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Andrea Camilleri PDF

129 Pages·2002·0.53 MB·French
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Andrea Camilleri est né en Sicile en 1925. Après une longue carrière dans le théâtre, la radio et la télévision, Andrea Camilleri a commencé à écrire des romans autour de sa terre de Sicile, dont les aventures du commissaire Montalbano et les romans historiques L’Opéra de Vigàta, Le Coup du cavalier, La Disparition de Judas et La Pension Eva. Il a vendu dix millions d’exemplaires de ses œuvres en Italie qui sont traduites dans une vingtaine de langues, c’est un succès unique dans l’histoire littéraire de la péninsule. Andrea Camilleri LA PENSION EVA ROMAN Traduit de l’italien (Sicile) par Serge Quadruppani Editions Métailié Quatrième de couverture Le jeune Nenè n’a qu’une seule idée en tête : découvrir ce qui se cache derrière les murs de la pension Eva. Quand il apprend qu’on y loue des femmes – nues ! – et que sa cousine lui explique ce qu’est la fornication, il en reste stupéfait. En plein cœur de la Seconde Guerre mondiale, Nenè vit ses premières torpeurs érotiques et entrevoit la réalité crue de ce lieu tant fantasmé. « Voilà un ouvrage superbe, plein d’humour et saturé d’esprit et de jouissance du texte. » L’Humanité Note de l’éditeur et du traducteur : L’immense succès d’Andrea Camilleri en Italie tient en grande partie au travail qu’il a opéré sur la langue. Ses narrateurs utilisent pour l’essentiel une langue personnelle, élaborée à partir de l’italo-sicilien. Le traducteur a su trouver des solutions pour faire sentir les différences entre cette langue et les passages où Camilleri écrit en pur dialecte sicilien ou en italien officiel. D’où les déformations de prononciation, l’emploi de tournures « où le verbe à la fin se retrouve », ou bien encore un usage particulier du passé simple. Les éditeurs n’ont pas oublié leur métier et négligé la relecture du texte, les incorrections sont volontaires et les supposées coquilles sont des jeux voulus par l’auteur et le traducteur, pour retranscrire la saveur du style « camilleresque ». TEXTE INTÉGRAL TITRE ORIGINAL La Pensione Eva Photo auteur : ® Dominique Carton/Opale Couverture : ® Alinari/Roger-Viollet © Arnoldo Mondadori Editore, SpA, Milan, 2006 ISBN 978-2-7578-0220-5 (isbn 978-2-86424-622-0,1re publication) © Éditions Métailié, Paris, 2007, pour la traduction française 1 Gradus ad Parnassum « Elle est très longue et nécessite un exercice quotidien, la route qui au Parnasse conduit… » Muzio Clementi, Gradus ad Parnassum Un peu avant ses douze ans, Nenè comprit enfin ce qui se passait dedans la Pension Eva entre les grands qui la fréquentaient et les femmes qui y habitaient. Ce fut à partir du moment où sa mère fut d’accord pour qu’il s’en aille à trouver tout seul son père qui besognait au port, accord qu’il obtint quand il acommença de fréquenter le cours lémentaire, que Nenè fut pris d’une curiosité très grande pour la Pension Eva. Nenè était bien obligé d’y passer, devant cette petite villa à trois étages presque collée au début du môle du levant, qu’on aurait dit toujours crépie de frais, avec les volets verts tenus fermés mais tellement resplendissants de couleur qu’ils donnaient l’impression d’avoir été peints tout juste à l’instant, sympathique, gracieuse, avec des fleurs sur le balcon unique du premier étage, qui lui aussi n’était jamais ouvert. Souvent Nenè rêvait que là-dedans habitaient les gentilles petites fées, celles qui courent te sauver quand tu as fait un faux pas et que tu appelles terrorisé et désespéré. « Petites fées, mes petites fées, aidez-moi ! » et elles apparaissent, font un geste de la baguette magique et en un tournevire mettent en fuite le loup