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Arsene Lupin - La comtesse de Cagliostro PDF

325 Pages·2016·0.68 MB·French
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» s t i u Maurice Leblanc t a r g t LA COMTESSE DE e s e CAGLIOSTRO r b i l s (1924) k o o b E « e p u o r g u d n o i t i d É Table des matières Chapitre 1 Arsène Lupin a vingt ans........................................3 Chapitre 2 Joséphine Balsamo, née en 1788….......................22 Chapitre 3 Un tribunal d'Inquisition .....................................38 Chapitre 4 La barque qui coule..............................................58 Chapitre 5 Une des sept branches..........................................75 Chapitre 6 Policiers et gendarmes.........................................92 Chapitre 7 Les délices de Capoue ..........................................114 Chapitre 8 Deux volontés .....................................................135 Chapitre 9 La roche Tarpéienne ..........................................160 Chapitre 10 La main mutilée................................................185 Chapitre 11 Le vieux phare .................................................. 206 Chapitre 12 Démence et génie ..............................................227 Chapitre 13 Le coffre-fort des moines................................. 260 Chapitre 14 « L'infernale créature »................................... 284 Épilogue ................................................................................318 Œuvres de Maurice Leblanc.................................................322 À propos de cette édition électronique.................................324 – 2 – Chapitre 1 Arsène Lupin a vingt ans Raoul d'Andrésy jeta sa bicyclette, après en avoir éteint la lanterne, derrière un talus rehaussé de broussailles. À ce mo- ment, trois heures sonnaient au clocher de Bénouville. Dans l'ombre épaisse de la nuit, il suivit le chemin de cam- pagne qui desservait le domaine de la Haie d'Étigues, et parvint ainsi aux murs de l'enceinte. Il attendit un peu. Des chevaux qui piaffent, des roues qui résonnent sur le pavé d'une cour, un bruit de grelots, les deux battants de la porte ouverts d'un coup… et un break passa. À peine Raoul eut-il le temps de per- cevoir des voix d'hommes et de distinguer le canon d'un fusil. Déjà la voiture gagnait la grand-route et filait vers Étretat. « Allons, se dit-il, la chasse aux guillemots est captivante, la roche où on les massacre est lointaine… je vais enfin savoir ce que signifient cette partie de chasse improvisée et toutes ces allées et venues. » Il longea par la gauche les murs du domaine, les contourna, et, après le deuxième angle, s'arrêta au quarantième pas. Il te- nait deux clefs dans sa main. La première ouvrit une petite porte basse, après laquelle il monta un escalier taillé au creux d'un vieux rempart, à moitié démoli, qui flanquait une des ailes du château. La deuxième lui livra une entrée secrète, au niveau du premier étage. Il alluma sa lampe de poche, et, sans trop de précaution, car il savait que le personnel habitait de l'autre côté, et que Cla- risse d'Étigues, la fille unique du baron, demeurait au second, il suivit un couloir qui le conduisit dans un vaste cabinet de tra- – 3 – vail : c'était là que, quelques semaines auparavant, Raoul avait demandé au baron la main de sa fille, et là qu'il avait été accueil- li par une explosion de colère indignée dont il gardait un souve- nir désagréable. Une glace lui renvoya sa pâle figure d'adolescent, plus pâle que d'habitude. Cependant, entraîné aux émotions, il restait maître de lui, et, froidement, il se mit à l'œuvre. Ce ne fut pas long. Lors de son entretien avec le baron, il avait remarqué que son interlocuteur jetait parfois un coup d'œil sur un grand bureau d'acajou dont le cylindre n'était pas rabattu. Raoul connaissait tous les emplacements où il est pos- sible de pratiquer une cachette, et tous les mécanismes que l'on fait jouer en pareil cas. Une minute après, il découvrait dans une fente une lettre écrite sur du papier très fin et roulé comme une cigarette. Aucune signature, aucune adresse. Il étudia cette missive dont le texte lui parut d'abord trop banal pour qu'on la dissimulât avec tant de soin, et il put ainsi, grâce à un travail minutieux, en s'accrochant à certains mots plus significatifs, et en supprimant certaines phrases évidem- ment destinées à remplir les vides, il put ainsi reconstituer ce qui suit : « J'ai retrouvé à Rouen les traces de notre ennemie, et j'ai fait insérer dans les journaux de la localité qu'un paysan des environs d'Étretat avait déterré dans sa prairie un vieux chande- lier de cuivre à sept branches. Elle a aussitôt télégraphié au voi- turier d'Étretat qu'on lui envoie le douze, à trois heures de