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Apocalypse à Houston PDF

122 Pages·1990·0.49 MB·French
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CHAPITRE I Saul Baxter parlait fréquemment pendant son sommeil. En de nombreuses occasions, ses gardes du corps avaient pu l’entendre tenir de véritables discours inconscients durant lesquels il semblait être la proie d’une intense excitation. Mais le plus surprenant, c’est qu’il lui arrivait de parler avec plusieurs voix totalement différentes de la sienne, émettant parfois des bruits étranges, inhumains, semblables à des grincements de portes, des coups de gong ou des feulements invraisemblables, comme si des démons s’agitaient en lui. Le curieux phénomène avait commencé à se manifester quelques jours après son premier meurtre, à l’âge de dix-neuf ans. Le jeune Saul travaillait alors pour la famille DiGiorgio qui l’avait engagé d’abord comme coursier pour acheminer des colis de drogue aux revendeurs de Los Angeles, puis, vu son imposante carrure, comme gros bras dans une équipe de racket à L. A. Downtown. Depuis, Baxter avait fait son chemin dans le monde du Crime Organisé, quittant la Californie à la mort de DiGiorgio pour aller traîner ses guêtres sur la côte Est et venir finalement s’installer au Texas où il s’était intégré au clan de Lou Androsi en tant que chef de secteur. À l’âge de quarante-huit ans, Baxter avait à son actif l’impressionnant score de vingt-trois assassinats, d’une bonne douzaine de cambriolages et effractions diverses, et portait la responsabilité de nombreuses autres actions illégales de natures diverses. À part quelques blessures récoltées sur le terrain, il s’en était toujours sorti à bon compte et n’avait jamais été condamné pour ses crimes. La Cosa Nostra le protégeait. Quelque chose à l’intérieur de lui, cependant, le harcelait sans relâche dès qu’il fermait les yeux pour s’endormir. Ce n’était pourtant pas sa conscience, il n’en avait jamais eu. Peut-être s’agissait-il d’entités avec lesquelles il avait obscurément fait un pacte et qui profitaient de son sommeil pour se manifester. C’était du moins ce que pensait vaguement Lone Laramy, son premier garde du corps, qui avait souvent assisté à ces bruyantes et inquiétantes manifestations nocturnes. Il n’était que 4 heures de l’après-midi, mais Baxter était allongé dans l’immense lit de sa chambre dont les doubles rideaux avaient été tirés pour maintenir la pièce dans l’obscurité. La nuit précédente et une partie de la matinée avaient été employées à un travail de surveillance durant un transfert de cocaïne en provenance du Mexique, et Saul n’avait pu se coucher qu’après avoir rendu des comptes au capo de Houston sur le déroulement de l’opération. En proie à son habituel délire onirique, il n’eut absolument pas conscience qu’une grande silhouette sombre traversait silencieusement sa chambre pour s’approcher de lui et le tirer violemment par les pieds. Son corps immense glissa sur les draps de satin comme s’il s’était agi d’un simple baluchon et valdingua hors du lit pour retomber pesamment sur la moquette. Il émit un effrayant rugissement, s’ébroua et se redressa sur les coudes. Puis il commença à prendre conscience de la réalité et se passa une main large comme un battoir sur le visage. Il l’en retira poisseuse de sang. Son nez avait touché durement le sol et devait être cassé. Nom de Dieu ! Qui était l’enfant de salaud qui l’avait fait tomber sur le tarin ? Qu’est-ce que cette plaisanterie à la con voulait dire ? Saul était chez lui, dans une maison gardée par plusieurs hommes armés, où personne ne pouvait pénétrer sans son autorisation. Il ne pouvait pas avoir rêvé ce qui venait d’arriver ! Un cauchemar ne vous fout pas en bas de votre lit pour vous faire retomber sur la tronche ! Les yeux embués, il