Degré et marqueurs d’intensité dans l’expression de la joie en anglais, français et espagnol Ramon Marti Solano To cite this version: Ramon Marti Solano. Degré et marqueurs d’intensité dans l’expression de la joie en anglais, français et espagnol . Des sentiments au point de vue: études de linguistique contrastive, 2013. hal-01645037 HAL Id: hal-01645037 https://hal-unilim.archives-ouvertes.fr/hal-01645037 Submitted on 23 Nov 2017 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Degré et marqueurs D’intensité Dans l’expression linguistique De la joie en anglais, français et espagnol 1 Ramón Martí-Solano introduction On retrouve dans un grand nombre de langues européennes des adverbes qui fonctionnent comme marqueurs d’intensité à trois degrés différents, à savoir faible, moyen et élevé. Ainsi l’adverbe anglais extremely (« extrêmement ») est un marqueur d’intensité élevée contrairement à rather (« un peu »), utilisé pour marquer une faible intensité. De leur côté, l’adverbe français assez et l’adverbe espagnol bastante (« assez ») sont des marqueurs d’intensité moyenne. Pour exprimer le degré d’intensité élevée, d’autres procé- dés morphologiques peuvent intervenir, comme l’utilisation du préfixe hyper- en français ou du suffixe -ísimo en espagnol. D’autres procédés d’ordre lexical, phraséologique, voire stylistique sont encore possibles et renvoient à des phénomènes de collocation, à l’emploi d’expressions idiomatiques et aux registres de langue. Dans cette étude nous nous concen- trerons exclusivement sur les procédés d’ordre phraséologique en analysant d’abord les principaux schémas dont se servent ces trois langues pour exprimer le degré maximal d’intensité dans l’expression linguistique de la joie 2. Dans un deuxième temps, nous examinerons les unités polylexicales propres à chaque langue, leur fréquence d’emploi dans les corpus utilisés et leurs agencement et comportement syntaxiques. Nous prêterons une attention particulière à leur contexte extralinguistique aussi bien qu’à leur cotexte linguistique. Finalement, notre analyse mettra en lumière les points convergents et les 1. Je remercie Raluca Nita et Freiderikos Valetopoulos de leur relecture attentive et des remarques et suggestions dont ils m’ont fait part. 2. Nous avons choisi en anglais happiness comme terme générique comprenant à la fois les concepts de « bonheur » et de « joie » en français (Wierzbicka, 2004 ; Kövecses, 2008). De même, le terme français « joie » a été privilégié par rapport au terme « bonheur » car « [l]a joie se distingue du bonheur en ce qu’elle n’a pas le même caractère de calme plénitude et de durée ; […] » (Dictionnaire culturel en langue française, 2005). C’est précisément ce caractère transitoire (plus matériel que moral ou spirituel), associé à ce domaine notionnel, qui a favorisé le choix du terme « joie » en français pour son étude dans l’expression linguistique des sentiments (Wierzbicka & Jamrozik, 1988 ; Anscombre, 1995 ; Gross, 1995 ; Grossman & Tutin, 2005). 2 Ramón maRtí-Solano points divergents concernant les domaines conceptuels privilégiés par chaque langue dans l’expression du degré maximal de la joie. 1. marqueurs d’intensité et sentiments Chaque langue dispose de différents procédés linguistiques pour marquer l’inten- sité. Ceux-ci peuvent être, dans le cas de nos trois langues, des procédés de type lexical tel que l’emploi des adjectifs (grand) ou des adverbes (très) ou de type morphologique comme la préfixation (super-) ou la suffixation (-ísimo). 3 A un autre niveau d’analyse, l’adjectif élatif en espagnol montre une intensification soit morphologique comme avec guapísima (« extrêmement belle »), soit contenue dans sa propre signification lexicale enorme (« énorme ») ou perfecto (« parfait »). Ces adjectifs non graduables expriment par eux-mêmes le degré le plus élevé d’une qualité ou d’un sentiment comme, pour l’anglais, l’adjectif blissful (« bienheureux ») : Il n’est pas sans intérêt de remarquer que, si les propriétés scalaires n’ont pas, en général, de limite supérieure définie, il existe, en français et en anglais, quelques adjectifs non graduables, qui ont pour fonction de désigner le degré le plus haut de propriétés graduables : immense (immense en anglais), énorme (huge en anglais) dénotent respectivement les sommets des échelles définies par les adjectifs grand et gros. Magnifique et splen- dide jouent un rôle analogue à l’égard de beau. Il y a là un argument supplémentaire en faveur du caractère orienté des échelles sémantiques. (Rivara, 1990, p. 123) Des éléments suprasegmentaux sont aussi utilisés pour marquer l’intensité, générale- ment l’accent d’insistance ou l’utilisation d’une intonation spécifique selon les langues. D’autres mécanismes communs aux trois langues incluent la réduplication ou répétition d’un lexème pour indiquer un haut degré d’intensité. D’autres structures intensives telles que Adj à V-inf (fou à lier), N1 de N2 (faim de loup) ainsi que les compléments comparatifs des adjectifs (long comme le bras) ou des verbes (eat like a horse) 4 viennent s’ajouter aux procédés lexicaux, morphologiques et intonatifs. Cependant, ce sont les expressions figées qui sont les marqueurs d’intensité les plus fréquents dans ces trois langues. Ces séquences stéréotypées sont souvent des formules indiquant un degré élevé ou maximal d’intensité. Il s’agit d’expressions imagées et souvent familières dont le « contenu sémantique est réduit à la simple expression de l’intensité » (Mejri, 1994, p. 112). Selon Gavriilidou (2008, 3. Il s’agit, en l’occurrence, du suffixe espagnol utilisé pour créer des adjectifs élatifs, ou adjectifs affec- tés de valeur superlative, d’un emploi très répandu dans cette langue à la différence du français où ils forment un paradigme extrêmement limité (richissime ou rarissime). 4. Cette expression anglaise signifie littéralement « manger comme un cheval ». L’expression équivalente en français serait manger comme quatre. DegRé et maRqueuRS D’intenSité DanS l’expReSSion linguiStique… 3 p. 369), « toutes expriment l’idée du haut degré de l’intensité. On dirait que le figement est un procédé prototypique de la langue pour marquer l’intensité. ». Dans le champ sémantique des sentiments, de nombreuses expressions idiomatiques expriment intrinsèquement le degré maximal d’intensité (Leroy, 2004 ; Gómez Fernández, 2005). Ceci est le cas, par exemple, pour la colère en anglais. Les expressions idioma- tiques go ape/postal/ballistic, see red, cut up rough, flip your lid/wig, blow a fuse/gasket, lose your rag, etc. expriment toutes le degré maximal de colère sans qu’il soit nécessaire d’ajouter aucun marqueur d’intensité 5. D’autres constructions intensives sont utilisées pour exprimer ce degré maximal telles que loco de contento (« fou de joie ») en espagnol, jump for joy (« sauter de joie ») en anglais ou la comparaison stéréotypée heureux comme un roi en français. Pour cette étude nous nous sommes intéressé à un sous-ensemble d’expressions du domaine des sentiments, celui qui relève du champ sémantique de la joie. 2. les comparaisons stéréotypées Il existe dans les langues qui nous occupent des constructions équivalentes que nous appellerons ici comparaisons stéréotypées. Dans le cas de lent comme une tortue, lent correspond à l’élément comparé ou simplement au comparé et comme une tortue, à l’élé- ment comparant ou comparant. Étant donné que ce type de formules comparatives est utilisé pour l’expression de l’intensité, d’autres dénominations ont été avancées telles que expression intensive pour blanc comme neige, où blanc est désigné comme intensifié et comme neige comme intensificateur (Gavriilidou, 2008, p. 366). Il a été signalé que les comparaisons stéréotypées du type fort comme un Turc ou bête comme ses pieds sont « [des] formules à valeur d’intensité [qui] se situent entre les combinaisons libres et les locutions idiomatiques : leurs propriétés combinatoires sont restreintes par rapport aux combinaisons libres. » (Szende, 1999, p. 64). À la différence des structures comparatives où l’élément comparant n’a pas de caractère prototypique, ces formules sont, d’après nous, des expressions figées avec un paradigme de variation plus ou moins ouvert en ce qui concerne le constituant nominal ou comparant. Ainsi, pour exprimer un très haut degré de surdité l’espagnol utilise l’expression sordo como una tapia (« sourd comme un mur ») et l’anglais deaf