ebook img

Frédéric Dard ou la vie privée de San Antonio PDF

238 Pages·2016·1.15 MB·French
Save to my drive
Quick download
Download
Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.

Preview Frédéric Dard ou la vie privée de San Antonio

FRÉDÉRIC DARD ou la vie privée de San-Antonio FRANÇOIS RIVIÈRE Fleuve Noir Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5,2°et 3°a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit au ayants cause est illicite » (ait. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © 1999, Éditions Fleuve Noir. ISBN Pour Françoise Dard « La vérité n’a qu’un visage, la franchise qu’un accent, mais intense, lorsqu’elle étincelle dans ses yeux. » FRANCIS CARCO « Je suis le plus paisible des tourmentés, le plus suave des violents, le plus joyeux des ravagés… » Frédéric Dard exprimait ainsi sa nature, dans une lettre à l’un de ses enfants, voici trente ans. Le romancier français le plus populaire de la seconde moitié de ce siècle – et, souhaitons-le –, d’une bonne part du prochain – confirmait ainsi le mot de son grand admirateur Jean Cocteau, attribuant à San- Antonio « un masque admirable et humain ». On a souvent voulu faire de Frédéric Dard le rival ombrageux de son bouillant commissaire, passé comme par miracle du rang de personnage de roman à celui d’auteur tonitruant et fécond. On a même, avec un manque de tact absolu, voulu faire porter à San-Antonio le chapeau d’un coup de blues du romancier qui aurait pu leur être fatal à tous les deux, un triste soir de 1965… C’était faire peu de cas des ambitions véritables de celui qui, quinze ans plus tôt, mettait en jeu à la roulette russe des pseudonymes un talent des plus éclectiques afin d’échapper à une condition subalterne. Et qui, en inventant San-Antonio, ne dissimula jamais le rôle qu’il voulait lui faire jouer dans sa vie. Frédéric Dard, pourtant, n’aura jamais été dupe de sa création, ni de la créature de papier qui l’a rendu riche et célèbre. Sa réussite écrasante – 220 millions de livres vendus à ce jour – n’a pas entamé sa modestie d’écrivain, ni réduit à néant le sentiment qu’il garde au cœur d’avoir outragé l’adolescent lyonnais qui rêvait au Goncourt. Mais une fidélité souterraine à ses premières amours pour le roman populaire – encouragées par une grand-mère au rôle prépondérant – et le désir, plus fort que tout, de ne ressembler à personne, ont magnifié sa démarche et fait de lui, en tout bien, tout honneur, le « romancier forain » – titre autodécerné – le plus aimé de ses compatriotes. La longue marche de Frédéric Dard vers la reconnaissance d’un immense public ne s’est, contrairement à ce qu’on a pu dire, jamais accomplie au détriment de sa vraie nature. Celle-ci s’est seulement dévoilée peu à peu, au cours d’une existence qui ne lui fut pas toujours tendre mais dont il a su déjouer patiemment tous les pièges, souvent cruels. S’il lui est arrivé, certains jours, de douter de lui-même, il n’a jamais douté du pouvoir rédempteur de la fiction, s’acharnant à faire de celle-ci l’expression de sa vraie nature d’homme. On a voulu l’opposer, comme auteur de romans écrits au vitriol, à l’apparente futilité de la geste san-antonienne, sans voir que celle-ci ne faisait que reprendre, sur un mode différent, mais tout aussi attachant, la symphonie désespérément lucide de l’autre partie de son œuvre. La vérité d’un écrivain n’est jamais pure, et rarement simple. De ses contradictions intimes poussées au paroxysme, Frédéric Dard a fait surgir la voix unique, aux timbres diversifiés, de son chant. Aux accords de la nostalgie du monde perdu de son enfance émerveillée, puis malmenée, se sont mêlés d’autres organes, savoureux et rauques, ainsi que le savent bien les lecteurs attendris et complices des aventures de San-A, Bérurier et compagnie… D’une invention langagière sans véritable précédent, que d’encombrants éloges n’ont jamais réussi à faire trébucher, l’inébranlable auteur a su bâtir une œuvre unique, forêt profonde où s’ébattent les créatures goguenardes de son vertige devant la page blanche. Qu’on le veuille ou non, Frédéric Dard et San-Antonio ne sont qu’un seul et même individu. Depuis longtemps déjà, ils ne sortent plus l’un sans l’autre. 