eut une vision floue de sa chambre à demi plongée dans l’obscurité, crut distinguer une forme humaine imprécise au pied du lit, puis il entendit des pas précipités dans le couloir. — Fais gaffe, Lone ! brailla-t-il en tentant de se relever. Mais déjà son garde du corps avait ouvert la porte et pénétrait dans la chambre. — C’est rien, chef ! Ça va passer. C’est qu’un putain de mauvais rêve. Le lustre du plafond s’alluma. En même temps, une colossale détonation emplit la pièce, aussi puissante qu’un coup de tonnerre. Une langue de feu pourpre jaillit en direction de Lone Laramy. Une balle énorme et brûlante lui pulvérisa la tête, le fit refluer à reculons dans le couloir et le cloua au mur le long duquel il glissa doucement en y laissant une horrible traînée sanglante. Saul Baxter émit un borborygme aigu, les yeux rivés sur le hideux spectacle, puis il entendit tout près de lui une voix aussi froide que la Mort : — C’est ton tour, maintenant. Prépare-toi. Ce fut alors seulement qu’il put voir avec netteté la grande silhouette noire armée d’un monstrueux flingue nickelé dont le canon était pointé sur lui. Il eut l’impression qu’une main de glace lui étreignait la nuque. Brusquement pétrifié par une trouille abjecte, son museau taurin figé dans une expression bovine, il laissa échapper une petite plainte rauque. Puis il eut une lueur d’espoir. Le grand salaud ne lui avait pas encore tiré dessus. Peut-être voulait-il discuter ? — J’ai jamais rien eu contre toi, Bolan. Qu’est-ce que tu me veux ? Une puanteur innommable était sortie de sa bouche en même temps que ces mots prononcés à la hâte. — Tu sais ce que je veux. Vous le savez tous. Où est-il ? — Tu veux parler de ton copain ? répliqua prudemment le mafioso. Bolan émit un ricanement et Saul eut immédiatement l’image de glaçons s’entrechoquant dans un verre. — Je ne parle de rien d’autre. C’est ta seule chance de ne pas crever. — Écoute… J’ai seulement entendu des échos à ce sujet… Comment est-ce que t’as pu entrer ici ? En plus de Lone, y a deux soldats dans le jardin et un autre dans l’entrée. — Je les ai liquidés. Un tic nerveux secoua la joue du chef de secteur qui s’empressa d’affirmer : — Je te jure que je suis pas dans le coup. — Qui, alors ? Dépêche-toi. — Bon Dieu, personne ne m’a rien dit et j’ai jamais vu ce mec. C’est pas de mon côté qu’il faut chercher. — Tu es sûr ? — J’te le jure, Bolan ! Merde, c’est pas dans mon intérêt de te raconter des cracks. Je voudrais bien t’aider à retrouver ton pote, mais je te répète que je suis pas dans le coup. — Dommage pour toi, fit doucement l’Exécuteur en appuyant sur la détente de l’AutoMag qui, de nouveau, fit entendre son terrifiant aboiement. La face de Saul se désintégra. Une partie de sa cervelle gicla en plusieurs morceaux dans la pièce et une fontaine de sang inonda les draps de satin et la moquette. Bolan replaça « Big Thunder » dans la gaine spéciale accrochée à son ceinturon militaire et quitta les lieux. Dans l’entrée, il enjamba le cadavre d’un garde qui baignait dans une mare de sang, jeta à peine un regard aux corps des deux autres mafiosi dont il s’était débarrassé aussi silencieusement, puis rejoignit la Corvette garée dans une petite allée contiguë. Les deux détonations avaient forcément été entendues par le voisinage et on l’avait sans doute aperçu à sa sortie de la propriété ; l’alerte ne manquerait donc pas d’être donnée à très brève échéance. Mais c’était exactement ce que voulait Bolan. Quarante-huit heures plus tôt, la nouvelle lui était parvenue de différentes sources : Rosario « Politicien » Blancanales s’était fait piéger à Houston par la Mafia. Ça n’avait rien à voir avec une mission contre les amici. Blancanales effectuait alors tout bonnement une enquête de sécurité pour une société texane, cela dans le cadre de