Apprendre à sa mesure 2 3 Guide pratique pour l’accompagnement pédagogique individualisé des apprenants en difficulté Ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche sommaire 7 Introduction générale 1 10 PARTIE 1 : Elèves en e i situation difficile : du concept t r aux principes de remédiation a p 58 PARTIE 2 : Fiches pratiques 10 26 32 40 50 Elèves en situation Du diagnostic à la remédiation Les modes de remédiation De la maison à l’école, L’individualisation en formation : difficile : qui sont-ils ? du problème : la diversité psychologiques. un si long chemin ? de quoi parle-t-on ? M. Vidal, L Braida, D. Kumurdjian, des approches. M. Vidal, L. Braida, M. Vidal, SupAgro Florac J. Bernardin ESCOL, Université Paris 8 A - F. Trollat et C. Masson, EDUTER G. Mazard, SupAgro Florac D. Kumurdjian, G. Mazard, 55 SupAgro Florac Bibliographie 4 5 2 e i t r a p 58 126 Les difficultés scolaires : BLOC 1 : Pratiques BLOC 2 : Soutien scolaire BLOC 3 : Organisation BLOC 4 : Dispositifs L’accompagnement une situation ordinaire pédagogiques de l’établissement des élèves en difficulté, 76 108 P. MAYEN, AgroSup Dijon, « Qu’est ce que le soutien? ». Introduction P. Mayen une approche comparée. 64 90 EDUTER Recherche « Le lycée : un atelier P. Mayen Déplacer les murs P. Mayen M - O. Nouvelot, 111 des apprentissages ». P. Mayen Bibliographie IE AgroSup Dijon, 63 79 93 Commentaire sur les fiches Bibliographie Bibliographie Eduter Recherche 67 112 pratiques - Réseau national Bibliographie Actions du dispositif d’accueil 80 94 insertion Comment réussir quand on est Et ils ont eu envie d’apprendre ! et d’accompagnement global 68 Etre solidaire en classe illettré et en difficulté ?! des jeunes 96 pour ne plus être solitaire ! Et si on parlait d’eux… avec eux ! 82 114 Un ange gardien aux grandes Un schéma régional : les ficelles 70 98 Chacun écrit sa partition oreilles Tout ce qu’on peut faire avec 10 minutes ! de l’emploi de notes en EPS 84 100 116 Repérage et suivi individualisé Comment mettre en place un centre La prise en charge des publics « Dys » 72 A Orange, pas de quartier, des élèves de ressources en 3 leçons ? 118 on change tout Enseigner en dehors de la classe 86 102 Ateliers des savoirs Un apprentissage haute couture : du 74 120 Auprès de mon arbre, sur mesure pour chacun L’éducation interculturelle, 88 je vivais heureux Travail d’équipe éducative une éducation pour tous ? 104 A chacun son parcours… C’est possible ! 122 L’intégration des élèves présentant 106 Auto-formation accompagnée des déficiences physiques, psychologiques, scolaires Introduction générale 6 7 Le réseau national Insertion de l’enseignement technique agricole et les chargés de cette mission dans les services déconcentrés vous proposent un guide pratique destiné à aider les équipes éducatives dans l’accompagnement des élèves en difficulté. Ce guide comporte une première partie, théorique, sur la notion d’élève en situation diffi- cile, composée de plusieurs contributions présentant différentes approches, et les résultats d’une enquête menée en établissement. La deuxième partie est constituée de fiches-actions, classées par thèmes, introduits par une analyse destinée à mieux comprendre les actions, leurs caractéristiques communes, leurs objectifs. Il s’agit en fait d’« apprendre à sa mesure ». Si cet ouvrage collectif, dont la volonté est de mettre en lumière des actions réalisées, favorise l’émergence de nouveaux projets, alors il aura atteint son objectif. Partie 1 8 9 Elèves en situation difficile : du concept aux principes de remédiation Elèves en situation difficile 1 e i t r Qui sont-ils ? a P Par Loïc Braida, David Kumurdjian, Gilles Mazard, Michel Vidal (SupAgro Florac) 10 11 Paroles aux acteurs Les questions de violence entre élèves ou entre équipes éducatives/élèves, étaient peu abor- concernés dées, tout au moins dans les lycées agricoles situés en zone rurale, sans doute en raison d’un contexte culturel original, d’un enseigne- Il fut une époque où les élèves de l’enseigne- ment technique qui peut s’inscrire plus aisé- ment agricole étaient reconnus comme ayant ment dans un projet professionnel, de la proxi- des problèmes spécifiques : isolement, retard mité des adultes auprès des jeunes (présence en terme culturel, manque d’ouverture d’esprit, d’internat, taille