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Heidegger et Hölderlin : Le Quadriparti PDF

144 Pages·2001·16.267 MB·French
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HEIDEGGER ET HÔLDERLIN ESSAIS PHILOSOPHIQUES Collection fondée par Jean Hyppolite LE QU ADRI PARTI et dirigée par Jean-Luc Marion JEAN-FRANÇOIS MATTÉI PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 5 3 l$ - « Ô vous, voix du Destin, vous, chemins du voyageur... » Hôlderlin, Grèce Un penseur ne dépendp as d’un penseur, mais il s’attache, s’ilp ense, à ce qui donne à penser, à l’Être. » Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ? j k- j Univsrsitàts- ] Blbilothek I Frelburg i. Br. ISBN 213050113 3 ISSN 0768-0708 Dépôt légal —1“ édition: 2001, mars © Presses Universitaires de France, 2001 6, avenue Reille, 75014 Paris INTRODUCTION L’ÉNIGME DE L’ÊTRE «Lorsque la pensée se dépose à penser, elle se troupe déjà avouer Pé nigme de /histoire de ?Être, » Heidegger, Nietzsche'. Le dépassement de la métaphysique Nul ne connaît jamais, vraiment, l’enjeu et la source ultimes d’une pensée. A tout moment, et au rythme où elle se déploie, le sol se dérobe sous elle et contraint le penseur à côtoyer son propre abîme. H jette alors des ponts au-dessus du néant et s’engage vers d’autres rives en oubliant les piles qui servent à édifier les arches. Et le vide se fait plus profond à mesure que l’édifice monte plus haut. Tel est le premier indice, terrestre, de cet « impensé » dont Heidegger a fait crédit à la métaphysique pour mieux en affermir les limites et, peut-être, sauter en dehors d’elles afin de se livrer à l’expérience du gouffre. Mais peut-on affronter l’impensé de Heidegger qu’il a su déceler chez les auteurs de la tradition alors qu’il ne s’est pas risqué, pour sa part, à dévoiler le sien ? -■ " Eh apparence, l’enjeu est clair, du moins dans sa formulation. Il s’agit de dépasser la métaphysique, ou de la déconstruire, pour retrouver à vif, sous la poussière figée de son histoire, et sans pour autant évacuer une tradition vouée à l’oubli2, la question primordiale du sens de l'être. Dès 1. Heidegger, La détermination ontologico-historiale du nihilismey 1944-1946, Nietzsche, 1961, yof H, trad. fr. P. Klossowski, Paris, Gallimard, 1971, p. 303. V~ - 2. Heidegger, Sein und Zeit, 1927, § 6, trad. fr. É. Martineau, Être et Temps, Paris, Authen- . tica, 1985, p. 39. 8 HEIDEGGER ET HÔLDERLIN. LE QUADRIPARTI L’ÉNIGME DE L’ÊTRE 9 l’origine occultée et recouverte, une telle question est la question fonda­ de son ouvrage Sein und Zeit avait été retourné en Zeit und Sein dans la troi­ mentale (Fundamentalfrage) de la pensée que la philosophie, sous son sième section, non publiée, de la première partie (« ici, tout se retourne », double nom de « métaphysique » ou d’« ontologie », n’a jamais réussi à écrivait alors Heidegger)1, et d’autre part à la conférence de 1930, De faire venir au jour. Heidegger pourra varier, dans son langage comme l'essence de la vérité,, qui retournait à son tour, en un chiasme parfait, dans son cheminement ; il restera fidèle à l’appel muet de cette question 1’ « essence de la vérité » en la « vérité de l’essence »2. Depuis le fondamentale qui sonne à quatre reprises le glas de la métaphysique, R. P. Richardson, les interprètes s’appuieront sur ces textes pour distin­ dès 1927, aux paragraphes 2, 7, 59 et 83 de Sein und Zeif. guer un Heidegger I d’avant le « tournant », qui paçle encore la langue de Comment faut-il entendre, cependant, la nécessité de ce « dépasse­ la métaphysique, d’un Heidegger II qui, emporté par le « tournant », réus­ ment de la métaphysique » (Überwindung der Metaphysik)1 2, à l’évidence sira le saut hors de la métaphysique pour atteindre un autre sol, et parler redondant s’il est vrai que la métaphysique, depuis Platon, est ce perpé­ une nouvelle langue, qui est celle de l’être en sa vérité. j\j>rès cet épisode tuel mouvement de dépassement de l’expérience telle qu’elle nous est du « tournant », que l’on peut faire remonter à 1930, voire même à 19283, donnée ? En supposant qu’un tel dépassement, loin de pousser en avant Heidegger se détournerait définitivement de la métaphysique pour se comme YAuJhebung hégélienne, soit un « pas en arrière » (Schritt %urück) consacrer à la pure pensée de l’être. Il y aurait bien ainsi un Heidegger I et hors de la tradition en direction d’une « autre pensée » et d’un « nouveau un Heidegger II, ou encore une première philosophie de Heidegger, pré­ commencement » pour permettre à la pensée de l’être de se recueillir sur sente dans son grand ouvrage de 1927, Sein und Zeit} puis, comme l’écrit elle-même, en quel mode doit-on penser cette remémoration qui semble Jean Grondin, une «deuxième