faire assister par un expert-comptable rémunéré par l’entreprise. Capron (2000), d’après une enquête du ministère de l’Emploi de 1996, estime que ce dispositif est utilisé par environ 25 % des comités d’entreprise. Par ailleurs, les résultats de l’enquête REPONSE réalisée en 2005 laissent penser que l’appel à un expert concernerait environ 35 % des comités d’entreprise.1 L’expert-comptable est un moyen pour les représentants des salariés de réduire leur asymétrie informationnelle. En effet, à l’occasion de sa mission, il réalise un rapport présentant l’évolution de l’activité de l’entreprise. La richesse de cette source d’informations est confortée par a le droit à l’information très large dont dispose l’expert-comptable. Il peut obtenir de la part de la direction une documentation analogue à celle qui peut être remise au commissaire aux comptes. Si les attributions économiques des représentants des salariés ne se sont pas enrichies depuis les années 80, dans le cadre du droit communautaire, le comité d’entreprise européen institué par la directive européenne 94/45/CE de septembre 1994 a permis aux salariés européens d’obtenir un droit à l’information et à la consultation. Bien qu’il s’agisse d’une avancée importante dans le cadre de la constitution de l’Europe sociale, (Béthoux 2004) elle n’a pas radicalement changé les relations professionnelles françaises qui bénéficiaient déjà d’un cadre 1 L’enquête REPONSE (Relations Professionnelles et Négociations d’Entreprise) est menée par la DARES en 2004-2005 auprès de 3000 établissements d’au moins 20 salariés. 2 législatif comparable. Ainsi l’expert-comptable du comité d’entreprise est un vecteur d’informations essentielles pour les salariés. S’intéresser aux mondes lexicaux de son discours, nous permet d’en comprendre les spécificités et de les comparer aux discours institutionnels véhiculés par la direction de l’entreprise à travers le rapport annuel. Les destinataires du rapport annuel sont plus complexes à identifier, une vision partenariale de ce document d’entreprise, souvent défendue dans l’entreprise elle-même, considère qu’il s’adresse à l’ensemble des parties prenantes. Pourtant, la qualité de son contenu, pour certaines études, est liée à la dispersion de l’actionnariat, (Labelle et Schatt 2005) ou au besoin de nouvelles sources de financement (Clarkson et al. 1994). Par ailleurs, si les normes IAS IFRS indiquent que les destinataires de l’information financière sont l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, elles ajoutent que l’actionnaire doit être la partie la plus favorisée en cas de conflit d’intérêts. (IASB 2001) Ainsi, ces indices laissent penser que le rapport annuel a pour destinataire principal l’actionnaire, les autres parties prenantes pouvant être considérées comme des satellites des shareholders. Dans ce cadre, notre étude ambitionne de démontrer le caractère informationnel du rapport annuel pour les salariés. Nous supposons que le rapport de l’expert-comptable du comité d’entreprise traduit le besoin d’informations spécifique des salariés. Nous chercherons alors à comparer les mondes lexicaux utilisés par l’expert-comptable du comité d’entreprise et ceux mobilisés par la direction d’entreprise à travers le rapport annuel. Dans cette optique, l’objectif de l’étude est de contribuer, par une analyse statistique des données textuelles, à répondre à la question : l’accroissement de la transparence informationnelle liée aux règles de gouvernance actionnariale bénéficie-t-elle aux autres parties prenantes et plus spécifiquement aux salariés ? Notre étude met en exergue que les rapports annuels à destination des actionnaires, et les rapports des experts-comptables destinés au comité d’entreprise, sont caractérisés par des mondes lexicaux distincts favorisant l’hypothèse que l’information diffusée aux actionnaires ne permet pas de répondre aux besoins de l’information spécifique des salariés. L’article est structuré comme suit : dans la section 2, l’impact de la diffusion de l’information aux actionnaires pour les parties prenantes est démontré : cette information trouve sa justification par le modèle de gouvernance actionnariale (2.1) tandis qu’une lecture partenariale présente la firme comme un lieu de coopération (2.2). Puis, la section 3 présente la méthodologie retenue. Enfin, la section 4 présente et discute les résultats obtenus par l’analyse statistique des données textuelles avant de conclure dans la section 5. 