effaré, l’homme noir, le brigand de passage. La porte d’entrée était éternellement entrouverte et sur le mur à côté était collée une plaque de cuivre brillante qui semblait d’or, où il était gravé en italique : Pension Eva Nenè le savait, ce que c’était qu’une pension, il l’avait demandé à un de ses cousins, qui faisait l’université à Palerme : c’était querque chose de mieux qu’une auberge et querque chose de pire qu’un hôtel. À Vigàta, par ezemple, il y avait un hôtel et trois auberges, des endroits fréquentés par les marins de passage, les commis voyageurs, les représentants d’armateurs, les cheminots, les camionneurs, et à travers ces quatre porches c’était tout un va- et-vient continu. Mais alors pourquoi de jour, devant le porche de cette pension, il n’y avait vraiment aucun mouvement ? Il lui était jamais arrivé, en passant à la lumière diurne, de voir âme qui vive bouger l’huis entrouvert en entrant ou en sortant. Une fois, justement le lendemain matin du jour où il avait atteint sa huitième année, la curiosité fut si forte qu’arrivé devant la grande porte un peu plus ouverte que d’habitude, Nenè regarda tout autour de lui et, vu que dans la rue personne passait, il fit un pas vers l’entrée et pencha le torse tout doucement en avant, assez pour pouvoir facilement regarder dedans. Mais soit passqu’il était aveuglé par le soleil, soit passqu’il avait le sang qui bouillait, au début, il ne vit rin de rin. Par contre, il entendit deux femmes qui riaient et parlaient à voix haute dans une chambre lointaine, mais ne comprit pas ce qu’elles disaient. Il fit un autre demi-pas, rentra un peu plus la tête, et ses narines furent assaillies d’une émanation de propre, de savon, de parfum comme celle qu’il y a dans le salon du barbier. Il fut tenté de rentrer encore un peu. Il leva la jambe et tout à coup une main s’abattit entre nuque et col, lui tira la tête en arrière. C’était un homme en uniforme de capitaine de la Marine que Nenè connaissait et qui le regardait d’un air bizarre, entre fureur et amusement. Il parlait talien. — T’es précoce, hein ? À ton âge, tu aimes déjà le miel, gamin ? Va-t’en tout de suite d’ici ! Nenè ne comprit pas ce que l’homme disait, mais s’enfuit quand même en courant, plein de vergogne. Quand il entra au cours complémentaire, à ses questions sur la mystérieuse pension, ses petits copains, pour la plus grande partie délinquants précoces ou fils de charretiers, débardeurs et marins, lui expliquèrent tout de suite et quasiment en chœur toute l’affaire, entrèrent dans les détails, racontèrent des particularités, expliquèrent usages et comportements comme s’ils avaient passé leur vie dedans la Pension Eva. Et lui, il eut le petit sourire de qui a tout compris. En fait, il avait rien compris, il était perdu. Comme ça, une fois qu’il se trouva à passer devant la Pension avec son paternel qui le tenait par la main, il rassembla tout son courage pour lui demander : — Papa, vrai c’est, que dedans cette maison les hommes peuvent louer des femmes nues ? C’était tout ce qu’il avait aréussi à saisir des explications de ses petits copains. À part qu’il avait aussi appris que la Pension Eva pouvait s’appeler aussi bordel ou boxon et que les femmes qui étaient là-dedans et qu’on pouvait louer étaient appelées putains. Mais bordel et putain, c’était des gros mots qu’un minot correct ne devait pas dire. — Oui, arépondit, frais et tranquille, son père. — Ils les louent à l’année ? — Non, pour un quart d’heure, une demi-heure. — Et qu’est-ce qu’ils en font ? — Ils se les regardent, dit son papa. Ça lui suffit. Pendant querque temps, il se contenta de l’explication, passque le Petit Jésus savait l’envie qui se le dévorait vivant de soulever la jupette de sa cousine Angela, qui avait dans