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Gouverner par la dette PDF

232 Pages·2014·2.778 MB·French
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GOUVERNER PAR LA DETTE collection dirigée par Razmig Keucheyan © 2014, Maurizio Lazzarato Publié en accord avec l'Agence Pierre Astier & Associés 1, avenue de Ségur 75007 Paris Diffusion : Les Belles Lettres ISBN : 978-2-35096-089-0 Réalisation : Les Prairies ordinaires Révision du manuscrit : Louise Guilbaud Couverture : conception graphique originale : gr20Paris Impression : Pulsio Maurizio Lazzarato GOUVERNER PAR LA DETTE LES P R A I R I ES O R D I N A I R ES COLLECTION « ESSAIS » LEXIQUE INTRODUCTIF : « Les 500 plus fortunés de France se sont enrichis de AUSTÉRITÉ 25 % en un an. Leur richesse a quadruplé en une décennie et repré- sente 16 % du produit intérieur brut du pays. Elle compte aussi pour 10 % du patrimoine financier des Français, soit un dixième de la richesse entre les mains d'un cent-millième de la population » (Le Monde, 11/07/2013). Pendant que les médias, les experts, les politiques réitèrent des incantations vantant l'équilibre budgétaire, se déroule une deuxième expropriation de la richesse sociale, après celle prati- quée à partir des années 1980 par la finance. La spécificité de la crise de la dette est que ses causes sont élevées au rang de remède. Ce cercle vicieux est le symptôme, non de l'incompétence de nos élites oligarchiques, mais de leur cynisme de classe. Elles poursui- vent un but politique précis : détruire les résistances résiduelles (salaires, revenus, services) à la logique néolibérale. : les dettes publiques ont atteint un niveau record DETTE PUBLIQUE dans tous les pays qui pratiquent l'austérité, ce qui signifie que les rentes des créanciers ont elles aussi atteint des niveaux records. : l'arme principale du gouvernement de l'homme endetté est IMPÔT l'impôt. Il ne s'agit pas d'un instrument de redistribution qui vien- drait après la production. Comme la monnaie, l'impôt n'a pas une origine marchande, mais directement politique. Lorsque, comme dans les crises de la dette, la monnaie ne circule plus ni comme instrument de paiement, ni comme capital, lorsque le marché n'assure plus ses fonctions d'évaluation, de mesure, d'al- location de ressources, l'impôt intervient comme arme de gouver- nementalité politique. D assure la continuité et la reproduction du profit et de la rente bloqués par la crise, il exerce un contrôle économico-disciplinaire sur la population. L'impôt est la mesure de l'efficacité des politiques d'austérité sur l'homme endetté. 7 GOUVERNER PAR LA DETTE : l'Amérique est aujourd'hui au point mort, comme on CROISSANCE le dit d'une voiture. Le moteur tourne, mais elle n'avance pas. Il tourne uniquement parce que la Banque centrale achète chaque mois pour 85 milliards de titres du Trésor et d'obligations immobi- lières et qu'elle assure, depuis 2008, un coût zéro de l'argent. L'Amérique n'est pas en récession seulement parce qu'elle est sous perfusion monétaire. Elle est incapable de tirer le reste du monde hors de la crise qu'elle a elle-même provoquée. L'énorme quantité d'argent injecté chaque mois par la Fed ne fait qu'augmenter très faiblement le volume d'emploi, par ailleurs constitué en majorité par des services à très bas salaire et des emplois « part-time ». Elle reproduit les causes de la crise, non seulement parce qu'elle creuse les différences de revenus dans la population, mais aussi parce qu'elle continue à financer et à renforcer la finance. Si la politique monétaire échoue à faire repartir l'économie et l'emploi, tout en risquant d'alimenter une autre bulle finan- cière, elle favorise le boom économique d'un secteur et un seul, la finance. L'énorme quantité d'argent disponible pour financer l'économie passe d'abord par les banques qui s'enrichissent au passage. Malgré la croissance anémique des autres secteurs de l'économie, les marchés financiers ont atteint un niveau record. Tout le monde attend la croissance mais c'est tout autre chose qui se profile à l'horizon. Le primat de la rente, les inégalités abys- sales entre les salariés et leurs managers, les différences mons- trueuses de patrimoine entre les plus riches et les plus pauvres (en France, 900 à 1), les classes sociales figées dans leur reproduction, le blocage d'une