CINQUANTEANSD’HISTOIREDULIVRE DEL’APPARITIONDULIVRE(1958) À 2008 BILANETPROJETS Edité par Frédéric Barbier et István Monok L’Europe en réseaux Contribution à l’histoire de la culture écrite 1650–1918 Vernetztes Europa Beiträge zur Kulturgeschichte des Buchwesens 1650–1918 Edité par / Herausgegeben von Frédéric Barbier, Marie-Elisabeth Ducreux, Matthias Middell, István Monok, Éva Ring, Martin Svatoš Volume V École pratique des hautes études, Paris École des hautes études en sciences sociales, Paris Centre des hautes études, Leipzig Centre européen d’histoire du livre de la Bibliothèque nationale Széchényi, Budapest CINQUANTE ANS D’HISTOIRE DU LIVRE DE L’APPARAITION DU LIVRE (1958) À 2008 BILAN ET PROJETS Edité par Frédéric Barbier et István Monok Országos Széchényi Könyvtár Budapest 2009 Les articles du présent volume correspondent aux Actes du colloque international organisé à Budapest (Országos Széchényi Könyvtár) en 2008, sur le thème «Cinquante ans d’histoire du livre. De L’Apparition du livre(1958) à 2008. Bilan et projets» Secrétariat scientifique Juliette Guilbaud (français) Claudia Sojer (allemand) Graphiker György Fábián ISBN 978–963–200–575–1 ISBN 978–3–86583–269–6 © Országos Széchényi Könyvtár 1827 Budapest, Budavári palota F. épület Fax.: +36 1 37 56167 [email protected] Table des matières Frédéric Barbier 1958: Henri-Jean Martin et l’invention de la «nouvelle histoire du livre» 9 Bilan par grandes zones de la géographie européenne Thierry Claerr Bilan de cinquante ans d’histoire du livre pour la France 27 Ursula Rautenberg Ein halbes Jahrhundert deutscher Buchforschung: die wichtigsten Entwicklungen im Überblick 41 Ernesto Milano Il libro in Italia dal secondo dopoguerra ai giorni nostri 55 Maria Luisa Vidriero La péninsule ibérique 87 Marie-Françoise Cachin Cinquante ans d’histoire du livre dans les îles Britanniques 117 Wolfgang Undorf Research in Scandinavian 15th-18th centuries Book and Library History 1950–2008 127 TABLEDESMATIÈRES Viesturs Zanders Die Buchwissenschaft im Baltikum in den letzten 50 Jahren 151 Tatjana Dolgodrova e L’histoire du livre en Russie dans la seconde moitié du XX siècle 167 Johannes Frimmel Buchgeschichte im Zentrum Europas: Ungarn, Tschechien, die Slowakei, Slowenien, Kroatien, die Schweiz, Österreich 182 Institutions de l’histoire du livre Bruno Racine Les Bibliothèques nationales 199 Patrick Bazin Un nouveau tournant pour les bibliothèques patrimoniales françaises 203 Thomas Keiderling Die Institutionen der Buchwissenschaft in Deutschland 215 Sabine Juratic De la prosopographie des libraires à l’étude des réseaux du livre: bilan et perspectives de recherche 235 Dorottya Lipták Zum Konzept einer historisch-sozialwissenschaftlicher buch-und pressewissenschaftlicher Forschung in Ungarn 253 1958 : Henri-Jean Martin et l’invention de la « nouvelle histoire du livre » Frédéric Barbier Le cinquantenaire de la publication de L’Apparition du livre1nous donne l’occasion d’effectuer un travail d’anamnèse: envisager non pas le récit du passé en soi et pour soi, mais le récit d’un cheminement en tant qu’il appa- raît susceptible d’aider à repérer le changement (dans notre cas, l’innova- tion de 1958), à expliciter le présent et à en préciser les conditions d’intelli- gibilité. L’anamnèse permettra de s’interroger sur certaines catégories susceptibles de s’appliquer à l’histoire en général et à l’histoire du livre en particulier, et elle porte une dimension décisive d’actualisation. Je me per- mettrai de privilégier, dans ce texte, le point de vue français, parce que l’his- toire du livre dont je vais parler a surtout été pratiquée en France, et aussi parce que je me suis trouvé être, depuis 1972 et à mon niveau, l’un des acteurs de cette histoire. 