les deux ans de plus que lui, et de voir comment elle était faite dessous. À onze ans, sa mère lui donna enfin la permission espérée d’aller dans la soupente jouer avec les vieilles choses qui y étaient entassées. Avant, il avait toujours eu la même réponse : « Non, tu peux te faire mal, t’es trop pitchounet. » Heureux, Nenè le dit à Angela, qui habitait sur le même palier, et elle fit tant et si bien qu’elle obtint aussi la permission. Dedans le grenier, au milieu de dizaines de palombes qui, au bruit qui les dérangea, battirent des ailes en soulevant une poussiérasse qu’on manquait s’étouffer, il y avait un cache- cache, un tournevire, un cafarnao de vieux meubles, chaises bonnes ou défoncées, sacs de jute pleins de papiers, autres sacs de journaux, revues, livres, malles avec dedans vêtements pliés de grands-pères et d’arrière-grands-pères morts et enterrés, une autre malle remplie de parements de curé, un piano mécanique qui marchait encore, des poupées de porcelaine qu’à l’une il manquait un pied et à l’autre la main, des valises fermées avec une ficelle, des pissadous qu’on n’utilisait plus, des jarres, deux sabres, un fusil à chargement par la culasse, deux pistolets de duel, des miroirs, un appareil photo avec trépied et capuche, des vases, des lampes à pétrole et même un énorme téléphone mural et un gramophone cassé. L’imagination de Nenè qui, ayant appris à lire à cinq ans, connaissait déjà les romans de Salgari, se déchaîna. Avec quelques habits et quelques bouts de tissu coloré, il suffisait d’un rien pour transformer Angela en Perle de Labuan ou bien en fille du Corsaire noir alors que lui, il était, à son bon plaisir, Sandokan, Yanez et plus souvent Tremal-Naïk, le grand chasseur de tigres. En un instant, le grenier devenait un lieu dangereux et mystérieux comme Mompracem. Mais ce qui l’enivrait presque de plaisir était de savoir que le sabre ou le pistolet qu’il empoignait étaient des armes vraies qui avaient été utilisées autrefois dans une guerre ou une autre. Jusqu’à ce jour où ils découvrirent une mallette noire qu’ils n’avaient pas remarquée jusque-là et qu’ils ouvrirent. Elle avait dû appartenir à l’oncle‘Ntoniu qui avait été médecin, parce qu’à l’intérieur ils trouvèrent, au milieu d’un tas de flacons de médicaments qui puaient, un stéthoscope de bois, de ceux en forme de trompette, et un thermomètre. — On dirait que je serais le docteur, et toi tu serais la malade, et que moi je devrais t’examiner, dit Nenè dès qu’il vit les instruments. — Oui, oui, accepta Angela, enthousiaste. Et elle alla se coucher dessus un divan plein de poussière et bancal passqu’il lui manquait un pied. Pour le caler, ils mirent dessous quatre livres reliés. Depuis lors, chaque fois qu’ils montèrent dans le grenier, ce fut seulement pour jouer au docteur. Au troisième examen, Angela retira sa robe et sa culotte sans que Nenè le lui demande. Elle ne disait rien, n’ouvrait pas la bouche tandis qu’il la boustiguait en la faisant virer et tourner sur le dos et sur le ventre. Mais à la fin du dixième examen, pendant qu’elle remettait sa robe, Angela parla d’une voix ferme et décidée. — Demain on fait le contraire, dit-elle. — Et comment ça ? — On fait que tu serais toi le malade et moi l’infirmière. Le lendemain, à peine entré dans le grenier, Nenè courut se mettre dessus le divan, couché sur le dos. — Déshabille-toi, dit Angela. Lui, il se sentit mal, il adevint rouge de vergogne. Il ne bougea pas, il n’avait pas le même enthousiasme qu’Angela pour se déshabiller. Il essaya de trouver un accord, une voie intermédiaire. — Tout ? — Tout complètement, ordonna la cousine, impitoyable. Angela ne le laissa plus jouer le rôle du docteur, depuis ce

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