2 Diffusion de l’information aux actionnaires et impact pour les autres parties prenantes Un certain nombre de travaux théoriques démontrent les limites d’une gouvernance actionnariale et invitent à reconsidérer un modèle dit partenarial (2.2.), la valeur actionnariale dispose d’une assise théorique et empirique qui peut laisser penser à une convergence des pays européens vers ce modèle (2.1). 3 2.1 Les préceptes de la gouvernance actionnariale : vers une transparence de l’information financière 2.1.1. La gouvernance actionnariale : un modèle sans alternative ? Le modèle de gouvernance actionnarialle constitue toujours le modèle dominant des recherches et réflexions normatives. (Charreaux 2006) Ainsi, Hansmann et Kraakman (2001) annoncent la fin du débat (« The End of History ») sur les modes de gouvernance montrant que les divers droits nationaux des sociétés ont atteint un haut degré de convergence en acceptant le principe selon lequel les dirigeants doivent intervenir dans l’intérêt exclusif des actionnaires. Cette hégémonie repose sur le cadre théorique développé par Jensen et Meckling (1976) de la théorie de l’agence qui envisage la firme comme un nœud de contrats. Les actionnaires mandatent les dirigeants pour agir en leur nom. Cette relation d’agence crée un conflit d’intérêts qui, associé à l’opportunisme des dirigeants et à l’asymétrie informationnelle dont les actionnaires sont victimes, engendrent des coûts d’agence (liés à la surveillance des actionnaires, aux mécanismes de gouvernance mis en œuvre par les dirigeants pour démontrer une gestion de l’entreprise dans l’intérêt des actionnaires, et une perte résiduelle). Dans une perspective actionnariale, le système de gouvernance peut se définir comme l’ensemble des mécanismes permettant de sécuriser l’investissement financier. (Charreaux 2006; Shleifer et Vishny 1997) Les promoteurs de la vision actionnariale justifient cette forme de gouvernance par deux types d’arguments : l’un portant sur le profit, le second sur la prise de risque. (Aglietta et Rebérioux 2004) La maximisation du profit étant l’objectif d’une firme dans une économie de marché et le profit étant la rétribution des apporteurs de fonds, la valeur actionnariale devient en quelque sorte inscrite dans le capitalisme. La seconde expose que les actionnaires sont mal protégés contre le risque d’opportunisme et supporte l’essentiel du risque résiduel, à l’inverse des autres parties prenantes qui sont protégées par leurs contrats. (Williamson 1984) A l’aune de ces arguments, Hansmann et Kraakman (2001) concluent à la supériorité du modèle actionnariale et prédisent l’inévitable convergence de l’ensemble des pays européens vers ce modèle. Pourtant, ce constat n’est pas partagé par Aglietta et Rebérioux (2004) qui démontrent que le droit boursier européen converge vers les standards actionnariaux, le droit des sociétés présente une certaine inertie, tandis que le droit social est un facteur de convergence. Leur analyse ignore toutefois la convergence vers le modèle actionnarial du droit comptable. L’adoption par l’Union Européenne des normes IAS IFRS pour les comptes consolidés des sociétés faisant appel public à l’épargne et l’acceptation du concept de juste valeur démontre la volonté de présenter un modèle comptable à destination des investisseurs financiers. (Capron 2006) De même, la comptabilisation de l’écart d’évaluation s’est rapprochée en Allemagne et en France des normes anglaises et américaines permettant de solidifier le modèle actionnarial. (Ding et al. 2008) Les indices laissant penser à une convergence des pays européens vers les règles de gouvernance actionnariale sont forts, ce modèle doit permettre un accroissement de la diffusion d’informations aux actionnaires. 