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Dictionnaire Historique de la Langue Francaise in 1 Volume (French Edition) PDF

2614 Pages·2010·20.06 MB·French
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Sous la direction de Alain Rey DICTIONNAIRE HISTORIQUE de la langue française   contenant les MOTS français EN USAGE et quelques autres DÉLAISSÉS, avec leur ORIGINE proche et lointaine; leur APPARITION datée dans l’usage, depuis l’an 842 jusqu’à nos jours; leur HISTOIRE convenablement détaillée, comprenant les SIGNIFICATIONS variées, les EMPLOIS successifs, les EXPRESSIONS et LOCUTIONS les plus notables, ainsi que des considérations sur les IDÉES et les CHOSES désignées; les ÉVOLUTIONS et les RÉVOLUTIONS des formes et des contenus; les ÉCHANGES et PARENTÉS entre langues, européennes surtout; et en outre des ARTICLES ENCYCLOPÉDIQUES concernant les idiomes liés au français et le français lui-même, ainsi que les notions de linguistique utiles à la compréhension de l’ouvrage, un GLOSSAIRE de même intention, une CHRONOLOGIE des principaux textes en français et enfin quelques FIGURES illustrant le voyage et les errances des signes et des idées. Le tout recueilli et disposé pour l’utilité et l’agrément du lecteur par Alain REY, Marianne TOMI, Tristan HORDÉ, Chantal TANET, nouvelle édition augmentée par Alain REY Principaux collaborateurs Direction Alain Rey Rédaction du texte du dictionnaire Marianne TOMI Chantal TANET Tristan HORDÉ Alain REY Révision étymologique (grec et latin) Corinne COULET avec l’aide, pour les langues sémitiques, du professeur André CAQUOT Articles encyclopédiques M.-J. BROCHARD, C. COULET, M. HADAS-LEBEL, T. HORDÉ, M. NOURI, G. PINAULT, A. REY, W. SCHWEICKARD, Ch. TANET, A. THIBAULT REMERCIEMENTS pour son aide à la conception éditoriale, à Danièle Morvan pour ses conseils étymologiques, à Marie-José Brochard pour ses conseils étymologiques, à Marie-José Brochard   Direction du prépresse et informatique éditoriale Karol Goskrzynski assisté de Claude Sellin avec Monique Hébrard, Sébastien Pettoello et Arnaud Marty Lecture-correction Elizabeth Huault Patricia Abbou, Anne-Marie Lentaigne, Sylvie Porté, Méryem Puill-Châtillon, Muriel Zarka-Richard Maquette et conception technique Gonzague Raynaud Maud Dubourg, Pascal Mégret Programmation de la mise en pages Lionel Garrido Version numérique (ePub) Laurent Catach Jean-Philippe Moreux Sébastien Pettoello       ISBN 978-2-84902-646-5 Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Nouvelle édition juillet 2010. © 2010, Les Dictionnaires Le Robert-SEJER 25, avenue Pierre-de-Coubertin, 75013 PARIS. © 2000, pour la troisième édition. © 1995, pour la deuxième édition. © 1993, pour la première édition.   Édition numérique réalisée en partenariat avec le Centre national du livre. EAN 978-232-100013-6 © 2011, Les Dictionnaires Le Robert-SEJER 25, avenue Pierre-de-Coubertin, 75013 PARIS. Avant-propos, par Alain Rey À l’image de la nature, les langues humaines, dans leur lexique, procèdent comme les arbres ou les bulbes, par couches concentriques. Ainsi, de leur cœur vers leur surface, des signes de plus en plus nombreux se manifestent, surtout lorsque l’idiome, en l’espèce le français, s’étend dans le monde et doit répondre à des besoins nouveaux, universels. Les langues croissent à mesure que le monde change, et l’histoire, celle des manières de dire comme celle des sociétés, doit inclure le présent. C’est pourquoi une version nouvelle de ce dictionnaire a paru nécessaire. Elle respecte entièrement les principes exposés dans la Préface, où je n’ai rien voulu changer, car elle reflète le projet lui-même. Depuis 1992, date de la première édition, et malgré plusieurs mises à jour, des domaines entiers du savoir et des pratiques se sont exprimés en mots. En même temps, le langage quotidien a évolué ; trop vite, pensent