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Détermination philosophique de la notion du beau PDF

20 Pages·1955·1.009 MB·French
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STUDIA PHILOSOPHICA Jthrbucbdcr Schwrixeriichca Philotopiuichea GaelUchaTt · Annuaire de ia Société Sume de Fhilcaophia (Q Separatum VoL XV· Copyright 1955 by Vcrlag für Recht und Gnrlltchaft AC. Baacl Détermination philosophique de la notion du beau par M.-D. Philippe, O.P., Fribourg Nos expériences du beau nous apparaissent immédiatement comme extrêmement diverses, bien que possédant toutes quelque chose de commun. Autre chose, en effet, est d’admirer la beauté de tel paysage, de tel site enchanteur; autre chose de regarder avec effroi la beauté farouche de tel animal sauvage, ou même celle d’un taureau dans un combat de toréadors; autre chose est d’apprécier la beauté de telle action, héroïque ou vertueuse, de juger tel geste, tel acte d’amour comme noble et beau; autre chose encore de déceler la beauté d’une âme, celle de la vie d’un saint, celle de tel ou tel contemplatif, que nous estimons toute lumineuse et toute transparente; autre chose de pressentir la beauté de Dieu, de cet Etre souverainement beau, beau au-dessus de toutes les autres beautés visibles et invisibles, et, d’une certaine façon, toujours présente en celles-ci; autre chose, enfin, d’évaluer la beauté d’une œuvre d’art: telle statue nous apparaît vraiment «belles, tel concert nous a profondément ému et nous affirmons qu’il a été vraiment très beau, nous apprécions spécialement tel style d’architecture et nous déclarons que sa beaûté surpasse les autres; nous estimons aussi tel théorème de géométrie comme parti­ culièrement beau; telle théorie nous semble aussi très belle, et nous reconnaissons la beauté de telle machine, la puissance de telle auto­ mobile, de tel avion... Chacune de ces expériences nous met en présence du beau, divers dans ses reflets multiples, se manifestant avec mille nuances, et pour­ tant s’exprimant toujours par le terme «beau». Il ne nous est pas in­ différent, en effet, de dire: cet avion est beau, il est commode, il est économique, il est une merveilleuse application de telle doctrine scien­ tifique ... On ne peut nier que dans notre langage, lorsque nous qualifions de «belle» ou de «beau» une réalité physique, un être vivant, une action humaine, une activité spirituelle ou une réalisation technique ou artistique, nous avons l’intention de manifester une de ses qualités tout à fait caractéristiques qui, dans certains cas, peut sembler très proche de sa qualité de bonté ou de sa valeur d’authen­ 133 ticité, de vérité ou d’unité, mais qui pourtant, dans sa signification propre, leur demeure vraiment irréductible et «.sui generis». En décla­ rant que tel homme est beau, nous ne voulons pas signifier la même chose qu’en affirmant qu’il est bon, qu’il est intègre. En qualifiant belle, telle de ses actions, nous ne voulons pas signifier directement et explicitement sa perfection ou sa valeur morale. Notons, de plus, que notre expérience nous empêche de limiter le «beau» à telle ou telle réalité particulière, ou à telle classe particulière de réalités. Vouloir en effet restreindre le domaine du beau aux seules réalités physiques, en prétendant que l’univers spirituel, et donc l’Etre divin ne peuvent être dits «beaux», apparaît comme inconcevable et comme contraire à nos jugements quotidiens, par le fait même à la vie même de notre intelligence. Celui qui pense que Dieu existe ne peut Le penser comme «laid», ou comme manquant de beauté, car la beauté nous apparaît bien comme une véritable qualité n’impli­ quant aucune imperfection. Evidemment, nous comprenons bien que la beauté de Dieu est toute différente de celle des êtres qui nous entourent, mais nous comprenons aussi que l’Etre qui, par nature, possède toutes les perfections possède nécessairement celle de la beauté, et d’une manière unique. L’aflirmation de Joubert: «Il n’y a de beau que Dieu; et après Dieu, ce qu’il y a de plus beau, c’est l’âme; et après l’âme, la pensée, la parole», ne fait que traduire le sentiment commun des hommes considérant la beauté comme une perfection telle qu’elle ne peut se trouver parfaitement réalisée que dans l’Etre Suprême. Prétendre également que la beauté est l’apanage exclusif des œuvres artistiques, mais qu’elle n’existe formellement que dans la pensée créatrice de l’artiste, donc, par