4 2.1.2. La diffusion d’informations aux actionnaires Dans le cadre de la théorie de l’agence (Jensen et Meckling 1976), les dirigeants sont incités à diffuser de l’information aux actionnaires pour principalement deux raisons. D’une part, diffuser une information de bonne qualité va permettre de réduire les coûts d’agence. D’autre part, les dirigeants subissent le risque d’une prise de contrôle hostile qui pourrait se traduire par leur éviction. Ils acceptent ainsi de diffuser plus d’informations permettant ainsi de fidéliser l’actionnariat et évitant une prise de contrôle inamicale. Ces hypothèses ont pu être testées par Gelb (2000), il démontre sur le cas étatsunien que la qualité de l’information financière est positivement corrélée à la part des actions détenues par le public. Sur le cas français, Labelle et Schatt (2005) démontrent que la qualité des relations de l’entreprise avec les investisseurs est meilleure à la fois lorsque le public détient une faible proportion des actions (l’objectif est alors d’accroître la liquidité des titres) mais également lorsque la participation du public est élevée, confirmant, ici, l’hypothèse de la théorie de l’agence. Si la quantité d’informations peut, sous certaines conditions, être associée à l’évolution des formes capitalistiques, Chekkar et Onnée (2006) démontre par l’analyse statistique des données textuelles des messages des présidents de Saint Gobain de 1986 à 2003, la dépendance des mondes lexicaux aux types de participation et notamment le passage de participation croisée après la privatisation du groupe à l’entrée massive au capital d’investisseurs institutionnels. Toutefois, Charreaux (2000) limite le rôle joué par l’information comptable et comprend l’absence de justifications de la production comptable par le modèle actionnarial comme une preuve de son ancrage dans le cadre d’une gouvernance partenariale en démontrant son utilisation par les autres parties prenantes notamment les créanciers financiers, commerciaux ou sociaux, les actionnaires restreignant son utilisation à des fins de fixation du dividende. 2.2 La diffusion de l’information peut-elle profiter aux autres parties prenantes de l’entreprise ? 2.2.1. La gouvernance partenariale : alternative de l’hégémonie actionnariale Au modèle actionnarial, la littérature économique oppose généralement le système de l’Europe continentale. Sur le plan théorique, les principales critiques du modèle actionnarial sont venues de l’approche par les contrats incomplets. Ainsi le passage d’une gouvernance actionnariale à partenariale est le fruit de la place accordée à l’incomplétude contractuelle. (Rebérioux 2003) L’incomplétude des contrats justifie la gouvernance de l’entreprise, en effet, puisque toutes les éventualités n’ont pas été spécifiées dans le contrat initial, il convient de mettre en place des règles de régulation pour éviter un opportunisme de l’agent au détriment du principal. (Williamson 1985) Les actionnaires ne sont toutefois pas les seules parties à subir cette incomplétude. Ce postulat invite à élargir la gouvernance d’entreprise aux autres parties prenantes. L’intégration d’un modèle partenarial considère la firme comme une équipe de production dont les synergies sont à l’origine de la rente organisationnelle. (Blair 1995) L’accroissement de la spécificité de l’actif humain conduit Zingales (2000) à penser que la 5 firme, pour protéger son intégrité, à intérêt à mettre en place un système de gouvernance efficace. Dans le cadre partenarial, la gouvernance se définit alors « comme l’ensemble des mécanismes permettant de pérenniser le nœud de contrats et d’optimiser la latitude managériale ». (Charreaux 2006, p. 321) Charreaux et Desbrières (1998) proposent une solution basée sur les prix d’opportunité et les coûts d’opportunité permettant d’évaluer la valeur partenariale de la firme et de la répartir. Le champ des parties prenantes s’est élargi et Freeman (1984) les définit dans une vision étendue comme tout groupe ou individu qui peut être affecté par la réalisation des objectifs de la firme. Toutefois, les stakeholders peuvent être classés en partenaires primaires, dont la perte menacerait la survie de l’entreprise (les actionnaires, les clients, les salariés, les créanciers etc.) et en partenaires secondaires (les groupes de pression, les médias, etc.). (Clarkson 1995) Ainsi, les tenants de la vision partenariale entendent démontrer qu’une vision actionnariale des problématiques de gouvernance ne rend que trop partiellement compte d’une réalité de la firme vue comme un lieu de coopération. Ils souhaitent alors déplacer ce débat académique vers les discussions positives et proposer des mécanismes de gouvernance propre à assurer le