plus réduite des établissements, ce qui conduisit notamment à la mise en place présence d’une vie associative importante...). d’une éducation socioculturelle, spécificité Si les différences de profil d’élèves issus de de l’enseignement agricole. l’Education nationale ou de l’enseignement agri- cole actuellement s’estompent, les enseignants Les se plaignent toujours d’élèves en situation dif- équi- ficile, et sans forcément parler de violence, ni pes éduca- en tombant dans le piège de la généralité, les tives expriment agents expriment des inquiétudes. Et s’interro- toujours un cer- gent : les difficultés grandissent-elles ? Ont-elles tain désarroi vis-à-vis changé de nature ? Les agents sont-ils moins ha- d’élèves en difficulté, mais bitués que par le passé, ou moins formés, à les sont-ils les mêmes que « gérer » ? Comment aider les élèves, favoriser dans les années 60 ? des changements de comportement, de relation S’agit-il toujours d’élèves en aux savoirs ? grande difficulté scolaire ou cette notion générique cache-t-elle Nous nous proposons ici de mieux identifier les d’autres réalités ? conceptions des équipes éducatives sur ce que 1 sont ces élèves ; nous les mettrons en regard avec vent celles d’élèves difficiles, sans que la sépara- exemple, des élèves d’un autre lycée se sont alliés à Nous le voyons e la vision des élèves eux-mêmes. tion entre les deux conceptions soit très claire ; des élèves provenant de bac pro et ont imposé une i si l’élève difficile est générateur de difficultés certaine pression sur d’autres élèves et sur les ensei- t r Elèves difficiles, en difficulté, pour l’équipe éducative, son comportement est gnants en général. ici, cas très a vu aussi comme symptôme d’une difficulté. Bien en situation difficile P plus que d’exprimer les problèmes de l’élève en Parmi eux, Cédric1, qui avait un très bon niveau gé- fréquent : S’il est une question qui pourrait résumer les difficulté, la question de « qui sont-ils ? » renvoie néral, recevait des réflexions dans la classe et en de- interrogations des équipes éducatives à propos plus aux situations difficiles vécues, que ce soit hors. Trois filles sérieuses et travailleuses souffraient un élève des jeunes dont ils ont la responsabilité dans le par les équipes éducatives ou les élèves. des avis moqueurs d’une partie du groupe. Un élève lycée, c’est celle-ci : « qui sont-ils ? ». Question qui venant de S a démissionné dès la première semaine capable est rarement posée lorsque tout va bien, mais qui Nous présenterons les situations difficiles identi- ne supportant pas le climat général. Il était marginal revient comme un aveu d’impuissance lorsque fiées dans l’enseignement agricole en quatre par- par rapport aux autres : milieu non agricole, cheveux de réussir ça va mal. Aujourd’hui, les aveux d’impuissance ties, en présentant certains témoignages révéla- longs, écolo. Dès le départ il a senti la pression... » à l’égard d’élèves dits tantôt en difficulté, tantôt teurs de la diversité des réalités, en mettant en sa scolarité difficiles (réflexion sur l’autorité, gestion de classe évidence les causes mentionnées par les équipes On imagine que si cet élève avait été plus jeune, difficile, échec scolaire, etc.) sont de moins en éducatives et en proposant une typologie des il serait tout simplement devenu un bouc émis- peut échouer moins anecdotiques, mais expriment souvent représentations qui gravitent autour de la notion saire, car il n’aurait pas pu partir, situation problè- 12 des réalités différentes, qu’il s’agit d’analyser d’élèves en situation difficile. matique régulièrement signalée par les délégués car il préfère 13 finement. des élèves lorsqu’ils peuvent s’exprimer en toute Ce regard des équipes éducatives sera mis en confidentialité. C’est donc parfois un groupe appartenir Les représentations relatives à la notion d’élèves perspective avec le propre regard des élèves sur d’élèves difficiles, qui peut mettre un élève en dif- en difficulté sont très diverses et recoupent sou- les difficultés qu’ils rencontrent. ficulté, même s’il réussit scolairement. à un groupe... Quelles sont les situations difficiles Par ailleurs, et dans le cas précis des mineurs sco- larisés, le souci de l’institution pour la santé des sur le terrain ? jeunes relève d’une forme