1 Pedigree La destinée peu édifiante de Séraphin Dard aurait pu fournir, à la fin du siècle dernier, la matière d’une fable romanesque conjuguant sans peine l’imagination pernicieuse d’Octave Mirbeau et la verve pittoresque de Courteline. Héritier d’une opulente et honorable dynastie de chocolatiers lyonnais dont il dilapidera les biens sans défaillance au gré de ses frasques, Séraphin le mal-nommé épouse par défi une Ardéchoise de dix-sept ans, Claudia Berland, bien décidé pourtant à ne pas s’assagir. Tout au contraire, ce libertin passe allègrement du lit conjugal à celui de sa belle-mère qui n’y trouve, semble-t-il, rien à redire… En 1895, naît à Lyon Francisque, le premier enfant du couple si peu assorti. Jean, leur second fils, voit le jour cinq ans plus tard, alors que Claudia, très éprouvée, songe à demander le divorce. Lorsqu’elle l’obtient, après bien des difficultés, il lui faut gagner sa vie. Elle exerce courageusement le métier d’infirmière à domicile et de sage- femme, ce qui l’oblige à se séparer durablement de ses enfants. Le cadet est confié à la garde de sa famille en Ardèche. Quant à Francisque, qui paraît au grand dam de sa mère avoir hérité la nature indomptable de Séraphin, elle s’efforce autant qu’elle le peut de veiller sur ses études. Elle n’aura qu’épisodiquement recours à l’aimable complicité de ses voisins lyonnais, les Pétil. Séraphin Dard, pour sa part, ayant fui le théâtre de ses turpitudes familiales et devenu totalement miséreux, sévit dans la région parisienne où il se dissipe encore davantage. Un temps, il vend des cartes postales sur les grands boulevards de la capitale. Mais son éthylisme invétéré fait bientôt de lui une loque, et il finit tristement ses jours dans une salle commune de l’hôpital de Pantin, où il meurt, âgé de quarante ans à peine. En 1913, Francisque achève à Lyon son apprentissage en dinanderie. Il a du goût pour cet artisanat du cuivre, mais n’y consacre qu’une part de sa juvénile énergie. Ce chaud lapin écume en effet les bals de la région. À Saint-Chef-en- Dauphiné, un pittoresque village situé dans les collines, il fait la connaissance de Joséphine-Anna Cadet. La blonde et plantureuse adolescente est la fille d’un cultivateur de la région, honorablement connu. Ils s’éprennent l’un de l’autre et promettent de se revoir. Survient la guerre. Gagné par la fièvre patriote qui embrase le pays à l’idée largement répandue d’un conflit rapide comme l’éclair, Francisque s’engage. C’est ce que fait aussi le frère de Joséphine, qui part pour le front revêtu du bel uniforme des cuirassiers. Le sang chaud du jeune Dard fait de lui un combattant héroïque, et en 1917 un valeureux brancardier dans l’enfer de Verdun. Il rentre chez sa mère couvert de médailles. La vie reprend son cours et Francisque doit trouver du travail. Après bien des recherches et des allées et venues, c’est à Jallieu, dans l’Isère, qu’il est enfin embauché aux usines métallurgiques De Dietrich. Le hasard a bien fait les choses puisque c’est aussi dans cette petite ville située à mi-chemin de Lyon et de Grenoble que Benoît Cadet, le père de Joséphine, est à présent établi. Il y a ouvert un café-boulangerie qu’il tient en compagnie de son épouse et de leurs trois filles. La mort de l’unique héritier mâle dans les tranchées boueuses a certainement hâté sa décision de fuir la campagne. Le portrait du malheureux garçon coiffé du beau casque à plumes des cuirassiers est accroché en bonne place dans la salle où Joséphine et ses sœurs s’activent auprès de la clientèle. Francisque a pris pension chez les Cadet et aussitôt renoué avec Joséphine, devenue à présent une accorte jeune femme. Sous le regard bienveillant du boulanger, elle s’offre à son courtisan gouailleur et décidé, avec une générosité