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Démocratie, citoyenneté, émancipation : Marx, Lefort, Balibar, Rancière, Rosanvallon, Negri PDF

151 Pages·2010·2.322 MB·French
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Antoine Artous Démocratie, citoyenneté, émancipation Marx, Lefort, Balibar, Rancière, Rosanvallon, Negri... M I 1 I I M A K \ I S M I S Antoine Artous, Daniel Bensaïd et Stathls Kouvélakls « Mille marxismes » est un espace ouvert aux composantes, irréductiblement plurielles, qui constituent la « constellation Marx » de notre présent. Aux antipodes aussi bien des orthodoxies de naguère que des « pensées molles » actuellement en vogue, elle se pro- pose de publier des travaux qui illustrent l'exigence théorique et la vitalité de la recherche qui se mène aujourd'hui en s'inspirant de Marx. À vocation pluridisciplinaire, elle se veut espace de rencontre entre auteurs de générations et de pays différents, contribution à l'indispensable réflexion qui anime ceux qui veulent changer le monde. Déjà parus Bertell Ollman, La dialectique mise en œuvre. Le processus d'abstraction dans la méthode de Marx Domenico Losurdo, Gramsci. Du libéralisme au communisme critique Antoine Artous, Marx et le fétichisme Alex Callinicos, Les idées révolutionnaires de Marx Isaak I. Roubine, Essai sur la théorie de la valeur de Marx André Tosel, Les marxismes du 20e siècle À paraître Nicolas Boukharine, L'économie politique du rentier © Éditions Syllepse, 2010 ISBN: 978-2-84950-250-1 Éditions Syllepse 69 rue des Rigoles, 75020 Paris [email protected] www.syllepse.net Table des matières 9. Introduction générale Première partie. Logiques de la citoyenneté 21. Introduction 31. Chapitre I. Le tournant des années 1980 Un néolibéralisme «à double fond» «La République du centre» Fin du «cycle de l'universalisation» Médicalisation du corps social 43. Chapitre 2. Autour d'une critique de Claude Lefort à Marx Émancipation politique et émancipation sociale Marx et l'analyse de «l'État politique séparé» Pouvoir public et souveraineté égalitaire La souveraineté populaire comme «lieu vide» 55. Chapitre 3. La dialectique de l'égaliberté La radicalité de 1789 «Auto-constitution du peuple» et «souveraineté égalitaire» «Un droit universel à la politique» La démocratie selon Rancière «Des sujets flottants» 69. Chapitre 4. Lefort, Castoriadis, Balibar: démocratie et émancipation La politique comme «mise en forme» du social Autour d'une critique de Castoriadis à Lefort Castoriadis et la démocratie La «démocratie conflictuelle» selon Étienne Balibar Questions de stratégie A propos du totalitarisme Deuxième partie. L'invention de nouveaux territoires 85. Introduction 93. Chapitre 5. Territoire, citoyenneté, souveraineté «L'invention de la politique» Souveraineté et démocratie Désincorporation et nationalisation du territoire Auto-institution démocratique du social 5 Citoyenneté, démocratie, émancipation 105. Chapitre 6. La crise de l'État national social Crise et procès de «désaffiliation» A propos du «moment colonial» de la République État-nation et procès d'universalisation • Le national-républicanisme» 117. Chapitre 7. Gouvernance, citoyenneté, multitudes A propos de la «gouvernance» Pour une citoyenneté transnationale «Reféodalisation» de l'espace public Multitude et «autogouvemance» des réseaux 127. Chapitre 8. Discriminations, différences, citoyenneté «Politique identitaire» et «politique minoritaire» Égalité et différence Citoyenneté et «discrimination positive» 137. Chapitre 9. Pour un universalisme concret La critique de l'«abstraction jacobine» L'universel comme procès Démocratie et systèmes de représentation Souveraineté populaire et double chambre 151. En guise de conclusion Rapport salarial et droits sociaux Pour une citoyenneté de résidence 155. Bibliographie 6 pour Daniel Bensaïd Introduction générale La référence à la citoyenneté et à la démocratie fonctionne de façon polysémique. Soit la question de l'immigration. Elle est récurrente depuis plusieurs décennies, et, au-delà des populations directement concernées, elle cristallise des problèmes politiques clés dans la phase historique actuelle marquée par la dite mondialisation, la crise des États-nations, mais aussi par l'émergence de nouveaux territoires politiques comme l'Europe. Lorsque, à ce propos, la «classe» politique française (à droite comme à gauche) parle de citoyenneté, c'est essentiellement de façon normative, pour défendre des normes de comportement civique, en lien avec la défense des «valeurs» de la