d’ingérence dans la vie privée des individus (faire le bien malgré eux). L’institution se soucie alors des comportements dits « à risques » qui, s’il y a résistance, peuvent Paroles d’enseignants nir à un groupe ; qui plus est, une majorité peut mettre tout le monde en difficulté. Ou se trouve échouer sur les apprentissages, sans déranger confrontée à des problèmes familiaux ou de ma- Ces témoignages d’enseignants concentrent les l’enseignant sur le plan de la discipline. L’élève ou ladie. différents problèmes que peuvent rencontrer ou la classe en difficulté ne répondent pas à un profil générer les élèves : « Il s’agit d’une classe de 21 élè- type. Dans ce genre de situation, le recours à la norme, ves, avec un niveau faible pour la majorité d’entre à la loi, aux objectifs (programme, diplômes, etc.), eux. Je les ai cinq heures par semaine donc je les On serait tenté de penser que certaines difficul- à une autre pédagogie, est inadapté ou ineffi- connais bien. Seuls 4 sur 21 travaillent. Un a des tés sont directement liées à des niveaux ou des cace, et une tension apparaît entre la liberté in- facilités mais perturbe les autres, un autre ne tient filières (les classes de 4e-3e sont couramment dividuelle des jeunes ou le rôle des parents et la pas en place et peut facilement devenir insupporta- citées), et pourtant : « Un groupe d’élèves pertur- responsabilité éducative des agents : « Durant ble avec moi (remarques qui n’ont rien à voir avec bateurs exerce une position dominatrice sur le reste son bac pro, Isabelle est de plus en plus virulente le cours) ou avec les autres (vol d’objets...). Un autre de la classe et crée un climat négatif dans la classe. dans ses paroles et très contestataire. Elle a déjà essaie de faire partie de la bande des durs malgré Cela se produit en classe de BTS ACSE. [...] Dans cette un bac pro, mais pour intégrer un BTSA chez nous des capacités, et ne se donne pas les moyens de classe, deux groupes sont constitués à l’origine, for- elle a fait une remise à niveau. Tout s’est bien passé. réussir. ». Nous le voyons ici, cas malheureuse- mant deux noyaux importants : les bac pro, et les Finalement au bout d’un an, à force de volonté et ment très fréquent, un élève capable de réussir bac techno. Les premières semaines sont détermi- de motivation, Isabelle intègre le BTS. La situation scolairement peut échouer car il préfère apparte- nantes pour l’ambiance de la classe. L’an dernier par s’est largement dégradée au bout d’un mois de for- 1 mation avec des malaises à répétition (crise d’épi- quotidienne des élèves (hors de la classe évidem- connaissent pas la vie scolaire. Ils ont une mission munis. Les cours de soutien ne sont pas financés. Il e lepsie, avec intervention des secours). Au début, une ment) : d’entretien et c’est tout. Il faudrait intégrer explicite- y a du bénévolat de la part de certains enseignants, i fois par semaine, puis le nombre a augmenté pour - Elèves ayant des difficultés financières (très vi- ment la vigilance dans leurs missions en collabora- mais cela ne dure pas. Les assistants d’éducation t r arriver en milieu d’année à deux ou trois crises par sibles le week-end, avec une conséquence : « des tion avec la vie scolaire ». profitent des colles pour faire du soutien et je me de- a jour, et jamais de crises en entreprise sur son lieu élèves de milieux modestes qui sont en concurrence mande si c’est opportun. Il faudrait des formules de P de stage. Après plusieurs échanges, j’ai pu savoir avec ceux des milieux aisés, cela se traduit par de la Il en ressort que les personnels exerçant au cœur soutien institutionnalisées ». qu’Isabelle avait d’énormes problèmes sociaux (fa- jalousie »). de la vie quotidienne des élèves sont à la fois très milial, financier) et en voulait à l’équipe de lui avoir - Problèmes alimentaires chez les filles (« une ou proches des élèves (par le partage d’espace et de Dans ces discours, plusieurs causes sont invo- permis d’entrer en BTS alors qu’elle n’avait pas le ni- deux anorexiques par an, plus trois ou quatre qui temps communs), et donc susceptibles de repé- quées comme responsables des difficultés de veau. [...] Depuis la rentrée, Isabelle ne fait plus de suivent par effet de mode »), et parfois chez un gar- rer facilement les problèmes, mais qu’ils restent