contrôle des décisions de l’entreprise par les parties prenantes. Cependant, les recherches d’outils de gouvernance spécifique semblent assez minces (Aglietta et Rebérioux 2004). Si le conseil d’administration permet en Allemagne aux représentants des salariés de participer aux décisions de gestion de l’entreprise, cette solution n’est pas retenue par Zingales (1998) et Blair et Stout (1999). La place des parties prenantes dans la gouvernance demeure toutefois limitée. Ainsi Beaver (1999) pose la question « Is the Stakeholder Model dead ? ». Le modèle des parties prenantes présente depuis la seconde moitié des années 80 un engouement particulier surtout dans les milieux universitaires, toutefois, dans les faits il ne se traduirait pas par une nouvelle forme de gouvernance, le modèle actuel demeure focalisé sur la valeur actionnariale ; l’accroissement des O.P.A. hostiles et des plans de licenciement en serait la preuve. L’intégration des parties prenantes dans un modèle de gouvernance permet alors de s’intéresser à la place que leur réserve la transparence de l’information envisagée par le modèle actionnarial. En d’autres termes, il s’agit de se demander si les parties prenantes puisent un avantage dans la configuration informationnelle du modèle actionnariale. 2.2.2. Les parties prenantes : victimes ou bénéficiaires de la transparence Konstant (1999) ne dément pas les risques de gestion à court terme de l’entreprise qu’entraîne l’accroissement de la voix des actionnaires (« voice » devant être compris selon le sens conféré par Hirschman dans son ouvrage Exit, Voice and Loyalty [1970]). Toutefois, et quelques en soient les intentions, l’accroissement de la voix des investisseurs institutionnels doit permettre d’accroître l’information reçue par l’ensemble des partenaires de l’entreprise et, in fine, accroître la voix des autres parties prenantes.2 En outre, l’accroissement de 2 « Nevertheless, whatever their intentions, the increadef voice of institutions seems likely to make information more widely available among all corporate constituencies, thereby inceasing the voice of other stakeholders. » (Kostant 1999, p. 219) 6 l’information diffusée aux actionnaires permettrait d’accroître l’information aux autres parties prenantes, ce qui sous-entend, que l’information diffusée aux actionnaires est utile aux salariés. Les normes IAS IFRS suivent une position assez proche de celle proposée par Konstant. Si le cadre conceptuel liste l’ensemble des parties prenantes, il incite également sur la primauté de l’investisseur financier pour le besoin de l’information financière.3 (IASB 2001) Cette position est justifiée par le rôle de créancier résiduel attribué aux actionnaires. Elle a d’ailleurs été réaffirmée par Gilbert Gélard, membre de l’IASB : « Le cadre conceptuel a fait le choix de tenter de satisfaire les besoins de ceux qui risquent le plus, les actionnaires, en faisant le pari suivant : si ceux qui risquent le plus trouvent leur compte dans l’information comptable qui leur est fournie, a fortiori les autres parties prenantes un peu moins concernées doivent aussi y trouver leur compte. Il en résulte que les normes comptables auront pour objectif la satisfaction des besoins des investisseurs et en particulier des actionnaires. » (Gélard 2009, p. 41) Pour certains travaux théoriques, l’information diffusée aux actionnaires est ainsi une information utile aux autres parties prenantes. En effet, les investisseurs sont les parties prenantes qui assument le plus de risque. A ce titre, l’information qu’ils recherchent doit pouvoir satisfaire les intérêts des autres parties prenantes. Ces arguments théoriques ont trouvé un écho favorable au sein du normalisateur comptable européen. Pourtant à la fin des années 70, certaines études universitaires et professionnelles ont démontré la faiblesse de l’information sur les ressources humaines, notamment, dans les documents financiers classiques et ont proposé de nouveaux outils de comptabilisation. De ces réflexions est né le bilan social en France. (Rey 1978; Capron et Fruleux 1999; Capron 2000) A contrario, pour Orléan (1999), la définition de la gouvernance tournée vers l’accroissement de la valeur actionnariale ne va pas de soi, et les mécanismes de gouvernance mis en place, dont l’accroissement de l’information