l'après-midi, un coupé en gare de Fécamp. Le matin de ce jour, le voiturier recevra, par mes soins, une autre dépêche contre- mandant cet ordre. Ce sera donc votre coupé à vous qu'elle trouvera en gare de Fécamp et qui l'amènera sous bonne es- corte, parmi nous, au moment où nous tiendrons notre assem- blée. – 4 – « Nous pourrons alors nous ériger en tribunal et prononcer contre elle un verdict impitoyable. Aux époques où la grandeur du but justifiait les moyens, le châtiment eût été immédiat. Morte la bête, mort le venin. Choisissez la solution qui vous plaira, mais en vous rappelant les termes de notre dernier entre- tien, et en vous disant bien que la réussite de nos entreprises, et que notre existence elle-même, dépendent de cette créature in- fernale. Soyez prudent. Organisez une partie de chasse qui dé- tourne les soupçons. J'arriverai par le Havre, à quatre heures exactement, avec deux de nos amis. Ne détruisez pas cette let- tre. Vous me la rendrez. » « L'excès de précaution est un défaut, pensa Raoul. Si le correspondant du baron ne s'était pas défié, le baron aurait brû- lé ces lignes, et j'ignorerais qu'il y a projet d'enlèvement, projet de jugement illégal, et même, Dieu me pardonne ! projet d'as- sassinat. Fichtre ! mon futur beau-père, si dévot qu'il soit, me semble empêtré dans des combinaisons peu catholiques. Ira t-il jusqu'au meurtre ? Tout cela est rudement grave et pourrait bien me donner barre sur lui. » Raoul se frotta les mains. L'affaire lui plaisait et ne l'éton- nait pas outre mesure, quelques détails ayant éveillé son atten- tion depuis plusieurs jours. Il résolut donc de retourner à son auberge, d'y dormir, puis de s'en revenir à temps pour appren- dre ce que complotaient le baron et ses invités, et quelle était cette « créature infernale » dont on souhaitait la suppression. Il remit tout en ordre, mais, au lieu de partir, il s'assit de- vant un guéridon où se trouvait une photographie de Clarisse, et, la mettant bien en face de lui, la contempla avec une ten- dresse profonde. Clarisse d'Étigues, à peine plus jeune que lui !… Dix-huit ans ! Des lèvres voluptueuses… les yeux pleins de rêve… un frais visage de blonde, rose et délicat, avec des che- – 5 – veux pâles comme en ont les petites filles qui courent sur les routes du pays de Caux, et un air si doux, et tant de charme ! … Le regard de Raoul se faisait plus dur. Une pensée mau- vaise qu'il ne parvenait pas à dominer, envahissait le jeune homme. Clarisse était seule, là-haut, dans son appartement iso- lé, et deux fois déjà, se servant des clefs qu'elle-même lui avait confiées, deux fois déjà, à l'heure du thé, il l'y avait rejointe. Alors qui le retenait aujourd'hui ? Aucun bruit ne pouvait par- venir jusqu'aux domestiques. Le baron ne devait rentrer qu'au cours de l'après-midi. Pourquoi s'en aller ? Raoul n'était pas un Lovelace. Bien des sentiments de pro- bité et de délicatesse s'opposaient en lui au déchaînement d'ins- tincts et d'appétits dont il connaissait la violence excessive. Mais comment résister à une pareille tentation ? L'orgueil, le désir, l'amour, le besoin impérieux de conquérir, le poussaient à l'ac- tion. Sans plus s'attarder à de vains scrupules, il monta vive- ment les marches de l'escalier. Devant la porte close, il hésita. S'il l'avait franchie déjà, c'était en plein jour, comme un ami respectueux. Quelle signifi- cation, au contraire, prenait un pareil acte à cette heure de la nuit ! Débat de conscience qui dura peu. À petits coups, il frappa, tout en chuchotant : « Clarisse… Clarisse… c'est moi. » Au bout d'une minute, n'entendant rien, il allait frapper de nouveau et plus fort, quand la porte du boudoir fut entrebâillée, et la jeune fille apparut, une lampe à la main. Il remarqua sa pâleur et son épouvante, et cela le boulever- sa au point qu'il recula, prêt à partir. – 6 – « Ne m'en veux pas, Clarisse … Je suis venu malgré moi… Tu n'as qu'à dire un mot et je m'en vais… » Clarisse eût entendu ces paroles qu'elle eût été sauvée. Elle aurait aisément dominé un adversaire qui acceptait d'avance la défaite. Mais elle ne pouvait ni entendre ni voir. Elle voulait s'indigner et ne faisait que balbutier des reproches indistincts. Elle voulait le chasser et son bras n'avait pas la force de faire un seul geste. Sa main qui tremblait dut poser la lampe. Elle tourna sur elle-même et tomba, évanouie… Ils s'aimaient depuis trois mois, depuis le jour de leur ren- contre dans le Midi où Clarisse passait quelque temps chez une amie de pension. Tout de suite, ils se sentirent unis par un lien qui fut, pour lui, la chose du monde la plus délicieuse, pour elle, le signe d'un esclavage qu'elle chérissait de plus en plus. Dès le début, Raoul lui sembla un être insaisissable, mystérieux, auquel, jamais, elle ne comprendrait