philosophie» ou une «dernière philo­ étrangère aux quatre orients de l’horizon métaphysique ? Heidegger a sophie »4 qui radicaliserait le questionnement initial pour se livrer à une répondu par avance à ces questions en mentionnant, de manière explicite, expérience pré-philosophique de l’être dans laquelle la poésie, celle de le «tournant» (Kehre) propre de sa pensée, lequel permet moins Hôlderlin au premier chef, jouerait désormais un rôle déterminant avec la d’effectuer le « dépassement » (Überwindung) que 1’ « appropriation » (Ver- présence de cette constellation étrange, au premier regard, de la Terre et windung) de la métaphysique. C’est la Lettre à Richardson, en avril 1962, qui du Ciel, des Divins et des Mortels. lève le voile sur le « tournant » de Heidegger hors de l’ontologie phéno­ Sans revenir sur cette question controversée du tournant, ni sur ménologique de Sein und Zeit Jouant au sein de la question fondamentale l’opposition, poussée par certains interprètes jusqu’à la rupture, entre de l’être, il ne concerne donc pas - comme une simple péripétie r la seule Heidegger I et Heidegger II, sans m’attacher non plus aux diverses moda­ pensée de Heidegger ; bien au contraire, c’est 1’ « être » lui-même, Seyn, qui lités du tournant - Jean Grondin distingue le tournant « ontochronique » ï « ne se laisse penser qu’à partir du tournant »3. d’£'tre et Temps du tournant « aletheio-essentialiste » de 1’ « essence de la y Pour élucider ce que dit le mot « tournant », Heidegger renvoie d’une part à la Lettre sur thumanisme de 1947 dans laquelle il indiquait que le titre * 1. Heidegger, Lettre sur ?humanisme, 1947 (publié en 1949), Questions III, trad. fr. A. Préau, v J. Hervier et R. Munier, Paris, Gallimard, 1966, p. 97. 2. Heidegger, De Iessence de la vérité, 1930 (publié en 1944), Questions I, trad. fr. H. Corbin, 1. Ibid., § 2, p. 7 ; § 7, p. 27 ; § 59, p. 290 ; § 83 (et dernier), p. 437 ; trad. fr. Être et Temps,, R. Munier, A. de Waelhens, W. Biemel, G. Granel et A. Préam Paris, Gallimard, 1968, p. 189, op. rit, p. 28, 42, 208, 296. 191, 5 2. Heidegger, « Le dépassement de la métaphysique », 1936-1946 (publié en 1954), Essais " 3. J. Grqndin, Le tournant dans la pensée de M. Heidegger, Paris, PUF, «Épiméthée », 1987, et conférences, trad. ér. A. Préau, Paris, Gallimard, 1958, p. 80-115. p. 76. L’auteur discerne la première manifestation du «tournant» dans un cours de 1928 3. Heidegger, « Lettre à Richardson », Heidegger,; îhrough Phenomenology to Thought,, La Haye, - {Gesamstaugabe, Bd 26, 201), le terme de Kehre étant ainsi contemporain de Sein und Zeit, et la 1963, Questions IV, trad. fr. J. Beaufret, F. Fédier, J. Lauxerois et Cl. Roëls, Paris, Gallimard, 1 pensée du « tournant » antérieure à ce qu’écrira Heidegger à Richardson. 1976, p. 187. 4. Md., p. 7, 9,15,116. L’ÉNIGME DE L’ÊTRE 11 HEIDEGGER ET HÔLDERLIN. LE QUADRIPARTI 10 Une telle observation s’applique avec une parfaite acuité à Heidegger. vérité » et de la « vérité de l’essence »a en rapprochant, avec quelque hési­ Dès ses premiers écrits, l’auteur de Sein undZeit met en doute la possibilité, tation, les deux chiasmes - jejvoudrais suivre le fil conducteur de la ques­ pour la métaphysique, de penser son historialité et de revenir à sa propre tion fondamentale et épouser au plus près possible ce que Heidegger origine. Heidegger interprète la négation ou le rejet de la métaphysique en nomme, dans le Séminaire de Zurich, le « virage » qui mène à « un nouveau termes de « destruction » et de « déconstruction » de l’ontologie, ou, de rapport fondamental à ce qui est », lequel, confie-t-il alors à ses interlocu­ façon moins brutale, en termes de « dépassement » de la métaphysique. Il teurs, manifeste « le sens inexprimé de toute ma pensée »2. revient ainsi dans toute son œuvre sur ce thème qui accompagne la moindre de ses variations, comme une basse continue, du Dépassement de la L ’énigme du Sphinx métaphysique, son texte le plus explicite, au Séminaire de Zurich, son texte le Cet aveu surprenant pose un problème redoutable. Comment réussir plus secret. La métaphysique est incapable, par essence, d’atteindre sa à exprimer ce sens inexprimé d’une pensée tout entière vouée à la mise à propre vérité et de saisir la différence de l’être et de l’étant. Les indications jour du « sens de l’être » ? Peut-on admettre qu’un philosophe prétende de Heidegger à ses auditeurs du Séminaire de Zurich s’avèrent particuliè­ déconstruire, pierre par pierre, l’édifice de la métaphysique afin de revenir rement fermes. Après avoir espéré que la pensée puisse rejoindre «la à son sol - ou son absence de sol — initial sans jamais exprimer le sens, dimension en laquelle l’être humain à nouveau plus initialement