financière, se font au détriment des autres parties prenantes de l’entreprise. Le courant régulationniste a ainsi pu démontrer l’influence de la financiarisation de l’économie sur les relations salariales et notamment, sur la perte de participation à la gestion de l’entreprise des salariés. (Aglietta 1998; Beffa et al. 1999; Boyer 2000; Coutrot 1998; Orléan 1999; Rebérioux 2002) Dans une étude économétrique réalisée sur la base de l’enquête REPONSE (voir note supra), Reberioux (2003, p. 37) démontre « l’effet négatif de la cotation sur la qualité de l’information diffusée aux représentants du personnel sur les sujets les plus stratégiques et l’intégration des salariés aux processus décisionnels ». Pour Pollin (2002), les transformations sociales, économiques et techniques ont démontré les limites de l’information financière traditionnelle. Les structures de propriété ont évolué, et la détention du capital social ne justifie plus, à elle seule, l’obtention des quasi-rentes. L’accroissement de la spécifié de l’actif humain et sa difficulté à le remplacer justifie que dans de nombreux cas, il soit devenu une ressource plus rare que les apports financiers. Par conséquent, la valeur de l’entreprise dépend alors de sa capacité à fidéliser cette ressource, 3 Extrait du cadre conceptual des norms IAS-IFRS « While all of the information needs of these users cannot be met by financial statements, there are needs which are common to all users. As investors are providers of risk capital to the entity, the provision of financial statements that meet their needs will also meet most of the needs of other users that financial statements can satisfy. » 7 l’information financière conçue spécifiquement pour les apporteurs du capital social ne parvient pas à traduire les besoins de ces nouvelles structures de propriété. La littérature démontre, ici, deux positions tranchées contradictoires. Pour certains, l’accroissement d’informations liées à la financiarisation de l’économie et au mode de gouvernance actionnariale ne peut que bénéficier à l’ensemble des parties prenantes. Le courant régutionnaliste, au contraire, avance que le passage d’un mode de régulation fordiste à une économie dominée par les marchés financiers, détériore les relations salariales et l’accroissement de l’information ne bénéficie pas aux salariés. Si certaines recherches ont testé ces deux oppositions par des études économétriques, notre travail tente d’apporter un éclairage à ce débat en basant son terrain de recherche sur le contenu de l’information diffusée aux actionnaires et l’information produite par les experts-comptables à destination du comité d’entreprise représentant les salariés. 3 Méthodologie de la recherche 3.1 Constitution du corpus et retraitements préalables 3.1.1. Choix des entreprises étudiées Notre corpus est constitué des rapports de l’expert-comptable du CE et des rapports annuels de trois entreprises faisant appel public à l’épargne, cotées à Euronext et composant de l’indice SBF 1204. Le chiffre d’affaires de ces trois entreprises est compris entre 700 M€ et 4 000 M€, les tailles, comme les secteurs d’activité, ne sont donc pas uniformes. Il s’agit en revanche de trois entreprises anciennes crées au XIXe siècle, elles ont eu toutes trois à connaître des conflits sociaux dans leur histoire et sont dotées de comité de groupe. L’analyse de ces entreprises a été menée sur deux années 2007 et 2008. Les rapports ont été émis entre trois et six mois après la clôture des comptes au 31 décembre ou au 31 mars. Le choix des entreprises étudiées a été fortement contraint par les rapports de l’expert-comptable du comité d’entreprise que nous avons pu nous procurer. Ainsi, notre échantillon est composé d’entreprises de secteur d’activité différent mais qui toutefois demeurent dans le domaine industriel. L’actionnariat des trois entreprises se caractérise par la présence principale d’une famille ou plusieurs familles fondatrices de l’entreprise (supérieur à 20 %). Les trois entreprises utilisent le référentiel IAS-IFRS pour la présentation de leurs comptes consolidés. Elles présentent toutes trois en fin d’exercice un bénéfice comptable, une d’entre elles fait montre, toutefois, d’une baisse de son chiffre d’affaires et de son résultat opérationnel, les 2 autres présentent une évolution positive de ces deux indicateurs. Au final, notre corpus est donc constitué de douze rapports (six émanant de l’expert- comptable du comité d’entreprise et six rapports annuels). 