qui est et restera la marque de son caractère. L’ouvrier métallo est fier de sa nouvelle condition. C’est un bon vivant qui adore rire et chanter les rengaines à la mode. Il incarne aux yeux de Benoît Cadet le gendre idéal et la main de Joséphine lui est accordée sans réticences. Le 20 janvier 1921, Joséphine et Francisque sont unis devant Dieu. À quelque temps de là, Claudia Dard quitte Lyon pour venir rejoindre son fils et sa bru. L’idée de refaire sa vie ne lui est alors pas indifférente. La solitude et son métier lui pèsent. Son légitime désir est exaucé par la rencontre d’un homme dont la position sociale a tout pour la séduire. Frédéric Berlet est en effet le receveur des Postes de Jallieu. Il a soixante ans et la maladie qui le ronge – un cancer – n’est peut-être pas pour rien dans l’indicible attrait qu’il exerce sur l’infirmière. Ils se marient sans tarder. Claudia et Frédéric Berlet occupent dès lors l’appartement du receveur, situé au premier étage de la poste, dans la rue principale de la ville. C’est là que viendra au monde le premier enfant de Joséphine et de Francisque. Le jour où la jeune Mme Dard arrive au terme de sa grossesse, Jallieu et la localité voisine de Bourgoin – qui lui sera plus tard rattachée – subissent les rigueurs d’une implacable canicule. En ce 29 juin 1921, plusieurs incendies se sont déclarés qui transforment les rues d’ordinaire paisibles en un véritable pandémonium. En sage-femme accomplie, Claudia assiste sa belle-fille, dont l’accouchement s’annonce mal. Les gémissements de Joséphine se perdent dans le fracas environnant des voitures de pompiers. Le bébé se présente par le siège et Francisque, sur l’ordre de sa mère, part chercher un médecin. Un peu plus tard, Joséphine croit sa dernière heure venue, tandis que son mari, lui tenant la main, s’écrie lugubrement : « Sauvez la mère ! Sauvez la mère ! » Le nouveau-né, un garçon, est enfin délivré sans que l’accouchée ait eu à en pâtir. Mais force est alors de constater qu’il a une jambe et un bras déformés. Le membre inférieur recouvre rapidement sa mobilité ; quant au bras gauche, il demeure inerte et semble gravement atteint. En acceptant que son petit-fils voie le jour à son domicile, M. Berlet a émis un souhait que cet homme digne et cérémonieux considère comme un ordre : l’enfant devra porter son prénom. La mort dans l’âme, Francisque obtempère donc et inscrit son fils, dans les registres de l’état civil de Jallieu, sous le nom de Frédéric-Charles-Antoine Dard. Il pardonne à son beau-père qu’il respecte et dont il sait, comme tout le monde, qu’il n’a plus longtemps à vivre. Le gamin blond au regard bleu, en apparence indifférent aux circonstances difficiles de sa venue au monde, éprouve peut-être dans sa sensibilité le tracas que son infirmité inspire à son entourage. Sa grand-mère se désole de ce petit bras inerte, et elle n’aura de cesse de tenter de remédier par tous les moyens à cette triste réalité. Les premiers souvenirs de Frédéric auront pour objet les différents traitements auxquels Claudia le soumet alors. Le plus souvent, elle l’allonge sur la couverture à repasser disposée sur la table de la cuisine et lui masse longuement le bras avec de l’huile ou du talc. L’enfant contemple ainsi le monde à l’envers. Frédéric, plus tard, suggérera non sans malice que cette posture répétée n’a pas été sans conséquences sur sa vie future. Le jeune ménage occupe un modeste logement de l’autre côté de la grand-rue de Jallieu. Requis l’un et l’autre par leurs occupations quotidiennes, également éprouvantes, ils confient tout naturellement à Claudia la garde et le soin de leur rejeton. Rien que de très ordinaire pour des gens de leur époque et de leur condition. Mais l’un et l’autre ignorent que, dans l’appartement du receveur des Postes, une singulière histoire d’amour est en train de se nouer entre une grand- mère et son petit-fils.

See more

The list of books you might like

Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.