l’agence « Able Team » que Bolan l’avait aidé à monter avec Herman Schwarz. Toni, la sœur de Politicien, s’était d’abord inquiétée de n’avoir plus de ses nouvelles et avait fini par alerter Bolan. Très vite, ensuite, ce dernier avait eu des renseignements par le pilote Jack Grimaldi qui avait toujours des contacts occultes dans le milieu mafieux. Bref, apparemment, toute la pègre de la cité portuaire était au courant qu’on avait mis la main sur un ami de la Grande Pute en combinaison noire. Et, qui plus est, les instigateurs de l’opération avaient fait en sorte que l’information dépasse les frontières de l’État. Pour Bolan, ça signifiait sans la moindre équivoque que les cannibales s’attendaient à sa venue et qu’ils lui avaient assurément réservé une réception digne de lui. Après toutes ces années de guerre et malgré les précautions qu’il prenait pour ne pas mouiller ses amis dans son combat sans merci, il était inévitable que la mafia, désespérant de le piéger, s’en prenne à son entourage. Mais, après l’échec sanglant de leur tentative à New York pour le coincer en enlevant sa vieille amie Ethel Morisson, l’Exécuteur ne se serait pas attendu à ce qu’ils utilisent la même technique. Jusqu’à présent, Mack Bolan avait toujours choisi le terrain de son combat. Mais puisque les pourris voulaient l’entraîner sur le leur, pas un instant l’Exécuteur n’eut l’intention de décliner l’invitation. Il ne relevait pas seulement un défi. La vie de Politicien était en jeu et cela seul suffisait à le motiver. Les amici avaient fait passer leur message. Soit. Il venait de leur signifier le sien. Un bruyant message de mort. Et ce n’était qu’un tout début. La Mafia allait trinquer. Le lieutenant Dean Raleigh écarta deux de ses hommes pour examiner le cadavre. Il y accorda quelques secondes d’attention soutenue, fit une grimace écœurée et se releva, le cœur au bord des lèvres. — Est-on vraiment certain que c’est Saul Baxter ? demanda-t-il. — C’est sa crèche, en tout cas, fit l’enquêteur qui était resté près de lui. Ça, y a pas d’erreur. — Il faudra activer le service d’identification pour en avoir rapidement la certitude. Pour l’instant, je ne vois que des morceaux de tête éparpillés partout dans cette chambre. Je me demande bien quelle est l’arme qui a pu faire des dégâts aussi monstrueux. — Ça semble correspondre à un tir à bout portant avec un riot-gun. — Pas pour moi, répliqua Dean Raleigh en hochant doucement la tête. À cette distance, un fusil antiémeute l’aurait carrément décapité et il y aurait des impacts de chevrotines un peu partout sur le mur. Se baissant de nouveau, il déplaça une table de chevet dont la porte était éventrée et découvrit tout de suite le trou béant provoqué dans la cloison par le projectile. Il quitta la pièce, alla ouvrir une porte contiguë qui desservait une seconde chambre au lit défait, et remarqua le long sillon dans l’épaisse moquette. S’activant avec un canif, il découpa une lanière de tissu, creusa le parquet autour d’un objet métallique qu’ü put enfin saisir et examiner. Une voix de baryton retentit dans son dos : — Lieutenant Raleigh ! Si c’est une pièce à conviction, vous feriez mieux de la laisser en place. Il se redressa pour faire face au capitaine Dagghaert qui le fixait d’un air hargneux, son grand nez de rapace pointé en avant comme une accusation. — J’ai trouvé ce qui a rectifié Saul Baxter, capitaine. Et j’ai comme une vague idée sur le type qui utilise une arme de la sorte. Ce n’est ni du .357, ni du .45. Dagghaert tendit sa main noueuse pour s’emparer de la grosse ogive blindée à peine déformée par son impact multiple. — Et c’est quoi, d’après vous ? — Une magnum. 