l’élève. Leurs expressions traduisent parfois une malaise. Par contre elle est totalement démission- çon. paradoxalement éloignés et freinés dans leur ca- vision déterministe du phénomène, à vous de naire au niveau scolaire, a une moyenne de 7/20 en - Une élève enceinte (pourtant selon le cuisinier : pacité d’intervenir : « les ATOSS ne connaissent pas juger. contrôle continu. Elle a totalement baissé les bras « cela ne pose pas de problème particulier »). les noms des élèves, ils doivent les décrire ou regar- et veut quand même aller jusqu’au BTS. J’ai peur - Consommation d’alcool et/ou de drogues. der les photos ». Par ailleurs, notamment par l’aide qu’elle “pète les plombs“ à tout moment. » - Relations copains-copines. au devoir, ces agents repèrent facilement « les dif- - Inquiétude ou curiosité sur l’avenir : revenus, vie ficultés scolaires avec des lacunes énormes : ortho- Paroles d’ATOSS en appartement… graphe déplorable, ne savent pas écrire, graves diffi- 14 cultés de compréhension, y compris des énoncés ». 15 Concernant les personnels ATOSS (ici un agent Selon cette personne, et elle a pu le comparer dans Les agents pensent que « les professeurs sont dé- d’entretien), un élève est perçu comme en en le temps, il est clair que « la qualité de la nourriture Les causes qui favoriseraient difficulté lorsqu’il a un comportement déviant influe sur le comportement tout autant que la qua- , par rapport à la norme, aux habitudes ou aux lité du travail des collègues surveillants ». Il ajoute : l émergence ou la confirmation , rites, ou bien manifeste un malaise : « Les élèves en « j’avais ces échanges avec les élèves qui venaient difficulté se repèrent le plus le mercredi après-midi : me voir. Depuis que je ne fais plus les week-end, d une situation difficile ils ne sortent pas, restent dans l’établissement, l’éloignement me fait perdre ce lien. » Par ailleurs, ils sont seuls dans leur coin. Il n’est pas normal « il y a peu de communication au sein de l’équipe. La qu’un élève soit seul dans son coin. Les élèves pas vie scolaire pense détenir la vérité par rapport à la bien dans leur peau : ce sont des élèves qui vivent vie des élèves. Beaucoup d’élèves consomment des mal leur adolescence. Souvent cela se traduit par produits. Je ne veux pas les dénoncer, mais je pour- Au regard des différents témoignages récoltés rentre dans la jungle, avec des mots de plus en plus des pleurs ou des élèves qui s’isolent dans un coin rais utilement en parler avec certaines personnes. » dans l’enseignement agricole, plusieurs raisons forts, des carapaces de plus en plus fortes… ». de bâtiment. Les élèves en difficulté vont vers les [...] « Il y a une réticence du personnel ATOSS, beau- responsables de la situation difficile sont invo- animaux, c’est un atout de l’enseignement agricole. coup font un complexe par rapport aux autres per- quées : Les parents se positionnent de plus en plus en Après les cours, les élèves vont voir les vaches et les sonnels ». Et de pointer quelques pistes simples consommateurs : « C’est à l’école de résoudre les Parents et famille veaux, même s’ils ne sont pas de milieu agricole ». pour y remédier : « Il faudrait que la vie scolaire et problèmes d’insertion, de discipline, de drogue, de les enseignants prennent l’initiative de leur deman- maladie (élèves arrivant malades le lundi, non soi- Les entretiens menés dans un établissement der leur avis. Il faudrait les consulter de temps en Certains parents et la famille sont souvent remis gnés). Ils trouvent normal que l’école se substitue agricole typique (petite ville d’environ 1000 habi- temps : avec cet élève, où en est-on ? Les collègues en cause. Parlant des parents, enseignants et élè- aux parents, même pour acheter les billets de train. tants, 300 élèves, 200 internes, mixité des genres ATOSS se mobiliseraient davantage ». ves s’expriment ainsi : « Comment rendre les élèves Beaucoup de parents donnent systématiquement globalement mais plutôt féminin), révèlent sans plus respectueux quand on constate l’irrespect dont raison à leur enfant contre l’établissement. Cer- le moindre doute que les personnels hors ensei- Selon un agent d’entretien, la coupure avec la ils font preuve à l’égard de leurs parents ? Souvent le tains parents ont peur de leur gnement sont très