3.1.2. Rapport de l’expert-comptable du comité d’entreprise La moitié de notre corpus est constituée de rapports émis par l’expert-comptable pour le comité d’entreprise (plus précisément le comité de groupe). Il s’agit d’informations 4 Réunion du CAC next 20 et de CAC mid 100. SBF 120 au 30 juin 2009. 8 confidentielles qui nous ont été remises sous la condition d’un strict respect de l’anonymat des trois entreprises.5 Par conséquent, certains résultats ne sont pas mentionnés dans cette étude car ils risqueraient de lever la confidentialité des données (les phrases types de certaines classes par exemple), en revanche, ces absences n’ont pas d’influence significative sur l’interprétation que nous pouvons faire des résultats. Les rapports proviennent du même cabinet spécialisé dans l’expertise auprès du comité d’entreprise. Nous n’avons pas retenu l’intégralité du rapport : seule la partie dite de « synthèse » a été conservée pour l’analyse, le corps de rapport qui comprend notamment les états financiers (bilan, compte de résultat, tableau de flux etc.) et les données sociales (pyramide des âges, tableaux des effectifs etc.) n’a pas été analysée. Cette partie comprend, en effet, une part liée à la définition des termes employés, qui n’est pas propre à l’entreprise, le champ du discours est plutôt descriptif et assez peu analytique. Toutes les parties de la synthèse ont, en revanche, été conservées, y compris les parties liées à l’analyse macro-économique de la conjoncture nationale et mondiale, ou liées à une analyse sectorielle. Ainsi les six rapports représentent (avant retraitement) environ 46 000 mots (7 600 mots par rapport environ). 3.1.3. Rapports annuels Ce document public n’a pas, contrairement aux rapports de l’expert-comptable, entraîné de difficulté dans son obtention. Cependant, nous avons recherché à comparer des documents présentant un objectif d’informations semblables entre les différentes entreprises. Nous avons donc retenu dans notre corpus la partie constituée par le rapport de gestion défini par l’article L 225-100 du Code de Commerce6. Nous avons fait le choix de ne pas retenir les discours liés à l’analyse des risques et aux mesures de gouvernance, ce qui nous a permis de retenir principalement le discours inhérent à l’activité passée et future de l’entreprise. Le rapport financier n’a pas été analysé. S’agissant d’une analyse textuelle, les données comptables n’auraient en effet pas pu être traitées ; quant aux notes aux comptes (ou annexe), il s’agit d’un discours reprenant les principes et méthodes retenus par le groupe pour l’établissement de ses comptes consolidés. Il est fonction de l’évolution règlementaire, en l’occurrence des normes IAS IFRS, et reprend très souvent, les normes in extenso, pour ces raisons, ces parties ont également été écartées. La dénomination du document analysé varie selon les entreprises : il peut s’agir d’une partie du document de référence, du rapport annuel ou du rapport d’activité. Le total de ces six documents représente environ 77 000 mots (soit 12 800 en moyenne par rapport). 5 L’utilisation de ces rapports a fait l’objet d’un accord oral et écrit. Les publications et communications tirées de ce matériau de recherche font l’objet d’une relecture par au moins un représentant du cabinet. 6 Extrait de l’article L 225 – 100 : « Ce rapport comprend une analyse objective et exhaustive de l'évolution des affaires, des résultats et de la situation financière de la société, notamment de sa situation d'endettement, au regard du volume et de la complexité des affaires. Dans la mesure nécessaire à la compréhension de l'évolution des affaires, des résultats ou de la situation de la société et indépendamment des indicateurs clés de performance de nature financière devant être insérés dans le rapport en vertu d'autres dispositions du présent code, l'analyse comporte le cas échéant des indicateurs clés de performance de nature non financière ayant trait à l'activité spécifique de la société, notamment des informations relatives aux questions d'environnement et de personnel. » 9
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