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DES REPONSES DU REEL Jacques-Alain Miller I PDF

212 Pages·2016·0.98 MB·French
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DES REPONSES DU REEL Jacques-Alain Miller I - Cours du 16 novembre 1983 Rien de plus désespérant que d’avoir quelque chose à dire. Cette phrase, je l’ai cueillie hier de la bouche d’une personne qui vient me parler, qui vient me parler d’elle pour que je l’accouche, que je l’accouche de ce qu’elle a à être. Dans la psychanalyse, ça se fait en la couchant sur un divan. On peut d’ailleurs être aussi bien assis. Ca dépend seulement de l’acuité de résistance qu’offre, au gré du sujet, ce qui est de l’ordre du corps. Rien de plus désespérant que d’avoir quelque chose à dire. Pour cette personne, cette parole, proférée avec tout l’accent d’une malédiction et de la place de l’analysant où il y a précisément à dire, s’inscrit dans ce qui est son vœu, à savoir de faire l’amour comme une bête. C’est un vœu infantile, et elle ne s’est pas sans s’être aperçue que ce n’est pas à sa portée, surtout pas à la portée de ses partenaires qui, malgré ses objurgations, font du sentiment. Ca interfère avec ce qui serait l’idéal d’une copulation sans phrases et qui serait heureuse. C’est évidemment une personne qui a une sensibilité très vive à la déchéance que comporte pour l’homme, c’est-à-dire pour l’espèce en général et spécialement pour le mâle – cette personne est une femme –, le fait d’avoir à s’exprimer, à exprimer ses états d’âmes. Eh bien, ce que j’appelais une copulation sans phrases, c’est ce qui a lieu lorsqu’il y a rapport sexuel dans une espèce vivante. Une copulation sans phrases est alors concevable parce que le partenaire sait ce qu’il a à faire. C’est de ne pas le savoir que ce partenaire se trouve pris, parasité, mangé par ce que nous pourrions appeler les dicenda. C’est du latin. Dicenda : les choses à dire. Ca sonne un peu comme piranhas, ces petits poissons carnivores… Il y a là une fatalité qui évidemment est bien faite pour interroger, parce qu’on connaît la suite. Sur ce point au moins, dans notre espèce vivante, il n’y aucune incertitude. L’incertitude, c’est un mot qui aura tout son poids pour nous cette année. Il n’y a sur ce point aucune incertitude, car la suite, c’est toujours la mort. La mort n’est pas incertaine, sauf pour le psychotique qui peut se croire immortel. C’est qu’il est déjà mangé vif par le langage. Là, il n’y a plus de dicenda mais plein de petites bêtes qui prennent le relais pour nettoyer le défunt jusqu’à l’os. Rien de plus désespérant que d’avoir quelque chose à dire. La personne qui disait ça, elle prenait, me semble-t-il, les choses par le bon bout. Elle s’est bien aperçu de la position d’analysant de l’enseignant, puisque cette pensée lui est venue précisément à la reprise des cours du Département de psychanalyse. C’est là un topos lacanien : l’enseignant digne de ce nom parle en position d’analysant. Parler en position d‘analysant, c’est dire ce qu’on ne sait pas. Dire ce qu’on ne sait pas passe évidemment par le fait de ne pas savoir ce qu’on dit. Il y a bien sûr un écart entre ne pas savoir ce qu’on dit et dire ce qu’on ne sait pas. Mais il faut bien commencer par ne pas savoir ce qu’on dit pour pouvoir aboutir à dire ce qu’on ne sait pas. Il faut donc essayer d’atteindre au dire ce qu’on ne sait pas. Comment peut-on dire ce qu’on ne sait pas ? C’est un problème pour l’enseignant et un problème pour l’analysant. Eh bien, je peux ici vendre la mèche. Pour dire ce qu’on ne sait pas, il faut l’inventer. C’est à l’occasion ce qu’on appelle la mythomanie, et c’est par exemple ce qui conduit à qualifier l’hystérique de mythomane : le sujet en question raconte des histoires. Mais il y a encore une autre espèce de mythomanie dont nous aurons à reparler dans le cadre de ce cours que j’ai appelé “Des réponses du réel”. C’est un titre qui m’était venu à la 1 fin de l’année dernière et qui, dans un premier temps, m’avait fait presque reculer. Nous aurons donc à parler cette année de cette espèce de mythomanie différente de la pseudo mythomanie hystérique, et que l’on peut appeler la mathèmomanie : la manie ou la mythomanie du mathème. Le mathème, en effet, c’est aussi une mythomanie, en ce sens que c’est une autre façon de dire ce qu’on ne sait pas. Une autre façon, parce que ça veut dire que dans ce cas on construit et on