1- A LARECHERCHEDELASYNTHÉSE En France, le projet fondateur des historiens, puis des historiens du livre, est celui de réintégrer l’histoire du livre dans une histoire générale à voca- 1Lucien Febvre, Henri-Jean Martin, L’Apparition du livre, Paris, Albin Michel, 1958 («L’Évolution de l’humanité»); 2eéd., 1971; 3eéd., avec une postface de Frédéric Barbier (« Écrire L’Apparition du livre »), 1999. Une édition à ce jour totalement inconnue des chercheurs a été donnée sous forme de livraisons (« fascicules ») publiées dans la partie «Chronique» de la Bibliographie de la France à partir du 2 mai 1958 (n° 18): voir ci-après, ill. 1. 8 FRÉDÉRICBARBIER tion totalisante. Il naît autour des années 1900, dans une perspective assez profondément différente de celle des historiens allemands qui venaient de faire paraître la première «histoire du livre» dans un cadre national, en l’es- pèce de la Geschichte des deutschen Buchhandels de Goldfriedrich et Kapp2. Je ne m’attarde pas sur ces prémices, sinon pour rappeler l’importance des avancées enregistrées dans les deux disciplines de la sociologie (notamment avec Durkheim) et de la psychologie au tournant des XIXe-XXe siècles, et leur influence sur la recherche historique. Par suite, le territoire de l’historien s’est trouvé considérablement élargi, et l’histoire du livre est apparue à la fois comme un domaine légitimement intégré à ce territoire, mais aussi comme une discipline particulièrement porteuse par rapport à son élargissement. L’histoire du livre est en effet une discipline interdisciplinaire, intéressant notamment à la fois les historiens et les littéraires (comme le montre à la même époque le travail de Daniel Mornet3), voire les historiens de l’art. 1) La Revue de synthèse historique. Le premier cadre d’élaboration d’une nouvelle «histoire du livre» est à chercher du c^oté de la Revue de synthèse historiquecréée par Henri Berr (1863-1954) en 19004. Berr, normalien, n’est pas un historien mais un philosophe de formation. Son objectif scientifique est de réagir, avec la Revue, contre un certain cloisonnement des différents domaines de l’histoire, cloisonnement qu’il rapportait à une érudition excessive et close sur elle-même, et de faire du nouveau titre un espace de rencontre et de discussion pour la profession. La réponse au cloisonnement sera donnée par l’interdisciplinarité, le projet étant marqué par son envi- ronnement scientifique : des historiens écrivent dans la Revue, mais aussi 2Johann Goldfriedrich, Friedrich Kapp, Geschichte des deutschen Buchhandels, Leipzig, Börsenverein für den deutschen Buchhandel, 1886-1903, 4vol. 3On rappellera l’article fondateur de Daniel Mornet sur «Les enseignements des biblio- thèques privées, 1750-1780», dans Revue d’histoire littéraire de la France, 17, 1910, p. 449-496. 4Revue de synthèse historique, tome premier (juillet à décembre 1900), Paris, Librairie Léopold Cerf (12 rue Sainte-Anne), 1900. La Revue a son siège rue Sainte-Anne, où les réunions semblent avoir été hebdomadaires, mais le fondateur de la maison meurt dès 1901. Martin Fugler, «Fondateurs et collaborateurs: les débuts de la Revue de syn- thèse historique », dans Henri Berr et la culture du XXe siècle, dir. Agnès Biard, Dominique Bourel, Éric Brian, Paris, Albin Michel, 1997, p.173-188 («Bibliothèque Idées»), ici p. 177. HENRI-JEANMARTINETL’INVENTIONDELA«NOUVELLEHISTOIREDULIVRE» 9 des philosophes (surtout en ce qui concerne la philosophie des sciences), des psychologues, voire des sociologues. Comparatisme et interdisciplina- rité articulent logiquement la méthode de la synthèse, dont le terme ultime portera sur l’analyse de l’esprit humain et de ses manifestations – ce que Berr appelle la «psychologie». Dès l’article initial «Sur notre programme», il expose cette hiérarchie: Plus que la partie théorique du programme, celle de psychologie histori- que semble destinée à s’enrichir peu à peu. Les articles, sur ce point, en appelleront d’autres. Aboutir en histoire à la psychologie, voilà qui est tout à fait nécessaire, mais qui est infiniment délicat. (…) Cette Revue (…) souhaite obtenir des essais de psychologie historique – mais précis, et pour cela méthodiques et restreints (…). 