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Des pionniers autoconstructeurs aux coopérateurs PDF

245 Pages·2017·6.24 MB·French
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Des pionniers autoconstructeurs aux coopérateurs : histoire des Castors en Aquitaine Julie Boustingorry Docteur en histoire et en Urbanisme Boustingorry Julie – Histoire des Castors en Aquitaine - 2010 Préambule Ce travail est un manuscrit en cours de travail. Il est issu d’un travail de thèse réalisé de 2004 à 2008 au sein de l’Equipe d’accueil 3002 I.T.E.M. de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Il est issu d’un recentrage des interrogations sur la question des Castors en Aquitaine, des pionniers autoconstructeurs aux coopérateurs (1948-1970) initialement traité dans mon travail doctoral dans une chronologie plus large du logement social. Entre utopie et formes urbaines, ce travail esquisse les contours d’une histoire de la place des aspirations habitantes dans celle plus générale du logement social. Travail issu de la thèse « Contribution à l’étude du logement en Aquitaine, 1850-1960. Du logement populaire à l’habitat social, des réalisations innovantes à travers les expériences du castorat », sous la direction de Christian Thibon. Doctorat d’Histoire contemporaine : Université de Pau et des Pays de l’Adour, soutenu le 14 novembre 2008 (558 p.) Composition du Jury VOLDMAN Danièle Directrice de Recherches C.N.R.S. (Rapportrice) MESSU Michel Professeur d’Université Paris VIII (rapporteur) LE COUËDIC Daniel Professeur d’Université, Directeur de l’Institut Géo- architecture (Président du Jury de thèse) VAYSSIÉRE Bruno Professeur d’Université, Institut d’Architecture, Université de Genève (discutant) THIBON Christian Professeur d’Université, Université de Pau et des Pays de l’Adour (Directeur de recherche) LORINET Sylvaine Maître de Conférences, Université de Pau et des Pays de l’Adour (Discutante) 2 Boustingorry Julie – Histoire des Castors en Aquitaine - 2010 Introduction « Depuis quelques années on a beaucoup parlé des Castors. Ces mammifères rongeurs, nuisibles à l’arboriculture, sont devenus sympathiques depuis l’époque où des hommes leur ont emprunté non seulement leur nom, mais encore leur façon ingénieuse de construire »1. « Castor » est une appellation donnée à un mouvement polymorphe de construction sociale, qui se développe lors de la Reconstruction de 1945, en réaction aux carences de la politique de l’État central de plus en plus interventionniste. Les Castors font émerger un nouveau modèle d’action coopératif, issu de leur opposition aux réalisations nationales, en lesquelles ils ne croient pas et ne se retrouvent pas. Notre étude met en évidence la négociation entre les idéologies nationales et les spécificités régionales qui préside à l’émergence de ces mobilisations collectives en faveur du logement social des années 1945 à 1960, autour des expériences innovantes du castorat aquitain. Et si l’échelle quantitative de leurs réalisations n’est pas importante au vu des constructions globales de la période de la Reconstruction et du début des Trente Glorieuses, leurs réalisations sont novatrices dans la portée humaine qu’elles impliquent : plus qu’un logement, c’est un mode d’habiter que prônent les Castors, centré sur leur aspiration à la maison individuelle. A partir de 1945, le logement devient un problème économique et politique dont l’État souhaite se charger en globalité et en exclusivité dans une vision aménagiste nationale. Il semble ainsi ne laisser que peu de place à l’initiative de la société civile. Or, c’est aussi le moment où celle-ci semble se donner le droit au logement. Leur mobilisation vient placer les aspirations habitantes au centre du projet urbain, une liberté qu’autorise l’autodétermination, si ce n’est l’autoconstruction. Diverses expériences d’autoconstruction menées depuis le XIXème siècle viennent témoigner de la capacité à l’action de ceux qui décident de résoudre par leurs propres moyens la situation de crise du logement dans laquelle ils se trouvent, en adoptant le système de l’autoconstruction coopérative. A l’image de la première « Société des Castors » créée en 1850 à Lyon, ou encore du mouvement des « cottages sociaux » stéphanois durant l’entre- deux-guerres, ces réalisations mettent en valeur les carences d’une politique publique de construction qui a toujours été impulsée par l’État, mais laissée au bon vouloir des initiatives 1 Louis HERRAN. Enfants d’une même cité : 150 volontaires viendront aider les « castors bayonnais ». Sud-Ouest, 20 juillet 1952. 