Effets de l’homogénéisation à haute pression sur les propriétés du lait et son aptitude à la coagulation enzymatique G. Humbert, A. Driou, J. Guerin, C. Alais To cite this version: G. Humbert, A. Driou, J. Guerin, C. Alais. Effets de l’homogénéisation à haute pression sur les propriétés du lait et son aptitude à la coagulation enzymatique. Le Lait, 1980, 60 (599_600), pp.574- 594. hal-00928871 HAL Id: hal-00928871 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00928871 Submitted on 1 Jan 1980 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Le Lait (1980),LX, 574-594 Effets de l'homogénéisation à haute pression sur les propriétés du lait et son aptitude à la coagulation enzymatique par G. HUMBERT*, A. DRIüU*, J. GUERIN** et C. ALAIS* 1. INTRODUCTION Le premier appareil d'homogénéisation est apparu il y aura bientôt 80 ans : Gaulin [5]. La raison principale de son emploi a été, et reste encore la stabilisation de l'émulsion de matière grasse du lait, surtout dans le cas du lait stérilisé; l'effet de laminage sous pression réduit et uniformise la taille des globules gras et diminue la force ascensionnelle. D'autres ,produits Iaitiers subissent aujour- d'hui ce traitement, notamment les mélanges pour crèmes glacées et descaiUés lactiques à haute humidité, sans panler d'utilisations industrielles diverses comme l'affinage des émulsions de cire ou le traitement des fuels pour améliorer les combustions. Les effets de l'homogénéisation ne se limitent pas aux globules gras ; les protéines sont aussi affectées et peut-être l'équilibre salin. Les modifications ont été passées en revue par différents auteurs et en particuûier Jenness et Patton [8], Brunner [3], Mulder et Walstra [16]. Parmi les modifications diverses, nous retiendrons les suivantes: - propriétés organoleptiques : augmentation de l'opacité (lait plus blanc) et de ilaviscosité; plus grande susceptibilité aux défauts de saveur au cours de la conservation du fait d'une sensibilité photo- chimique accrue et d'une accentuation de da lipolyse ; - changements limités dans la répartition de l'azote: augmen- tation de l'azote non caséinique, surtout de la fraction « protéoses- peptones» ; * Laboratoire deBiochimie Appliquée, Université deNancy I -54037Nancy. ** Centre de Recherches des Fromageries F.Paul-Renard -89800Chablis. MÉMOIRES ORIGINAUX 575 - modification de l'état micellaire, avec formation de petits agrégats de micelles plus ou moins déformées, et établissement de complexes entre les protéines et les globules gras. La plus faible fermeté des caillés-présures et la plus grande rétention d'eau seraient la conséquence de telles modifications; - dénaturation d'agglutinines et complexation avec la caséine K. Il a été avancé qu'un phénomène de cavitation interviendrait au cours de l'homogénéisation à haute pression [9, 10]. Il est donc intéressant de faire un rapprochement avec les effets des ultrasons, récemment étudiés par Raharintsoa et al. [19]. Le but de notre travaîl est de préciser [es effets de l'homogénéi- sation de 200à 600bars sur les fractions azotées, Ies formes solubles du calcium et du Iphosphore, l'aptitude à la coagulation par les enzymes utilisées en fromagerie et sur les propriétés rhéologiques des caillés. En outre, des essais de fromagerie expérimentale seront rapportés. Il. MATERIELS ET METHODES 11.1.Appareil d'homogénéisation Nous avons utilisé un appareil de laboratoire modèle 15M8TAde Manton-Gaulin. Une pompe monopiston alternative refoule Je produit liquide à travers un clapet d'homogénéisation sous une pression pouvant atteindre 700bars. La forme du clapet (fig. 1) constitue une nouveauté « Micro- Gap » [13] ; il développe de manière optimum les effets de cavitation mis en évidence par Kurzhals [9, 10]. Ce clapet fait l'objet d'un • • • • fig. 1 Schéma du clapet « Micro-Gap à bord tranchant » (t = trajet, h = hauteur, ~ écoulement du produit). 576 LE LAIT / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1980 / N° 599-600 dépôt de brevet (Gaulin Corporation, U.S.A.). Il a été appliqué industriellement dans les domaines qui font appel aux ultrasons, comme le broyage mécanique de cellules vivantes pour l'extraction de certaines enzymes ou la dépolymérisation contrôlée de certaines résines. 