certains. Mon effort, pour suivre et conter la croissance de l’arbre, du cœur à l’écorce, a surtout porté sur trois domaines. Grâce à de nombreux travaux mentionnés dans la bibliographie, les modulations mondiales du français apparaissent mieux, au fil des mots. Leur sélection n’est pas arbitraire : il s’agissait de faire ressentir l’unité profonde de cette langue, à mesure qu’on en manifestait la variété. Il fallait aussi expliciter ce qui pouvait être matière à confusion entre francophones d’Europe, d’Amérique, d’Afrique, de l’océan Indien, du Pacifique (*). Un autre chantier a concerné les vocabulaires technoscientifiques, afin de montrer plus clairement, là aussi, l’évolution des savoirs à partir de mots ou de racines clés. Des éléments, comme bio- ou psycho-, regroupent des termes dont l’apparition progressive balise et manifeste la formation de sciences et de techniques entières. Enfin, certains usages spontanés, qu’ils soient régionaux (à l’intérieur du domaine français), populaires ou argotiques, ont été retenus, en tenant compte non seulement des façons de dire apparues récemment mais aussi de celles qui, ayant disparu, ont laissé des traces littéraires ou culturelles – je songe aux vocabulaires d’ancien argot, de Vidocq à Bruant, de Carco ou Barbusse à Simonin. Ce ne sont pas là des « marges » du lexique, comme on pourrait le croire, mais des témoins du patrimoine linguistique dans les domaines « non conventionnels ». Ces ajouts concernent souvent les dernières couches concentriques apparues dans la croissance mondiale de cet arbre puissant, alors même que ses branches et ses feuilles luttent contre les maladies, cet arbre qu’on appelle la langue française. Un mot encore, afin de dire mes raisons pour avoir assumé seul cette réédition : un désir d’homogénéité dans des choix difficiles. L’extrême qualité du travail antérieur, pour lequel je ne saurais remercier assez tous les contributeurs de la première édition, j’espère l’avoir maintenue. Toutes les critiques pour des erreurs, des oublis ou des choix discutables dans cette nouvelle édition ne pourront viser que mes propres insuffisances. Alain Rey, juillet 2010 Note pratique (*) J’ai découpé, trop grossièrement et à des fins pratiques, les usages francophones. Français d’Europe inclut les usages de France, ceux de Belgique et de Suisse et de la Vallée d’Aoste. Régional s’applique à ceux qui ne sont actifs que dans une partie de la France. Français du Maghreb englobe les usages du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, à côté d’une forme d’arabe et/ou de berbère. Français d’Afrique, non spécifié, concerne tous les pays d’Afrique subsaharienne où l’on parle français, à côté des nombreuses langues africaines (exceptionnellement, le pays est spécifié). Français du Canada inclut les usages anciens de Nouvelle-France, du Bas-Canada, et aujourd’hui du Québec, d’Acadie (Nouveau-Brunswick), éventuellement du français de certaines autres « provinces » canadiennes (Ontario, Manitoba...). Français du Québec, ou québécois, peut inclure l’usage acadien, français acadien spécifiant ce qui n’est pas (ou moins) en usage au Québec. Ces distinctions, trop grossières, devront être précisées. Français des Antilles (Guadeloupe, Martinique, les Saintes...) et français de Guyane forment un ensemble caraïbe assez cohérent, caractérisé par le bilinguisme avec un créole, comme le français d’Haïti. Le français de Madagascar est une langue seconde à côté du malgache, proche des usages de l’océan Indien (Réunion, Seychelles, dominé par l’anglais, île Maurice, en milieu plurilingue). Le français de l’océan Pacifique (Polynésie française ; Vanuatu ; Nouvelle-Calédonie) est lui aussi employé parmi plusieurs langues autochtones. Restent à mentionner les usages francophones du Proche-Orient, surtout du Liban, et aussi de Djibouti, et ceux d’Extrême- Orient, quand