as a post (« sourd comme un poteau ») avec un degré de figement assez élevé. En revanche, d’autres comparaisons telles que blanc comme neige présentent de nombreuses variantes par substitution ou par exten- sion dans les trois langues. Les grammaires françaises signalent cette particularité des comparaisons stéréotypées, notant qu’elles n’ont pas une interprétation comparative mais qu’elles « [marquent] un degré supérieur d’intensité » (Wagner et Pinchon, 1962, p. 140) 5. En français, les équivalents sont soit des expressions figées, « faire sauter un plomb/un fusible », « piquer une crise », soit des verbes lexicaux tels qu’« éclater » ou « exploser ». Il est évident que l’anglais se montre beaucoup plus productif dans ce domaine que le français. 4 Ramón maRtí-Solano ou qu’elles « expriment l’intensité ou le haut degré » (Buvet et Gross, 1995, p. 83). Elles ont été aussi appelées « comparaisons à parangon » (Rivara, 1990, p. 156). Il existe, pour les trois langues, la possibilité d’utiliser dans les structures comparatives intensives un stéréotype d’emploi général applicable à un paradigme ouvert de comparés de type verbal ou nominal. Les stéréotypes les plus répandus sont comme personne ou comme tout en français, pour l’espagnol como nadie (« comme personne ») et as they come (lit. « comme ils viennent », « comme tout ») en anglais. Ce dernier semble sélec- tionner son comparé, si l’on tient compte des seules cinq occurrences dans le British National Corpus (BNC), où ce comparant se combine exclusivement avec l’adjectif tough (« dur »). Les comparaisons stéréotypées marquent donc un degré élevé d’intensité, le degré maximal restant exclusif, en ce qui concerne les séquences polylexicales, aux constructions intensives et aux expressions idiomatiques. Il semble communément accepté que le haut degré d’intensité véhiculé par ces struc- tures comparatives ne réside pas dans l’actualisation lexicale des comparants mais dans l’emploi du moule formel ou de la structure elle-même (Schapira, 2000, p. 31 ; Leroy, 2004, p. 263). 3. l’expression du degré maximal de la joie en anglais Nous nous sommes servi des deux grands corpus généraux de la langue anglaise contemporaine, le British National Corpus (BNC – 100 millions de mots) et le Corpus of Contemporary American English (COCA – environ 450 millions de mots) pour recenser et répertorier les diverses expressions de la joie en anglais. Le tableau 1 montre le nombre d’occurrences de l’expression du degré élevé et du degré maximal par le biais de l’utili- sation d’adverbes d’intensité devant l’adjectif happy. Adverbe d’intensité + happy (heureux) Nbr. d’occurrences very happy 730 extremely happy 24 completely happy 20 totally happy 14 blissfully happy 11 tableau 1. occurrences des adverbes d’intensité devant l’adjectif happy L’adverbe very (« très ») représente le degré élevé tandis que les autres adverbes, extremely (« extrêmement »), completely (« complètement »), totally (« totalement ») et blissfully (« bienheureusement »), représentent le degré d’intensité maximal. Les adverbes extremely et completely sont, par ailleurs, systématiquement choisis dans les définitions DegRé et maRqueuRS D’intenSité DanS l’expReSSion linguiStique… 5 lexicographiques de noms, adjectifs ou expressions dont le sens inclut le degré maximal d’intensité 6. Le tableau 2 montre les différentes expressions idiomatiques en anglais et leur nombre d’occurrences dans le BNC. Expressions anglaises Nbr. d’occurrences be over the moon 101 in high spirits 40 thrilled to bits/pieces 25 jump for joy 20 pleased as Punch 22 on cloud nine 18 in seventh heaven 9 floating on air 8 tickled pink 6 happy as Larry 5 happy as a pig in muck 3 happy as a sandboy 3 tableau 2. occurrences des expressions idiomatiques de la joie dans le BnC C’est de façon consciente et délibérée que nous n’avons pas inclus les variantes vulgaires du schéma happy as X 7. Nous avons procédé pareillement pour les expressions équivalentes à caractère humoristique ou vulgaire en français et en espagnol, notre intérêt étant de montrer un état de langue actuel dans un registre standard pour les trois langues en question 8. L’expression be over the moon est certainement la plus usitée, avec un nombre d’occurrences très élevé par rapport aux autres expressions recensées. En revanche, quelques expressions répertoriées par les dictionnaires n’ont aucune occurrence dans le BNC – as happy as the day is long, as pleased as heck/hell et in transports (of delight) – 6. À titre d’exemple, la définition de l’adjectif exhausted (« exténué ») dans le Cambridge Advanced Learner’s Dictionary 2008 est extremely tired (« extrêmement fatigué ») et celle de be skin and bone(s) (« maigre comme un clou ») est to be extremely thin (« être extrêmement maigre »). 