44. De quoi stopper net un rhinocéros en pleine course. — Et vous avez une idée sur le tireur, hein ? — Je le pense. Mais il me faudra une confirmation. En tout cas, ce n’est pas ce genre de munition qui a été utilisée contre les victimes d’hier soir, en ville. — Ouais ! grogna le capitaine du H. P. D. Mais ce mec dans le couloir n’a plus de tête lui non plus. Et les autres, en bas ? — Le coroner nous le dira, mais je pense que deux d’entre eux ont subi une strangulation à l’aide d’un garrot et que le dernier a été poignardé sans qu’il ait pu donner l’alerte. Une technique de commando. Dagghaert lui lança la balle de .44 magnum. — Placez ça sous scellé et retournez à la brigade. — L’identification et le coroner ne vont pas tarder. — Je m’en occupe. Foutez le camp d’ici, Raleigh, et attendez les ordres. Le jeune lieutenant retint un soupir excédé, s’éclipsa dans le couloir et gagna le hall du rez-de-chaussée où l’un de ses hommes l’attrapa au vol. — Nous avons un témoin qui veut faire une déposition, lieutenant. Par la porte d’entrée ouverte, Raleigh considéra le gros homme au visage luisant qui discutait avec un autre enquêteur près de la grille. Il les rejoignit aussitôt, questionna poliment : — Vous avez vu quelque chose, monsieur ? Le gros type respira profondément. — Un peu, oui ! Je dois vous dire que j’ai d’abord entendu deux coups de feu fracassants, à moins d’une minute d’intervalle. Il désigna du bras une villa à une cinquantaine de mètres, poursuivit : — J’habite là. Je suis ingénieur à la raffinerie de pétrole de Spring et comme j’ai travaillé tout le week-end dernier, j’ai pris ma journée de repos. Pour me décontracter, je faisais vin peu de jardinage et… — Venez-en au fait, s’il vous plaît, l’interrompit Raleigh. Vous avez entendu deux détonations ? — Oui. Comment aurais-je pu ne pas les entendre ? Ça a fait autant de boucan que des coups de canon. Je suis monté aussitôt à l’étage de ma maison pour essayer de voir d’en haut ce qui se passait. Mais il n’y avait rien à voir… Du moins pendant un moment. Et puis, j’ai aperçu un homme de grande taille qui sortait de chez M. Baxter. Il était habillé comme un de ces personnages de bande dessinée, vous savez, ces types en combinaisons moulantes… Il avait une sorte de cagoule sur la tête et on aurait pu croire qu’il y avait une fête costumée dans cette maison. Je dis ça, parce que je l’ai vu quitter tranquillement les lieux et marcher d’une allure tout à fait décontractée, comme quelqu’un qui a oublié quelque chose dans sa voiture. Mais en fait, ce type n’avait rien d’un fêtard ni d’un rigolo. Il se dégageait de lui une impression sinistre. Il portait un gros pistolet à la hanche et un autre sur le côté gauche de la poitrine. — Vous l’avez vu monter dans une voiture ? questionna Raleigh. — Non. Quelques secondes plus tard, il est sorti de mon champ visuel. Ensuite, j’ai entendu un bruit de moteur en sourdine, et puis je me suis dit qu’il fallait que j’appelle les flics. Je veux dire les… — Je vous remercie, monsieur. Vous devriez rapporter au capitaine Dagghaert tout ce que vous venez de me dire. Il est là-haut. Après un petit salut de la tête, le lieutenant des Homicides franchit la grille d’entrée et regagna sa voiture de service. Des idées peu joyeuses tournaient dans sa tête tandis qu’il actionnait le démarreur. Le pressentiment qu’il avait eu en découvrant la monstrueuse balle de .44 magnum était à présent confirmé. Ce type en combinaison noire était doté d’un culot ahurissant. Il s’était tranquillement amené dans la maison d’un mafioso notoire, avait liquidé les gardes chargés de sa protection, puis lui avait fait exploser la tête avant de repartir comme n’importe quel quidam. Raleigh ne s’attendrissait nullement sur la mort de Saul Baxter et de ses hommes. Cela faisait longtemps qu’on essayait de coincer cette ordure sans y parvenir. Mais il pensait à ce qui allait sans aucun doute se passer à partir de maintenant. Il existait en