ils subsistent (Viêtnam, Laos...). Dans de nombreux cas, pour lever une ambiguïté, on a mentionné que tel usage appartenait au français d’Europe, ou de France. Mais l’absence de toute spécification géographique correspond à « en français de France », mention souvent redondante en ce qui concerne l’ancien et le moyen français (où ce sont les dialectes qui représentent la variété, à côté du français d’Angleterre et de celui du Levant), mais qui pourrait être utile ensuite. D’une manière générale, ces marques sont approximatives ; mieux vaut être imprécis qu’erroné. Le point de vue de référence, dans le cadre de mille ans d’histoire, reste le français normalisé de France. Penser un dictionnaire polycentrique sera la tâche de l’avenir. Préface, par Alain Rey Et les mots y laissent voir dans une profondeur assez claire toute la population de leur histoire. Paul Valéry, Tabulae meae tentationum (Les Cahiers, t. II, p. 47).   Entreprendre de présenter en un ouvrage maniable l'histoire des mots d'une langue parlée depuis un millénaire est à coup sûr un acte de folie. Mais c'est un acte nécessaire, rendu d'ailleurs un peu plus raisonnable par de précédents délires, ceux de ces admirables chroniqueurs de la culture que furent les poètes-chanteurs du moyen âge, ceux des savants exaltés de la Renaissance, des bénédictins patients de toutes époques, ceux des promoteurs du savoir philologique, jusqu'aux étymologistes et aux historiens d'aujourd'hui. Une tradition de recherche Ce livre n'échappe à une prétention qui serait en effet démente que par la modestie d'un hommage collectif rendu aux rassembleurs et aux conservateurs d'un inépuisable musée, patrimoine et trésor des mots. Les auteurs de ce dictionnaire tiennent tout d'abord à affirmer que sans plusieurs siècles de « recherches » (Pasquier) sur les origines du français, sans les grands travaux étymologiques (de Ménage, puis de Friedrich Diez, de Wartburg et de leurscontinuateurs), sans les dictionnaires de la langue française à contenu historique (tels le Littré, le Dictionnaire général, le Grand Larousse de la langue française, le Grand Robert, le Trésor de la langue française), sans d'admirables synthèses portant sur le latin (Ernout et Meillet), sur le grec (Chantraine), sur les langues romanes (Meyer-Lübke), sans l'irremplaçable Histoire de la langue française de Ferdinand Brunot, sans les travaux de maints chercheurs, ce livre, tout simplement, n'aurait pu voir le jour. Mais l'abondance des références suffit à poser le problème de la communication et du libre accès à cet immense savoir. À la fin du XXe siècle, ce lexique si bien exploré dans ses sources et dans son développement ne faisait pas l'objet de synthèses accessibles – c'est-à-dire de taille, de prix, de lisibilité convenables – autres que de petits dictionnaires étymologiques, qui, favorisant l'histoire des formes, sont contraints à un traitement élémentaire de l'évolution des sens, des valeurs, des rôles désignatifs. Or, ce baptême du monde par les mots est ici un objet majeur. Il était paradoxal qu'une langue aussi bien mémorisée par des centaines de milliers de textes, par des milliers d'œuvres majeures, aussi bien étudiée et décrite parmi les grands idiomes de civilisation, qu'une langue aussi poétiquement célébrée ne dispose pas d'une description simple, mais assez compréhensive, faisant état des résultats les plus récents de toutes ces recherches. À côté des dictionnaires décrivant l'usage d'aujourd'hui – même s'ils tiennent compte de la dimension du passé –, le français manquait d'une description essentiellement historique de la langue, incluant dans cet adjectif la recherche des origines et le compte rendu des usages dans le temps social. Objet du Robert historique Cependant, l'objet du Robert historique est le vocabulaire du français moderne. On n'y a envisagé les