invente avec du signifiant qui ne veut rien dire. Si le mathème doit nous intéresser cette année, ce n’est pas seulement pour le mathème analytique. Le mathème analytique, Lacan le reconnaissait lui-même comme un simili mathème, un effort vers. Les mathèmes analytiques, il les empruntait le plus souvent aux mathèmes mathématiques. Les plus costauds viennent de là. Si le mathème doit nous intéresser cette année, c’est parce que lorsqu’on opère avec ce mathème, on observe un phénomène tout à fait singulier, à savoir que ça répond du côté du réel. Je m’approche là à petits pas de cette expression qui fait mon titre de cette année : “Des réponses du réel”. C’est une expression énigmatique. On penserait plutôt que le réel n’a rien à dire, mais le mathème nous fait éprouver et expérimenter que ça répond du côté du réel. Le fait que ça réponde de ce côté-là, c’est l’ambition foncière de tout être humain. Pour en témoigner, nous avons par exemple cette pratique qui s’appelle la divination. La divination, c’est un montage signifiant qui peut être extrêmement variable mais qui reste fondamentalement un dispositif qui isole un espace. Cet espace, on l’interroge, et d’une manière très variée. Dans l’Antiquité, on isolait une partie du ciel, on attendait de voir les oiseaux qui allaient passer dans cet espace, puis on en tirait des conclusions. Il y a aussi les aspects du visage et du corps, etc. Il y a tout le bric à brac de tout ce qu’on a pu inventer pour faire répondre le réel. Ce bric à brac hétéroclite est une énumération de ce que Lacan appelait des bout de réel. Evidemment, chez les Grecs, c’était un peu différent, puisque ça se passait plutôt par les voies de la parole. L’essence de ce qu’on cherchait sous la forme de l’oracle, ce n’était pas vraiment de prédire l’avenir. Ces oracles ne se donnaient pas en clair. Ce sont des équivoques, des jeux de mots, des énigmes. C’est connu. Si l’oracle n’était qu’une prédiction de l’avenir, ça nous paraîtrait bien éloigné de la psychanalyse. On y venait plutôt chercher une caution, c’est-à-dire l’attestation que la chose à faire n’allait pas contre l’ordre divin. Evidemment, ça nous dit quelque chose à nous. Le psychanalyste serait en effet un pauvre devin, s’il n’était pas avant tout celui qui se porte caution. Ce qui est l’essentiel de son acte, c’est après tout de se poser comme l’Autre de la garantie : il donne une attestation qu’on peut y aller. A cet égard, le psychanalyste, nous pouvons très bien l’appeler le répondant. C’est là que s’introduit facilement la notion du sujet supposé savoir dont Lacan a fait le pivot du transfert. Ici, dans la divination, le rôle du sujet suppodsé savoir, c’est qu’il est supposé savoir faire répondre le bout de réel. L’oracle ne dit pas le destin, il ne le cache pas non plus, il le signifie seulement, si l’on veut traduire ici le terme d’Héraclite : semanein – il fait signe. Ca veut dire qu’il fait voir sous un voile. En français, ça tombe très bien : vois-le, voile. Un signe obscur, opaque, présentifie l’opacité même de ce destin. Celui qui fait fonction d’oracle donne au consultant un signifiant, mais dont on s’aperçoit qu’il est lui-même à déchiffrer. Si j’évoque l’oracle, c’est que l’oracle est tout à fait ce que j’appelle une réponse du réel. Je me suis appesanti, l’année dernière, sur cette phrase de Lacan : “La Chose en tant qu’elle parle répond à nos objurgations.” Je reviendrai sur cette phrase car elle est tout à fait importante pour notre enquête de cette année sur les réponses du réel. Cette phrase, je 2 l’avais évoquée à propos de la magie. La magie, en effet, nous donne en quelque sorte une réponse du réel, mais c’est un réel qui est par principe consentant. C’est un réel docile, un réel qui fait ce qu’on lui demande. C’est pourquoi, quand Lacan évoque la magie, il ne dit pas réel mais nature. La Chose, elle, répond sans doute, mais plutôt sur le mode response que sur le mode answer, plutôt sur le mode la réaction que sur le mode de la réponse articulée. C’est là qu’il faudrait commencer à bouger un petit peu ce qu’on a traîné dans la gadoue depuis quelques temps, à savoir le réel au sens de Lacan. On l’a traîné dans la gadoue parce qu’on l’a mis sur un piédestal. Il faut voir comment on parle du réel chez les analystes… On est vraiment persuadé que le réel c’est du solide, du costaud, pas du toc. L’imaginaire, ça tourne : il y a des