7. Deux exemples bien connus de ces variantes vulgaires pour l’anglais sont happy as a dog with two dicks (« heureux comme un chien avec deux bites ») et happy as a pig in shit (« heureux comme un cochon dans la merde »). 8. Concernant les expressions humoristiques, voici un exemple tiré du BNC : On the other hand, I’ve been as happy as a turkey in January, and all because of a story I spotted in a medical magazine, stating that regular lashings of oily fish cut sharply your chances of having a heart attack. (D’un autre côté, j’ai été heureux comme une dinde en janvier, et tout ça grâce à un article que j’avais repéré dans une revue de médecine qui disait que l’ingestion de grandes quantités de poisson gras réduisait de façon significative le risque de crise cardiaque). 6 Ramón maRtí-Solano et par conséquent n’ont pas été incluses dans le tableau. Pour résumer, on peut affirmer que l’expression d’un degré élevé de joie se fait en anglais principalement par le biais de l’antéposition de l’adverbe very, suivi par l’emploi de l’expression idiomatique be over the moon. En tant que comparaison stéréotypée, la plus employée est (as) pleased as Punch (« aussi content que Polichinelle 9 »). 3.1. Be in seventh heaven (« être au septième ciel ») Il est aisé de noter qu’il existe un nombre considérable d’expressions idiomatiques qui sont partagées par une pléiade de langues, ce qui a été appelé lexicon of common figurative units (lexique d’unités figurées communes) (Piirainen 2012). L’une des sources d’inspiration les plus importantes sont les livres anciens et la Bible. L’expression « être au septième ciel » apparaît dans les apocryphes, dans le Coran et chez les cabalistes et on peut la retrouver dans des langues telles que le polonais (być w siódmym niebie) ou le hongrois (a hetedik mennyországban van érzi magát), parmi d’autres langues européennes et non européennes (Piirainen, 2012, p. 260). « Ainsi en France on est heureux comme un roi ou comme un pape, alors qu’en Allemagne on est heureux… comme Dieu en France. […] une personne heureuse est au septième ciel en français, au neuvième ciel en roumain ». (Schapira, 2000, p. 31) Cette citation illustre bien le caractère idiosyncrasique de l’expression linguistique de la joie. Même à l’intérieur d’un même schéma, comme dans les comparaisons stéréoty- pées du genre être heureux comme X, il se peut qu’une langue favorise un paradigme de comparants différent par rapport à une autre, avec des variantes à l’intérieur d’une même expression, comme c’est le cas de être au septième/neuvième ciel. Cette expression, dont l’équivalent exact se trouve dans les autres deux langues (en el séptimo cielo et « au septième ciel »), représente l’expression quasi-universelle de la joie grâce à la tradition judéo-chrétienne dont elle est issue. Le paradis est, selon la religion, le séjour des bienheureux et par conséquent il est associé dans l’imaginaire collectif au plus haut degré de bonheur/joie. Dans la perspective d’une comparaison inter-variétale, il nous semble important de faire remarquer que l’anglais britannique utilise cette expression plus fréquemment que l’anglais américain 10. La raison en est, à notre avis, l’existence d’une variante en anglais américain qui n’est pas employée en anglais britannique. L’expression in hog heaven (« dans le paradis des cochons ») est presque aussi souvent utilisée que in seventh heaven 9. « Personnage bossu de la commedia dell’arte et du théâtre de marionnettes » (Le Petit Robert, 2012). 