République française. Reste que la citoyenneté moderne - comme procès de construction historique - ren- voie d'abord au développement du suffrage universel et, à travers lui, à la définition de la souveraineté populaire. Pourtant, il y a bien longtemps que la gauche, en particulier le PS, a oublié sa proposition du droit de vote des immigrés aux élections locales. Du coup, on voit mal comment elle pourrait défendre une probléma- tique de la citoyenneté basée sur le droit de résidence. Elle est pourtant décisive si l'on veut construire une citoyenneté et une souveraineté popu- laire européenne brassant non seulement les populations des autres États européens, mais également celles issues d'autres continents. Il est vrai que cette classe politique s'intéresse peu à ces problèmes. Dans son immense majorité, elle a défendu un projet de constitution euro- péenne qui entendait définir un pouvoir politique sans la moindre référence à la catégorie de souveraineté. La chose était inédite historiquement. En fait l'Europe se construit à travers la catégorie de « gouvernance » - une catégorie politique néolibérale -, sans se soucier du développement d'une souveraineté populaire européenne. 9 Citoyenneté, démocratie, émancipation Quant à une citoyenneté basée sur le droit de résidence, elle s'ins- crit pourtant, en la radicalisant, dans une certaine tradition républi- caine du droit du sol. Mais cette époque est bien révolue. Aujourd'hui la République est invoquée comme facteur d'ordre (civique) et cadre de défense de l'identité nationale menacée par la mondialisation et les populations qu'elle déverse en Europe. A cet égard, le titre choisit par Le Monde pour présenter les positions des principaux candidats à la der- nière présidentielle vaut mieux que de longs discours: «La République et la Nation l'emportent sur le communautarisme1.» Diantre! L'époque du procès d'universalisation porté par la République française est bien terminée, place à la République identitaire. Il y a donc deux discours sur la citoyenneté qui est enjeu de bataille. On dira que cela n'est pas nouveau, comme il n'est pas nouveau que « le mouve- ment ouvrier et révolutionnaire », pour employer une vieille formule, bataille pour des revendications démocratiques que la bourgeoisie ne prenait pas en charge jusqu'au bout. Toutefois, il ne s'agit pas seulement de défendre des acquis démocratiques, mis à mal par mondialisation capitalisme. Il s'agit, au-delà, de déployer une problématique de démocratie radicale dans de nou- veaux territoires et espaces. *** Ces exemples permettent également d'indiquer quelques unes des lignes de force théorico-politiques qui sont cristallisées à gauche ou «à gauche de la gauche» durant la période passée sur la question de la citoyenneté et de la souveraineté populaire. Nous retrouverons en détail les auteurs et ici il s'agit seulement d'indiquer de grandes problématiques2. Dans les années 1980 se construit un néolibéralisme «à la française» qui va largement déborder les cercles intellectuels pour devenir, sous des formes diverses, hégémonique dans la gauche officielle (et au-delà). On s'apprête alors à commémorer le bicentenaire de 1789 et ce courant fait sien de la formule de François Furet: «La Révolution française est ter- minée.» Par là, il faut entendre - au-delà des données de la conjonc- ture politique d'alors - que les effets d'une problématique de fondation radicale de la souveraineté populaire sont épuisés. Ainsi, selon Pierre Rosanvallon, l'un des principaux représentants de ce courant, nous arri- vons au bout d'une certaine vision universaliste de la politique. Après le 1. Le Monde du 17-18 décembre 2006. 2. On retrouvera dans l'ouvrage l'ensemble des textes et auteurs cités, je ne fais donc aucun renvoi bibliographique. 10 Introduction suffrage universel de 1848, le vote des femmes en 1946 et l'extension du droit de vote à 18 ans, le «cycle de l'universalisation» est terminé. Dans sa liste, Pierre Rosanvallon «oublie» ce qui déjà à l'époque est en train de devenir une question centrale du point de vue du suffrage universel (et partant de la citoyenneté) : la question de l'immigration. Et, comme «le cycle de l'universalisation est terminé», il va se prononcer par la suite contre le droit de vote des immigrés, y compris aux élections locales, puis va expliquer que l'équivalence établie par le développe- ment historique entre citoyenneté et nationalité est indépassable. Pierre Rosanvallon n'est pas un «nationaliste souverainiste», reste que, au-delà du problème