miroirs, etc. Le symbolique, c’est dialectique : un jour c’est blanc, un jour c’est noir. Mais avec le réel, par contre, on aurait de quoi fonder une certaine sécurité. La psychanalyse, oraculaire dans sa pratique, comment s’inscrit-elle dans cette affaire de réel ? Eh bien je dirais qu’il y a quand même un premier choix qui s’impose pour la psychanalyse, et au moins pour un psychanalyste, à savoir le choix de tirer la pratique oraculaire ou bien vers la magie, ou bien vers la science. Je dis choix, mais je considère que le psychanalyste n’a pas le choix, que son choix est forcé. En tout cas, c’est la position de Lacan. Bien entendu, nous n’avons rien à reprendre du scientisme freudien. Nous n’avons rien à en reprendre sinon que la psychanalyse ne peut pas faire autrement que de se repérer par rapport à la science. D’abord parce qu’il faut passer par la science pour qu’il y ait l’impossible. Pas de réel sans impossible. C’est ce qui donne au réel sa valeur de butée. Pour la science, le réel est mis à l’épreuve du signifiant qui ne veut rien dire. Il faut voir que ça comporte d’abord que le réel lui-même ne veut rien dire. Il y a bien sûr beaucoup de scientifiques qui développent tout ce que voudrait dire le réel. Que le réel ne veuille rien dire, c’est plutôt rassurant. Ca donne l’idée qu’il nous fout la paix si on ne va pas le chatouiller avec une interrogation. Mais il n’y a qu’un seul ennui, c’est que dans la psychanalyse on considère que les réponses précèdent les questions. Un certain mathématicien disait qu’il n’y avait plus que silence dans les cieux, et ça a fait valoir qu’avant lui les cieux bruissaient de paroles, de signifiants. Le réel est sans doute une catégorie introduite par Lacan dans la psychanalyse. Le réel, il faut bien voir d’où ça vient. Ca s’amène maintenant avec l’accent que ça serait un roc, et je me denande si ce que l’on fait revenir sous le nom lacanien de réel ne serait pas cette vieille lune de l’en-soi sartrien, cet en-soi qui est ce qu’il est, et qui par là se distingue du pour-soi qui n’est pas ce qu’il est mais ce qu’il n’est pas. L’en-soi et le pour-soi sartriens ont une vie commune difficile. Il y en a un qui est tout lisse, qui n’a pas de faille, et puis il y a le pour- soi qui est comme la porosité même. Quand ça se mélange, c’est évidemment un peu gluant. En fait, cet en-soi, quand il est tout seul, c’est quelque chose qui pour Sartre n’a pas de dedans. C’est un en-soi qui n’a pas de secret, qui est massif, dont on peut dire qu’il est ce qu’il est, mais dont on ne peut pas dire qu’il n’est pas ce qu’il n’est pas. C’est vraiment le plein positif. Il n’y a pas là d’altérité. On ne peut pas y introduire la négation. Aucun rapport avec l’Autre ne peut en sortir. Est-ce là le réel dont il s’agit dans l’expérience analytique ? Eh bien, absolument pas. Ce n’est pas parce que le réel fait butée qu’il correspond au fantasme de l’en-soi, ou même au réel de la science. Lacan a réussi a fasciner les psychanalystes sur le réel, mais il y a encore quelque chose qui cloche dans la disposition de ce terme. Le réel pour Lacan, je dirais que c’est l’effet d’une construction. Dans le rapport de Rome, il n’y a au fond que deux jointures avec le réel dans l’expérience analytique. C’est 3 très amusant de voir lesquels. Le premier, c’est l’abstention de l’analyste, le fait qu’il se retienne de dire et de faire. Le deuxième, c’est la fonction du temps, où il faut entendre avant tout la scansion, la ponctuation de l’interprétation. Ces deux points d’attache sont pour Lacan jointures du symbolique et du réel. De l’abstention de l’analyste, Lacan fait un élément de réalité dans l’expérience analytique. C’est un point où le symbolique rencontre effectivement une butée. La butée de tout le blablabla qui se déverse dans l’analyse est constituée par ce que Lacan appelle, à cette époque inaugurale de son enseignement, “le refus de répondre”. Notez-le bien puisque c’est de nature maintenant à être réveillé dans vos oreilles. Il y a là un fil qui court et dont le pivot est justement cette affaire de réponse. Le refus de répondre par principe, c’est déjà un point de jonction du symbolique et du réel. Lacan ajoute, et c’est très énigmatique à la première lecture, que c’est fondé par la conviction de l’analyste en fonction, conviction qui est que tout ce qui est réel est rationnel. Nous reviendrons sur ce tout ce qui est réel est