11.2.Paramètres d'homogénéisation Tous les essais ont été faits avec le clapet dit « à bord tranchant » qui donne un effet maximal de cavitation. Nous avons choisi des pressions d'homogénéisation totales de 200, 400 et 600 bars avec des contre-pressions de 20p. 100 Ide ces valeurs. L'appareil a un débit fixe (57 I/h) c'est pourquoi le paramètre durée d'homogénéisation sera arbitrairement défini par un nombre de passages dans l'appareil, donc par un recyclage discontinu. La température peut jouer un rôle, conjointement à la cavitation, dans Ies modifications biochimiques des constituants ou des équi- libres du lait. L'homogénéisation de la phase grasse se pratique usuellement vers 70 à 80°C ; pour notre étude, nous avons choisi une température inférieure : 50°C afin d'éviter des actions thermi- ques sur les protéines. Le produit entrant dans l'appareil sera pré- chauffé à une température convenable selon la pression d'homogénéi- sation car une élévation de pression de 40 bars provoque une augmentation de température de 1°C environ. 11.3.Produits à homogénéiser Nous avons utjlisé soit des laits entiers individuels prélevés au moment de la traite du troupeau, soit des laits entiers de grand mélange refroidis à Ia ferme et dès l'arrivée à l'usine. Nous avons également fait une expérience avec un lait écrémé au laboratoire par centrifugation à 5000 g, 30 min. 11.4.Méthodes analytiques L'azote est dosé par micro analyse Kjeldahl. Le dosage de la fraction non caséinique (NCN) selon Rowland [20] se fait sur le filtrat là pH 4,6. La fraction non protéique (NPN) est déterminée sur le filtrat à 12p. 100 d'acide trichloracétique. La fraction NSN repré- sente l'azote non sédimentable par ultracentrifugation à 64000 g pendant 45 min. Le calcium est dosé par spectrophotométrie d'absorption atomi- que (appareil Varian Techtron AA5) en présence de chlorure de lanthane selon Linden [15]. Le phosphore est dosé par ûa méthode colorimétrique de Bamman et al. [2]. MÉMOIRES ORIGINAUX 577 L'examen électrophorétique est réalisé selon Wake et Baldwin + [26] en gel d'amidon à pH 8,6 et milieu dissociant (urée 7 M mercaptoéthanol 0,03 M) à 180 volts pendant 16 h. 11.5.Coagulabilité et mesures rhéologiques La détermination du temps de floculation (te) est effectuée selon la méthode la plus simple de Sommer et Matsen [22] à 35° C sur 10 ml de lait « emprésuré » par 0,5 ml de solution enzymatique. On a utilisé la chymosine sous forme de présure en poudre (Hansen) et l'enzyme coagulante de Mucor miehei (Rennilase de Novo). Les paramètres thrornbélastographiques selon Tarodo de la Fuente et al. [25] sont déterminés au moyen du Thrombocord (Lara), à 35° C avec les mêmes enzymes. Nous mesurons la fermeté d'un caillé obtenu à 35° C, après 30 min d'ernprésurage, à l'aide du Pénétromètre automatique Veb- Feinmess AP 4/2 muni d'un corps pénétrant en matière plastique de 40 mm de diamètre et pesant 18 g, selon Schalinatus et Behnke [21]. Il.6. Synérèse et égouttage Le pH des laits crus et des laits homogénéisés est fixé à 6,5. La coagulation à 35° C est réalisée par une solution de présure animale à 0,3p. 100 dans du tampon phosphate 0,05 M, pH 6,5. Le temps de coagulation est déterminé comme ci-dessus. En nous inspirant des travaux de deux auteurs, et après divers tâtonnements, nous avons mis au point au laboratoire deux systèmes de dimensions très réduites permettant des mesures en séries. Pour cela, nous avons utilisé des tubes en chlorure de polyvinyle (P.Y.C.). a) Méthode « in whey » inspirée de Cheeseman [4] 10 ml de lait préchauffé, emprésuré à 35° C (2,5 ml de solution enzymatique pour 50 ml de Iait). sont transférés dans un tube en P.V.C. (160 X 13 mm) lui-même préchauffé à 35° C. Au temps to, correspondant à la coagulation, le tube bouché est transféré dans un bain-marie à 55° C pour accélérer la synérèse, Après différents intervalles de temps, le tube est prélevé et le caillé déposé sur une toile de nylon, puis le volume de sérum égoutté pendant 1 min est mesuré; chaque volume donné à un temps tx correspond àIamoyenne obtenue à partir de trois tubes (trois fois 10 ml de lait emprésuré). b) Méthode « out of whey » inspirée de Lawrence [11, 12] 10 ml de lait préchauffé et emprésuré à 35° C comme ci-dessus sont transférés dans un moule en