Histoire de la musique occidentale de la Grèce antique au Baroque Claude Ferrier Cette histoire de la musique est un condensé de plusieurs livres, articles, sites internet, etc. J’espère n’avoir pas enfreint les droits d’auteur. Bonne lecture C.F. La musique de la Grèce antique Voir aussi: http://membres.lycos.fr/discographies/la_musique_grecque_antique.htm Malgré le rôle important que jouait la musique chez les Grecs, il existe peu de témoignages concrets: quelques lambeaux de pièces, difficilement exécutables. Exemples : - Hymnes delphiques à Apollon (IIe s. av. J.C.) - Epitaphe de Seikilos (IIe-IIIe s. ap. J.C.) Mais ce sont des tables du IIIe – IVe s. ap. J.C. qui permettent d’interpréter ces pièces ! N’oublions pas que la musique était transmise surtout oralement. En revanche, les bibliothèques étaient pleines d’écrits sur la musique. Il existe une foule de théoriciens, et les grands philosophes grecs ont beaucoup réfléchi sur la musique. Il y a également beaucoup de témoignages sur les instruments (peintures, sculptures, bas-reliefs, etc.), mais que jouaient-ils ? Après une approche mythologique, l’on se demande : comment et pour qui faisait- on de la musique ? Quelle était la place de la musique dans la société ? Les dieux Le panthéon grec est déjà mis en place à l’époque d’Homère (800 av. J.C.). Celui-ci est la référence du point de vue mythologique, de la grammaire, de la langue, etc. , la source de connaissance de la vie quotidienne et religieuse. Mais attention : la croyance était très tempérée au sujet des dieux, il ne s’agissait pas d’une religion révélée comme le christianisme. Les divinités qui ont à voir avec la musique sont les suivantes : Apollon (« créateur de la musique, du luth, de la cithare »), qui joue de la lyre (offerte par Hermès) pour les dieux de l’Olympe, est le dieu de la Lumière, de la Vérité, de la Beauté, de la Divination (oracle de Delphes), des Arts (donc de la musique), de la Guérison ; il dirige le cortège des Muses. C’est l’archer qui peut frapper plus ou moins fort avec son arc ; il protège les bergers mais est à la fois ami des loups. Correspond à la tradition pastorale des éleveurs nomades. C’est l’idéal grec de l’harmonie et de la beauté, de l’équilibre et de la mesure. Musique dorienne. Dionysos (le pendant d’Apollon), dieu de l’ivresse (ou plutôt extase, transe), des forces enivrantes de la Nature, de la Danse et du Théâtre, surtout les femmes sont ses adeptes. Dans son cortège de silènes et de nymphes, Marsyas, qui gagne le concours auquel participe aussi Apollon et est immédiatement tué par celui-ci, joue de l’aulos. Tradition des agriculteurs sédentaires. Musique phrygienne. Apollon et Dionysos représentent les deux principes (forces contraires qui s’équilibrent entre elles) de la musique grecque : le principe apollinien lumière- clarté, ordre-beauté, et le principe dionysien volupté-extase, ivresse-mythe. Parallèlement, les deux instruments lyre et aulos sont révélateurs de deux civilisations menant une lutte impitoyable : l’une nomade et pastorale dont le symbole est la lyre faite de matière animale, associée au culte d’Apollon, l’autre Ferrier/Histoire I/Grèce - 1 - sédentaire et agricole s’exprimant par l’instrument végétal, l’aulos de roseau, lié au culte de Dionysos. Les Muses, filles de Zeus et de Mémoire (la mémoire est fondamentale en un temps où la tradition orale est très importante), elles incarnent les différents aspects de la musique, du langage, de la danse et du savoir. La musique est une activité liée aux Muses. Théories et philosophies Pythagore (582-c. 500 av.J.C.). Influencé par l’Orient (Inde…), il développe les mathématiques. On prétend qu’il n’est jamais mort, car les dieux lui ont donné la mémoire, qui se réincarne toujours… On lui doit les premières lois acoustiques, la théorie des intervalles : il tend des cordes sur une caisse de bois, détermine des points précis (milieu, tiers, quart, etc.), et stoppe la vibration. Il obtient les proportions numériques suivantes : plus le rapport mathématique est complexe, moins l’intervalle est consonnant : 1 (1 . point) unisson _ 1/2 (2 ı ı segment de droite), octave 2/3 (3 triangle), quinte 3/4 (4 carré), quarte Ces rapports tous contenus dans la " tétrade pythagoricienne ", 1+2+3+4=10 (cid:314) application mathématique de la musique. Le comma pythagoricien. Plus tard, dans les temps modernes, il fut possible de mesurer les sons à partir de leur fréquence de