3 Boustingorry Julie – Histoire des Castors en Aquitaine - 2010 privées ou à la charge des Municipalités. Ainsi donc, il n’y a pas de génération spontanée de Castors, mais une lente maturation de la formule jusqu’à ce qu’elle devienne efficiente. Fort de tous ces antécédents, le mouvement se développe à l’échelle nationale et s’inscrit dans un contexte de crise du logement, où la solution des Habitations à Bon Marché (H.B.M.) apparaît comme la seule valable dans l’urgence de l’après-guerre. L’analyse du mouvement a nécessité un jeu d’échelle permanent entre local et national, tant il se structure autour de revendications nationales à partir d’initiatives privées, inscrites dans la localité. Fondé sur des valeurs reconnues comme spécifiquement ouvrières de solidarité et de communauté - ce qui justifie généralement leur intégration au mouvement ouvrier - le mouvement se détache cependant des schémas classiques de la contestation ouvrière pour passer de la revendication à l’action de construction. Les Castors justifient et négocient très bien le passage du taudis au droit à la propriété et à la ville. Ces mobilisations sont donc issues d’une double négociation, entre revendications nationales et enjeux locaux d’une part, et les idéologies portées par les organisations représentatives du mouvement ouvrier dont sont originaires les initiateurs et leurs particularismes culturels aquitains qu’ils défendent, d’autre part. De plus, chaque expérience Castor est l’histoire particulière d’un groupe. Pour saisir la complexité du mouvement général, il est donc indispensable de singulariser chacune d’entre elles pour mieux la resituer dans un contexte plus général. La micro-histoire fait ici le lit de la grande. Deux types d’action caractérisent le phénomène castor. Un premier moment pionnier est celui de l’autoconstruction collective Castor en Aquitaine. Directement issue de la guerre et marquée par le rôle majeur des délégués syndicaux CFTC, d’obédience démocrate chrétienne, ces expériences combinent tout à la fois les revendications nationales en faveur d’une action pour les « mal-logés de la paix», et une aspiration aquitaine à la « maison » individuelle en accession sociale à la propriété. Ils se réapproprient une pratique reconnue comme être le mode naturel de production de l’habitat de l’homme qu’est l’autoconstruction, solution éprouvée pour concrétiser leur rêve d’un habitat pavillonnaire, dans une période dominée par une idéologie urbaine collective. Dans un second temps, l’émergence de la coopérative des Castors Landais témoigne de la capacité des sections SFIO landaises à initier un modèle alternatif de construction sociale, promouvant aussi l’accession à la petite propriété individuelle dans tout le département des Landes puis à l’échelle régionale, amenant une structuration territoriale du phénomène qui se développe au gré des créations des sections. 4 Boustingorry Julie – Histoire des Castors en Aquitaine - 2010 L’Aquitaine apparaît alors comme la terre des pionniers, territoire propice à la négociation sensible entre tradition et modernité. Cette géographie du castorat, sous ses différentes formes, est révélatrice d’une histoire sud- aquitaine du logement qui s’inscrit dans une longue durée de faiblesse de l’action politique municipale ou d’initiatives limitées des élites locales qu’elles soient patronales, catholiques ou sociales, alors que le problème du logement populaire et/ou ouvrier est déjà posé avant la Seconde Guerre Mondiale. En effet, un rapide retour sur l’histoire régionale du logement laisse entrevoir la part belle faite à des expérimentations marginales, traditionnel palliatif à un urbanisme mou qui s’impose paradoxalement comme le terreau fertile de l’innovation en termes de pratiques urbaines. L’étude des initiatives du castorat dessine une Aquitaine qui revendique ses spécificités en termes d’habitat individuel, marqué du sceau du régionalisme, combiné à la modernité des « chemins de grue » dont les grands ensembles sont la réalisation majoritaire au niveau national. Dès lors, plusieurs questions se posent. Comment comprendre l’apparition d’un habitat pavillonnaire dans une période marquée par l’avènement du collectif ? Les questions financières ou au contraire idéologiques suffisent-elles à épuiser les raisons de ces choix ? A ce titre, les expériences des Castors viennent éclairer le jeu complexe des différents acteurs du logement dans ces années de crise aiguë : l’Etat, les Municipalités, les groupes sociaux et les individus. Notre étude rend ainsi compte du rôle atypique des coopératives de construction sociale à travers les expériences des Castors aquitains. Mais le castorat interroge aussi de façon plus générale le registre de la participation citoyenne, en déterminant les étapes d’une action participative singulière dans la conception d’un projet urbain. L’histoire du logement ouvrier puis social est celle d’un phénomène complexe, qui se situe au carrefour de nombreux acteurs perpétuellement en négociation. L’analyse de l’engagement privé dans la construction de la législation sur le logement social met en évidence les spécificités de chaque type d’acteur, comme par exemple l’action patronale dans la récente analyse d’Hélène Frouard2. Notre travail complète ces multiples approches par l’analyse des composantes d’un mouvement atypique qu’est le castorat, dans son émergence comme dans sa forme. En effet, si les moyens d’action mis en place divergent, faisant ou non le choix de 2 FROUARD Hélène. Du coron au H.L.M., patronat et logement social, 1894-1953. Rennes : PUR, 2008. 