mots disparus que lorsqu'ils éclairaient la suite vivante de l'évolution. L'ancien français est en partie pour nous une langue étrangère : on l'évoque ici en tant que passage obligé vers notre usage d'aujourd'hui, en tant que garant de continuité, en tant que médiateur. De même, la description des mots latins, grecs et, pour les emprunts modernes, des autres sources (italien, espagnol, arabe, anglais, etc.) est, elle aussi, orientée vers leurs effets sur le français moderne. Cependant, dans une telle perspective, l'analyse est ici détaillée suffisamment et la « remontée dans le temps » peut affecter des origines très lointaines, indoeuropéennes, sémitiques, voire exotiques, depuis les emprunts amérindiens qui atteignent l'Europe à la Renaissance. La perspective adoptée est illustrée non seulement par tous les articles de ce dictionnaire, mais aussi par des textes de synthèse consacrés au français en France et hors de France, aux principales langues et aux familles de langues en rapport avec le français, aux grandes notions qui éclairent cette biographie des mots. Après avoir perdu leur langue celtique, le gaulois, qui s'était répandue à l'aube de l'histoire, les habitants de cette extrémité occidentale du continent européen, à partir du Ier siècle avant l'ère chrétienne et grâce à un envahisseur militaire de génie, Jules César, se mettent à parler latin, mais un latin de plus en plus altéré. En six siècles, ce latin parlé, populaire, donne naissance à une sorte de créole : le roman. Cette langue est un moment concurrencée par les idiomes germaniques des Alamans, des Burgondes et surtout des Francs, fondateurs du pouvoir politique qui va l'emporter et qui donne son nom à la France. Après quelques témoignages isolés, politiques (Serments de Strasbourg) et religieux (la modeste et archaïque Cantilène de sainte Eulalie), c'est à la fin du Xe siècle, il y a donc mille ans, que l'« ancien français » surgit, capable déjà de beauté littéraire, pour célébrer le Dieu humain du christianisme et ses saints (Passion du Christ, Vie de saint Léger). Un siècle plus tard, ce « vulgaire » qui tend à devenir « illustre » – tels sont les termes de Dante pour l'italien – s'affirme face au latin. Le français précède de peu ses proches cousins, l'occitan, le catalan, l'italien toscan que va célébrer Dante, ou encore l'espagnol de Castille. En France, les envahisseurs mêmes vont parler français. Ainsi les Scandinaves qui ont envahi la Normandie au milieu du Xe siècle ayant perdu leur parler natal, adoptent un dialecte proche du français. Plus encore, ils s'implantent après 1066 en Angleterre, où la noblesse et le pouvoir emploieront le même langage que sur le continent, un « anglo-normand » quasi français, jusqu'au XIVe siècle. C'est le premier chapitre d'une expansion contrariée qui mènera le parler des Parisii jusqu'à la moderne francophonie. À la fin du XIe siècle, dans l'évocation d'un passé légendaire et tumultueux, dans la célébration d'un présent plein de violence et de noblesse, surgit un premier chef-d'œuvre, la Chanson de Roland, signal d'une vaste série d'épopées féodales. Alors s'expriment deux admirables littératures, celle du Nord, qui s'édifie au-dessus des dialectes, célébrant et illustrant la langue où l'on dit « oui » (langue d'oïl) et celle d'« oc », dans le Midi. Ce frère occitan est une source vive pour des siècles de lyrisme européen, à côté de l'héritage celte qui inspire à la fois langues romanes et germaniques, dans la légende amoureuse et mystique du roi Arthur, de Perceval, de Tristan et d'Iseult. Secoué par les tumultes de l'histoire, le français, à la croisée des inspirations du génie européen, va se transformer, s'éloignant encore du latin et de ses descendants plus fidèles, l'italien et l'espagnol. Mais le « moyen français », du XIVe au XVIe siècle, usage instable, évolutif, est lui