retrouve­ c’est-à-dire la direction constante de sa pensée, en une sorte de pari rait l’Être », Heidegger émet ce jugement définitif sur l’incapacité de la aveugle sur l’étoile qui le guide ? Pour répondre à cette question je ferai métaphysique de penser Y écart originel entre l’être et l’étant : un détour par un texte bien connu de Bergson. Dans sa conférence de «Mais la métaphysique en tant que telle ne peut jamais penser la Bologne d’avril 1911, Bergson insiste sur l’étonnante puissance de négation dimension dans laquelle elle se déploie elle-même (...) La métaphysique que l’intuition philosophique manifeste à travers l’image médiatrice en ne s’enquiert jamais du déploiement, c’est-à-dire de la provenance de ce laquelle elle se fixe - et l’auteur de rappeler ici l’image du démon de mouvement d’aller de... [l’être] à... [l’étant] ; elle ne pense jamais cette dif­ Socrate qui arrêtait sa volonté et lui interdisait d’agir3. « Cette puissance férence comme différence. »! intuitive de négation » refuse, tout d’un bloc, les thèses les plus évidentes ; De par cette incapacité due à sa propre essence, la métaphysique est ou les idées les plus avérées dans le domaine du sens commun et dans impuissante à faire accéder la pensée à la « Dimension comme Dimen­ celui de la philosophie. Philosopher, c’est d’abord se tenir en arrêt devant sion» où s’institue, pour l’être, «le royaume»2. C’est reconnaître à quel l’expérience habituelle, saisi par l’étonnement, et ainsi la nier, eh élevant point le mouvement historial de la métaphysique, en arrachant l’homme à une ligne de défense spéculative contre elle. Quand bien même ses pas la: Dimension originelle de l’être et en le précipitant dans l’étant, n’est seraient-ils peu assurés, poursuit Bergson, un philosophe va rejeter certai­ autre qu’un mouvement perpétuel dY exil. nes choses définitivement en une rupture décisive avec une tradition dont semble bien, cependant, que la puissance intuitive de négation de il est pourtant issu. « Plus tard il pourra varier dans ce qu’il affirmera ; il Heidegger, qui ne se manifeste pas seulement par le refus d’idées, de thè­ ne variera guère dans ce qu’il nie. »4 ses: ou d’affirmations reçues comme scientifiques, selon la remarque de Bergson, mais par la mise en cause radicale de la métaphysique dans l’intégralité de son domaine rationnel, soit corrélative d’une puissance 1. Ibid., p. 32-33. 2. Heidegger, Séminaire de Zurich, 6 novembre 1951, trad. fr. F. Fédier et D. Saatdjian, Po&sie^ n° 13, Pjuds, Beîin, 1980, p. 56. 3. Bergson, « L’intuition philosophique », Lap ensée et le mouvant. Essais, et conférences, Œuvres, Séminaire de Zurich, op. cit, p. 58,60. Je complète les pointillés entre crochets. ■H,:.-/--; r* Tt * t * Édition du Centenaire, Paris, PUF, 1959, p. 1347-1348. 4. Bergson, op. cit, p. 1348. •\#' 12 HEIDEGGER ET HÔLDERLIN. LE QUADRIPARTI l’énigme de l’être 13 intuitive d’affirmation encore plus radicale, et encore plus risquée. Si l’on : C’est un tel paradoxe qu’affronte, et que tranche, Heidegger, un peut justifier en effet telle ou telle thèse métaphysique en prenant ration­ paradoxe qu’il nomme à plusieurs reprises F «énigme». À vrai dire, nellement appui sur d’autres thèses, visibles dans les œuvres des philoso­ l’énigme est à double tranchant, selon qu’elle penche vers l’être ou vers phes et des savants, il est plus difficile de justifier une affirmation radica­ Fêtant Dans des commentaires de 1944-1946 à ses cours antérieurs sur lement nouvelle qui se trouve démunie, du fait de son rejet des preuves Nietzsche, Heidegger assure en premier lieu que « l’Être même est métaphysiques, de tout point d’appui. De quel domaine 1’ « autre pensée » l’énigme » : je la nommerai Y énigme ontologique ; puis il infléchit la question de Heidegger pourrait-elle provenir, dans sa remontée vers la Dimension en parlant de « l’énigme de l’histoire de l’Être »*, c’est-à-dire des manifes­ originelle où la métaphysique a pris place, puisque cette même métaphy­ tations historiales de l’étant : je l’appellerai F énigme ontique. La première sique dont on exige le « dépassement » occupe tout le site de l’histoire ? pose évidemment «la question fondamentale» de l’être, au sein de Pour le dire de façon plus cruciale, si toute l’histoire est l’histoire de la laquelle se resserre F « autre pensée » ; la seconde, soumise à la précédente, métaphysique, et si tout philosophe, Heidegger comme les autres, est met en œuvre la « question conductrice » de l’étant, à partir de laquelle se immergé dans l’histoire, comment pourrait-il penser la «Dimension» déploie la métaphysique elle-même. À ces deux visages de l’énigme corres­ dans laquelle il se situe ? Comment pourrait-il trouver, à l’instar de Des­ pondent, dans la conférence d’Aix-en-Provence Hegel et les Grecs, cartes, un point d’appui hors dé la métaphysique pour s’engager dans «l’énigme de l’àX^ôeia »2, et, dans Le principe de raison, « l’énigme du prin­ 1’ « autre pensée », alors que la métaphysique, en tant que fondement et rai­ cipe »3 qui est incapable de sonder, et de fonder, son propre fondement. son (Grunâ% est précisément l’ensemble des points d’appui qui permettent Pour le Wittgenstein du Tractatus, au contraire, « Y énigme n’existe pas » à la connaissance de déployer son champ ? (6.5); ou bien, si l’on veut à tout prix lui trouver un « sens » (« le sens du Les critiques de Heidegger n’ont guère eu de peine à établir qu’un tel monde», précise Wittgenstein (6.41)), «la solution de l’énigme de la vie projet était irréalisable parce que, d’emblée, contradictoire, et qu’il n’était dans l’espace et dans le temps se trouve hors de l’espace et du temps » pas possible — serait-ce en se faisant des bosses contre les parois du lan­ (6.432), ou encore « en dehors du monde » (6.41). gage - de passer outre la métaphysique, ou, plus simplement, de partir de Heidegger refuse pour sa part le platonisme de Wittgenstein, et son la raison pour transcender la raison. Au fond, la démarche entière de Hei­ mysticisme de F « inexprimable » (6.522), pour reconnaître les deux ques­ degger tombe sous le coup de l’interdit de Wittgenstein : pour tracer une tions, et les deux tranchants, de l’énigme. Il affirmera en conséquence que limite à la pensée, il faudrait pouvoir penser «des deux côtés de cette ce dont on ne peut parler, dans l’ordre de la raison métaphysique, ilfaut le dire, limite », et, par conséquent, « penser ce qui ne peut être pensé »b En ter­ en un autre ordre, certes, qui évoque le «sens inexprimé» qui ne se mes heideggeriens, pour installer la métaphysique dans ses limites — et trouve pas, pour autant, en dehors du monde. Et, en fait, l’énigme est nous verrons clairement ce que sont, depuis Aristote, ces limites - il fau­ bien double. La question que posait le Sphinx à Œdipe - quel est cet drait pouvoir penser de chaque côté d’entre elles, c’est-à-dire penser étrange étant qui a successivement quatre, deux puis trois pieds ? — était métaphysiquement en termes d'étant, sous le régime du principe de rai­ déjà la question ontique qui conduira plus tard la métaphysique à partir de son, et penser non-métaphysiquement en termes à'être, ce dernier étant radicalement étranger, à ce titre « sans fond » ou « sans raison » (Ab-grund), 1. Heidegger, «La détermination ontologico-historiale du nihilisme», 1944-1946 (publié à la raison d’être de l’étant. 1 en 1961), Nietzsche, vol. II, op. dt., p. 298, 303. I 2. Heidegger, Hegel et les Grecs, 20 mars 1958, Aix-en-Provence (publié en 1960), Ques­ tions II, trad. fr. K. Axelos, J. Beaufret, D. Janicaud, L. Braun, M. Haar, À. Préau et F. Fédier, 1. Wittgenstein, Tractatus logicophilosophicus, 1921, trad. £r. P. Klossowski, Paris, Gallimard, Paris, Gallimard, 1968, p. 65. 1961, p. 39-40. 'ilf 3. Heidegger, Le principe de raison, 1957, trad. fr. A. Préau, Paris, Gallimard, 1962, p. 49. 14 HEIDEGGER ET HÔLDERLIN. LE QUADRIPARTI l’énigme de l’être 15 l’interrogation socratique sur l’homme. Mais Y énigme d’Œdipe, celui qui a devant un auditoire de professeurs et d’étudiants. À cette date, Heidegger un œil de trop selon Hôlderlin, n’épuise pas Y énigme du Sphinx : quël est cet a déjà fait ses premiers cours sur Hôlderlin à l’Université de Fribourg-en- être monstrueux, jamais questionné, dont sont pourtant issues toutes les Brisgau, en 1934-1935 et en 1941-1942 ; il a donné plusieurs conférences questions qui se posent à l’homme ? L’Etre-Sphinx a peut-être un œil de sur le poète, en 1936, en 1940 et en 1943 ; mais il vient surtout de pro­ moins, qui ne tourne jamais son regard vers lui-même. L’énigme du noncer un cycle de quatre conférences à Brême, le 1er décembre 1949, qui Sphinx, plus simple que l’énigme complexe d’Œdipe, est trop simple, seront reprises sans changement les 25 et 26 mars 1950 à Bühlerlohe ; la dans cette ouverture sans retrait de l’être, pour trouver une réponse sur le première des quatre conférences, Das Ding «La chose », sera augmentée le terrain de l’étant L’être ouvre la question fondamentale, mais en même 6 juin 1950 devant l’Académie bavaroise des Beaux-Arts. En dehors du temps la resserre et la cèle sur lui-même, dans cette étreinte du Sphinx qui est cercle restreint des auditeurs, personne ne connaît encore ces recherches l’étreinte originale de l’être1. du « second Heidegger » qui demeurent, en 1951, inédites. Le voile ne sera levé, du moins en partie, qu’en 1954, avec la publication des Vortràge Le système de l’être und, Aufaàt%e (Essais et Conférences). L’ouvrage contient deux des quatre Ce dont on ne peut parler, donc, il faut le dire, ou simplement le conférences de 1949, La question de la technique, qui reprend sous une autre montrer, en confidence peut-être, et sans paraître y attacher d’impor­ forme la deuxième conférence Das Ges-StelF et la première conférence, tance, comme si la chose — l’énigme et son dénouement — allait naturelle­ La chose-, on y ajoutera en 1951 la conférence Bâtir Habiter Penser, très ment de soi. C’est bien ce que laisse entendre Heidegger, dans l’un de ses proche de La chose, mais qui ne fait pas partie de la série des quatre. Quant rares moments d’abandon, lorsqu’il déclare à Zurich, à propos .de sa ren­ aux conférences publiques sur Hôlderlin, Erlaiïterungen %u Hôlderlins Dich- contre avec Hôlderlin : tung elles ont paru antérieurement, en 1944, avec les deux seuls discours «Je recule devant l’immédiateté de ce que je pourrais peut-être encore Retour. Aux proches, du 6 juin 1943, et Hôlderlin et F essence de la poésie, du dire; je recule, parce qu’à l’époque actuelle cela deviendrait aussitôt 2 avril 1936, puis dans une deuxième édition, cette même année 1951, monnaie courante, et serait dénaturé. » avec l’ajout du discours Comme aujour de fête..., de 1939, et le texte Souvenir, Et aussitôt, comme pour justifier ce qu’il nomme une « mesure de de 1943. Les cours d’université sur Hôlderlin, beaucoup plus étendus, protection », Heidegger ajoute cette remarque étonnante : datent de 1934-1935 et de 1941-1942, mais ne seront publiés que tardive­ « Durant mes trente à trente-cinq ans d’enseignement, je n’ai parlé ment, après la mort de Heidegger, en 1980, 1982 et 1984. qu’une à deux fois des choses qui sont miennes (nurein bis %n>eimal von Mei- O-,, La ligne directrice de ce travail tient à ceci : ce que Heidegger appelle à nen Sachen gesprochen),1 2 Zurich « les choses qui sont miennes », meinen Sachen, et dont il n’aurait Arrêtons-nous un instant sur cette étrange phrase. Elle est prononcée parlé qu’une à deux fois, concerne son intuition du monde comme Qua- le 6 novembre 1951 au Séminaire du Pr Spoerri, à l’Université de Zurich, dtiparti, ou Geviert. Elle commande de part en part sa pensée - celle dont le sens restait encore en 1951 « inexprimé » - depuis les cours sur Hôlderlin de 1934-1935 auxquels j’ajouterai, la même année, la conférence sur 1. Le dieu Sphinx, masculin en Égypte et féminin en Grèce, est un dieu solaire - et pour les Égyptiens, maîtres en énigmes, le Soleil était enfant le matin, homme à midi et vieillard au L’origjne de Pauvre cFart, puis les textes plus personnels du penseur après les soir. C’est aussi le dieu de V étreinte. Le mot grec vient du verbe sphiggein, « étreindre », « serrer », « lier ». La déesse Étreinte est donc celle en laquelle l’énigme se resserre : elle est le lien de l’énigme. 2. Les traducteurs du Séminaire, tout en donnant en note le texte allemand et sa traduc­ ■‘■■1. Heidegger s’explique sur ces quatre conférences, mais de manière assez elliptique, dans tion littérale, rendent ainsi le passage : «Je n’ai parlé qu’une à deux fois de ce qui me tient en lit Protocole àt Séminaire sur la conférence «Temps et Être», 11-12 septembre 1962 (publié en 1977), haleine » {Séminaire à Zurich, op. cit., p. 54 ; cf. n. 3, p. 63). Questions TV, op. cit., p. 67-68. 16 HEIDEGGER ET HÔLDERLIN. LE QUADRIPARTI L’ÉNIGME DE L’ÊTRE' 17 quatre conférences de 1949, lesquelles restent, en leur entier, celées. Et de plicité »1 — déclare qu’ « un philosophe digne de ce nom n’a jamais dit fait, même si le poète souabe n’est plus directement étudié dans certains de qu’une seule chose ; encore a-t-il plutôt cherché à la dire qu’il ne la dite ces textes, Hôlderlin demeure constamment présent à l’arrière-plan au véritablement »2, il annonce ce que, en une autre langue, Heidegger ne se même titre que le Quadriparti qui, sans porter encore de nom propre, per­ lassera pas de répéter : çait dès l’origine dans les cours et les conférences sur Hôlderlin. Le poète «Chaque penseur pense seulement une unique pensée [...] Le penseur va ainsi servir de révélateur à cette intuition constante qui, jusqu’en 1934, a besoin seulement d’une unique pensée. Et la difficulté pour le penseur restait impensée et inexprimée dans les écrits du premier Heidegger, mais qui, est de repenser cette unique, cette seule pensée, comme ce qui est pour secrètement, l’orientait vers cette Dimension première où la métaphysique iüi la seule chose qu’il faille penser. »3 trouve son site. Qu’appelle-t-on penser en 1952, prendra la distance néces­ D est entendu que le penseur ne saurait dire, en toute clarté, cette pré­ saire à l’égard de tout ce qui a été dit jusqu’ici en