10. Même si le nombre d’occurrences de in seventh heaven est supérieur dans le COCA (15 occurrences) à celui du BNC (9 occurrences), proportionnellement son emploi est plus important en anglais britan- nique : rappelons en effet que le BNC est un corpus de 100 millions de mots tandis que le COCA en compte environ 450 millions. DegRé et maRqueuRS D’intenSité DanS l’expReSSion linguiStique… 7 dans le COCA avec 14 et 15 occurrences respectivement. Cette variante est un signe évident de la créativité phraséologique propre à l’anglais américain qui constitue, parmi les différentes variétés de la langue anglaise, la source principale de créativité et d’inno- vation phraséologiques (Martí Solano, à paraître). 3.2. Be on cloud nine (« être aux anges ») À la différence de l’expression précédente, l’anglais ne partage pas cette locution avec le français ou l’espagnol. Avec un total de 18 occurrences dans le BNC, elle peut être considérée d’une fréquence moyenne-basse. Pourtant, il s’agit d’une suite d’emploi courant que nous avons surtout rencontrée dans le discours journalistique. Sa description lexicographique est clairement insuffisante, si nous observons l’entrée dans le Cambridge Advanced Learner’s Dictionary, 2008 : be on cloud nine informal to be extremely happy and excited “Was Helen pleased about getting that job?” “Pleased? She was on cloud nine 11!” Cette entrée ne prend en compte ni les variantes verbales ni la diversité des agence- ments syntaxiques de cette expression, qui sont essentiels pour pouvoir l’utiliser avec aisance dans des contextes linguistiques différents. Les exemples (1) et (2) montrent l’association de l’expression avec les variantes verbales float (« flotter ») et live (« vivre ») respectivement : (1) However, as he had continued to see her, monopolising every free moment of her time, she had slowly come to accept that he was indeed “interested”. And yet… and yet… despite floating on cloud nine, Laura had found herself – most inexplicably – also beginning to feel extremely depressed. (BNC) (1a) Cependant, comme il continuait de la voir et monopolisait chaque instant de son temps, elle s’était peu à peu faite à l’idée qu’il était vraiment « intéressé ». Et pourtant… pourtant… alors même qu’elle se sentait flotter sur un nuage, Laura s’était aperçue qu’elle commençait aussi à se sentir extrêmement dépri- mée, ce qui était complètement inexplicable 12. 11. Voici la traduction de la définition et de l’exemple illustrant l’entrée : « être extrêmement joyeux et excité » ; « Est-ce qu’Hélène était contente d’avoir obtenu cet emploi ? » « Contente ? Elle était aux anges ! » 12. C’est nous qui avons traduit les exemples en anglais et en espagnol. Chaque traduction en français suit l’exemple dans la langue source et est précédée de la même numérotation suivie de la lettre a. Les variantes lexicales des expressions ou les agencements lexico-syntaxiques dont elles font partie, signalés en gras, ont été traduits littéralement ou semi-littéralement afin de rendre compte du phéno- mène variationnel dans la langue source. 8 Ramón maRtí-Solano (2) Alyssia grinned and knocked on the door. For the past five days now she had been living somewhere on cloud nine, and had decided that she might just as well set up home there, as it was such a wonderful place to be. (BNC) (2a) Alyssia sourit et frappa à la porte. Depuis les cinq derniers jours elle vivait quelque part sur un nuage et avait décidé qu’elle ferait aussi bien de s’y installer puisque c’était un endroit tellement merveilleux où se trouver. La traduction fournie par le dictionnaire bilingue Robert & Collins Anglais Français, « être aux anges », ne peut pas s’appliquer à toutes les actualisations discursives, comme dans l’exemple (3) où l’agencement syntaxique et les variantes lexicales bloquent l’emploi de la traduction lexicographique : (3) I had not yet told Margaret it was from Bill. It was bound to worry her, as he was still a patient and I felt she had more than enough on her plate already without my adding anything. Or, rather, that was my excuse to myself when the letter first arrived and sent me sailing up on to Cloud Nine. (BNC) (3a) Je n’avais pas encore dit à Margaret que la lettre était de Bill. Cela l’aurait sûrement préoccupée car c’était encore un patient et j’avais l’impression qu’elle avait déjà assez de pain sur la planche sans que je n’en rajoute. Ou, plutôt, c’était l’excuse que je m’étais donnée lorsque la lettre était arrivée et m’avait envoyée voguer vers les nuages. 