aussi une période de créativité admirable, de Rutebeuf à Villon, de Joinville à Froissart, de Marot à Rabelais. Alors la société change profondément avec les mentalités que les mots reflètent; de nouvelles techniques de communication apparaissent sur une terre germanique toute proche de la France. L'avenir des sociétés modernes se prépare : c'est l'aurore de la « galaxie Gutenberg ». Dans ces temps, le français prend force et fierté; il s'enrichit par des emprunts repris et de plus en plus maîtrisés, d'abord au latin religieux, puis au latin classique et au grec, concurrents et tuteurs admirés mais dont il va falloir s'affranchir. Ce mouvement correspond à l'enrichissement humaniste de la Renaissance, qui s'effectue dans une période agitée, sanglante, inspirée. La langue moderne et la culture qu'elle exprime – la nôtre – en sont issues. Après la foisonnante période baroque, l'apogée classique correspond à un réglage précis et subtil, mais aussi à un appauvrissement. Cependant, le siècle de Louis XIV est plus contradictoire qu'il ne semble. Il faut alors que le français s'adapte à un monde et non plus à des cultures régionales, non plus même à une seule nation. En outre, tout évolue très vite : société, politique, sciences et techniques. À partir du XVIIIe siècle, qui voit le règne triomphant du français en Europe, la force idéologique et culturelle du monde anglo-saxon est déjà sensible. Dans ce temps des « philosophes » qui renouvelle la pensée sociale et prépare un bouleversement, la langue classique s'enrichit et se compromet. L'originalité française construite par l'Ancien Régime se confirme après 1789, mais en éclatant. Avec cette révolution commencent les deux siècles d'enrichissements expressifs incessants qui forgent l'usage de France et celui des pays francophones d'aujourd'hui. C'est ce trajet millénaire, patiemment repéré dans les aventures de notre vocabulaire, que prétend évoquer et retracer ce livre. Méthode La méthode en est simple. Chaque article du dictionnaire, à l'exception des « encadrés » encyclopédiques, décrit un élément du français actuel ou récent et se divise en deux ou trois parties. Si le mot n'a aucun dérivé, il est traité en deux paragraphes, le premier concernant ses origines, avant le français, le second (signalé par ❏) son histoire. Si l'entrée est signalée en marge par les symboles L ou G , il s'agit d'une forme « héritée », venue par voie orale du latin populaire des Gaules ( L ) ou du germanique, en général celui des Francs ( G ). S'il n'est pas marqué de ces symboles, c'est un emprunt, au latin, au grec ou à une langue vivante. Enfin le signe ? montre au curieux que l'étymologie du mot français est inconnue ou très controversée. Ce paragraphe informe déjà le lecteur sur la date d'entrée en français, en fait, la première attestation connue dans un texte; il renseigne sur la forme-source (l'« étymon ») et sur les voies de passage1. Il explore cette origine, s'il se peut jusqu'à la racine, qui est souvent indoeuropéenne, et décrit les voies d'accès vers le français, lorsqu'elles sont connues. Les étymologies établies sûrement l'ont été par une longue tradition, dont les premiers témoins, après les grands humanistes de la Renaissance, sont Gilles Ménage au XVIIe siècle, puis les philologues du XVIIe et du XVIIIe siècle. Au XIXe siècle l'Allemand Friedrich Diez (que suit fidèlement Littré) fonde l'étymologie scientifique des langues romanes. Au XXe siècle, Walther von Wartburg, dans son Französisches etymologisches Wörterbuch, élabore une synthèse magistrale pour tous les parlers gallo-romans, notamment celui qui est devenu la langue nationale française. Ces sources, auxquelles il faut joindre le remarquable abrégé qu'est le Dictionnaire étymologique de la langue française d'Oscar Bloch et Walther von Wartburg, alimentent tous les ouvrages de référence