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50 ans après PDF

108 Pages·2011·8.63 MB·French
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109 « La majorité des communications qui passent par les plateformes sociales et les appareils mobiles ne sont que des banalités, un blabla insensé dépourvu de valeur et ne contenant aucune information durable. Du moins, c’est ce que disent les critiques et les pessimistes au sujet des médias numériques […]. Avec leur installation interactive SK8MONKEYS ON TWITTER, les pionniers de l’art Web JODI poussent cette idée à l’extrême. Dans l’esprit militant S  des hackers de matériel informatique et de la subversion des outils È R P numériques, le duo transforme une série de claviers d’ordinateur A S sans fil en skateboards, en les munissant de roues. Ces claviers sont N A reliés à plusieurs ordinateurs connectés à un compte Twitter. Lorsque 0 5 des visiteurs embarquent sur les planches-claviers, un baragouin S | A aléatoire est généré par la pression de leurs pieds, et le compte Twitter I D “sk8monkey” devient inondé de messages absurdes. À partir d’un jeu É M physique, un bruit est introduit dans un environnement virtuel qui S V prétend nous offrir “la sagesse de la foule”. Le titre de cette œuvre T R est un clin d’œil au “paradoxe du singe savant” : si un singe tapait A 9 sur un clavier pendant une période de temps infinie, il finirait bien 0 1 par écrire un texte qui a du sens... » Petra Heck L E ART VS MÉDIAS U T C A T R A ISBN 978-2-920500-92-1 / 8,50 $ 50 ANS APRÈS R E T N I r E0u Catalogue + DVD o L1p Sortie à l’automne 2011 0a g A 2n Lucio Agra Si NC Katnira Bello / Ee Rogério Borovik et Samira Br O u SOMMAIRE 109 Bq Gilles Cabut IÉxi e Gim Gwang Cheol 02 Les arts médiatiques au croisement des arts TUM La congelada de uva et des sciences : union, réconciliation ou accident TOPOS AQ/ de parcours ? 60 La RIAP 2010 : l’osmose par la différence e Patrick Dubost c NICOLAS REEVES RICHARD MARTEL NEn Ana Goldenstein Da 07 Imaginez une œuvre d’art… 63 De la pensée à l’agir : l’agir dans la pensée r Chengyao He R F SUSANNE JASCHKO RICHARD MARTEL E / Amanda Heng 08 50 ans d’arts médiatiques. Neuf soirées 66 Manger l’autre ECud Nyan Lin Htet pPAoTuRrI CreK cToRnÉGsiUdEéRrer art, théâtre et techniques [SJYaLnViInE eT OEiUsReAnNaGecEhAeUr, Imagined Spaces] TNu S Maurício Ianês N d Kai Lam 12 Tout est interrelié : perspectives nouvelles 68 La Méduse comme alter ego de l’artiste A e Sang Jin Lee sur l’histoire des ordinateurs [Dominique Sirois, Archéologie mondialisée] IMé et les communautés des usagers NATHALIE CÔTÉ or Edith Medina LISA MOREN 70 Bouffer le symbole ERC Víctor Muñoz / 18 Jean Dupuy [Cooke-Sasseville, Le penseur en chocolat] ROe Hong O-Bong ENTRETIEN AVEC CHARLES DREYFUS JULIE GAGNÉ n TFi Diana Olalde h 21 Mazinibii’ang-waazakone 72 Convoitise et intemporalité RC Luis Orozco GUY SIOUI DURAND [Geneviève Lebel, La nature morte] N / MARIE-ÈVE BEAULÉ Eil Sanmu 26 Art et interaction O s Pé Victor Sulser KARINE DEZAINDE ET JOCELYN ROBERT 74 La Jeune-Fille et la mort par cœur r 30 Do it yourself (DIY) [Bureau de l’APA, La Jeune-Fille et la mort] CT / B Liping Ting Entretien avec Alexandre Castonguay HÉLÈNE MATTE NRe Valentine Verhaeghe i NATHALIE BACHAND 78 Faire des pas [Musée national des beaux-arts An Lee Wen du Québec, Chimère/Shimmer] a 35 Détacher sa pratique artistique des cycles E m Cang Xin GENEVIÈVE LOISELLE ’ de déappropriation/réappropriation RDir Shim Young-Chul MARIE-HÉLÈNE DORÉ 80 Questions de temps [TraficArt 2010] B GUY SIOUI DURAND 39 La dimension électronique. Le corps rendu obsolète par les stratégies 84 Sortez vos morts [Folie/Culture] ce. n a de la technoperformance ALAIN-MARTIN RICHARD h C a SILVIO DE GRACIA 88 Vu du cosmos ël L a h 42 Taken de David Rokeby. Effet miroir [Pascal Dufaux, Le cosmos dans lequel nous sommes] Mic des mémoires individuelle et collective NATHALIE BACHAND o : ot LOUISE BOISCLAIR Ph 0. 