P.Y,C. (30 X 23mm) préchauffé à 35° C. Après un séjour à 35° C d'une durée égale au temps de coagu- lation plus 20 min, le cai:lléest tranché (deux coupes verticales perpen- diculaires), le moulle est retourné sur une toile de nylon et le tout rapidement transféré dans une enceinte à 30° C. Nous mesurons 578 LE LAIT / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1980 / N° 599-600 ensuite le volume de sérum égoutté, en fonction du temps de séjour à 30°C. Chaque résultat à un Tx donné sera la moyenne de cinq essais. N.B. : Nous avons utilisé les expressions « in whey }) (dans le sérum) et « out of whey » (hors du sérum) qui font partie du langage technique international. III. RESULTATS ET DISCUSSION 111.1.Elévation de température et diminution dupH Le traitement d'homogénéisation provoque une augmentation de la température du produit de 2 à 30 C à 200 bars, 7 à 80C à 400 bars et 10 à 120 C à 600 bars. Parallèlement, nous observons une baisse générale du pH, de l'ordre de 0,10 à 0,25 unité, de tous les 'laits traités quelle que soit la pression d'homogénéisation. Nous n'avons pas vu mentionné ce phénomène dans la littérature. 111.2.Etude des protéines 3.2.1. RÉPARTITION DES FRACTIONS AZOTÉES (tab. 1) 3.2.1.1. Influence de la pression d'homogénéisation L'homogénéisation des laits entiers n'a pas modifié de façon régulière et importante la teneur en protéines solubles à pH 4,6. Nous observons une faible augmentation dans un cas (lait A), de 0,8 à 1,4p. 100 entre les pressions de 200 et 600 bars; ceci concorde avec l'observation rapportée par Alais [1] d'une diminution de l'azote caséinique à la suite du traitement. Dans l'expérience suivante (B) on observe une variation également faible mais de sens contraire. En ce qui concerne l'azote non protéique, Ilesvariations sont très limitées, les écarts maximums enregistrés après homogénéisation ne dépassent pas en général 0,25p. 100 de Nt quelle que soit la pres- sion exercée ; les valeurs dans les laits témoins sont voisines de 5,5p. 100de Nt (Nt = azote total). Les variations de l'azote non sédimentable par ultracentrifugation sont beaucoup plus marquées; H s'agit dans tous les cas d'une chute qui peut atteindre 15p. 100 de Nt par rapport au lait témoin .; cependant cette diminution des protéines du surnageant n'est pas du même ordredans les différents essais et elle n'est pas en relation avec la pression utilisée; dans deux cas, elle est plus faible à 600bars qu'à 200 bars. Une des explications possibles et partielles de cette baisse est que dans Ilecas du lait homogénéisé il reste plus de matière grasse MÉMOIRES ORIGINAUX 579 TABLEAU 1 Répartition des fractions azotées. Variations par rapport au lait témoin Pression Laits NCN (1) NPN (2) NSN (3) (bars) J. Laits entiers de mélange Témoin ° (23,0) (5,5) (33,0) Série A 200 +0,80 +0,21 -14,5 400 + 1,80 +0,21 -14,2 600 + 1,40 -0,21 - 8,7 Série B 200 -1,30 -0,06 - 0,8 400 -0,20 +0,26 - 1,8 600 -0,65 +0,26 - 1,0 Série C 200 +0,35 +0,07 - 4,7 400 -0,75 +0,07 - 4,9 600 +0,20 +0,20 - 2,2 II. Lait entier individuel Série D 1passage 200 +0,8 +0,1 - 6,7 3passages 200 + 1,4 +2,0 - 5,9 IlJ. Lait écrémé individuel Témoin ° (24,0) (6,1) (33,0) Série E 600 + 13,3 -0,2 - 8,4 1 (1) Azote soluble à pH 4,6 pour 100 de l'azote total. (2) Azote soluble dans TCA-12p. 100, pour 100 de l'azote total. (3) Azote dans surnageant d'ultracentrifugation 64000 X g - 45 min pour 100 de l'azote total. en suspension dans le surnageant que dans le cas du lait témoin où la crème se trouve bien séparée en surface; ceci doit donc fausser un peu la prise d'essai analytique. Mais il y a probablement une autre cause à cet accroissement de la sédimentation des protéines ; nous ne pouvons actuellement pas l'expliquer. Les culots obtenus par ultracentrifugation ont l'aspect habituel des micelles de caséine dans ilecas des laits témoins; par contre, ils 580 LE LAIT / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1980 / N° 599-600 sont différents pour les laits homogénéisés particulièrement à 200 et 400bars : ils sont peu brillants, moins fermes et plus humides. 