précieux pour repérer les élè- famille donne « l’impression aux élèves que leurs père et la mère travaillent et l’enfant a grandi seul. Il enfant ». ves en difficulté. parents les aiment moins. Cela touche surtout les faut, au cas par cas, sensibiliser les élèves au respect filles ». Il confirme l’observation du cuisinier : dû aux familles. Certains parents sont en difficulté A partir d’un entretien mené avec un cuisinier, « les élèves en difficulté se voient plus le mercredi par rapport à leurs enfants. Plus de la moitié des voici la liste des différentes difficultés repérées après-midi ». Concernant ses collègues directs : élèves sont en irrespect par rapport à leurs parents. par un seul agent exerçant au cœur de la vie « les nouveaux ATOSS ne disent rien car ils ne Au lycée, le bonjour le matin est une exception. On , Différentes représentations d élèves 1 S’il ne revient pas à l’école de résoudre ces problè- Elèves et classe e mes, il convient de les connaître pour mieux ana- en situation difficile i lyser la situation. Car les liens avec le travail sco- Des facteurs relatifs aux élèves conditionnent t r laire et la vie de tous les jours au lycée existent : une situation difficile chez les élèves ou pour une a « Beaucoup de parents ont laissé les problèmes classe : P s’accumuler. Beaucoup baissent les bras. Beaucoup - un rapport au corps difficile, en particulier dans ne sont pas inquiets par rapport aux problèmes sco- cette phase de mutation profonde qu’est l’ado- laires. Les parents sont plus inquiets par rapport aux lescence (syndrome du homard de F. Dolto) ; A la lecture des paroles des équipes éducatives, il blème. Cette perception s’inscrit dans une vision problèmes de discipline ». - des difficultés d’ordre affectif, avec principale- semble parfois difficile de distinguer clairement plus systémique (cf. tableau n°3). ment deux champs : le champ familial (ruptures, l’élève en difficulté de l’élève difficile, d’autant Pour remettre les choses à leur juste mesure, ou séparations, violences familiales présentes ou que l’un peut devenir l’autre, et vice versa. De fait, Ce serait une malhonnêteté intellectuelle de peut-être se rassurer, ces agents tentent pourtant passées…) et le champ amoureux (relations dif- une typologie a le désavantage de caricaturer le gommer la complexité des situations difficiles de relativiser en rappelant que les « vrais problè- ficiles avec les partenaires potentiels, premières problème et peut-être de noircir le tableau. Il faut derrière des typologies simplificatrices. Il ne le mes » sont : ruptures amoureuses…) ; rester prudent, le « mauvais » élève, l’élève ou la serait pas moins de ne considérer que la vision - la séparation de la famille, les familles éclatées - des difficultés d’ordre relationnel : difficulté à classe en difficulté, sont rarement des groupes qu’en ont les équipes éducatives et les forma- et/ou recomposées, monoparentales (quelques- communiquer ou communication inadaptée, qui ou des tyrans calculateurs ou des malades teurs, sans se questionner sur les représentations unes), le désengagement de la famille ; sont souvent la manifestation d’autres difficultés ; irrécupérables. Ils ne cumulent pas forcément les des élèves. 16 - psychologiques : dépression, anorexie, scarifi- - des difficultés d’ordre social, d’ordre culturel ou difficultés. 17 cations sont en augmentation, même dans les des difficultés financières ; Ce qu’en pensent les élèves familles rurales. « Les mêmes problèmes qu’en ville - des difficultés d’ordre intrapsychique : il est né- Nous pouvons tout de même fournir une forme Les élèves ne sont eux-mêmes pas en reste pour arrivent. » cessaire ici de distinguer les situations de névrose de typologie sur la notion d’élèves en difficulté, donner une vision fine de la manière dont les (non coupure avec la réalité et efficacité de l’aide qui, en complément des récits et témoignages, difficultés sont vécues dans les établissements Agents et institution par la parole) des situations de psychose (cou- peut permettre de lire les situations, et aider à d’enseignement agricole2. Leurs regards sont re- pure avec la réalité et suivi médical nécessaire), leur identification. Rappelons que pour cette censés dans le tableau n° 4. Des facteurs relatifs aux agents ou à l’institution