01 2 e, nc a m or erf 47 MAhO IlSe MmUoLnTdIe ! Cette supercherie ! 90 RL’aEcÇtUio nAnUis mLIeE vUiennois et les Autrichiens, Danièle Roussel d’art p e ALAIN-MARTIN RICHARD ET GUY SIOUI DURAND • Gina Pane • Paris, laboratoire des avant-gardes : transformation – nal 54 L’art du plongeon trréavnoslufotiromna ftuerutirvse, ,1 B9e4r5t-a1n9d6 5C, lMaviechz e(él dG.i)r o• Lueds •F Geremoriègree Ms Oabcisuéndaése,s u ne natio ÉMILE MORIN • Monsonics, Jocelyn Robert e inter ntr 54 Réflexions sur la place des arts technologiques o nc dans la sphère sociopolitique Re e, ALAIN-MARTIN RICHARD ET GUY SIOUI DURAND nc a m or erf p g, n o B O- g n o H ART vs MÉDIAS | 50 ans après Les auteurs qui ont accepté de contribuer à ce principes essentiellement différents, si ce n’est numéro d’Inter, art actuel ont été invités à partir d’allier la machine à d’autres types de langages. Là d’une mise en situation qui se lisait à peu près où l’appellation arts médiatiques devient nécessaire, comme suit : « Les arts médiatiques ont 50 ans. C’est c’est quand John Cage, avec Variations IV en 1963, probablement un bon moment pour se demander détourne les médias de leur rôle de communication ce qui s’est passé, si ça valait la peine, ce qui se passe et reprend le contrôle, personnellement, sur la radio. encore, si l’on veut vraiment que se passe ce qu’on C’est quand Wolfe Vostell détourne des postes pense qu’il se passera à compter de maintenant. » de télévision pour les soustraire à la grand-messe C’était un énoncé piégé, parce qu’affirmer que des médias. C’est quand Nam June Paik prend son les arts médiatiques ont 50 ans, c’est annoncer Portapak pour ne pas faire de la télé de masse. Ce un parti pris. On pourrait proposer – certains pourrait même être quand Warhol reprend les boîtes l’ont fait – que les arts médiatiques commencent de savon Brillo pour en faire une sculpture. avec la photographie : en France, au début du À partir de là, la communication machinée XIXe siècle. Mais d’autres diront que la photographie échappe à la mainmise de l’industrie et peut est un art semi-médiatique : si un appareil est devenir une stratégie artistique. L’appellation arts nécessaire (?) pour produire l’œuvre, ce n’est pas médiatiques ne désigne pas une association d’idées > Salvatore Dali, téléphone-homard, 1930. le cas pour l’apprécier. Se pointe 50 ans plus tard ou un principe qualifié par un autre : elle désigne > Couverture de la revue Soviet le phonographe. Là, pas d’ambiguïté : machine au une tension, une zone de combat, deux positions Cinema, 1927, réalisée par Varvara départ et machine à l’arrivée. Et pourtant, ni Niépce antagonistes ; d’un côté normative et fabricante Stepanova (1894-1958), artiste russe, ni Edison n’ont cru nécessaire d’inventer l’expression d’icônes, de l’autre déviante et iconoclaste. Et c’est peintre, dessinatrice, designer, poète, « arts médiatiques ». Pourquoi ? il y a une cinquantaine d’années que l’affrontement typographe et décoratrice de théâtre. Parce que l’action de nommer un champ a commencé. Malgré la multiplication des chaînes d’expertise artistique n’est pas posée en fonction de montage, l’art peut faire d’une boîte de conserve des outils ou des