vibration : on constata alors que les proportions des fréquences mesurées étaient semblables aux proportions pythagoriciennes se rapportant aux longueurs du monocorde et aux intervalles ainsi obtenus. Toutefois, la longueur (d’onde) et la fréquence sont inversement proportionnelles. Si nous considérons le monocorde suivant délimité par deux chevalets, de longueur L et de fréquence F : ı ı ¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯ L/1 1 F ex. unisson, corde de 30 cm de longueur qui exécute un la 440 Si nous plaçons un chevalet mobile au centre de ce monocorde, nous obtenons : ı ı ı ¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯ L 1/2 2 F octave, corde réduite à 15 cm exécute un la 880 Si nous le plaçons au tiers: ı ı ı ¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯ L 1/3 3 F L 2/3 3/2 F quinte, corde réduite à 10 cm exécute un mi 1320, (quinte, corde réduite à 20 cm exécute un mi 660) Au quart : ı ı ı ¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯ L1/4 4F L3/4 4/3 F quarte 7,5 cm la 1760, (quarte 22,5 cm ré 587,33) Ferrier/Histoire I/Grèce - 2 - Nous avons reconnu dans cette série de proportions les 4 premières notes de la série des harmoniques : Nous constatons que le chiffre correspondant à chaque harmonique est aussi le dénominateur de la fraction qui représente le segment de monocorde nécessaire pour produire ce son. Les astérisques indiquent les notes qui ne sont pas accordées selon notre système musical, qui « sonnent faux » pour notre oreille. Pythagore, pour pouvoir construire une gamme complète (afin d’obtenir les notes qui ne sont pas inclues dans la série des harmoniques), envisagea la possibilité de superposer les quintes, de la façon suivante : (Nous venons de voir que les quintes ont un rapport de fréquence de 3/2, il faut donc multiplier la fréquence de base par des facteurs successifs de 3/2). 12 Ce faisant, Pythagore obtient pour le si dièse 6, par rapport au do 0 initial : (3/2), fraction qui se résout par 531441 : 4096 = 129,746 Malheureusement, ce résultat est décidément plus grand que 7 2 = 128, ce qui correspond à la multiplication de la fréquence de base par facteurs de 2, le rapport de fréquence de l’octave. Ferrier/Histoire I/Grèce - 3 - Cela signifie que le si dièse 6 obtenu par superposition de quintes est sensiblement plus aigu que le do 7 obtenu par superposition d’octaves. La différence obtenue (1,746), exprimée par la proportion 1,014, est appelée comma pythagoricien. Cela correspond à un peu moins d’un quart de ton, une différence tout à fait perceptible. Nous pouvons donc conclure, qu’en superposant des intervalles (à part l’octave) successifs, ceux-ci sont de moins en moins accordés. Le comma syntonique Dans la série des harmoniques elle-même, nous trouvons une différence semblable : La proportion de cette différence, 81/80, appelée comma syntonique et qui correspond à environ 1/5 de ton, est toutefois surprenante. Dans le cas précédent, il s’agissait au fond de deux notes différentes (si dièse 6 ou éventuellement ré double bémol, et do 7) ; dans ce cas-ci, il s’agit bel et bien de la même note mi. Si nous examinons à nouveau la série des harmoniques, nous remarquons que les intervalles entre chaque harmonique sont de plus en plus petits. Cela devient une évidence, qui explique l’existence du comma syntonique, lorsque nous comparons les rapports de fréquence entre les harmoniques 8, 9 et 10 (deux « tierces majeures » théoriquement identiques) : 10/9 ou 1,111… (ré-mi) est clairement plus petit que 9/8 ou 1,125 (do-ré), C’est ce que Zarlino appellera au XVIe siècle le ton majeur et le ton mineur. Cela nous amène à conclure que notre système de notation n’est pas en mesure de noter correctement les harmoniques, ou en tout cas une partie d’entre eux. Ces problèmes ont été résolus par l’introduction du tempérament égal, qui élimine le comma pythagoricien et le comma syntonique, en donnant à chaque demi-ton contenu dans une octave un rapport de fréquence constant, et qui a rendu possible l’utilisation courante de l’enharmonie. De tous les intervalles de la gamme chromatique, seules les octaves sont aujourd’hui accordées avec les notes correspondantes de la série des harmoniques, et avec les intervalles pythagoriciens. La théorie de Pythagore (il développe parallèlement l’astronomie et la théorie de la musique) va donc amener à la construction de la gamme diatonique. Les pythagoriciens pensaient que les corps