matière de métaphysique sence de l’Être qui précède invinciblement tout dire, et l’excède d’un — Heidegger parle même d’« une attitude de défense » — afin de prendre même mouvement. C’est ce que notait Paul De Man à propos de la médi­ cet « élan » qui permet de réussir « le saut dans la pensée »1. Le saut (Sprungj tation de Heidegger sur le poétique qui est en fait « une méditation sur en dehors de la métaphysique prend appui sur ce même sol pour se lancer l’ineffable »4. On peut, néanmoins, s’en approcher en avançant dans sa vers un sol sans fond, Abgrund, un Abîme qui dévoile Yimpensé de toute direction — et Bergson, ici encore, annonce Heidegger et sa recherche du métaphysique : « C’est sur cet Impensé que la métaphysique repose. »1 2 Et sens de l’être quand il rappelle que « le sens » est « moins une chose pensée Heidegger de préciser plus loin, en songeant à l’intuition qui est la sienne : qu’un mouvement de pensée, moins un mouvement qu’une direction »5 « Plus une pensée est originelle, plus riche devient son Im-pensé. L’Im- -et en suivant, pas à pas, le cheminement de Heidegger. Il est la manifes­ pensé est le don le plus haut que puisse faire une pensée »3. tation la plus simple du Simple : « Marcher vers une étoile, rien d’autre. »6 Je ne crois pas arbitraire de rapprocher Yimpensé heideggerien de Je crois que 1’ « unique idée » de Heidegger - ce qu’il nomme d’abord, en Yintuition philosophique bergsonienne. On sait que Bergson y voyait une langue métaphysique, «la question fondamentale», puis, en une « quelque chose de simple, d’infiniment simple, de si extraordinairement langue poétique, «une étoile au ciel du monde» - constitue la clef de simple »4 que jamais le philosophe n’a réussi à la dire, mais sur laquelle, en voûte de la pensée heideggerienne qui se présente, de manière implicite, dépit de l’interdiction de Wittgenstein, aucun philosophe ne se tait. Pour­ comme un système. Je n’entends pas ce terme dans le sens moderne d’une tant, cet inexprimable ou cet indicible se montre,, et il se montre à travers «une certaine image intermédiaire», .pour citer encore Bergson, qui (« Le surprenant dans cette pensée de l’être, c’est ce qu’elle a de simple » ; « [La pensée] rassem­ cherche à révéler ce que Heidegger, pour sa part, appelle « le Simple » blera le langage en vue du dire simple », Questions III, op. cit., p. 151,154) - L’expérience de lap ensée («Magnificence de ce qui est simple », Questions III, p. 27) -Le chemin de campagne (« Le Simple (Das Einfache ou Die Einfaltf. Et lorsque Bergson, pour souligner davan­ garde le secret de toute permanence et de toute grandeur » ; « la force inépuisable du Simple », tage ce que la philosophie a de simple — son essence est « l’esprit de sim- Questions III, p. 12,15) - La chose (« la simplicité des Quatre », Essais et conférences, op. cit., p. 205* 206, 212-215) - Bâtir Habiter Penser (« la simplicité des Quatre », Essais et conférences, p. 176-177) - Logos (« Il est long, le chemin le plus nécessaire à notre pensée. H conduit vers ce Simple qui 1. Heidegger, jQu’cppelle-t-on penser ?, cours du semestre d’hiver 1951 et du semestre demeure ce qu’il faut penser sous le nom de Uyoc, », Essais et conférences, p. 249). d’été 1952 (publié en 1954), trad. fit. G. Granel, Paris, Gallimard, 1959, p. 26. 1. Bergson, op. cit., p. 1362. Cf. p. 1363 : « Philosopher est un acte simple ». 2. Ibid., p. 77. : - 2. Ibid, p. 1350. 3. Ibid., p. 118. "^-3. Heidegger,Qu’appelle-t-onpenser?, op. cit., p. 47-48. 4. Bergson, op. rit., p. 1347. • 4. Paul De Man, « Les exégèses de Hôlderlin par Martin Heidegger », Critique, n° 11, Paris, 5. Pour approcher « le Simple » - ce qu’Adomo appelait avec une ironie glacée « la réac­ 1955, p. 817. 4 * tionnaire splendeur des choses simples » (« Parataxe », p. 154-155 ; cf. id p. 20, note 4, et Jargon 5. ‘Bergson, op. cit., p. 1358. der Eigentlichkeir, Francfort, 1964, p. 43) - on consultera prindpalement : la Lettre surih umanisme 6. Heidegger, Ue xpérience de la pensée, Questions III, op. cit., p. 21. 