le fait même, que seul l’esprit en tant que créateur, possède vraiment cette qualité, c’est s’opposer encore plus violemment à nos jugements quotidiens les plus spontanés et à nos expériences les plus courantes et les plus humaines. Certes, il est peut- être exact, comme nous le signalerons plus loin, que le beau n'existe parfaitement et pleinement que dans la pensée d’un esprit créateur, mais cela ne doit pas pour autant l’exclure des œuvres produites par cette pensée créatrice, non plus que de tout l’univers physique. En effet, qui pourrait nier, au nom de l’expérience humaine, que toutes les réalités physiques ou animales peuvent être réellement belles? Nier un tel fait ne peut s’expliquer qu’en raison d’une attitude philosophique définissant le beau d’une manière «a priori», en vou- 154 tant méconnaître le témoignage très humble du langage et celui de nos expériences quotidiennes. Si, au contraire, nous désirons ne rien rejeter «a priori» de tout ce que le langage nous révèle et de ce que nous attestent nos expériences quotidiennes, si nous tâchons d’intégrer tout cela dans notre philo­ sophie du beau, nous serons obligés de reconnaître que le beau est un de ces termes qui se disent de «multiples façons» très diverses, il est vrai, mais qui possèdent cependant une certaine signification com­ mune, qu’il nous faudra tâcher de préciser. Le beau apparaît donc comme un terme d’une signification très riche, très ample, qui ne peut être réduite à tel ou tel prédicament particulier (le beau affecte aussi bien la substance que la qualité; nous affirmons telle réalité «belle» et tel regard «beau» ...). Ce terme transcende donc les déterminations particulières des pré- dicaments et implique une certaine valeur analogique. Quand nous déclarons que le beau implique une certaine valeur analogique, nous voulons signaler que le beau est un terme signifiant proprement une qualité qui se trouve diversement réalisée. Beaucoup de sophismes, dans des domaines aussi bien spéculatifs que pratiques, proviennent en réalité de cette méconnaissance. Si, par exemple, on considère avec Hegel que l’unique véritable beauté est celle qui se trouve dans l’esprit créateur, on affirmera alors que seule l’idée créa­ trice est belle, qu’en dehors d’elle il n’y a rien de beau. Par le fait même, on identifie le terme analogique «beau» à l’une de ses signi­ fications particulières; on réduit la signification analogique de ce terme à une signification univoque, ce qui la matérialise nécessairement, même si cette signification particulière est, de fait, la plus parfaite, la plus éminente, la plus spirituelle. On s’enferme alors dans un genre donné, donc nécessairement dans une certaine potentialité, et l’on devient incapable de s’élever plus haut, de regarder d’autres réalisations qui échappent à ce genre. On pourra, certes, saisir certaines propriétés, certaines déterminations appartenant à ce beau particulier, mais on considérera alors ce qui est caractéristique de ce beau particulier comme étant la nature même du beau. Et, inversement, l’esprit humain étant ordonné naturelle­ ment à l’absolu, on attribuera à ce beau particulier ce qui, en réalité, ne convient formellement et explicitement qu’à la nature propre du beau. On confondra, par le fait même, tel relatif avec tel absolu, identifiant une notion analogique à un genre univoque, exaltant par 335 là même ce genre et lui donnant comme une valeur absolue. La con­ ception hégélienne de la beauté est là pour l’attester. A première vue, elle semble exalter la beauté, la spiritualiser, la rendre toute intelli­ gibilité ; mais, en réalité, elle l’emprisonne dans un genre d’être parti­ culier. Si noble et si divine que soit cette prison, elle enlève à la beauté sa pure luminosité et la rend potentielle. Dans un domaine beaucoup plus pratique, il serait intéressant d’étudier la manière dont le naturalisme artistique et littéraire de la fin du XIXe siècle considère la beauté de la nature sensible, de l’uni­ vers. Cette beauté, selon la dite doctrine, est exaltée à tel point qu’on la considère souvent comme une sorte de perfection absolue, dépassant toutes les autres, et on ne veut reconnaître pour belle que cette seule nature. Ici encore, on ne voit qu’une des modalités particulières du beau et on prétend, en réalité, qu’elle possède toutes les perfections et toutes les richesses de la notion analogique du beau. Par contre, à la fin du XIXe