modernes. D'autres étymologistes ont pu critiquer certaines hypothèses préalables, y compris celles de Wartburg. L'un d'eux, imaginatif et souvent contesté, a tenté d'éclairer les zones d'ombre des mots propres à la Gaule : c'est Pierre Guiraud. S'il est ici souvent cité, c'est parce que ses propositions s'écartent de la tradition et qu'elles relèvent d'une théorie cohérente, structurale, de l'histoire du français. Cependant, le lecteur doit savoir que les auteurs de cette tradition, Ménage, Diez, Schuchardt, Wartburg, accompagnés et continués par beaucoup d'autres, tel Kurt Baldinger, sont les inventeurs incontestés de la grande majorité de nos étymologies. Dès lors, on ne s'étonnera pas de la convergence entre le présent ouvrage et les grands dictionnaires généraux du français les plus récents : le Grand Robert, le Grand Larousse de la langue française et le Trésor de la langue française. Les notices historiques de ce dernier, si riches en développements sémantiques et phraséologiques – ce qui constitue une importante nouveauté –, ont été consultées et utilisées en complément au « grand Wartburg » : il nous est agréable d'en saluer les auteurs avec reconnaissance. Les mêmes sources se retrouvent pour le second paragraphe de nos articles, consacré à l'histoire du mot en français. Celui-ci décrit, selon un ordre en général chronologique, les aventures du sens et de la désignation, la formation des principales locutions et l'évolution des valeurs sociales du mot. Ce paragraphe comporte de nombreux repères chronologiques (dates) dont la valeur variable mérite un commentaire (voir plus loin). Quant à l'étymologie, on a souvent précisé, pour les mots « hérités » de source latine, les parentés entre le français et les autres langues romanes, surtout italien, espagnol, occitan (provençal), catalan et portugais. En remontant du latin ou du grec vers les origines, sont alors souvent évoquées les relations entre le mot français et ses cousins plus éloignés, cousins germains et germaniques (allemand, néerlandais, anglais, langues nordiques), celtiques, baltes, slaves... Sur ce chapitre de la remontée étymologique au-delà du latin ou du grec, et dans la mesure où l'on fait allusion au vaste groupe génétique indoeuropéen, il convient de rappeler quelques données. Les dictionnaires étymologiques français s'arrêtent en général à l'étymon premier, c'est-à-dire au mot, latin par exemple, d'où est issue la forme française. Il existe des exceptions comme le Dictionnaire des racines indoeuropéennes de Grandsaigne d'Hauterives (écrit pour le public français, mais non centré sur le français) et, beaucoup plus proche par l'objet, le Dictionnaire étymologique de Jacqueline Picoche, qui regroupe hardiment et de manière très suggestive les formes indoeuropéennes apparentées, qu'elles soient latines ou grecques. Le présent dictionnaire procède, dans ce domaine, avec prudence. C'est seulement lorsque les grandes sources disponibles étaient en accord sur la constitution d'une famille que nous en avons fait état. En effet, si Pokorny, auteur d'un important dictionnaire des formes indoeuropéennes, Ernout et Meillet, étymologistes du latin, Chantraine, étymologiste du grec, considèrent tous qu'une série est vraisemblable ou certaine, on peut raisonnablement la considérer comme établie. D'autres, d'ailleurs moins informés, veulent aller beaucoup plus loin et risquent – comme les étymologistes allemands du début du XIXe siècle – de n'évoquer que des fantâmes. La sagesse consiste à écouter Antoine Meillet, qui rappelait que des ressemblances de formes et de sens pouvaient toujours avoir d'autres causes qu'une origine commune. Les influences, emprunts réciproques, interactions sémantiques et formelles sont toujours possibles lorsque les langues en cause ont été en rapport concret. L'hypothétique et le vraisemblable, quel que soit