18 HEIDEGGER ET HOLDERLIN. LE QUADRIPARTI l’énigme de l’être 19 construction rationnelle définie, de façon rigoureuse, par un ensemble de Dans ce texte, Heidegger commente de façon insistante ce terme de sus- positions théoriques déterminées qui assurent la clôture d’un champ spé­ tema qu’il rend par « ajointement » (Gefûge) pour l’appliquer à l’être dans cifique. Ainsi, dans la philosophie de Hegel, le développement du penser son unité et sa totalité. Au sens large, « ce qui constitue un système, c’est dans le pur élément du penser, entendons par là « la pensée libre et véri­ l’ajointement interne de ce qui est l’objet possible d’un savoir»1, en table », laquelle dans son universalité est « l’absolu », se trouve-t-il identi­ d’autres termes la cohérence du champ théorique parcouru par le regard fié au « système » : de la connaissance. Mais, en un sens plus aigu, «le système est l’ajoin- « La science de cette pensée est essentiellement système, car le vrai, à tement de l’être lui-même»2, ce que j’ai proposé de nommer plus haut titre de concret, n’est qu’en tant qu’il se déploie lui-même et se ramasse et Y étreinte de ïêtre. Penser l’être, c’est penser du même coup l’ajointement se retient pour former une unité, c’est-à-dire en tant qu’il est totalité. »! -r le sustema - puisque le penseur doit reconnaître « la mêmeté de l’être et Au fond, pour Hegel, le système n’est autre que la méthode rationnelle de l’ajointement »3. Toute l’intuition de Heidegger se concentre alors dans poussée à l’incandescence : elle s’amplifie de façon continue, à partir de cette brève formule : son auto-engendrement, selon une figure circulaire que l’auteur de La « Le système est l’ajointement de l’étant en totalité » (Dos System ist die science de la logique n’hésite pas à refermer sur sa propre boucle. «La Fügung des Seiende. »4 science se présente comme un cercle fermé sur lui-même, la médiatisation ; rr. Quelle est, en conséquence, la tâche assignée au penseur? Trouver ramenant la fin au commencement qui constitue la base simple du pro­ « la loi » et « la modalité fondamentale » de cet ajointement - ou de ce res­ cessus ; mais ce cercle est en outre un cercle de cercles ; car chaque membre, serrement — de l’être avec lui-même, en d’autres termes encore, son en tant qu’animé par la méthode, est une réflexion sur soi qui, du fait «principe» qui, dans sa simplicité, se confond avec «l’être lui-même»5. qu’elle retourne au commencement, est elle-même le commencement C’est bien une telle loi, qui commande le système de l’être et de l’étant, que d’un nouveau membre. »1 2 Heidegger parviendra à dégager peu à peu au travers de sa méditation patiente des poèmes de Hôldedin dès 1934, longtemps après sa décou­ Heidegger entend d’une tout autre oreille le mot de « système >> dont verte du poète en 1908, à l’âge de dix-huit ans, un an après sa rencontre nous verrons qu’il a moins à voir avec le cercle, pour reprendre l’image décisive avec Aristote grâce à la lecture de la thèse de Franz Brentano. hégélienne, qu’avec sa quadrature, et moins avec la méthode qu’avec le che­ min. Ainsi le cours de 1936 sur Schelling interprète-t-il le «monde», ou xocTfxoç, à partir du terme grec cjuainqfjux. En une expression d’allure stoï­ La révélation de Holderlin cienne, le xoc7fjio<; est défini, en grec et non en allemand, comme cnScnTpa è£ oupavou xal yfjç, « la corn-position [ctu-ctt7][xoc] du ciel et de la terre »3. , Les interprètes se sont naturellement interrogés sur cette élection de Hôldedin, parmi tous les grands poètes, à l’image d’une étoile dont la 1. Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé (1830), trad. £r. M. de Gandillac, clarté éclipserait toutes les autres. Pourquoi en effet Holderlin, répond en Paris, Gallimard, 1970, Introduction, § 14, p. 87. ëtfet Heidegger au Pr Staiger à Zurich, et non pas Kleist ou Baudelaire, ou 2. Hegel, Science de la logique (1812-1816), livre DI, «Science de la logique subjective», 3e section, chap. DI, «L’idée absolue », trad. fr. S. Jankélévitch, Paris, Aubier, 1949, p. 571. 3. Heidegger, Schelling. Le traité de Î809 sur lessence de la liberté humaine, cours du semestre d’été 1936 (publié en 1971), trad. fr. J.-F. Courtine, Paris, Gallimard, 1977, p. 54. Selon Stobée ; T. Heidegger, Schelling op. cit., p. 58. (Eclogae, I, 184, 8, Stoicorum Veterum Fragmenta,, éd. von Amim, Leipzig, 1905 ; réimpression y & 2. Ibid., p. 64. 3. Ibid., p. 93. Cf. l’article de Philippe Grosos, « De la critique du système à l’élaboration Stuttgart, 1968, t. U, n° 527), Chrysippe, le second fondateur du Stoïcisme, définissait le « monde » comme « système du ciel et de la terre (arucmQtxa èÇ oupavou xal yfjç) ainsi que de tou­ du chant (Note sur Heidegger) », Philosophie, n° 55, 1997. tes les natures qui sont en eux », et comme « le système des dieux et des hommes (ex 0ec5v xal % 4. Ibid., p. 115. 5. Ibid., p. 116. àv0po)7tcov cruoTTjjxa) ainsi que des êtres qui en sont la fin ». 