rien. Il la désolait par certains accès de légère- té, d'ironie méchante et d'humeur soucieuse. Mais à côté de ce- la, quelle séduction ! Quelle gaieté ! Quels soubresauts d'en- thousiasme et d'exaltation juvénile. Tous ses défauts prenaient l'apparence de qualités excessives et ses vices avaient un air de vertus qui s'ignorent et qui vont s'épanouir. Dès son retour en Normandie, elle eut la surprise d'aperce- voir, un matin, la fine silhouette du jeune homme, perchée sur un mur, en face de ses fenêtres. Il avait choisi une auberge, à quelques kilomètres de distance, et ainsi, presque chaque jour, s'en vint sur sa bicyclette la retrouver aux environs de la Haie d'Étigues. Orpheline de mère, Clarisse, n'était pas heureuse auprès de son père, homme dur, sombre de caractère, dévot à l'excès, enti- – 7 – ché de son titre, âpre au gain, et que ses fermiers redoutaient comme un ennemi. Lorsque Raoul, qui n'avait même pas été présenté, eut l'audace de lui demander la main de sa fille, le ba- ron entra dans une telle fureur contre ce prétendant imberbe, sans situation et sans relations, qu'il l'eût cravaché si le jeune homme ne l'avait regardé d'un petit air de dompteur qui maî- trise une bête féroce. C'est à la suite de cette entrevue, et pour en effacer le sou- venir dans l'esprit de Raoul, que Clarisse commit la faute de lui ouvrir, à deux reprises, la porte de son boudoir. Imprudence dangereuse et dont Raoul s'était prévalu avec toute la logique d'un amoureux. Ce matin-là, simulant une indisposition, elle se fit apporter le déjeuner de midi tandis que Raoul se cachait dans une pièce voisine, et après le repas, ils restèrent longtemps serrés l'un contre l'autre devant la fenêtre ouverte, unis par le souvenir de leurs baisers et par tout ce qu'il y avait en eux de tendresse et, malgré la faute commise, d'ingénuité. Cependant Clarisse pleurait… Des heures s'écoulèrent. Un souffle frais qui montait de la mer et flottait sur le plateau leur caressait le visage. En face d'eux, au-delà d'un grand verger clos de murs, et parmi des plaines tout ensoleillées de colza, une dépression leur permet- tait de voir, à droite, la ligne blanche des hautes falaises jusqu'à Fécamp ; à gauche, la baie d'Étretat, la porte d'Aval et la pointe de l'énorme Aiguille. Il lui dit doucement : « Ne soyez pas triste, ma chère bien-aimée. La vie est si belle à notre âge, et elle le sera plus encore pour nous lorsque nous aurons aboli tous les obstacles. Ne pleurez pas. » – 8 – Elle essuya ses larmes et tenta de sourire en le regardant. Il était mince comme elle, mais large d'épaules, à la fois élégant et solide d'aspect. Sa figure énergique offrait une bouche mali- cieuse et des yeux brillants de gaieté. Vêtu d'une culotte courte et d'un veston qui s'ouvrait sur un maillot de laine blanc, il avait un air de souplesse incroyable. – Raoul, Raoul, dit-elle avec détresse, en ce moment même où vous me regardez-vous ne pensez pas à moi ! Vous n'y pensez pas après ce qui vient de se passer entre nous ! Est-ce possible ! À quoi songez-vous, mon Raoul ? Il dit en riant : – À votre père. – À mon père ? – Oui, au baron d'Étigues et à ses invités. Comment des messieurs de leur âge peuvent-ils perdre leur temps à massacrer sur une roche de pauvres oiseaux innocents ? – C'est leur plaisir. – En êtes-vous certaine ? Pour moi, je suis assez intrigué. Tenez, nous ne serions pas en l'an de grâce 1894 que je croirais plutôt… Vous n'allez pas vous froisser ? – Parlez, mon chéri. – Eh bien, ils ont l'air de jouer aux conspirateurs ! Oui, c'est comme je vous le dis, Clarisse… Marquis de Rolleville, Ma- thieu de la Vaupalière, comte Oscar de Bennetot, Roux d'Es- tiers, etc., tous ces nobles seigneurs du pays de Caux sont en pleine conjuration. – 9 – Elle fit la moue. – Vous dites des bêtises, mon chéri. – Mais vous m'écoutez si joliment, répondit Raoul, convaincu qu'elle n'était au courant de rien. Vous avez une fa- çon si drôle d'attendre que je vous dise des choses graves !… – Des choses d'amour, Raoul. Il lui saisit la tête ardem- ment. – Toute ma vie n'est qu'amour pour toi, ma bien-aimée. Si j'ai d'autres soucis et d'autres ambitions, c'est pour faire ta conquête ; Clarisse, suppose ceci : ton père, conspirateur, est arrêté et condamné à mort, et tout à coup, moi, je le sauve. Après cela, comment ne me donnerait-il pas la main de sa fille ? – Il cédera un jour ou l'autre, mon chéri. – Jamais ! aucune fortune… aucun appui… – Vous avez votre nom… Raoul d'Andrésy. – Même pas ! – Comment cela ? – D'Andrésy, c'était le nom de ma mère, qu'elle a repris quand elle fut veuve, et sur l'ordre de sa famille que son mariage avait indignée. – Pourquoi ? dit Clarisse, quelque peu étourdie par ces aveux inattendus. – 10 –

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