rationnel, puisque c’est aussi bien le fondement de la position de l’analyste comme sujet supposé savoir. C’est sa position alors qu’il sait très bien que tout ce qui est réel n’est pas rationnel. Nous avons comme premier point ce refus de répondre. La présence du réel dans l’enseignement de Lacan est d’emblée connectée avec cette affaire de réponse. La deuxième jonction, c’est justement le moment où l’analyste répond. Lacan garde un troisième facteur en réserve, à savoir que lorsque le réel se conjugue au symbolique, c’est aussi bien “le don de l’argent”. Je reviendrai sur tout cela, je parcours simplement un peu le paysage. Nous avons donc, et dès le début de l’enseignement de Lacan, ces deux jonctions : réponse refusée ou contenue, et réponse donnée ou ponctuée. Il faut cependant dire que tout cela va chez Lacan bouger très vite, puisque dès sa réponse au commentaire de Jean Hyppolite, il introduit déjà une idée plus fine du réel, à savoir le réel comme le domaine de ce qui subsiste hors de la symbolisation. Il le fait à propos de l’homme aux loups et il est du coup conduit à étudier l’hallucination, et donc à poser d’emblée le non-symbolisé comme réapparaissant dans le réel, comme ponctuation sans texte. Cette affaire du réel a affaire avec ces ponctuations. La question du réel devient alors plus aiguë pour situer la fin de l’analyse, puisque, s’il y a une scansion qui a du poids, c’est bien celle-là. Evidemment, ce réel ressemble encore un petit peu à l’en-soi sartrien. Lacan reprend encore les termes sartriens, le réel étant, dit-il, ce qui est “identique à son existence”. Cependant, il l’expose dans la psychose comme causant tout seul, ce qui n’est pas tout à fait conforme à cet identique à son existence. Que la psychose soit une affaire de réponse, nous le voyons au début de son enseignement, dans les années 53-54. Mais nous pouvons lire “L’étourdit”, qui est un texte de 72, où nous voyons aussi bien évoquée, à propos de l’hallucination, “la réponse donnée par le perçu dans la psychose”. Je vous défie de comprendre ça si vous ne reconstruisez pas un petit peu le paysage que je vous dessine ici. Moi, pendant dix ans, je n’ai pas compris pourquoi le mot de réponse venait là. Une fois qu’on a cette petite boussole, un terme qui passait tout à fait inapperçu, comme répondre ou réponse, se met à clignoter dans le texte, et on s’aperçoit alors que c’était là depuis toujours. Le réel, on croit en être quitte avec Lacan quand il dit que c’est ce qui revient toujours à la même place. Ca, c’est très rassurant. Bien sûr que Lacan va continuer de dire que le réel est ce qui revient à la même place, mais encore faut-il savoir laquelle, parce que si on se contente de cette référence astronomique du ça revient à la même place, on s’imagine que le réel ne bouge pas, qu’il se le tient pour dit une bonne fois. 4 Ce réel qui revient à la même place, il a d’abord demandé que l’on fasse taire les espaces infinis. Vous avez ça dans le Séminaire III. “Pourquoi est-ce que les planètes ne parlent pas ?”, nous dit Lacan. Eh bien, c’est la science qui fait ça. Ca tient à cette invention scientifique que Lacan a baptisée, dans les Psychoses, le 11 avril 1956, “le signifiant qui ne veut rien dire”. Il a été très fier d’avoir inventé ce signifiant asémantique. C’est évidemment un signifiant qui est le contraire du signifiant sémaphore. Pensez aux petites lettres de la logique mathématique qui sont évidemment asémantiques. On a essayé de faire signifier les nombres de toutes les façons possibles, mais, foncièrement, ça ne fait pas appel au joui-sens. Si ça a des effets de sens, ce ne sont pas comme tels des effets de joui-sens, même si l’on essaye de faire du joui-sens avec. Le signifiant asémantique est la condition pour qu’on arrive à trouver le savoir qui est dans le réel. On essaye de le découvrir, et l’écriture mathématique s’y est avérée nécessaire. On s’aperçoit, comme le disait Galilée, que la nature est écrite en langage mathématique. C’est cela que Lacan a traduit par le savoir dans le réel. Mais est-ce que la science découvre un sujet dans le réel ? La thèse de Lacan, c’est que c’est cela que le discours analytique concerne : “Le sujet, comme effet de signification, est réponse du réel.” Est-ce bien la même chose pour la science ? On voit bien pourquoi la question peut se poser. Le signifiant vaut pour un autre signifiant : on part de