20 HEIDEGGER ET HOLDERLIN. LE QUADRIPARTI L’ÉNIGME DE L’ÊTRE' 21 bien Goethe ? On aurait pu s’attendre encore à Homère, Hésiode, Vir­ Mais Heidegger a-t-il jamais tenté de voir dans la figure de Holderlin gile, Dante ou Shakespeare. Un tel choix est-il lié au fait que, dans les « une fixation narcissique à son propre peuple », « un représentant de la années trente, après l’édition de référence en six volumes commencée par dialectique de l’intériorisation propre à l’ère bourgeoise »1, voire une légi­ Norbert von Hellingrath1, Holderlin était devenu, au moins dans les cer­ timation quelconque de l’idéologie du national-socialisme, ou bien a-t-il cles universitaires, un auteur à la mode ? Ou bien doit-on supposer, plutôt fait l’effort de dégager la vérité que les poèmes portent secrète­ comme le feront plus tard les critiques de Heidegger, que ce dernier aurait ment en eux et que, ni l’interprétation chrétienne de Holderlin, ni son trouvé une échappatoire à sa désastreuse expérience politique, après sa interprétation républicaine, ni, a fortiori, son interprétation nationale- démission du Rectorat de Fribourg, en février 1934, en faisant du « poète socialiste, n’ont réussi à approcher ?2 Le tournant vers Holderlin se voit des Allemands » le « poète de la poésie » ?2 et en élevant la pensée de justifié, souligne Heidegger à propos de sa lecture du poème In lieblicher Holderlin au « statut de sentence destinale »3. Blàue... (En bleu adorable...), que la critique philologique hésite à attribuer à La querelle me paraît d’autant plus mauvaise qu’elle est circulaire : Holderlin, par un complet retournement de la proposition reçue selon on postule que Heidegger aurait cherché dans Holderlin la justification laquelle la vérité du poème, et son choix par Heidegger, seraient soumis à de son idéologie dangereuse, le radicalisme ontologique n’étant que le l’autorité de Holderlin. «Le poème n’est pas vrai parce qu’il est de reflet du radicalisme politique. Ainsi, aux yeux de Adorno, pour qui Holderlin», répond Heidegger, «mais inversement: Holderlin ne l’a Holderlin est un « poète mineur »4, Heidegger s’emploierait à effectuer chanté que parce qu’il est vrai, au sens d’un poème »3. « l’héroïsation facile du poète comme fondateur politique » pour mieux .Cette notation en chiasme porte, avec celle du poème, toute la vérité utiliser « les prétendus leitmotive » de sa pensée « à des fins autoritaires »5. de l’interprétation du poète par Heidegger. Elle signifie simplement que Puis on assure que, rien dans Holderlin, ne correspond à ce « privilège Heidegger dépend moins de Holderlin que Holderlin ne dépend de la hyperbolique » accordé au « dieu qui vient »6, ni non plus au « pathos » et vérité, ou, pour le dire d’une façon plus abrupte, que Heidegger récuse au « culte de l’origine »7. Enfin, on conclut à l’échec de la mvthologisa- aussi bien la dépendance de la pensée à l’égard de la poésie que celle d’un tion de la Germanité que Heidegger aurait vainement cherchée chez penseur à l’égard d’un poète. C’est bien l’Être qui donne à Holderlin à Hôldedin. En clair, on avance que Holderlin aurait été le garant du natio­ poétiser, et non Holderlin qui donne à Heidegger à penser. Aussi le lien nal esthétisme de Heidegger, et, ne trouvant rien de tel chez le poète, et traditionnel qui lie Heidegger et Holderlin n’est-il en aucune manière un pour cause, on reproche à Heidegger d’avoir essayé malgré tout de l’y lien de dépendance ou de soumission. Ce que Heidegger a cherché dans introduire. Holderlin, en tant que penseur, c’est moins le poète du poète ou le poète qui porte le destin des Allemands, que Y épreuve de son intuition de l’être qui le possédait déjà. Nous verrons bientôt pourquoi cette intuition, dans 1. Holderlin, Sàmtliche Werke, édition historique et critique, 2e éd., Berlin, 1923. 2. Heidegger, Les Hymnes de Holderlin : La Germanie et Le Rhin, cours du semestre d’hiver 1934-1935 (publié en 1980), trad. fr. F. Fédier et J. Hervier, Paris, Gallimard, 1988, 1. Ibid., p. 143 et p. 163. p. 198. 3. D. Janicaud, Uo mbre de cette pensée. Heidegger et la question politique, Grenoble, Jérôme Mil­ 2. L’ouvrage à charge de Victor Farias, Heidegger et le nasqsme, Lagrasse, Verdier, 1987, est lon, p. 44. bien en peine de trouver chez Heidegger le moindre usage politique de Hôiderlin, serait-ce à 4. Th. Adomo, « Parataxe. Sur les derniers poèmes de Hôldedin » (1964), in F. Holderlin, partir de « l’essence allemande » (p. 282). H se réduit à deux pages très pauvres sur Holderlin Hymnes, Elégies et autresp oèmes, trad. A. Guerne, Introduction de Ph. Lacoue-Labarthe, Paris, GF- (p. 282-284), et à la seule allusion au rôle de « Führer spirituel » que le poète aurait joué vis-à-vis Flammarion, 1983, p. 133. du penseur (p. 255-256). \ 5. Th. Adomo, «Parataxe», op. cit., p. 141. 3. Heidegger, Séminaire de Zurich, op. cit., p. 54. Ce poème se trouve en effet dans le roman 6. D. Janicaud, L’ombre de cette pensée, op. cit, p. 134. de Wiihem Waiblinger, Phaeton. L’auteur l’attribue à Holderlin qui serait le modèle du poète fou 7. Th. Adomo, «Parataxe», op. cit., p. 142-143. de son roman.

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