5 Boustingorry Julie – Histoire des Castors en Aquitaine - 2010 l’autoconstruction, les deux types d’initiatives castors se rejoignent en faisant le choix de l’action coopérative. L’esprit qui les anime témoigne d’une négociation entre la coopération, le mutualisme et la sociabilité aquitains. Ainsi, les expériences innovantes du castorat témoignent des capacités créatrices d’une négociation entre le national et le local, faisant émerger un mode d’action singulier, né de revendications nationales au service d’aspirations régionales, dans lequel le rôle des leaders, intermédiaires culturels, apparaît décisif. C’est à la suite de leur engagement initial que se mobilisent les groupes pour passer de la revendication à l’action de construction. L’entre-deux que les instigateurs représentent illustre la puissance mobilisatrice d’organisations nationales, qui dans leur confrontation à un local porteur de spécificités fortes, fait entrer l’utopie dans le domaine du possible. Il s’agit donc d’un double enjeu, déterminer tout à la fois les idéologies qui président à la mobilisation et leur combinaison avec des aspirations plus locales, puis éclairer leur mise en pratique, notamment les stratégies de mise en réseau du castorat en Aquitaine. Des autoconstructeurs aux Castors landais, les liens qui unissent les différents acteurs du logement social apparaissent sans cesse redéfinis, mais toujours dans la recherche d’un compromis. Et de fait, de l’opposition à la reconnaissance d’un palliatif utile et nécessaire, les autoconstructeurs ont impulsé un renouvellement profond de la vision et de l’action possible de la construction sociale, finalement reconnue institutionnellement par la législation sur « l’apport-travail ». Dans le même sens, les coopératives de type Castor landais témoignent du compromis possible, issu de la négociation entre une dissidence assumée et un État providence régulateur, voire qui s’impose comme le cadre de toutes les réalisations. En effet, notre analyse fait apparaître que, malgré le caractère pionnier des entreprises initiales des autoconstructeurs, ces « mobilisations improbables »3 ne constituent cependant pas des enclaves autonomes, mais s’inscrivent bien dans le cadre d’une politique publique plus générale. L’analyse du contexte local aquitain laisse apparaître une conception divergente de résolution de la crise de la part des Castors : la crise doit pour eux se résoudre tant au niveau matériel, par la construction de maisons, qu’au niveau humain, par la création d’une 3 LILIAN Mathieu. Les mobilisations improbables. Paris : Belin, 2001. Dans son ouvrage, Mathieu LILIAN développe ce concept de « mobilisations improbables » à travers l’exemple des revendications des prostituées souhaitant obtenir un statut légal. Il tente de repérer les facteurs dont la réunion rend possible la concrétisation d’une organisation collective de revendication, pour des populations marginales n’ayant pas de traditions protestataires. Ce concept a par la suite été largement utilisé et généralisé en science sociale, notamment en sciences politiques et en sociologie (de l’action collective et de la contestation) à tous les types de mobilisations a priori improbables, parce qu’émergeant de façon soudaine, sans antécédents de quelques sorte. C’est donc une grille d’analyse pertinente pour notre étude sur les mobilisations Castors. 