car des élèves psychotiques non diagnostiqués partie encore, les catégories et les signes sont re- conditionnent une situation difficile chez les élè- peuvent gravement perturber une classe. cueillis auprès des adultes, agents et opérateurs, On le voit, le regard porté par les élèves sur les ves ou pour une classe : l’organisation de l’emploi et non formulés par les élèves eux-mêmes. problèmes n’est pas très éloigné de celui des équi- du temps, les conditions matérielles, l’image de On le voit, la notion d’élèves en difficulté nous pes éducatives. S’ils peuvent analyser avec acuité L’élève difficile l’établissement, la réputation d’une filière ou amène à des réalités d’une grande complexité. un contexte difficile, ils n’hésitent pas à porter un d’une classe, le contexte d’insécurité sont sou- Les discours des éducateurs permettent de les jugement sur eux-mêmes. Au même titre que les vent invoqués comme facteurs structurels du dis- classer de plusieurs manières selon l’entrée choi- Dans ce premier cas de figure, c’est le membre enseignants, ils soulignent le manque de respect positif de formation, nuisibles à l’apprentissage. sie ; dans le chapitre suivant, nous proposerons de l’équipe éducative qui vit directement la dif- entre les différents acteurs de l’établissement, et une typologie qui permet de mieux concevoir les ficulté. Différents signes sont invoqués ; ils sont leurs difficultés à se relier aux savoirs. L’équipe éducative est aussi incriminée et plu- modalités de remédiation. synthétisés dans le tableau n°1. sieurs dysfonctionnements sont mentionnés : le L’élève en difficulté laisser-faire, les attitudes agressives ou irrespec- tueuses des agents envers les élèves, la perte de motivation, les difficultés psychologiques ou rela- Dans ce deuxième cas de figure, c’est l’élève qui tionnelles des enseignants ou des autres agents, est considéré comme ayant le problème, qui est mais aussi l’incohérence des décisions prises considéré hors norme (cf. tableau n°2). chez les enseignants et la vie scolaire, une forma- La relation difficile tion initiale ou continue déficiente (non maîtrise des contenus d’enseignement, difficulté à gérer entre l’agent et l’élève des situations difficiles), la mésentente, voire les conflits ouverts au sein des équipes pédagogi- Dans ce troisième cas de figure, c’est la situation ques et/ou éducatives. entre l’agent et l’élève qui est vue comme un pro- 1 Principales catégories Signes Principales catégories Signes e Mode communicationnel i Comportement t Aspects relationnels Décalage dans la conception du respect, r Violences entre élèves, irrespect pour les adultes (y Décalage de représentation de la solidarité, de la civilité, des valeurs. a compris leurs parents), insultes, racisme, sexisme, Décalage relatif à l’effort, au travail… P bizutages, phénomènes de bouc émissaire, vol. Mise en cause de l’agent Contestation individuelle ou collective des actes, de la compétence professionnelle Aspects sociaux Leaders négatifs, trafics, phénomènes de bandes ou de la personnalité de l’agent. violentes, refus de la loi, goût pour l’interdit. Comportement inadéquat des agents Des enseignants qui ne prennent pas leur métier au sérieux, qui se moquent des élèves, Scolaire Refus de travailler, perturbateur. Des enseignants qui humilient les élèves. Racisme des personnels envers des élèves. Mode scolaire Tableau n° 1 - Elève difficile Savoirs Conceptions incompatibles du rapport aux savoirs. Principales catégories Signes Critiques « sauvages » et maladroites Comportement sur les compétences pédagogiques de l’agent. Orientation Aspects liés à la personne Absentéisme, démission, manque de motivation, Attentes ou représentations divergentes sur l’avenir décrochage. de l’apprenant. 