siècle et actuellement, on se trouve souvent en face de tendances tout opposées qui ne considèrent que le beau des b*aretasu,x créé par l’homme, en toute liberté. Une telle beauté doit s’imposer à nous comme un absolu, et rien ne peut lui être comparé. Il est facile de comprendre les conséquences funestes de telles er­ reurs, qui faussent complètement la véritable intelligibilité du beau et nous empêchent d’en saisir toute la richesse et la diversité. Notons bien que toutes les philosophies idéalistes ou matérialistes demeurent toujours dans l’impossibilité d’éviter de telles erreurs: en effet, elles ne peuvent prétendre saisir dans toute leur pureté les notions ana­ logiques. C’est pourquoi - à propos de notre question - on les voit, soit identifiant le beau, considéré analogiquement, au «Beau-en-soi», c’est-à-dire hypostasiant pour ainsi dire la notion analogique du beau et en faisant le modèle, le prototype d’où dérivent toutes les autres beautés participées, comme le font Platon et ses disciples; soit l’identifiant à l’idée créatrice, comme le fait Hegel; soit l’identifiant au beau naturel sensible comme un J. J. Rousseau, ou à telle ou telle réali­ sation technique-utile1. 1 La position philosophique matérialiste, identifiant le beau considéré en lui* même au beau sensible, rejoint fatalement, par des détours plus ou moins complexes, la position du naturalisme artistique - comme, du reste, la position philosophique idéaliste, identifiant le beau au «beau-cn-soi», conduit presque fatalement à pro­ clamer les droits exclusifs et absolus du beau des beaux-arts. 136 Seule, en effet, une philosophie capable de saisir avec acuité le caractère tout à fait propre des termes analogiques et de leur fonde­ ment propre, peut tâcher d’analyser les diverses significations du terme «beau» et leur unité mystérieuse, de comprendre avec préci­ sion ce qui caractérise la notion analogique du beau et ce qui distingue ses diverses modalités, ses diverses réalisations. Seule une telle philo­ sophie peut prétendre déterminer l’ordre qui existe entre ces diverses réalisations, en rendre raison et l’expliquer sous la lumière même des exigences propres du beau. La réaction philosophique d’un Aristote, aussi bien en face de la théorie platonicienne du «bien-en-soi», prototype et principe propre de tout bien, que des théories de certains sophistes voulant identifier le bien à l’utile, doit nous servir de modèle et de guide, puisqu’il y a une certaine similitude entre cette question du beau et celle du bien. Or, si le Stagirite s’élève nettement contre les théories du «bien-en-soi» et du «bien-utile», c’est que de telles théories ne respectent pas le caractère analogique du «bien» que le langage et l’expérience ne cessent de nous manifester. Le bien est un terme qui se dit de multiples façons. La notion du bien est une notion analogique qui ne doit pas se ramener et s’iden­ tifier à telle ou telle de scs réalisations ou modalités particulières. Accepter, d’une manière ou d’une autre, de telles identifications, c’est refuser d’expliquer tout ce que l’expérience nous donne. Nous devons agir de la même manière à l’égard de ce problème du beau. La nature exacte de celte notion analogique du beau Comme tout terme analogique, ce terme «beau», considéré dans toute sa diversité analogique, ne peut signifier qu’implicitement ce qui caractérise tel ou tel beau particulier, envisagé dans tel ou tel cas singulier, pour ne signifier d’une manière explicite que ce qui est commun à toute la diversité de ses attributions - qu’il s’agisse d’attri­ buer le beau à Dieu, aux réalités physiques, aux œuvres d’art... Parallèlement, nous devons dire que la notion analogique du beau, dans sa structure essentielle, ne peut contenir qu’implicitement ce qui fait partie essentielle de telle ou telle modalité particulière du beau, précisément en tant que telle, pour ne retenir d’une manière explicite que ce qui est commun à toutes les diverses réalisations du beau, aussi bien en la cause première que dans notre univers sensible, dans la 137 pensée de l’artiste que dans ses réalisations concrètes. Comprenons bien, du reste, que ce «quelque chose de commun» ne peut pas s’abs­ traire parfaitement des diverses modalités en lesquelles il existe. Il se trouve en acte en celles-ci, comme celles-ci en lui, à la différence de la notion générique comparativement à la notion de différence spécifique. Mais si ce «quelque chose de commun» existe en acte dans ses diverses modalités, cependant il n’existe en celles-ci que d’une façon implicite, c’est-à-dire que «la notion du beau» — n’est pas manifestée dans toute sa lumière dans telle ou telle réalité belle; dans telle ou telle œuvre artistique, elle se trouve alors comme con­ tractée, modifiée dans ce beau particulier qui n’épuise pas toute sa richesse et toute la profondeur du beau comme tel. C’est pourquoi on peut dire que, dans tel beau particulier, ce qui est mis en pleine lumière, ce n’est pas le beau en tant que beau, mais tel beau, telle moda­ lité. Le beau comme beau n’est mis en pleine lumière (c’est-à-dire n’existe explicitement) que dans le concept analogique du beau, donc dans notre intelligence saisissant en acte cette notion analogi­ que comme distincte de ses diverses modalités. Nous ne faisons que rappeler ici cette doctrine si capitale de l’ana­ logie, qui est au cœur de l’aristotélisme et qui a été développée par saint Thomas et ses grands commentateurs, nous pensons surtout à Jean de Saint-Thomas. En raison de ceci, nous pouvons donc affirmer immédiatement que la notion analogique du beau ne peut formellement s’identifier à l'ordre, à {'harmonie, à la «proportion convenable», puisque l’ordre, l’har­ monie, la proportion impliquent toujours en acte une certaine multi­ plicité, et donc supposent certaines potentialités, certaines imperfec­ tions qui, comme telles, ne peuvent faire partie essentielle du beau considéré dans sa notion analogique — autrement le beau ne pourrait être attribué formellement à Dieu. Certes, l’ordre, l’harmonie, la proportion peuvent très bien faire partie essentielle de certaine défi­ nition particulière de telle ou telle modalité du beau. Par exemple, le beau tel qu’il se trouve dans le corps humain, dans l’univers sen­ sible, ou même dans nos actions humaines, implique évidemment explicitement ces éléments, comme nous aurons l’occasion de le pré­ ciser. Mais cela ne prouve pas que la notion analogique du beau les contient explicitement. De même, la notion analogique du beau ne peut s’identifier formelle­ ment à V idée-créatrice de l’esprit, ou à la projection dans l'univers sensible 138 d'un idéal spirituel, ou à la sympathie entre l’univers physique et l’univers spirituel..puisqu’il s’agit là de certaines opérations intellectuelles ou de certaines relations déterminées se ramenant à certaines notions génériques et excluant, par le fait, d’autres modalités du beau. Si le beau considéré selon sa notion analogique s’identifiait à l’idée de l’esprit créateur, le monde physique sensible ne pourrait plus être dit formelle­ ment beau. Evidemment, «l’idée créatrice» peut très bien définir telle modalité particulière du beau, et même une modalité particuliè­ rement éminente et parfaite, mais elle ne peut définir le beau consi­ déré dans toute son ampleur analogique. On pourrait faire les mêmes remarques au sujet du beau défini comme ce qui, connu, plaît, comme ce qui est agréable à voir ... Nous sommes peut-être, là, en face d’éléments tout à fait caractéris­ tiques du beau, mais nous ne pouvons pas être en présence de la notion analogique du beau, puisque ces éléments semblent définir plutôt l’effet propre du beau sur celui qui le contemple, que la nature même de l’objet de cette contemplation ... Cette notion analogique du beau est donc quelque chose de plus fondamental, du point de vue de l’être, que l'ordre, l'harmonie, la pro- portion, l'idée créatrice, la sympathie... C’est quelque chose qui doit rendre raison de tous ces éléments divers, qui doit être à l’origine de cet ordre, de cette proportion, de cette fécondation créatrice, de cette sympathie ... mais lui-même est antérieur, radicalement plus engagé dans l’être, oserions-nous dire. Ce «quelque chose» ne peut se définir que par la «splendeur de la forme», «splendor formae», comme dit saint Thomas2, ou, si l’on préfère, par la clarté et le rayonnement de la forme et de la détermination de «ce qui est» «claritas», «fulgor»* *. Cette splendeur, cette clarté de la forme, c’est proprement ce qui, en la forme, échappe à l’opacité de la matière, ce qui, en elle, est détermi- 1 Rappelons'ce texte, où saint Thomas définit le beau: «Ad rationem pulchri, sive decori, concurrit ct claritas et debita proportio» (11.11, qu. 145, a. 2). Evidem­ ment cette «debita proportio»si on la considère formellement, n’est pas explicitement un élément essentiel de la «ratio pulchri», puisque la «proportio» n’existe formelle­ ment que là où il y a des parties - elle ne peut être en Dieu -, mais si on la considère d’une manière «quasi» métaphorique, comme nous manifestant une certaine unité Han» la forme — comme, par exemple, on évalue l’amplitude d’une faculté spirituelle, en pariant de sa quantité spirituelle - dans ce cas la «débita proportio»csi le fonde­ ment de la «claritas formae». * De même: la, qu.39, a.8, où saint Thomas parle de trois éléments pour le beau: «integritas, consonantia proportio, claritas». (Consonantia proportio est une autre manière de traduire debita proportio.)