là. C’est la définition de Saussure. La question que pose cette phrase de Lacan, c’est: comment peut-il se faire qu’un signifiant qui est articulé à un autre en vienne à représenter un sujet ? Qu’est- ce qu’il faut pour ça ? Evidemment, dans la science, le réel répond. Il répond parce qu’il y a du savoir dans le réel, parce qu’il y a du signifiant. On est obligé de dire que ce signifiant est déjà dans le réel. On va donc trouver des constantes. On donnera, par exemple, une loi de la gravitation. C’est là une réponse du réel. On arrive aujourd’hui à envoyer des objets dans l’espace qui se mettent à fonctionner comme c’était prévu. Pour la science, donc, le réel répond. Il répond parce qu’il y a du savoir dedans. Tout dépend des questions que l’on pose au réel. Il faut lui poser les bonnes questions, des questions dans son langage. C’est ce que fait la science. Elle parle le langage de l’Autre du savoir dans le réel. Mais est-ce que dans le discours scientifique, il y aurait un sujet qui, comme effet de signification, serait réponse du réel ? D’abord, on ne peut pas dire que ça concerne le discours scientifique. Il ne s’en occupe pas. Même s’il y en a un, ce n’est pas son affaire. Mais pourquoi ne pas aller jusqu’à dire que, de toute façon, le signifiant a effet de signification ? On le sait à partir de la structure de la métaphore ? S’il y a un signifiant tout seul, il pose déjà la question de ce qu’est son signifié. Déjà il est à déchiffrer. Pour qu’il se déchiffre, il faut qu’il passe dans les dessous, qu’il soit gommé, barré, et puis qu’il y en ait un autre qui s’implante à sa place. Je ne vais pas redéplier cette affaire. Il suffit que s’implante un nouveau signifiant pour que surgisse un effet de signification. Le sujet est écrit chez Lacan avec un $. Il n’y a pas de meilleur signifiant pour le sujet qu’un signifiant en moins, que le signifiant de l’élision d’un signifiant. Eh bien, le sujet supposé savoir dans la science, il n’émerge pas autrement. Mais c’est un sujet supposé savoir se tenir, et spécialement se tenir à sa place. C’est un sujet honnête. C’est pourquoi le passage par le Dieu trompeur de Descartes est essentiel au défilé de la science moderne. Et il est essentiel aussi bien à ce que note Lacan sur Einstein, pour lequel aussi il fallait que Dieu soit honnête On voit bien ce qui tient lieu de cette élision pour la sience, ce qui tient lieu de cete barre sur le signifiant. Ce qui est barré, ce sont les signifiants naturels, moyennant quoi ils 5 reviennent dans le langage, par exemple dans le langage de la mathématique. On aime bien emprunter à l’ordinaire de la cuisine : les filtres, etc., mais, en fait, on barre les signifiants naturels et on se met à produire du chiffre au-delà de ce qu’est le joui-sens. Eh bien, quand on introduit à cette place le signifiant asémantique, il a quand même un effet de signification, qui est la signification de savoir. Il n’y a rien qui ne produise autant la signification de savoir, qui l’impose autant, que quelque chose à quoi vous ne comprenez rien. C’est précisément l’opacité d’une articulation signifiante qui impose le savoir, qui vous le signifie. Il faut que ça résiste un petit peu, que ce soit opaque. Le signifiant asémantique a quand même un effet de signification de savoir. Seulement, dans la science, on s’imagine – c’est une supposition tout à fait extraordinaire – que l’on a affaire à un partenaire qui vraiment s’y connaît, qui connaît les règles du jeu et qui les respecte. Lacan dit même que c’est un véritable acte de foi : être persuadé qu’on a un partenaire et que ce dernier respecte les règles du jeu. Il faut dire que le psychanalyste joue à ça aussi. Il joue à soutenir que rien n’est sans raison et que tout le réel est rationnel. C’est même ce qui justifie la consigne analytique qui est d’y aller et de ne pas savoir ce qu’on dit. C’est bien ce qui fait produire, à partir du signifiant du transfert, cet effet de signification qu‘est le sujet supposé savoir. Mais le curieux dans la psychanalyse, c’est que le sujet comme effet de signification émerge dans le réel. En effet, dans l’expérience analytique, ce sujet barré ne reste pas bien élevé dans son coin à respecter les règles du jeu. Au contraire : lapsus, acting-out, dérèglements divers. Ce n’est pas ce qui se produit avec le discours scientifique qui, lui, continue de se tenir bien. Il n’y a pas de réponse du réel qui soit le sujet. Il y a bien un effet de signification qui se produit comme signification de savoir, mais ça ne constitue pas pour autant la réponse du réel comme telle. Ce qui constitue la réponse du réel, c’est au contraire les constantes, les constantes et pas les errements ou les trébuchements. C’est par là que se trouve mobilisé le sujet supposé au savoir, qui, avant qu’il n’émerge comme réponse du réel, se trouve strictement indéterminé. C’est là que nous trouverons nos affaires d’incertitude et d’invention. “Le sujet qui, comme effet de signification, est réponse du réel.” J’ai considéré cette phrase de Lacan comme surprenante. On a le sentiment que c’est vraiment( trapu. Mais il faut s’apercevoir que le sujet, c’est-à-dire ces différentes élisions qui se promènent, c’est tout ce que nous avons comme réponse du réel. C’est tout ce que nous avons, et nous ne faisons que redoubler ça dans l’interprétation. C’est déjà ce que Lacan souligne dans cette page 310, à savoir que nous ne donnons la réponse que quand le sujet y est déjà, conformément à la formule de la communication inversée où c’est le récepteur qui émet le message. A cet égard, ça n’a rien à faire avec le réel de l’en-soi. Rien à faire non plus avec le réel de la science qui dit toujours la vérité et rien que la vérité. Le réel dans la psychanalyse, c’est autre chose. Qu’est-ce que c’est que la réponse du réel dans la psychanalyse, si cette réponse c’est le sujet et rien que ça ? Eh bien, si la réponse du réel c’est le suhjet, on voit à quoi nous pouvons nous attendre au niveau du sujet. La réponse, c’est un mensonge. C’est là qu’il faut donner tout son poids à ceci, que le réel ment, que dans la psychanalyse le réel ment. Ca ne l’empêche pas de faire butée, mais pas question ici d’un réel stable et solide qu’on retrouverait toujours à la même place, au sens où il se tiendrait tranquille. Comment le sujet comme effet dse signification en tant que réponse du réel émerge-t-il ? Il émerge comme effet de signification dans le transfert, c’est-à-dire comme amour de transfert. Et si cela n’est pas un mensonge, alors… 6 On s’imagine évidemment que l’on peut retrouver des traces de ça dans la science. Par exemple avec le principe d’incertitude, où il y a cette idée qu’il y aurait comme un clivage des données repérables et que ça ressemblerait presque à un sujet comme réponse du réel. Lacan l’évoque dans le Séminaire III, pour dire qu’évidemment on a des particules qui ne répondent pas là où les interroge. Vous voyez qu’on est toujours dans cette affaire de réponse. Qu’est-ce qui se passetrait si les atomes nous mentaient ? Eh bien, dès ce moment, la question qui se pose n’est pas de distinguer là le mensonge et le réel, parce que sinon il suffirait de confondre le réel et le vrai. Si d’utiliser la carégorie de réel a un sens, c’est que précisément, dans la psychanalyse, le Dieu trompeur n’est pas forclos. Si Descartes, avec son sujet supposé savoir, forclot le Dieu trompeur, la psychanalyse, elle, le réintroduit, et à la meilleure place. Freud l’avait dit. Il l’a très bien dit à propos de l’hysérique quand il a parlé du mensonge originaire de celle-ci. Ca vaut pour le sujet comme tel. Le sujet comme réponse du réel, c’est ça : le mensonge originaire. Ca émerge, à l’occasion, sous des formes de déploration du sujet, d’ignorer la vérité de son être, de n’être que facettes et semblants. C’est là qu’il revient à l’analyste de savoir que c’est une réponse du réel. Comment ne pas s’en apercevoir lorsque ça conduit précisément l’hystérique à braver l’impossible, c’est-à-dire à méconnaître ce qu’on s’imagine être la réalité. Je reprendrai la fois prochaine ces affaires de réponses menteuses qui sont nécessaires à situer convenablement les catégories cliniques elles-mêmes. 7 DES REPONSES DU REEL II Jacques-Alain Miller Cours du 23 novembre 1983 Se risquer : c’est bien la position que réclame d’aborder le sujet des réponses du réel. Pour aller au devant des réponses du réel, il n’y a pas d’autre loi que le risque. Je me risque aussi quand j’emprunte, pour commencer ce cours, une phrase à une analysante. Pourquoi le réel mentirait-il dans l’expérience analytique ? Pour aborder cette question scandaleuse, il vaut mieux partir du fait que le sujet, pour la psychanalyse, est une réponse du réel. C’est d’abord à ce titre que le réel ment. C’est parce qu’il donne le sujet comme réponse. Dans la psychanalyse, le sujet ne se conçoit pas autrement que comme une puissance menteuse. C’est d’ailleurs ce qu’on a aperçu depuis toujours avec le transfert. Le transfert est une réponse trompeuse. Le mensonge, ça n’a de consistance que par rapport à la vérité. Mais il s’agit là d’un mensonge où il n’y a pas de vérité pour faire opposition. C’est toute la question. Sans ça, il serait question d’exactitude. Renoncer à cette voie nous installe d’emblée dans la structure de fiction qu’il est concevable de formuler en disant que le réel ment. Le sujet, c’est ce qui du réel répond quand on l’interroge sur le mode freudien. Evidemment, la question pour nous est aussi de savoir si l’interprétation de l’analyste est une réponse du réel. On peut déjà dire qu’elle appelle une réponse du réel, et qu’elle ne peut le faire qu’à valoir pour, qu’à valoir pour une réponse du réel. Il y a une interprétation première dans la psychanalyse qu’on pourrait appeler le proton pseudos de la psychanalyse, le mensonge originaire. Ce proton pseudos, c’est précisément d’en venir à tenir pour réponse du réel, ce qui peut parfaitement être qualifié comme un effet de signification, un effet de signification que nous baptisons sujet. Nous ne faisons jamais, dans notre mensonge premier, que de le supposer. 8 Rapport d’un signifiant avec un autre signifiant : c’est une base que nous donne non pas Lacan ou Freud, mais Saussure, et au-delà de lui les Stoïciens. Ca s’abrège S1 - S2 . Ca abrège le champ du langage et c’est extrêmement commode. Ce qui est naturel de ce rapport, c’est d’engendrer un effet de signification. C’est un effet de signification qui est variable et que l’on peut négliger. Il est même essentiel de savoir négliger cet effet-là où il faut. Il est variable selon le type de communication où il est enchâssé. Eh bien, dans la psychanalyse, on fait ce tour de force qui consiste à réinscrire cet effet de signification, et de telle sorte qu’on le considère comme représenté par un signifiant pour un autre : S1 - S2 匠‱ ← X C’est dans ce rapport que l’on arrive à tenir cet effet de signification comme tel pour une réponse du réel, c’est-à-dire qu’on suppose qu’il est comme sujet déjà là. C’est la racine de toutes les illusions de la communication où l’on s’imagine que l’on s’exprime avec du signifiant. Du fait qu’on le reporte comme déjà là, on le tient, en comparaison et en référence avec ce rapport binaire, pour un manque de signifiant. On ne peut le tenir comme un manque de signifiant que par le tour de passe-passe du report. Du coup, sa définition minimale, je dirais même naïve, c’est que le sujet est une élision du signifiant. Est-ce que dans un savoir, on peut vraiment repérer ça ? Un savoir, ce n’est pas une science, et ce n’est pas non plus une connaissance. Un savoir, c’est une articulation et ça peut aussi bien s’abréger S1 - S2. Quand ça s’abrège de cette façon-là, ça a naturellement une présomption de complétude. La présomption de complétude, c’est tout à fait essentiel pour notre sujet de cette année, sinon on ne comprendrait pas l’effet catastrophique produit, dans l’idéologie scientifique du temps, par l’émergence du théorème de Gödel qui précisément semble faire trébucher la présomption de complétude. Il y a là quelqu’un qui a réussi un coup extraordinaire. Il l’a fait involontairement. C’est quelqu’un dont je vais parler un petit peu aujourd’hui, puisqu’il me paraît appeler de toutes les façons possibles cette question des réponses du réel. Ce quelqu’un, c’est Pascal. Le sujet comme discontinuité dans le réel. C’est une phrase que vous trouverez dans les Ecrits de Lacan. C’est une façon minimale d’évoquer cette élision constitutive du sujet. Chaque fois que l’on tombe sur une discontinuité réelle – on y tombe le plus souvent à partir de l’appareil signifiant que l'on met en place –, la structure du sujet est là comme préformée. Chaque fois que dans l’histoire des idées, on est tombé sur ce qui pouvait paraître des discontinuités naturelles dans le réel, c’est comme si la structure du sujet s’y logeait. Il y a d’ailleurs un mode de localisation premier de la parole du dieu, à savoir la caverne. Là où semble se ménager dans la nature elle-même le trou propice à révéler cet effet de signification. Alors, la science ? La science, si elle établit de supposer un savoir dans le réel, il faut ajouter que c’est la condition de ne pas supposer un sujet. Pour pouvoir aborder le réel d’une manière scientifique, il faut partir de ce que des signifiants s’y articulent, mais s’y 9 articulent tout seuls, c’est-à-dire comme ne représentant rien. C’est pourquoi dans la science vous pouvez avoir tous les effets de signification que vous voulez. Et vous en avez ! Il est indiscutable que ça produit des effets de signification. Parmi les philosophies, par exemple, ça produit une idéologie de la science, idéologie de laquelle il ne faut pas s’imaginer que nous arrivons à sortir comme ça. C’est vraiment ce qui nous supporte tous les jours. Tant que ces effets de signification ne sont pas reportés, eux, comme réponses du réel, cette dimension subsiste comme telle. Elle n’en est pas du tout ébranlée. Le théorème de Godel, ce n’est pas la fin des mathématiques. Les mathématiciens s’en fichent. Ce n’est pas la fin de la logique mathématique, ça serait même plutôt son commencement. Tant que vous n’opérez pas le proton pseudo qui consiste à prendre les effets de signification comme réponses du réel, il n’y a rien de fait. C’est en quoi, s’il y a du sujet, ce sujet n’est que supposé savoir, c’est-à-dire être du savoir. Le sujet qui pourrait ne jamais émerger s’éteint dans le savoir. Le sujet supposé savoir dans la science, c’est sans doute le réel, mais en tant que ce qui ne trompe pas. Dans la psychanalyse, il se passe cette chose – et c’est cela qui fait sa dépendance à l’égard de la science – qu’il faut certainement, pour qu’elle soit concevable, supposer un savoir dans le réel, mais à cette différence que la psychanalyse suppose aussi bien, dans le réel et dans le savoir, le sujet. Si on peut s’imaginer au départ que le sujet consiste en un savoir, ça ne fait pas forcément la différence avec la psychologie qui s’imagine être scientifique ou expérimentale. La différence avec la psychanalyse, c’est que le sujet qui consiste en un savoir y est pris comme sujet de l’inconscient, et que le sujet dans l’opération analytique est lui-même supposé au savoir dans lequel il consiste. J’ai parlé la dernière fois d’un mathématicien et ce fut réducteur de ma part de le nommer ainsi. Je voulais dire par là qu’il s’était voué au mathème sans pour autant oublier la question du sujet. C’est pourquoi, parmi ceux qui se sont voués au mathème, il a cette place à part. L’ennui, c’est que comme on a bien vu qu’il a une place à part, on l’a simplement mis dans les auteurs littéraires. De ne pas négliger la question du sujet, ça lui donnait un style. Eh bien, je dirais qu’il n’est pas tellement à sa place dans la littérature. Pascal, en effet, ça s’effondre si l’on veut le ranger dans la littérature. Ca s’effondre dans sa question unique qu’il traite dans la mathématique comme dans l’apologie de la religion chrétienne. Pascal, donc, n’a pas oublié la question du sujet. Un nommé Fermat, avec qui il était en correspondance, l’a peut-être surclassé dans certaines questions mathématiques. Mais Fermat, sur les questions essentielles du sujet, il l’avait complètement… fermat. Malgré cette avancée combinatoire de Fermat par rapport à Pascal, on peut dire justement que Fermat ne reste pas. Si Pascal reste pour nous, ce n’est pas, en tout cas, comme un sage. Il faut dire que Pascal a payé de sa personne pour la question du sujet. C’est ce qui a fait son retentissement. Evidemment, il n’a pu le faire que sur son mode à lui, c’est-à-dire en passant de la science à la religion et à son apologie. Mais il faut voir que c’était sa façon à lui de ne pas méconnaître le sujet comme réponse du réel. Il est certain que Pascal s’est aperçu que le mathème scientifique faisait taire le réel, et même, plus précisément, que c’est en faisant taire ce réel, que la nature, le monde, le cosmos devenaient le réel. Il a dit ça sur un certain mode, un certain mode qui a irrité quelqu’un qui, à la différence de Pascal, était un littérateur, quelqu’un qui faisait une valeur de la littérature, et qui en même temps aspirait à la mathématique, mais sans y parvenir jamais. Ce quelqu’un, c’est Valéry. Ce qu’il a dit, Pascal, et qui reste le témoignage de ce vidage de la nature, c’est cette 10

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Jacques-Alain Miller. I - Cours du 16 novembre 1983 faut dire que Pascal a payé de sa personne pour la question du sujet. C'est ce qui a fait son.
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