3.2.1.2. Influence de la durée de traitement (recyclage discontinu) Un lait entier a été homogénéisé à 200bars trois fois de suite afin de montrer l'influence de la durée du traitement. Les variations de NCNet de NPN semblent s'amplifier avec le nombre de passages dans l'appareil ; par contre, l'azote non sédimentable NSN n'est pas affecté par la durée d'homogénéisation. Mulder et Walstra [16] rapportent que les effets d'homogénéisations répétées s'ajoutent mais avec un certain amortissement, c'est-à-dire que I'effet de chaque passage est inférieur au précédent. 3.2.1.3. Cas d'un lait écrémé Nous n'avons fait qu'une expérience exploratoire, étant donné que l'homogénéisation ne s'applique pas habituellement au lait écrémé. L'azote non caséinique NCN subit à 600bars une forte augmen- tation tandis que l'azote non protéique NPN ne varie que peu. La diminution de l'azote non sédimentable NSN (- 8p. 100 environ de l'azote total) est comparable à celle observée dans le cas d'un lait entier traité à la même pression. Iwaida et Tsugo [6] ont déjà observé cette diminution dans de cas du lait écrémé. L'accroissement de la sédimentation des protéines après le pas- sage dans l'homogénéisateur (diminution de plus de 13p. 100 du NCN) est surprenante. D'autres expériences devraient être faites pour la confirmer. 3.2.2. ETUDE ÉLECTROPHORÉTIQUE DES PROTÉINES L'image électrophorétique en gel d'amidon ne diffère pas entre le lait témoin et le lait homogénéisé quelle que soit la pression, en ce qui concerne les protéines totales, les protéines sédimentées par ultracentrifugation et les protéines solubles à pH 4,6. La figure 2 représente le cas d'un lait traité à 600 bars. 111.3.Formes solubles ducalcium et duphosphore Les formes solubles du calcium et du phosphore ont été déter- minées dans le surnageant d'ultracentrifugation (64000g 45min). Les résultats ne sont pas homogènes; le traitement provoque dans l'en- semble des essais une diminution du calcium soluble et une augmen- tation du phosphore soluble (tab. 2). Dans les essais A, B, C, la variation du phosphore soluble est parallèle à l'augmentation de + pression; elle atteint à 600 bars 15p. 100 environ du phosphore total ; on voit cependant une baisse du phosphore soluble dans le cas d'un lait individuel (D.). La variation du calcium sous forme soluble est le plus souvent moins marquée et paraît moins dépendante MÉMOIRES ORIGINAUX 581 ---------- 1 Ch Ct Sh St Lh Lt fig. 2 Electrophorégramme en gel d'amidon des protéines des laits témoins et homogénéisés (urée 7M,2-mercaptoéthanol 0,03M; pH 8,6; 180volts pendant 16hl. L: lait entier. S: sérum àpH4,6. C: culot d'ultracentrifugation (64000g-45min). lait témoin. h: lait homogénéisé. de la pression ; on remarque qu'il n'y a aucune valeur positive ; la proportion de calcium soluble, ou bien ne change pas, ou bien diminue; c'est un effet inverse à celui des ultrasons cavitants 09]. 111.4.Coagulabilité par les enzymes Cette étude a été faite sur des laits individuels et sur des laits de grand mélange (tab, 3). Dans tous les cas, le passage dans l'homo- généisateur provoque une réduction du temps de coagulation par les deux enzymes utilisées. 582 LE LAIT / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1980/ N° 599-600 TABLEAU 2 Répartition des formes solubles du calcium et du phosphore. Variations par rapport au lait témoin Laits Pression (bars) Calcium Phosphore Laits entiers Témoin (mélange) 0 (46) (47) Série A (mélange) 1 200 - 6 + 7 400 -17 - 600 - 9 + 12 Série B (mélange) 200 0 + 2 400 - 1 + 2 600 0 + 15 Série C (mélange) 200 - 5 +11 400 - 5 +13 600 0 + 17 Série D (individuel) 1passage 200 - 5 - 5 3 passages 200 - 4 -18 Lait écrémé Témoin 0 (31) (50) Série E (individuel) 600 - 1 -12 1 (...) p. 100du calcium ou du phosphore total. Nous avons observé comme Webb [27] ou Peters [17] une dimi- nution du temps de coagulation des laits entiers individuels par la chymosine et par la Rennilase ; lIadiminution est plus forte pour cette dernière. Le facteur de raccourcissement du temps de coagula- tion est d'autant plus faible que Ia pression augmente. Cette dépen- dance est beaucoup plus marquée pour la chymosine que pour l'enzyme fongique. La durée de traitement par recyclage discontinu à 200 bars d'un autre lait entier individuel amplifie la diminution du temps de floculation par l'enzyme fongique, mais n'influe pas significativement
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