3.3. Be thrilled to bits/death (« être aux anges ») Cette expression est le résultat de l’expansion, par le biais du syntagme prépositionnel to bits (« en morceaux ») ou to death (« à mort »), de l’adjectif thrilled (« ravi »). La suite apparaît souvent en discours suivie de la préposition with (« avec ») et de son complé- ment prépositionnel, comme dans l’exemple illustrant sa définition dans le CALD : She was thrilled to bits with her present (« elle était ravie de son cadeau »). Les occurrences de cette expression dans le BNC se trouvent principalement dans la langue orale, ce qui dénote son caractère plutôt familier ou informel. Toutes les occurrences trouvées sont actualisées avec le verbe be (« être »), comme l’illustre l’exemple (4) : (4) I applied for the post and was interviewed by the headmaster, a man of about my own age who was “mad on Puccini”, and consequently thrilled to bits when I recognized “Nessun Dorma” from Turandot which he insisted on singing to me. (BNC) (4a) Je postulai et fus interviewé par le principal, un monsieur qui avait à peu près mon âge et était « fou de Puccini ». Il fut donc ravi lorsque je reconnus « Nessun Dorma », de Turandot, qu’il tint absolument à me chanter. DegRé et maRqueuRS D’intenSité DanS l’expReSSion linguiStique… 9 Il existe, pour cette expression, des variantes intra-variétales et inter-variétales. En anglais britannique, bits est la forme prédominante, avec un total de 22 occurrences, suivie de très loin de pieces (« morceaux »), avec 3, et de death, avec une seule occurrence. Au contraire, en anglais américain, la forme la plus récurrente est death, avec 29 occurrences, alors que bits n’en a qu’une et pieces, aucune dans le COCA. 3.4. Be walking/floating on air (« être aux anges ») Il faut noter que cette expression appartient au groupe de celles qui sont souvent lemmatisées dans la forme progressive du verbe au lieu de l’infinitif 13. Cette préférence lexicographique correspond bien aux actualisations en discours de cette expression, princi- palement utilisée dans un registre littéraire. Par ailleurs, son agencement syntaxique dans les énoncés est presque systématique comme l’illustrent les exemples (5) et (6) : (5) An hour later Sophie left the pet shop feeling as though she were walking on air. (BNC) (5a) Une heure plus tard Sophie quitta le magasin d’animaux se sentant aux anges. (lit. « comme si elle marchait sur l’air ») (6) She celebrated by buying a pair of tight Levi 501s. “It was a wonderful feeling – as if I was walking on air.” (BNC) (6a) Elle a fêté ça en s’achetant un jean moulant Levi 501. « C’était une sensation merveilleuse – comme si je marchais sur l’air. » 3.5. Pleased/happy as X (« heureux comme X ») L’expression (as) pleased as Punch (« heureux comme Polichinelle ») est beaucoup plus utilisée en anglais britannique qu’en anglais américain si l’on tient compte du fait que le COCA est un corpus quatre fois plus important que le BNC. En ce qui concerne son agencement syntaxique, l’expression apparaît souvent en position d’attribut du sujet après le verbe be, mais aussi le verbe look (« avoir l’air »), et elle est généralement suivie de la préposition with comme l’illustre l’exemple suivant : 13. Lorsqu’il s’agit de lemmatiser toutes les actualisations possibles des unités phraséologiques verbales, la question n’est pas aussi simple que cela peut paraître. Il est vrai que la plupart d’entre elles sont répertoriées en utilisant la forme dite simple, mais nombre d’entre elles apparaissent répertoriées dans la nomenclature sous leur forme progressive, avec le schéma « be + verb-ing + circonstants ». C’est le cas de be walking/floating on air (« être en train de marcher/flotter sur l’air »), ainsi répertoriée par le Longman Idiom Dictionary (LID) et le Cambridge International Dictionary of Idioms (CIDI), à la différence des autres dictionnaires (Collins Cobuild Dictionary of Idioms, Oxford Dictionary of Idioms et Oxford Dictionary of Current Idiomatic English) qui utilisent l’infinitif simple.
Description: