UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL AU CROISEMENT DES PENSÉES DE HANNAH ARENDT ET DE MICHEL FOUCAULT SUR LE SOCIAL, LE BIOPOUVOIR ET LA GOUVERNEMENTALlTÉ MÉMOIRE PRÉSENTÉ COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MAîTR1SE EN SCIENCE POLlTIQUE PAR ÉMILIE ST-PIERRE AOÛT 2008 UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL Service des bibliothèques Avertissement La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.01-2006). Cette autorisation stipule que «conformément à l'article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l'auteur] concède à l'Université du Qùébec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l'auteur] autorise l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris 1'1 nternet. Cette licence et cette autorisation n'entraînent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [II] possède un exemplaire.» À la mémoire de ma grand-mère Émérentienne et de ma cousine Amélie, toutes deux perdues en cours de rédaction de ce mémoire. Parce que leur courage et leur détermination m'ont inspiré la force d'aller jusqu'au bout de ce voyage intellectuel. À vous deux. avec amour. REMERCIEMENTS Je tiens à offrir le plus grand et sincère remerciement à Micheline de Sève, ma directrice. Je vous remercie pour vos judicieux conseils et retiendrai vos leçons sur la nuance .. Mais par-dessus tout, je vous suis plus que reconnaissante pour voire présence, voIre patience et votre compréhension qui a été continue tout au long de ce processus menant à l'achèvement de ce mémoire. Sans vous et vos qualités d'une profonde humanité, je ne sais si ce processus aurail abouti. Mcrci à Francis Dupuis-Déri qui a intégré en cours de route la codircction de ce mémoirc. Merci pour la disponibilité et les conseils, particulièrement celui de m'avoir mis sur la piste de la «gouvernementalité», ce qui m'a permis d'enrichir grandemcnt ma pensée et de scellcr la cohérence qui manquait. Merci à Évariste, pour son amour, sa patience, sa compréhension, son écoute ct son soutien, tout au long de ma maîtrise. Un gros merci chaleureux à ma famille et mes amis-es, el plus particulièrement ma mère Francyne, mon père Gaëtan et mes amies proches Anne-Marie, Nathalie ct Marie-Noël, ainsi que Laurie et Anna, consoeurs «maÎtriseuses», pour leur énorme suppon ct la confiance qu'ils el elles ont su mc redonner quand ellc n'était plus au rendez-vous. Finalement, merci à André Munro pour son apport qui m'a permis de résoudre ulle confusion dans ma réDexion, ainsi qu'à Anna el Évariste pour les discussions qui onl fait surgir des idées. TABLE DES MATIÈRES RÉSUMÉ VI INTRODUCTION 1 CHAPITRE 1 . 9 VERS LE CONSTAT D'UNE «ZOEFICATION» POLITIQUE DE L'HUMAIN ET DE LA «DÉFENSE DE LA SOCIÉTÉ» 9 1. 1 La modernité et la vie comme souverain bien 10 1.2 La «zoefication pol ilique» de l' humain 15 1.2. J Reproduction de la vie et triomphe de l'animaJ laborans 17 1.2.2 Le biopouvoir et la vie productive 19 1.3 La défense de la société 24 1.3. J Sécurité, biopouvoir et société: la gestion de la diminution du risque ........ 25 lA Considérations finales 33 CHAPITRE II _... . 34 LA PRATIQUE GOUVERNEMENTEMENTALE SOUS L'ÉGIDE DU SOCIAL ET DU LIBÉRALISME.. 34 2.1 Social et politique: une administration de la vie 35 2.1.1 Pouvoir et politique chez Foucault et Arendt 36 2.1.2 La logique administrative 41 2.1.3 La séparation arendtienne du social et du politique: une division acceptable? .................................. _ 44 2.2 La dimension économique du social et de la gouvemementalité libérale 49 2.2.1 La dimension économique du social 52 2.2.2 Le libéralisme comme pratique gouvernementale 55 2.3 Considérations finales 63 CHAPITRE JIJ 64 L'ALIÉNATION LIBÉRALE: AUTORÉGULATION ET PERTE D'UN MONDE COMMUN 64 3.1 Nonnalisation sociale et autorégulation 65 3.1.1 Vers la subjectivation 66 3.1.2 Autonomie, autorégulation, «autofondation» : vers la constitution d'une perspective unique 72 3.2 Retrait de la liberté politique et perte d'un monde commun 78 3.2.1 «La liberté libérale n'est pas politique» 79 3.2.2 Le libéralisme et la perte d'un monde commun: l'apport arendtien 82 3.2.3 Action ct résistance: le courage d'apparaître en public et la lutte contre la subjectivation 87 3.3 Considérations finales 90 CONCLUSION 91 BIBLIOGRAPHIE ..... .. 97 1 RÉSUMÉ Le présent mémoire effectue une lecture critique du libéralisme au croisement des pensées de Hannah Arendt et de Michel Foucault sur les concepts de l'avenement du social, du biopouvoir et de la gouvernementalité. En misant sur la complémentarité des analyses arendtienne et foucaldienne, cet essai cherche à démontrer que le libéralisme est à l'origine du recul de la politique qui caractérise nos sociétés occidentales modernes. Ce mémoire traite de la valorisation moderne de la vie pensée comme une forme d'instrumenlalisation de l'être humain pour le développement économique; il traite de l'importance accordée à la sécurité comme étant la manifestation d'une logique de «défense de la société» qui vise le déploiement du libéralisme, la société étant le corrélat du libéralisme. En lien avec ces sujets, il traite de la politique moderne pensée selon le registre de l'administration; il s'intéresse à la vision arendtienne et foucaldienne qui présente Je libéralisme comme une domination de l'économie sur la politique. En posant le primat de l'agir politique comme a priori tel que le conçoit Hannah Arendt, cet essai conclut que le libéralisme est impolitique parce qu'il renforce l'autorégulation et le contrôle des individus dans une logique de domination économique qui mine l'agir politique el la liberté politique. Par l'individualisme, l'autonomie el l'autorégulation qu'il demande pour fonctionner, il engendre un repli sur soi et favorise la perte d'un monde commun, rapprochant nos sociétés des sociétés de masse amorphes et apolitiques décriées par Arendt parce qu'elles préparent le sol au totalitarisme. Le présent mémoire est un essai en théorie politique qui jongle aux abords des conceptions du pouvoir, de la politique, de l'économie et du social telles que pensées par Hannah Arendt Ct Michel Foucault. Il s'inscrit à l'intérieur des limites «spatiales» et «temporelles» de la pensée politique occidentale et de la modernité. Concepts clés: avenement du social, biopouvoir, gouvernementalilé, libéralisme, impolitique. INTRODUCTION Plusieurs parlent de nos sociétés comme étant traversées par diverses crises. Certains parlent de crise de la démocratie, de crise de la participation politique, de désintérêt envers la politique, d'apathie, d'apolitisme ou encore, de nihilisme, pendant que d'autres voient Je libéralisme' comme le meilleur régime politique possible et considèrent que la démocratie pensée dans le cadre du libéralisme constitue la meilleure voie possible. Et si toutes ces questions étaient liées entre elles? Et si la crise de la démocratie et la crise de la participation politique étaient liées au fait de penser la gouvernance selon l'agenda du libéralisme? Cette interrogation nous mène sur le terrain de la crise du politjque2 qui s'inscrit dans le sillage de la préoccupation arendtienne. Cette dernière, traversée par celle inquiétude que le totalitarisme est né du sol des démocraties, et que, prenant racine dans un monde non totalitaire, il est un phénomène qui peut ressurgir. Arendt cherche les causes qui portent atteinte à l'agir politique concerté et identifie l'avènement du social, qui ne se conS8cre qu'au maintien du processus vital, commc ét8nt un élément décisif dans ce phénomène. Elle identifie \8 perte d'un monde commun qui en résulte et qui est propre au conformisme des sociétés de masse et au totalitarisme comme étant la manifestation la plus probante et menaçante pour la politique, Son analyse des conditions propres à la modernité Notre usage du terme ,,1 ibéra 1isme» s'effectue dans le sens d'une catégorisat ion généra le, 1 comprenant il la fois la forme classique du libéralisme et la forme avancée que constitue le néolibéralisme. Notre emploi du terme se fait donc de manière générale et réfère aux deux notions. Lorsqu'une altention paniculière veut être apponée à l'une 011 l'autre forme, nous le spécifions en parlant du libéralisme classique ou du néolibéralisme. Une définition et une distinction plus précise est effectuée dans la seconde partie du chapitre 2. Notons que notre référence et notre compréhension du libéralisme s'effectue dans le même sens que Michel Foucault. II pense le libéralisme comme une forme de pouvoir, comme une pratique gouvernementale. ! Notre emploi "du» ct "de lan politique s'effectue selon l'usage des auteurs il qui nOliS nous rélërons. Les anglophones parlent (h: "polilics» en référence il la politique el de "Ihe politicaln en réfërence à «ien politique. Nous sommes fidèle à cene distinction. De manière générale, notre emploi personnel privilégie la formulation de "Ian politique pour parler de la pratique politique et de l'institution politique. Lorsque nOliS cherchons à désigner IIne catégorie abstraite, nOlis préférons cependant l'emploi de <<Ien politique. 2 s'effectue dans une tension entre la crainte et l'espoir qu'elles rétablissent l'agir politique. Certains, comme Seyla Benhabib, jugent que l'apport théorique d'Arendt sur le social gagnerait à être complété par des analyses comme celle de Foucault, Marx, Weber, Polanyi sur la dynamique des sociétés modernes.' C'est ce que cet essai propose d'amorcer en complétant l'analyse d'Arendt sur le social, par celle de Michel Foucault sur le biopouvoir et la gouvernementalité. La réactivation des érudes sur Foucault et Arendt au cours des dernières années tient au fait que leur réOexion respective est pertinente dans la compréhension des événements contemporains. L'apport d'Arendt sur le social est éclairant pour expliquer le triomphe de la consommation et du travail, le conformisme et la crise politique qui en résulte. Seyla Benhabib pointe qu'il existe trois sens dominants au concept du social dans la pensée de Hannah Arendt. Le social se réfère il la croissance d'une économie capitaliste, il se réfère aux aspects conformistes de la société dc masse el à l'aspect de la vie en société, la société civile et la sociabilité 4 Margaret Canovan, elle, ne voit que deux interprétations au social arendtien : la dimension économique et la dimension conformiste du social. Quant à Foucault, ses analyses sur la microphysique du pouvoir, sur le biopouvoir el la gouvernementalité sont à propos pour expliquer la normalisation, le contrôle social, l'autorégulation qui résultent de l'art de gouverner. Foucault a théorisé la gouverncmentalité scion dcux avenues: le gouvernement des autres et le gouvernement de soi. Dans son Œuvrc. la gouvernemenlalité réfère majoritairement il la première acception qui vise à «conduirc la conduite dcs autres» en agissant sur la masse de la population plutôt que sur un territoire, en utilisanl l'économie-politique comme forme de savoir, et les dispositifs de sécurité comme instrumcnl.' r:n fin de parcours intellectuel, il s'est intéressé au gouvernement de soi, notamment à travers son intérêt pour les techniques de soi et le souci de soi. Quant au biopouvoir, celui-ci fait référence à une forme de pouvoir régulateur qui vise la majoration, la croissance et la gestion dc la population: le biopouvoir est «une condition d'intelligibilité du libéralisme». De plus en plus de travaux en théorie sociale font état de similarités dans la pensée de Hannah Arendt el de Michel Foucault ou tentent des comparaisons et entretiennent des dialogues. .1 13cnhabib. Seyla. 1996. The Relue/w1I Mudernism uf Hannah Arend/. Thousand Oaks: Sage publications. p.26. • Ibid, p.23. , Foucault, Michel. 2004. Sécurilé. /errilUire. populO/iun: Cours au Collège de France 1977-1978. Coll. Hautes Érudes Paris Gallimard-Seuil, p.III-112. 3 Selon Amy Allen, tous deux refusaient J'étiquelle de «philosophe», rejetant \a philosophie marxiste et hégélienne de l'histoire, l'épistémologie traditionnelle et la métaphysique, désirant se défaire d'une vision du pouvoir basée sur la souveraineté et se posant comme critique de la normalisation et de la société de masse'" Ils critiquent tous deux la modernité politique, présentent le pendant négatif du projet moderne sans toutefois sombrer dans une glorification postmoderne. Ils conçoivent que la modernité a débuté avec l'intrusion de la vie dans les affaires publiques. Leur critique de la modernité n'est cependant pas une condamnation générale de la modernité. Nous croyons que leurs pensées critiques visent à dénoncer l'idée d'une optimisation de la vie pour Je développement économique capitaliste. Notre mémoire se veut un essaI critique cherchant à faire une analyse de la crise du politique propulsée par le lihéralisme, en entretenant un dialogue entre la pensée de Hannah Arendt et de Michel Foucault, notamment à travers la théorisation autour des concepts du social chez Arendt, de la biopolitique et de la gouvernementalité chez Foucault. Notre but étant d'effectuer un rapprochement de la pensée d'Arendt et de Foucault dans le sens d'une analyse parallèle et complémentaire. A cause du libéralismc, la politique est pensée dans une logique d'administration pour le maintien du processus vital ct l'accélération du processus économique plutôt que comme une forme d'action créatrice et plurielle, ce qui a pour conséquence de défavoriser la participation politique citoyenne. Nous démontrerons que les analyses arendtienne et foucaldienne permettent de faire état d'unc domination de J'économie sur la politique et que celle domination est propre au libéralisme. À cel effet, notre mémoire cherchera à démontrer que l'autorégulation des populations, la normalisation et l'aliénation, sont les conséquences d'une société biopolitique el libérale qui a investi la vie de part en part pour le développement économique. Cela renforce le libéralisme et participe de ce fait à la détérioration de la politique, celle-ci devanl se comprendre comme un principe d'action, d'agir politique, de liberté et de débat. Pour analyser le libéralisme et son impact sur l'agir politique, nous nous sommes inspirée de la catégorisation qu'cffectue Miguel Abensour dans son analyse de l'apolitisme des Modernes. Celle catégorisation examinc l'apolitisme selon la thèse de «la destruction du politique» ou la " Allen, Amy. 2002. «Power, Subjectivily. and Agency : Between Arendt and Foucault». Internalional Jal/mal ofPhilosophical SII/di!'.\'. vol. 10. no. 2, p.131-132.
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