-! II., qu.54, a. 2, ad lumjoù il s'agit de la beauté du corps glorieux: «Fulgor seu claritas corporis gloriosi...». 139 nation parfaite et actuelle, ce qui, en elle, par nature, étincelle et res­ plendit en se manifestant en pleine lumière et avec éclat. Cette splen­ deur est la perfection de la détermination de «ce qui est», épanouis­ sant toutes les virtualités propres de la forme, et la rendant capable d’attirer notre regard sensible ou intellectuel, de le captiver, de le séduire et de le fixer en elle. Pour mieux saisir le caractère original de cette détermination du beau, il faut la comparer aux autres déterminations - celles du vrai, du parfait, du bien — et en préciser l’irréductibilité. La splendeur de la forme, parce qu’elle implique une certaine clarté et une certaine lumière, implique évidemment d’être intelligible et, par le fait même, se fonde sur le vrai ontologique; mais elle dit plus que cette seule intelligibilité, elle en explicite comme un certain mode de noblesse et d’intensité tout à fait spécial. Quand on déclare, en effet, qu’un être est beau, on ne signifie pas seulement qu’il possède une certaine intelligibilité, mais qu’il possède une intelligibilité ultime qui le rend capable, non seulement de spécifier notre connaissance, mais aussi de 1’attirer, de la c*.aptiver Cette intelligibilité ultime fait de l’être 1 beau une source rayonnante capable d’illuminer et de susciter en nous une nouvelle connaissance parfaite de contemplation. On peut donc conclure que le beau présuppose le vrai, mais qu’il ne peut s’identifier à lui; comme splendeur de la forme, il dit nécessairement une cer­ taine perfection (si du moins on entend perfection dans le sens d’inté­ grité, de plénitude, de noblesse de la forme constitutive de ce qui est). Nous disons bien: une «certaine perfection», car n’identifions pas pour autant, d’une manière absolue, beau et parfait. Le parfait, en effet, si on le considère d’une façon précise, se dit relativement à la cause efficiente: «est parfait celui qui peut engendrer un être sem­ blable à lui-même». Ce pouvoir manifeste un état de parfaite'posses­ sion de la forme, rendant possible sa communication, sa propagation Λ un autre être. Le beau, de son côté, exprime la perfection de la forme, dans la ligne propre de la forme, sans référence explicite à sa communication possible à un autre être - du moins dans l’ordre de la cause efficiente. * Raoaùsoa, parlant de la beauté, disait qu’elle exerce «une sorte de fascination magique ou d’enchantement qu’exprime dans notre langue le terme de charme. L'enchantement produit le ravissement, une sorte d’extase où l’âme se sent sortir d'elle-même et transportée dans une région plus haute» (cf.Tcstament philosophique, P-89). HO N’oublions pas, du reste, que la perfection, envisagée comme état de parfaite possession de la forme rendant possible sa communication, ne peut expliquer par elle-même l’exercice même de cette communi­ cation sans l’intervention de la causalité finale. Seule la fin rend compte de l’exercice de la cause efficiente. La perfection de la forme belle au contraire, sans faire appel à une autre causalité, implique par elle-même un certain rayonnement, une splendeur, une surabon­ dance, une force de séduction et de charme qui est bien, elle aussi une sorte de communication. Mais si le beau implique par lui-même cette force d’attraction, comment peut-il encore se distinguer du bien? Ne doit-on pas, comme certains Font affirmé, l’identifier au bien ou à une espèce de bien5? Nous touchons maintenant à un des points les plus délicats et les plus importants de notre analyse. On sait combien Platon aimait à iden­ tifier les deux. Le «καλόν κάγαΰόν» demeure toujours pour l’esprit et le cœur de l’homme comme un mirage permanent