leur pouvoir de stimulation ou d'explication, ne doivent pas être présentés comme des certitudes. Dans ce domaine du comparatisme indoeuropéen, nos sources, outre Meillet, Ernout et Chantraine, déjà cités, ont surtout été É. Benveniste et G. Dumézil, qui figurent parmi les plus grands et ont toujours tenu compte des recherches de leurs prédécesseurs, ne serait-ce que pour les critiquer. L'étymologie, elle aussi, est une longue et patiente tradition. Les familles de mots Pour de nombreux articles du dictionnaire, un troisième chapitre, signalé par le signe ❏, est consacré à la famille du mot-entrée. Il peut comprendre de nombreuses sous-entrées, dérivés et composés français ou encore des mots empruntés à des dérivés ou à des composés de l'étymon (le plus souvent latin). Lorsque ces dérivés, dans leur usage, réservent des surprises, manifestant des relations aujourd'hui effacées, l'entrée principale est marquée par le signe + , qui signifie « mot à grand développement, à l'origine d'une famille historique devenue hétérogène, imprévisible et souvent surprenante ». Ainsi l'article 2  BBIILLLLEE (« balle »), qui contient 28 mots apparentés et imprévus (habiller et ses dérivés, par exemple), est-il orné de ce signe + . Il en va de même pour 2  BBLLÉÉ qui a donné, parmi d'autres, remblayer et déblayer. Pour de nombreux mots apparentés et dérivés, l'étymologie va de soi ou presque; si elle n'est plus ressentie clairement, elle est expliquée, sinon, elle reste implicite (border, de bord; billetterie, de billet; etc.). Les sous-entrées détaillent l'histoire du mot, qui est traitée comme celle des entrées principales. En outre, ces mots seconds peuvent à leur tour être à l'origine de dérivés, eux-mêmes commentés. Les articles complexes peuvent donc se lire comme des « arbres généalogiques » – et d'ailleurs, quelques schémas matérialisent cette structure dans l'ouvrage. Les dérivés ou composés premiers sont signalés par un paragraphe ou par le symbole ■, les dérivés seconds (en général) par ◆. Cette hiérarchie : paragraphe, ponctuation forte ■, puis faible ◆, sert à articuler le texte et à aider la consultation, tant dans l'histoire d'un mot complexe que dans l'ensemble d'une famille étymologique. Elle reste souple et on a préféré cette solution à la rigidité hiérarchique d'une numérotation, laquelle est requise par la complexité des plans des dictionnaires généraux. Ce n'est pas l'ordre logique qui prévaut ici, mais l'ordre ou le désordre historique, inscrit dans le temps et dont la logique des sens, si elle se manifeste, se dégage parfois avec peine. Le mot, signe de la pensée et du réel, voit triompher l'irrégularité et l'arbitraire, par rapport à la logique de la grammaire. Datation Tout ce matériel historique est, si possible, repéré par des dates très nombreuses, à propos desquelles il faut donner des éclaircissements. On trouvera, sous la rubrique Datation, le point de vue de l'étymologiste sur ce sujet. Il convient ici de préciser quel peut être celui du lecteur. Ces repères chronologiques, millésimes ou portions de siècle, qui sont associés aux formes, aux sens et aux expressions ne sont rien d'autre que ceux de textes, manuscrits, puis imprimés, littéraires ou non, où un signe du langage est repéré pour la première fois. Leur valeur est aussi variable que sont variées ces sources textuelles. Les plus anciennes remontent aux IXe et Xe siècles (842, v. 980, 1080 ...). Elles correspondent aux repérages chronologiques des textes qui nous sont parvenus sous forme de manuscrits postérieurs. Ainsi, « 842 » est une date historique, celle des Serments de Strasbourg; « vers 980 » est une supputation, pour la composition d'une Passion, « 1080 » pour celle de la fameuse Chanson de Roland que d'autres placent vers 1100 . Sans commenter la difficulté de

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