de l'immigration, sa problématique ne laisse aucun espace pour penser la construction d'une Europe sur la base de la souveraineté populaire qui suppose l'énoncé d'une citoyenneté européenne. A la même époque (milieu des années 1980), Etienne Balibar prend un chemin inverse à partir, justement, de la question de l'immigration. Pour en traiter, il va proposer de poursuivre le «cycle de l'universalisa- tion», non seulement en accordant le droit de vote aux immigrés, mais en défendant une citoyenneté basée comme droit lié à la résidence. Ce qui suppose de remettre en cause l'équation citoyenneté égale nationalité et face à la crise de l'Etat-nation de défendre une citoyenneté transnationale articulée à un nouveau territoire; en l'occurrence l'Europe. Ce faisant, il revisite la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 pour montrer - à l'encontre d'une certaine tradition marxiste - qu'elle est porteuse d'une dialectique moderne de 1 '«égaliberté» qui fonctionne comme un «droit universel à la politique». Antonio Negri, lui, entend se situer dans une nouvelle période histo- rique («postmoderne», «post-nationale») dans laquelle parler de souve- raineté, même populaire, n'a plus de sens. Au demeurant, dès le départ, la souveraineté populaire a eu pour fonction de confisquer le pouvoir constituant de la «multitude». Et s'il appelle à voter oui au référendum sur la Constitution européenne «pour faire disparaître cette merde d'État- nation3», ce n'est pas pour inventer de nouveaux territoires politiques et une nouvelle citoyenneté. Au contraire, figure inversée à la thémati- que libérale de la «gouvernance», sa problématique est celle de la fin des territoires au profit d'une démocratie des réseaux qui fonctionne hors citoyenneté. C'est, en quelque sorte, la fin de la politique au profit 3. Toni Negri, «Voter oui pour faire disparaître cette merde d'État-nation», Libération, 13 mai 2005. 11 Citoyenneté, démocratie, émancipation d'une «démocratie neuronale» portée par le développement du «travail immatériel ». *** On voit bien comment, au-delà des sujets traités, ces discussions engagent un travail nécessaire de retour (y compris historique) sur toute une série de catégories clés de la politique et de la démocratie moderne : la catégorie de souveraineté, puisque l'on nous dit que la mondialisation est l'avènement d'un monde sans souveraineté; les rapports entre souve- raineté, souveraineté populaire et citoyenneté ; les rapports entre souve- raineté et territoire qui se sont cristallisés dans l'État-nation, aujourd'hui en crise. J'en traite dans la seconde partie de l'ouvrage. Mais ces discussions ont également relancé des débats qui ont été récur- rents dans « le mouvement ouvrier et révolutionnaire» - et plus généra- lement le camp «progressiste» - sur l'appréciation de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, eu égard notamment aux analyses qu'en fait Marx dans La question juive. Citer Marx dans la liste des auteurs indiqués dans le sous-titre du livre n'est pas une figure de style, ni un simple rappel de mes propres référents théoriques et politi- ques. C'est simplement indiquer la place occupée, notamment dans les années 1980, par certains textes de Marx dans les débats qui s'amorcent autour d'une nouvelle évaluation de la dynamique de la citoyenneté et de la démocratie moderne. Au demeurant, le texte de Claude Lefort «Droits de l'homme et politique» (1980), souvent présenté comme texte fonda- teur d'une nouvelle analyse de la dynamique de la démocratie moderne, est tout entier construit à partir d'une critique de La question juive. Plus généralement, il est difficile de comprendre les divers niveaux de discussions qui marquent les années 1980 si l'on ne souligne pas le télescopage des temps historiques qui s'y cristallisent. Cette décennie connaît, en quelque sorte, un triple big bang dont les effets se font tou- jours sentir. D'abord, si l'arrivée de François Mitterrand et de la gauche au pou- voir est bien l'effet différé de Mai 68, la décennie va clore définitivement la séquence historique ouverte par la plus grande grève générale qu'ait connue la France4. Des évolutions étaient apparues dans la seconde moi- tié des années 1970, mais pour la gauche radicale et l'extrême gauche, il faudra attendre quelques années après l'élection pour que cela devienne 4. Pour la périodisation des années 1968, voir mon introduction «Les longues années 68», in Artous, Epsztajn et Silberstein 2008. 12

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