2) «L’Évolution de l’humanité». Le paradigme de la synthèse se déclinera à travers différentes institutions créées sous l’impulsion de Berr. Le pendant éditorial de la Revue est constitué par la collection de la «Bibliothèque de synthèse historique», bient^ot rebaptisée «L’Évolution de l’humanité». Le projet se met en place avant la Première Guerre mondiale (1911), mais la collection ne sera effectivement lancée qu’en 1920. Berr a mis sur pied un programme très précis, mais aussi très ambitieux –voire quelque peu irréa- liste: cent volume «de luxe» (et un volume pour les tables), qui sont autant de monographies réparties en quatre sections chronologiques. Le rythme annoncé de parution est de l’ordre d’une dizaine de volumes par an5, et Berr sera le maître d’œuvre de l’ensemble, qu’il réalisera «avec la collaboration de l’Élite des Savants Français » – une formule qui apparaîtra sans doute aujourd’hui quelque peu datée. Là aussi, le terme ultime est celui de la psychologie – sans que la dimension d’actualisation de la recherche soit négligée: Il semble aussi que les tâches diverses qu’unifie la synthèse historique doi- vent aboutir, en fin de compte, à la psychologie. L’étude comparative des sociétés doit aboutir à la psychologie sociale, à la connaissance des besoins fonciers auxquels répondent les institutions et de leurs manifestations changeantes. L’étude des séries historiques doit aboutir à la psychologie des grands hommes d’action et de pensée, des individualités ethniques, 5Jacquline Pluet-Despatin, «Henri Berr éditeur», dans Henri Berr et la culture du XXe siècle, ouvr. cité, p.241-267. 10 FRÉDÉRICBARBIER des moments critiques de l’histoire. Et c’est une question de psychologie, importante et délicate, à élucider que celle dur^ole joué dans l’histoire par l’élément intellectuel. De l’élaboration de cette psychologie historique dépend non seulement l’intelligence du passé, mais la direction de l’avenir (…). Le politique idéal, c’est l’historien parfait… Au sein de ce programme, le tome 51 sera consacré à L’Apparition du livre. Un certain nombre d’autres titres sont ou seront annoncés, qui abor- dent aussi une problématique d’histoire des idées et de psychologie histori- que : L’Instruction au Moyen Âge et la mentalité populaire (par Georges Huysman, tome 25), Les Grands courants intellectuels de la Renaissance : l’humanisme (par Lucien Febvre, tome 51) et Religion et vie religieuse au XVIe siècle: la Réforme (par Lucien Febvre, tome 52). Il n’y a pas à s’étendre ici sur les avatars que rencontre la collection, dont la parution se fait bien plus lentement qu’annoncé. Le tome 51 est d’abord confié, sur la suggestion de Febvre, à Augustin Renaudet (1880-1958), dont l’étude majeure, Pré-Réforme et humanisme à Paris pendant les premières guerres d’Italie (1494-1517)6, sort chez chez Champion en 1916. Pourtant, dix ans après, le volume projeté n’est pas commencé, et Berr essaie de «relancer» Renaudet (1925): Je crois d’ailleurs que vous ne concevez pas votre livre comme une his- toire érudite et technique des débuts de l’imprimerie – mais comme l’étude des conséquences intellectuelles, morales, du retentissement psy- chique de cette découverte capitale : cela implique la comparaison de l’avantet de l’après. Et c’est cela qui est digne de vous7. Mais Renaudet abandonne définitivement l’idée en 1929. L’année sui- vante, Febvre regrette, dans une lettre à Henri Pirenne : « Je ne sais pas pourquoi, il s’en était dégo^uté et paraissait médiocrement soucieux de l’écrire». Il poursuit: «Comme ce magnifique sujet m’a toujours attiré, je lui ai demandé [à Berr, comme directeur de la collection]de me le céder»8. Renaudet est soulagé par la demande: 6Paris, Champion, 1916 («Bibliothèque de l’Institut de Florence»). 7Cité par Jacquline Pluet-Despatin, art. cité, p. 248. 8Ibidem, p.261.
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