6 Boustingorry Julie – Histoire des Castors en Aquitaine - 2010 communauté de vie. La tension entre le discours national de reconstruction, promouvant la construction massive, et le discours castor de la cité des maisons comme porteuse d’une communauté de vie, montre bien que les logiques interventionniste et communautaire divergent sur la question sociale, tant du point de vue de la réflexion urbaine, que de sa place dans l’action. S’affirme alors la figure centrale d’une maison individuelle, qui n’est pas du néo-rural ou du néo-régionalisme, mais qui se ressource malgré tout dans une tradition vivace qui fait qu’une maison « ça n’est pas que des murs ». Témoin d’une aspiration à un « mieux vivre ensemble » en temps de pénurie pour les autoconstructeurs durant la Reconstruction, ou au temps des « chemins de grue » pour les coopérateurs, le castorat illustre les capacités de réussite d’une utopie qui apparaît être une solution. Ils agissent à la marge des politiques publiques, à un moment où l’on pense que leur action n’est plus possible tant l’État affirme sa volonté de se charger entièrement de la construction sociale. Au-delà de ces expériences urbaines, la mise en perspective historique du mouvement met en lumière une phase transitionnelle de la société française, souvent négligée par ailleurs, les mobilisations des Castors éclairant à la fois l’histoire urbaine des années 1945-1960 et l’histoire sociale de cette période marquée par des bouleversements profonds. Généralement considérés comme le parangon de la solidarité, prônant un idéal de vie en communauté, les Castors ont eu tôt fait d’être assimilés à une des expressions du mouvement ouvrier. Les textes fondateurs des pionniers qui encadrent initialement l’action de construction semblent confirmer cette essence ouvrière d’un mouvement coopératif de construction sociale. Il semble néanmoins que leur puissance idéologique et leur rhétorique ouvriériste voilent une réalité sociale plus complexe. En effet, l’histoire démontre que la diversité des mobilisations que recouvre l’appellation « Castor » ne saurait se contenter de cette intégration au seul mouvement ouvrier. L’analyse du castorat met en évidence au contraire une évolution sociale sensible mais non énoncée : l’émergence d’une classe moyenne qui peine à se définir dans sa singularité. Le premier âge du mouvement des Castors se situe dans une décennie de basculement pour des hommes et des femmes issus de la société paysanne où ils s’étaient constitués, soudainement confrontés aux exigences d’une société industrielle et urbaine en mutation. Ils affrontèrent la situation avec courage et ingéniosité. D’une tradition solidaire et libertaire que la JOC et la CFTC – un certain socialisme régional aussi parfois – qu’ils surent encourager et canaliser, ils tirèrent la capacité de s’organiser et de dominer leur quotidien sans trop espérer d’un Etat défaillant à 7 Boustingorry Julie – Histoire des Castors en Aquitaine - 2010 bien des égards selon eux. Et si les initiatives Castors apparaissent au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, elles se développent au début des Trente Glorieuses, dans une période caractérisée par une promotion et une mobilité sociales sans précédent. Leurs expériences éclairent alors l’émergence d’une classe moyenne française à travers les « temps du castorat ». Du temps des pionniers à celui de la réussite avérée de leurs formules, cette chronologie est autant révélatrice de l’évolution d’un mouvement polymorphe que des bouleversements sociaux majeurs dans les années 1950-1960. Cette analyse interroge donc la diversité des mobilisations des Castors, des pionniers autoconstructeurs aux coopérateurs de la fin des années 1950. A la croisée du social et de l’urbain, l’étude de l’évolution du mouvement éclaire alors une phase transitionnelle de l’histoire de la ville et de la société française des Trente Glorieuses, dont le passage de la cité ouvrière à l’îlot pavillonnaire est le révélateur. Enfin, leur histoire ne saurait se limiter à la construction des cités. Mythes urbains des Trente Glorieuses, les Castors sont porteurs d’une mémoire de l’expérience originale, celle « d’une belle mais courte aventure » : ils en tirèrent une légitime fierté. Cet « esprit castor » mérite d’être exploré. Il est donc indispensable de s’intéresser à leurs trajectoires mémorielles et aux processus de patrimonialisation en cours. La résonance historique de l’aventure castor s’est imposée comme fondamentale. Le mot « castor » semble en effet participer d’un imaginaire générationnel, une mémoire collective qui rebondit en écho sur des traces, l’habitat pavillonnaire des Castors à la présence avérée dans nos villes. 