18 Aspects relationnels Irrespect, violence verbale ou physique envers les Tableau n° 3 - Relation difficile entre l’agent et l’élève 19 camarades ou les adultes, racisme en paroles ou en actes. Scolaire Difficulté de compréhension, manque de méthode Problème dans la relation élèves/ Savoirs Problèmes personnels des élèves de travail, dyslexie, refus de faire les devoirs, manque enseignants de fondamentaux (lecture, écriture) stress par la compétition. La subjectivité des enseignants. Consommation abusive d’alcool. Le manque de plaisir d’enseigner observable Consommation de drogues. Désintérêt des parents pour l’orientation, non respect et relations avec l’enseignant. Trop de travail. Orientation des parents sur leur projet de vie, pas de projet L’agressivité des élèves à l’égard des enseignants. Problèmes personnels au sein de la famille (violence, professionnel, suivisme, grégarité, angoisse de l’avenir, Un manque de respect des deux côtés. alcool, problèmes financiers). incapacité à imaginer un projet de vie. Le manque de connaissances de l’enseignant Manque de motivation pour apprendre pour son sujet. car manque d’emplois. Le manque de tolérance, des deux côtés. Trop d’ambition de la part des parents. Santé Des comportements trop formels durant les cours ; Non respect des parents sur leurs désirs d’ étude. Hyperactivité, automutilation, attitudes incohérentes, les élèves aimeraient pouvoir parler de leur problème. Sentiment de solitude dans la difficulté, Comportement à risques conduites suicidaires, alcoolisme, consommation de Des cours ennuyeux, ne permettant pas la créativité. sentiment d’absence de relais possibles. cannabis, autres addictions. Des enseignants qui ne semblent pas comprendre Excès de timidité. ce que veut dire être jeune. Isolement, mutisme, auto-dévalorisation… Des enseignants qui en demandent plus que Mal-être, maladie Isolement, dépression, mélancolie, conduites dépressives, anorexie, boulimie, handicap, dyslexie, ce qu’ils sont eux-mêmes capables de faire. bouffées délirantes. Des approches pédagogiques peu efficaces. Des enseignants qui se permettent d’étaler leur mauvaise humeur en cours. Relationnel/Social Peur de l’autre, peur de l’éloignement, inadaptation à un nouveau milieu de vie, difficultés familiales, dans la relation élèves/élèves sur le système éducatif difficultés sentimentales, relation au corps, isolement, Existentiel difficultés financières (entraînant l’exclusion). Anonymat dans des classes trop grandes. Passer trop de temps derrière un bureau. Trop de théorie, manque de pratique. Absence de perspectives, de projet, no future. Absence de démocratie parmi les élèves. L’école n’enseigne pas la vie. Non respect des parents sur leur projet de vie Leçon d’un trop haut niveau. culturel. Manque de respect dans les groupes. Angoisse par rapport à la sexualité. Classes trop grandes. Mort des proches. Rôle trop important des diplômes dans la vie professionnelle. Tableau n° 2 - Elève en difficulté Tableau n° 4 - Ce qu’en pensent les élèves Commentaires 1 pact de ces difficultés sur les agents peut être d’une situation difficile ne permet pas d’être re- On remarque e saisi plus aisément. connu dans ses compétences et ses valeurs. Cela i peut également générer un sentiment de malai- ’ t Les effets sur les agents l existence r « Elève… » ou « élèves…», « élève en difficulté », se par « contagion » de la situation vécue par le a « élève difficile », « élève en échec »… Sous la Lorsque les équipes éducatives s’expriment sur la jeune. La question sous-jacente est : que suis-je ’ P d une bipolarité multiplicité des termes et la polysémie de cha- notion d’élèves en difficulté, au-delà d’un « dis- pour l’autre ? cun d’entre eux, se profile un certain nombre cours sur l’élève », leurs paroles ne font pas l’éco- - Le niveau relationnel : vivre ou être témoin d’une marquée selon que d’obstacles à la compréhension et à l’analyse des nomie de ce que nous nommerons « l’effet sur les situation difficile perturbe les intentions éducati- réalités, obstacles susceptibles d’entraver la mise agents ». Les agents ne séparent pas toujours la ves et pédagogiques, d’autant plus si les efforts ’ ’ en œuvre de dispositifs pertinents et efficaces. difficulté vécue par l’élève de celle – induite ou pour résoudre la situation difficile se soldent par l on s attache subie – qu’ils vivent eux-mêmes. des échecs. La question sous-jacente est : quelles Ainsi, « la difficulté scolaire n’est pas une maladie ; sont mes intentions vis-à-vis des élèves ? Sont-el- à définir elle n’a pas de causes objectives qu’il suffirait de tra- Cela revient à se pencher plus particulièrement les réalistes, en lien avec le public ? quer pour les faire disparaître. Elle est une conduite sur la deuxième partie de la fameuse formule : - Le niveau institutionnel : la situation difficile si- la situation de l’élève, qui est une réponse qu’il apporte à des « élèves difficiles, enseignants en difficulté » pour gnale que l’agent ne remplit pas la mission que ’ problèmes qui lui sont posés » (Inspection acadé- tenter de comprendre l’impact des élèves diffi- lui confie l’institution. La question est : quel agent d échec mique de Loire-Atlantique, 2004). ciles ou en situation difficile sur l’ensemble des suis-je ? La mission est-elle réalisable ? 