célestes étaient séparés les uns des autres par des distances (intervalles) qui correspondaient aux relations de longueurs du monocorde ; ils prétendaient également que le mouvement des planètes est à l’origine d’une musique, l’harmonie des Sphères. On peut prévoir le mouvement des planètes : Pythagore donne une expression musicale de ce système. La Terre est muette, en proie au chaos, à partir de la Lune nous avons un équilibre, et à chaque planète correspondra une note. 7 planètes = 7 notes = 7 jours de la semaine. Ferrier/Histoire I/Grèce - 4 - Boèce (480-524 ap.J.C., citoyen romain, dernier savant reflétant la pensée de l’Antiquité) au VIe s. ap. J.C., développera ultérieurement ces théories : (les planètes, en ordre d’éloignement de la Terre) : Lune 1, Mercure 2, Vénus 3, Soleil 4, Mars 5, Jupiter 6, Saturne 7 Lundi 1, Mardi 5, Mercredi 2, Jeudi 6, Vendredi 3, Samedi 7, Dimanche (Sonntag) 4 Les jours de la semaine sont donc en relation de quinte ! Platon (428- 347 av.J.C.), Avec une conception conservatrice et restrictive, il va préconiser un usage particulier de la musique. Il articule sa réflexion sur la Cité, la République. Influencé par Pythagore et d’autres illustres prédécesseurs, il prétend que le monde d’ici est éphémère, et qu’il n’est que le pâle reflet du vrai monde, le monde des idées. Il recherche l’idéal de Beauté, des mesures, des proportions, d’un contraste équilibré. « Pour le corps nous avons la gymnastique, et pour l’âme la musique (concept élargi qui comprend aussi la poésie) ». Selon lui : - l’harmonie dorienne exalte la vertu, elle exprime la virilité, la juste violence et colère, l’habilité guerrière. - l’harmonie phrygienne est le calme noble et favorable aux travaux de la paix. (ces deux dernières harmonies sont retenues par Platon) - l’harmonie lydienne (chants funéraires) est à rejeter car plaintive, démoralise les gardiens de la Cité - l’harmonie ionienne est à rejeter également, car elle exprime la volupté (pas indiquée pour la guerre). Conclusions : la musique est nécessaire à l’éducation, mais à travers l’ euthos, aspect moral de la musique, l’éthique musicale, il faut privilégier la bonne musique (celle qui inspire les buts recherchés, sans un jugement sur sa valeur intrinsèque, soit exalter la vertu) par rapport à la mauvaise (considérée démoralisante par rapport à son effet sur l’âme). Aristote (384-322 av.J.C.), Il « corrige » certaines conceptions de son maître Platon. Il se pose les questions suivantes : les enfants doivent-ils être éduqués avec la musique ? Est-ce un moyen d’éducation ou un amusement ? Il recommande l’intégration de la musique dans un tissu social (celui des hommes libres qui dirigent la Cité). Discussion sur la finalité de la musique : plus souple que Platon, il montre une plus grande envergure sur le sujet. Selon lui, la musique peut être : - pur délassement, détente - conduire à la vertu (musique spirituelle) - meubler noblement les loisirs, meubler l’esprit par le plaisir toujours recherché, dans la société telle qu’il la conçoit - une aide à la formation de l’être humain (valeur éducative) : occupation pour les jeunes citoyens libres, la musique exprime directement le sentiment ; mais rejette absolument l’étude musicale dans un but professionnel, ce qui serait assimilable à un artisan, à un esclave - rôle purgatif, catharsis Donc peu de but utilitaire, il préconise une certaine gratuité. L’aulos, la flûte, (Dionysos) sont à rejeter : la flûte représente la purgation des mauvaises passions, à caractère orgiaque ; on ne peut pas chanter en jouant de la flûte (n’oublions pas que la musique et la poésie sont toujours liées) : elle est donc dangereuse ; de plus elle défigure par les contorsions du visage. Il existe trois types de mélodies : - morales (à jouer soi-même) Ferrier/Histoire I/Grèce - 5 - - actives - provoquant l’enthousiasme (au sens d’extase, de transe) Les différents modes sont appropriés pour interpréter les différentes mélodies. Le mode phrygien est enthousiaste, exalté, et provoque la transe, tandis que le dorien est le mode parfait par excellence, exprimant un caractère viril (mode « grave ») ; le mode lydien est plaintif, « aigu ». Aristoxène de Tarente (354-300), disciple d’Aristote, en polémique avec le système pythagoricien mathématique du monocorde, présente une sensibilité musicale plus acoustique, où l’oreille prime. Système musical Les modes Jacques Chailley définit un mode comme " l’ensemble des caractéristiques qui permettent de reconnaître un type d’organisation musicale ". Il s’agit de gammes (ou de fragments de gammes) où les intervalles sont organisés d’une façon caractéristique. Les grecs étaient convaincus que chaque mode « impressionnait » l’âme de l’auditeur d’une façon absolument différente. L’élément principal du système musical grec est la quarte descendante ou tétracorde (quatre cordes, ce qui correspond au nombre de cordes de la phorminx, la version la plus ancienne de la lyre). En fonction de la place du demi-ton, il existe seulement 3 tétracordes différents : qui donnent les modes complets suivants : (mode de mi) (mode de ré) (mode de do) Les genres Le système musical grec n’est pas défini par une pensée verticale (harmonique), mais par une pensée horizontale (mélodique). Dans le tétracorde diatonique dorien, les notes extrêmes (la-mi) sont fixes, tandis que les deux notes centrales (sol-fa) sont mobiles et peuvent se déplacer vers la tonique mi. Le genre diatonique n’est affecté par aucun changement, dans le genre chromatique, les notes centrales descendent d’environ un demi-ton, dans le genre enharmonique environ d’un ton. Ces déplacements étaient des nuances liées à Ferrier/Histoire I/Grèce - 6 - l’expression subjective. Les termes chromatique et enharmonique n’ont donc que peu à voir avec leur acception moderne. Le système Le système musical grec est la base du nôtre. Après une première phase pentatonique, puis heptatonique, vers le VIe s. av. J.C. apparaît le systema teleion diatonique. A la fin de l’ère classique (env. 300 av. J.C.) apparaissent les trois genres susmentionnés, qui modifient le système. Il existe deux systèmes de notation alphabétique, un plus ancien pour la musique instrumentale, un plus moderne pour la musique vocale. C’est un système abstrait d’intervalles, qui s’entend en hauteur relative, sans aucune référence au diapason. La mèse la (sorte de dominante) est le centre du système : Pour pouvoir relier les deux tétracordes disjoints, on peut ajouter un tétracorde par conjonction qui, pour avoir la même structure, comporte un sib (modulation) : Les rythmes Selon les Grecs anciens, le rythme correspondait au principe mâle, tandis que la mélodie représentait le principe femelle. Le rythme est puisé du texte, de la poésie métrique. _ En ce qui concerne les durées, nous avons la longue et la brève U.Le rythme du vers résulte du nombre que représente la suite des longues et de brèves. Les principaux mètres grecs sont les suivants (les rapports entre longue et brève pouvant être de 1/2 ou de 1/1½) : Ferrier/Histoire I/Grèce - 7 - _ (cid:83) (cid:74) (cid:83) (cid:83). Iambe : U = 1/2 ou = 1/1 ½ (3/4 ou 5/8 modernes) _ Trochée : U = 2/1 (cid:74) (cid:83) ou = 1 ½/1 (cid:83). (cid:83) " _ Anapeste : U U (2/4 ou 7/8) _ Dactyle : U U " __ Spondée : (2/4 ou 6/8) _ _ Crétique : U (5/8 ou 8/8) Etc. Il existe trois modes d’expression : Parallélisme avec 1) Récitation, déclamation avec mètres discursifs : l’Opera seria du XVIIIe _ _ _ Le trimètre iambique: U / U / U // _ _ Le dimètre anapestique: U U / U U // “recitativo secco” _ _ _ _ Le tétramètre trochaïque: U / U / U / U // 2) Récitation accompagnée par l’aulos (instrument dionysiaque), qui montre un accroissement de passion «recitativo accompagnato» 3) Chant, aspect lyrique « aria » Metastasio et Zeno, librettistes du XVIIIe, vont relire le théâtre grec et l’adapter à l’opera seria. Dans le classicisme musical, nous retrouverons également les éléments principaux de la tragédie grecque : exposition, tension, résolution des tensions, dénouement (exposition, développement, réexposition, conclusion) Exemples : fragments musicaux 1) L’Epitaphe de Seikilos Il s’agit d’une scolie, chant de banquet composé par un certain Seikilos, qui invite à jouir de la vie trop courte. Elle constitue l’échantillon le plus complet et le plus lisible qui nous soit parvenu de la notation antique (Ier-IIIe s. ap. J.C.). L’ambitus d’octave mi-mi, la note centrale la (mèse), les notes supérieures et finale mi (finalis ou tonique), les demi-cadences sur sol (mes. 4 et 6) et la répartition de demi-tons caractérisent le mode phrygien (ici transposé). Ce ton était, pour les Grecs, doux et plaintif. Le chant semble pourtant être dans notre majeur actuel, de caractère enjoué, le sentiment mélodique et modal ayant changé. Ferrier/Histoire I/Grèce - 8 -
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