qui ne cesse de l’attirer - il serait tellement agréable et libérateur, comme certains le prétendent, d’affirmer que tout ce qui est beau est bon, qu’on peut s’y livrer pleinement - puisque, dans ce cas, la beauté serait par elle- même notre bien. Si séduisante que soit une telle identification, nous pressentons bien qu’elle ne correspond pas entièrement à la vérité et qu’elle est le fruit d’une certaine simplification consciente ou in­ consciente, plus ou moins avouée. Que le beau ne s’identifie pas au bien, saint Thomas, dans une admirable réponse à une objection, nous en donne la raison profonde·: le bien regarde l’appétit - le bien est ce que tous désirent -, il a raison de fin; le beau regarde la faculté de connaissance - la «vis cognoscitiva»— : ce qui est beau, c’est ce dont la vue nous plaît. Et saint Thomas ajoute: «C’est pourquoi le beau consiste dans la «debita proportio», puisque le sens se délecte dans les réalités bien proportionnées comme dans des réalités qui lui sont semblables.» Le sens se plaît donc dans telle réalité belle, parce qu’il retrouve en elle quelque chose qu’il possède, quelque chose qui lui est propre; cette découverte le ravit. Cet élément commun qui unit le beau sensible et la faculté de connaissance sensible, c’est la «debita proportio», nous dit saint Thomas. Si maintenant, dépassant le beau 1 Cf. i. Th., la, lia, qu.27, a. 1, ad 2 um, Comm. de Cajetan: «Pulchrum est quaedam species boni... bonum est enim quod simpliciter complaceat, pulchrum autem, quod secundum apprehensionem.» * S.Th., Ia, qu.5, a.4, ad ium. 141 sensible, nous nous élevons jusqu'à la notion analogique du beau, nous pouvons dire que l’élément commun entre le beau et la faculté de connaissance, c’est la clarté, la splendeur - donc, nécessairement, une certaine perfection dans l'ordre de l’intelligibilité. Certes, il faut bien reconnaître, et saint Thomas nous en donne l’exemple, que le beau et le bien ont une très grande affinité, et que même ils s’identifient souvent, si on les considère dans leurs réalisations existentielles. A ceci il n’y a rien d’étonnant, puisqu’ils ont tous deux même fondement: la forme et la perfection de la forme. Mais si on les considère selon leurs raisons propres, ils diffèrent: le bien dit appétibilité, le beau splendeur et clarté; le premier est l’objet propre de l’appétit, et, par le fait même, il finalise celui qui possède cet appétit (l’appétit est la faculté du sujet opérant); le second n’est pas l’objet propre de l’appétit, mais de la faculté de connaissance, comme nous venons de le dire. Et, par le fait même, le beau ne peut pas fina­ liser le sujet connaissant, mais il finalise la faculté de connaissance7; en ce sens il est exact de dire que le beau, splendeur de la forme, implique une sorte d’appétibilité de la forme. Le beau est capable d’attirer notre faculté de connaissance, de la captiver en la délectant de sa propre activité de connaissance. On saisit alors comment on arrive très facilement à identifier, comme le Pscudo-Dcnys, la fonction du bien et celle du beau, toutes deux, dans leur domaine propre, étant d’attirer. Mais, en réalité, il n’y a pas identification, mais similitude proportionnelle, car le beau attire d’une manière toute différente que le bien. De même, on comprend pourquoi il est exact de dire que «le beau est une espèce de bien»; il est le bien de la faculté de connais-, sance. Mais ne prétendons pas que le beau soit une espèce de bien comme le lion est une espèce d’animal - car le bien n’est pas une notion générique - ni même à la manière dont le bien-utile est une espèce de bien, car le bien-utile s’oppose au bien honnête: le beau, espèce de bien, ne s’oppose à aucune autre espèce. Reconnaissons donc qu’il ne s’agit pas d’une division formelle du bien, mais d’une division tout autre. C’est pourquoi, en définitive, on peut dire que, * $. Th., 1,11, qu.27,a.l,ad 3 m: «Sic patet quod pulchrum addit supra bonum, quemdam ordinem ad vim cognoscitivam : ita quod ... pulchrum autem dicatur id cujus ipsa apprehensio placet .» Du fait même que le beau regarde surtout la con­ naissance, les facultés sensibles les plus capables de connaître seront de fait celles qui saisiront le mieux le beau, c'est-à-dire la vue et l’ouïe. On parie souvent de belles couleurs et de beaux sons. Les autres sens sont plus loin de la forme, plus près de l’appetiu 142

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