20 ’ ’ acteurs de l’établissement. L’articulation entre les trois niveaux (valeurs/ ( c est un retard..., 21 Dans un document de l’Inspection académi- transmission/commande) n’est pas souvent ex- ’ que de Meurthe-et-Moselle (2003), on peut lire Ces éléments doivent également nous aider à plicite chez les agents, et s’exprime selon les cas c est une la question suivante : « En première approche, le initier une triple réflexion : de façon cachée ou partielle. Cela pose égale- terme “élève en difficulté“ sous-entend d’une part, - sur la part de responsabilité du système et des ment la question de la parole individuelle et de la impossibilité à...) que la difficulté constatée est clairement définie et agents dans l’émergence de situations difficiles. Il parole collective sur une même situation. ’ d’autre part, qu’elle appartienne à l’élève, qu’il la ne s’agit alors plus de créer une dynamique d’hy- ou que l on porte en lui. Mais est-ce vraiment si simple ? ». per-responsabilisation ou a contrario de déres- L’exemple d’une classe difficile ’ ponsabilisation, de fuite des responsabilités, ou considère l élève A l’image de la complexité du phénomène, les d’un dédouanement vis-à-vis des problèmes qui Ainsi, un groupe d’enseignants qui demande de définitions spontanées proposées par des ac- se posent, mais bien de repositionner les acteurs l’aide pour gérer une classe difficile de troisième comme sujet teurs du système éducatif (enquêtes concernant dans une responsabilité partagée ; a l’impression de « tourner en rond », de ne pas sa- leurs représentations, MEN, 2007) sont rarement - sur la mise en difficulté des agents ; voir « par où commencer ». Parfois, c’est même le ou acteur univoques. En particulier, on remarque l’exis- - sur la part de responsabilité du système et des sentiment « d’être inutile, d’être là comme un pion tence d’une bipolarité marquée selon que l’on agents pour améliorer la situation ou contribuer parce que j’ai des heures à faire ». L’impuissance est ’ (c est un élève s’attache à définir la situation d’échec (« c’est à résoudre les problèmes ; surtout relatée dans la gestion du groupe, et du un retard… », « c’est une impossibilité à… ») ou - comme pour l’exploration des situations diffici- coup, la question de la transmission de connais- qui...). que l’on considère l’élève comme sujet ou acteur les sur le terrain, cette partie alternera récits des sances devient secondaire, non pas par choix (« c’est un élève qui… »). agents eux-mêmes (en établissement), éléments éducatif, mais par obligation. C’est-à-dire qu’elle fournis par des opérateurs, et commentaires. prend moins de sens, et moins de temps dans les Ces résultats dans le contexte de l’Education na- Nous suggérerons finalement une synthèse des heures de cours : « j’ai l’impression de faire du gar- tionale reflètent parfaitement ceux qu’expriment principaux effets rencontrés chez les agents. diennage », « je suis inquiet avant le cours », « mal les acteurs de l’enseignement agricole. Au-delà à l’aise » avec impression de ne pas être un bon Des récits des difficultés exprimées, les enquêtes qui ont professionnel. pu être menées auprès des équipes éducatives D’un point de vue humain et individuel, il appa- et des élèves mettent aussi en évidence un man- raît que l’impact des situations difficiles sur les Si la rancœur envers les élèves est parfois citée, que réel de communication entre les acteurs du adultes de la communauté éducative peut se tra- elle reste relative, car la même personne est système éducatif. Et si les conséquences sur les duire à trois niveaux : consciente que les élèves ne sont pas réellement élèves n’ont pas fait l’objet d’investigation, l’im- - le niveau émotionnel : vivre ou être témoin responsables de ce qu’ils sont. Cet avis est large-
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