8 Boustingorry Julie – Histoire des Castors en Aquitaine - 2010 1ère Partie. L’autoconstruction comme alternative aux carences des politiques publiques de la Reconstruction : quand la société civile se donne le droit au logement Les dégâts de la guerre et de ses bombardements laissent des « villes mutilées » et des Français bien désemparés face à une pénurie de logements endémique. Et si la reconstruction du pays est une entreprise faramineuse qui concentre toutes les énergies, l’Etat peine àcombler toutes les attentes de la population. Dès 1945, quelques familles ont recours à l’autoconstruction comme solution pour se loger. Des baraquements précaires sortent alors de terre, images symboliques d’une sortie de guerre marquée par l’avènement de l’ère des « mal- logés de la paix ». De nombreuses villes voient ainsi leurs banlieues se transformer en bidonvilles, et les taudis se répandent. Pessac, petite ville de la banlieue bordelaise en Gironde, 1948. Face à une pénurie de logements endémique et en raison de la difficile mise en place d’une politique cohérente de construction de la part de l’État, des ouvriers décident de se réunir afin de construire eux- mêmes leur logement bénéficiant de tout le confort moderne. Peu à peu, des chantiers débutent un peu partout en France comme à Nantes, à Angers, à Toulouse, à Lyon, à St Nazaire, à Poitiers, ou encore à Reims : le mouvement d’autoconstruction des Castors est né. Qui furent les premiers ? La question reste posée. Et si l’idée de la réalisation de cités d’habitations par autoconstruction est développée simultanément en plusieurs endroits, toujours est-il que tous furent des pionniers. Personne n’est capable d’établir clairement d’où vient cette appellation « Castor ». Reste que ce nom symbolise une action coopérative et communautaire de ceux qui n’ont attendu de secours que d’eux-mêmes pour trouver un logement. La spontanéité de la constitution de ces groupes est d’autant plus singulière qu’ils naissent dans un contexte peu favorable au développement de petits chantiers privés, l’importance des destructions de la guerre faisant des « villes mutilées » une priorité de l’action de reconstruction. Ces réalisations pionnières apparaissent comme la réponse militante aux carences des politiques publiques, non dépourvues d’une charge protestataire et revendicatrice en faveur du droit au logement. 9 Boustingorry Julie – Histoire des Castors en Aquitaine - 2010 Ainsi, l’étude du castorat pose une série de questions sur l’histoire du mouvement, mais aussi sur ses fondements idéologiques et ses réalités sociales. Il convient d’abord de préciser comment d’une nébuleuse de groupes qui émergent de façon spontanée, la structuration en mouvement national passe d’une part par la fédération des différentes initiatives, et d’autre part par la reconnaissance institutionnelle. Il s’agit donc de saisir le passage de l’informel au légal du système d’autoconstruction castor. Entre histoire sociale et histoire institutionnelle, il convient de penser le castorat en interaction avec le contexte politique dans lequel il se déroule, à savoir la Reconstruction française après la Seconde Guerre Mondiale, dans un espace sud-aquitain. En effet, si les premiers temps sont marqués d’une forme d’illégalité légitime, ce mouvement généralise l’autoconstruction comme une pratique courante que le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme s’empresse de soutenir et de réglementer. Par ailleurs, le castorat, vu comme mouvement de protestation collective en faveur de la lutte contre la crise du logement, ne constitue pas une enclave autonome mais s’inscrit bien dans la continuité de pratiques ordinaires, politiques et syndicales au cœur de relations sociales. L’éclairage des articulations du castorat à ces pratiques ordinaires ou conventionnelles permet, par la mise en perspective que cela autorise, de mettre en évidence l’innovation que constituent les nouvelles modalités d’action que les Castors mettent en place. Etudier le caractère novateur de l’expérience d’autoconstruction collective des Castors dans la Reconstruction revient aussi à mettre en lumière comment leur conception des rapports sociaux qui place l’homme et le social au centre de l’urbain provoque une nouvelle pratique de construction. Il s’agit d’analyser la nature atypique et critique des Castors qui se revendiquent comme un moyen de lutte contre la crise du logement d’une part, et contre l’habitat normatif du plus grand nombre qu’impose l’État reconstructeur d’autre part. Leur histoire est donc aussi celle des oppositions que rencontrent leurs projets, des tensions ou des conflits qu’ils génèrent, ainsi que des négociations qui en découlent. Considérés comme dissidents à la norme, au sein d’une lutte qui apparaît finalement légitime, les Castors s’auto- définissent autant qu’ils déterminent les objectifs et moyens de leur action dans la confrontation avec leurs détracteurs et la défense de leurs projets. Pour mieux appréhender cette complexité, nous aborderons les fondements de l’action des Castors, de la fin des années 1940 au milieu des années 1950, une période correspondant à la 10

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encore du mouvement des « cottages sociaux » stéphanois durant l'entre- Ces engagements différentiels illustrent la structuration mouvante du
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