archives de nombreux rapports de police sur les opérations que Bolan avait menées sur le territoire américain et ailleurs. On connaissait son modus operandi, les techniques qu’il utilisait et la façon dont il « nettoyait » un territoire. Oui, Houston allait sûrement connaître des heures funestes. L’horizon ne tarderait pas à avoir la couleur du sang. CHAPITRE II Houston compte un peu plus de deux millions d’habitants et représente le troisième port maritime américain. C’est aussi le principal centre de contrôle de la NASA pour les vols spatiaux, et les quelque cinquante mille techniciens qui y travaillent l’ont baptisée « Space City ». Plus communément nommée « Cité du Crime » par les journalistes de la grande presse internationale, Houston bat un triste record : celui du meurtre crapuleux, du braquage, du viol, de la drogue et d’autres vices multiples, allant du proxénétisme à la corruption organisée. Par ailleurs, la grande magouille financière s’y déroule quotidiennement, axée tant sur le pétrole et l’industrie chimique que sur les exportations de toutes sortes au Mexique et en Amérique latine. Ajoutons au tableau un grouillement confus de politiciens dont beaucoup sont véreux, d’escrocs de haut vol, ainsi que la présence de gangs diversifiés (Blancs, Portoricains, Jamaïcains, Mexicains, Noirs) qui se livrent le plus généralement au trafic des stupéfiants et à la guerre entre gangs, et l’on obtient une vision assez nette de cette ville qui regarde vers le cosmos. Dans un tel contexte, il était normal que la Cosa Nostra ait réussi à s’implanter profondément et à faire de la « Perle de la côte Sud » un fief envié par de nombreux capi, même par ceux de New York et de la toute-puissante Californie. Dans le jargon de la Mafia, Houston est une « ville ouverte », c’est-à-dire que nul ne peut prétendre s’en assurer l’exclusivité. En fait, elle est surtout ouverte à ceux qui s’y sont établis en douceur et qui règnent de façon crépusculaire sur ce territoire de prédilection à la manière de despotes médiévaux, établissant des lois et des décrets occultes et s’assurant la part royale des marchés illicites. Bien qu’il n’y eût pas de capo en titre, mais plusieurs têtes pensantes et agissantes, Lou The Mask Androsi – un mafioso de cinquante-deux ans d’origine italo-grecque – gérait les affaires de Houston à la façon d’un P. – D. G. d’une honnête société commerciale. Il choisissait personnellement les responsables de secteurs parmi les hommes qu’il jugeait les plus compétents pour les tâches considérées, répartissait les budgets, imputant les rentrées financières aux postes en développement afin de les promouvoir, et cherchant constamment à ouvrir des marchés nouveaux. Mais il n’y avait pas à s’y tromper, Lou le Masque était l’un des criminels les plus mauvais et les plus retors qui soient. Durant plusieurs années, il avait su résister aux tentatives du vieux cannibale Frank Marioni de s’approprier la « ville ouverte », s’assurant à cette époque le concours de deux irréductibles ennemis de Frank qui avait dû se résigner à aller planter ses choux ailleurs. Même Augie Marinello Junior, le nouveau maître de la côte Est, n’avait pas osé se frotter à Androsi. Il avait opté pour une tactique beaucoup plus « soft » en procurant au maître occulte des lieux certains appuis politiques à très haut niveau. Par le fait, Augie était devenu une sorte d’associé de Lou dont il se méfiait par ailleurs comme d’une vipère. Lou devait son surnom à la facilité qu’il avait toujours eue de changer aussi bien de visage que d’identité, ou de donner l’impression qu’il se trouvait à un endroit précis alors qu’il en était à l’opposé. Plus récemment, il avait su aussi monter bon nombre de sociétés « écrans » dirigées par des hommes de paille, dont il se servait pour opérer des combines