mobilité sociale déjà faible (notamment aux USA où le rêve américain n'est plus qu'un rêve) font penser, plus qu'au capitalisme, à une variante de l'Ancien Régime. : lorsque nous parlons ici de crise, nous entendons la crise CRISE ouverte en 2007 par l'effondrement du marché immobilier améri- 8 LEXIQUE INTR0DUCT1F cain. En réalité, il s'agit d'une définition restrictive et limitée, puisque nous subissons la crise depuis 1973. La crise est perma- nente, elle change seulement d'intensité et de nom. La gouverne- mentalité libérale s'exerce en passant de la crise économique à la crise climatique, à la crise démographique, à la crise énergétique, à la crise alimentaire, etc. En changeant de nom, on change seule- ment de peur. La crise et la peur constituent l'horizon indépassable de la gouvernementalité capitaliste néolibérale. On ne sortira pas de la crise (tout au plus changera-t-on d'intensité) tout simplement parce la crise est la modalité de gouvernement du capitalisme contemporain. : « Le capitalisme n'a jamais été libéral, il a CAPITALISME D'ÉTAT toujours été capitalisme d'État. » La crise des dettes souveraines montre sans aucun doute possible la pertinence de cette affirma- tion de Deleuze et Guattari. Le libéralisme n'est qu'une des subjec- tivations possibles du capitalisme d'Etat. Souveraineté et gouver- nementalité fonctionnent toujours ensemble, de concert. Dans la crise, les néolibéraux n'essayent pas de gouverner le moins possible, mais, au contraire, de tout gouverner, jusqu'au détail le plus infime. Ils ne produisent pas de la « liberté », mais sa limitation continue. Ils n'articulent pas la liberté du marché et l'État de droit, mais la suspension de la déjà faible démocratie. La gestion libérale de la crise n'hésite pas à intégrer un « État maximum» parmi les dispositifs d'une gouvernementalité qui exprime sa souveraineté uniquement sur la population. : la crise rend évidentes les limites d'un des plus GOUVERNEMENTALTTÉ importants concepts de Foucault, la gouvernementalité, et nous pousse à le compléter. Gouverner selon Foucault ne signifie pas « soumettre, commander, diriger, ordonner, normaliser ». Ni force physique, ni série d'interdits, ni ensemble de normes des compor- 9 GOUVERNER PAR LA DETTE tements, la gouvernementalité incite, à travers une « série de régle- mentations souples, adaptatives », à aménager un milieu qui conduit l'individu à réagir d'une manière plutôt que d'une autre. La crise nous montre que les techniques de gouvernementalité imposent, interdi- sent, norment, dirigent, commandent, ordonnent et normalisent. La « privatisation » de la gouvernementalité nous oblige à prendre en considération les dispositifs « biopolitiques » non étati- ques. Depuis les années 1920, des techniques de gouvernance se développent à partir de la consommation. Elles se déploient avec le marketing, les sondages, la télévision, Internet, les réseaux sociaux, etc., qui informent la vie dans toutes ses dimensions. Ces dispositifs biopolitiques sont à la fois de valorisation, de produc- tion de subjectivité et de contrôle policier. : le capitalisme néolibéral a instauré une lutte de LUTTE DE CLASSE classe asymétrique, qu'il gouverne. Il n'y a qu'une classe, recom- posée autour de la finance, du pouvoir de la monnaie de crédit et de l'argent comme capital. La classe ouvrière n'est plus une classe. Le nombre d'ouvriers a considérablement augmenté depuis les années 1970 de par le monde, mais ils ne constituent plus une classe politique et n'en constitueront plus jamais une. Les ouvriers ont bien une existence sociologique, économique, ils forment le capital variable de cette nouvelle accumulation capitaliste. Mais la centralité de la relation créancier/débiteur les a marginalisés poli- tiquement de manière définitive. A partir de la finance et du crédit, le capital est continuellement à l'offensive. À partir de la relation capital/travail, ce qui reste du mouvement ouvrier est continuelle- ment sur la défensive et régulièrement défait. La nouvelle composition de classe qui a émergé tout au long de ces années, sans passer par l'usine, est composée d'une multipli- cité de situations d'emploi, de non-emploi, d'emploi intermittent, de pauvreté plus ou moins grande. Elle est dispersée, fragmentée, préca- 10

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