illégales et qu’il faisait ensuite disparaître par de savants tours de passe-passe. Cela également faisait partie de son génie du camouflage. Lou The Mask terminait un entretien téléphonique dans le bureau directorial d’une de ses sociétés bidon, négligemment assis sur l’accoudoir d’un fauteuil en cuir. Il raccrocha bientôt avec un sourire satisfait et considéra les deux hommes qui lui faisaient face. — C’est parti ! annonça-t-il en se fichant aux lèvres un Havane à trente dollars pièce. Dans quelques heures, l’affaire sera dans le sac. — Tu veux dire que la grande pute est déjà signalée en ville ? fit Natale Gianelli, son chef de la sécurité. — Pourquoi est-ce que je parlerais d’autre chose, Nat ? — Ouais, bien sûr. Putain ! J’y croyais pas vraiment. Androsi rigola : — T’as jamais eu la foi, mec ! — Tu parles ! Qu’est-ce qui s’est passé, au juste ? — Il vient de rectifier Saul et quatre de ses hommes. — Merde ! — Saul commençait à me faire chier. Ses affaires étaient en baisse, mais il s’arrangeait toujours pour se foutre un peu trop de pognon dans les poches au passage. Il y a trois autres pions minables comme lui, que j’avais mis en évidence, mais il a pas eu de pot. C’est tombé sur lui. — On est sûr que c’est Bolan ? — Ouais. À cent pour cent. Qu’est-ce qui te fait douter ? — Rien. Seulement, je ne croyais pas que le grand Bolan serait assez con pour donner comme ça dans le panneau. — Sois sûr qu’il n’a rien d’un con. Mais il a un point faible : dès qu’on touche à une bonne femme ou à un de ses potes, il devient fou furieux. Il y a des précédents et pas bien vieux. Demande donc à nos amis, les Chinois de New York, ce qu’ils en pensent. Maintenant, il va cavaler partout avec l’odeur du sang dans les naseaux et rectifier bon nombre de gus en essayant de retrouver son copain. L’homme qui n’avait pas encore pris la parole se nommait Joseph Lipsky. On lui donnait une quarantaine d’années, était blond, portait des lunettes et avait l’air d’un intellectuel. C’était l’un des rares rescapés du blitz de Mack Bolan sur Hollywood1. Il était arrivé la veille, délégué par Augie Jr dans le cadre de la chausse-trape tendue à la combinaison noire. Il objecta sans transition : — Ça me semble risqué. Tu devrais mettre tes hommes après lui dès maintenant. — Ce sont les flics qui vont s’occuper de Bolan, Jo. — J’ai pas confiance. — T’inquiète pas, je tiens en laisse certains gus bien placés qui vont s’arranger pour qu’il n’ait aucune chance. Personne ne le sait encore, mais il a déjà perdu les pédales en tuant trois innocents hier soir. Il faisait allusion à des meurtres commis par une de ses équipes sur les personnes de deux hommes politiques et d’un haut fonctionnaire de la Mairie. Il ajouta : — Et il ne va pas s’en tenir là. Officiellement, il va se lancer dans une opération complètement dingue qui sera qualifiée de vengeance contre un système soi-disant corrompu. Tu imagines ça ? Et ça nous arrange parfaitement, ces mecs-là ont tout fait jusqu’à présent pour nous emmerder. Pendant ce temps, on reste pénards à observer la traque lancée contre Bolan. Au besoin, on donne un petit coup de pouce à distance. Tu piges, Jo ? — Je ne suis pas convaincu. Tu ne connais pas Bolan. Tu ne l’as jamais eu en face de toi. Moi si. Et j’ai vu ce qui s’est passé à Los Angeles il y a moins de trois mois. Je peux te dire que j’ai eu beaucoup de chance de me sortir vivant de là-bas. Ce mec est pire qu’un cauchemar. Quand il débarque quelque part, tu peux t’attendre à des dégâts démentiels, à voir du sang et des macchabées partout. Lou The Mask haussa les épaules. — Jusqu’à maintenant, c’est bien ce qui s’est produit. Mais c’est parce qu’il s’est toujours attaqué à des adversaires identifiés, à des Familles, à des structures

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