nécessités techniques, mais pour parmi des millions d’autres un objet singulier. des raisons politiques, pour affirmer un droit sur Au-delà de la réflexion sur le médium et ses un territoire : se donner l’autorité de dire « ceci est implications, l’intention avec ce numéro est donc de l’art médiatique ; cela n’en est pas ». Or, placer de jeter une passerelle. Inter est une revue dont le le début des arts médiatiques il y a 50 ans est, lectorat est féru de performances, de manœuvres, justement, une revendication politique. d’art action, d’art relationnel. Le discours des arts C’est que, jusque-là, les machines de médiatiques est souvent similaire : interaction, communication de masse sont lourdes, industrielles. contact direct, intervention dans la communication Si l’on veut considérer non pas les arts médiatiques quotidienne… Et pourtant, les deux rives se mais les médias, on peut en placer les débuts avec prolongent, souvent parallèles, la plupart du temps l’imprimerie : en Asie, entre le VIIIe et le XIIe siècle ; sans se toucher. en Occident, au milieu du XVe siècle. Il s’agit d’allier Il y a, ici, l’occasion d’une rencontre. la machine à la communication pour en faire un phénomène de masse. La photographie et la Jocelyn Robert phonographie suivent, mais ne proposent pas de coordonnateur invité Coordination Richard Martel / Assistance à la rédaction Geneviève Fortin ([email protected]) / Comité de rédaction Nathalie Bachand, Nathalie Côté, Chantal Gaudreault, Michaël La Chance, Luc Lévesque, André Marceau, Richard Martel / Correspondant en France Charles Dreyfus / Comité de rédaction international Allemagne Elisabeth Jappe, Helge Meyer Argentine Silvio de Gracia Canada Bruce Barber, Clive Robertson Colombie Ricardo Arcos-Palma Cuba Nelson Herrera Ysla Espagne Bartolomé Ferrando, Nelo Vilar France Paul Ardenne, Julien Blaine, Michel Collet, Jacques Donguy, Michel Giroud, Serge Pey Hongrie Balint Szombathy Indonésie Iwan Wijono Irlande du Nord Mark Ward Italie Giovanni Fontana Mexico Victor Muñoz Pays de Galles Heike Roms Pologne Lukasz Guzek, Artur Tajber Portugal Fernando Aguiar Roumanie Gusztáv Uto Thaïlande Chumpon Apisuk Uruguay Clemente Padin Couverture JODI, installation interactive SK8MONKEYS ON TWITTER, 2009 / Conception graphique Chantal Gaudreault ([email protected]) / Assistance à l’infographie Christian Messier / Correction Gina Bluteau / Administration Sylvie Côté ([email protected]) / Abonnement Patrick Dubé ([email protected]) / Publicité ([email protected]) / Impression LithoChic (2700, rue Jean Perrin, Québec) / Distribution Canada Les Messageries de Presse Interna tionale, une division de Hachette Distribution Services (Canada) inc. (8155, rue Larrey, Anjou, Québec, H1J 2L5 T : 514-374-9661, F : 514-374-4742) / Inter est publié trois fois l’an par les Éditions Intervention/ Inter est membre de la Société de dévelop pement des périodiques culturels québécois (SODEP) (460, rue Sainte-Catherine Ouest, bureau 716, Montréal, Québec, H3B 1A7 [www.sodep.qc.ca]) et de Magazines Canada (425, Adelaide Street West, suite 700, Toronto, M5V 3C1, O ntario, C anada [www.magazinescanada.ca]) La rédaction est responsable du choix des textes qui paraissent dans la revue, mais les opinions n’engagent que leurs auteurs. Pour proposer un article, contacter la rédaction en tout temps aux coordonnées de la revue. Faites-nous connaître vos activités, proposez-nous vos publications, cd, cd-rom ou autres pour recension dans nos pages, en service de presse. © Les Éditions Intervention, automne 2011 / Adresse postale 345, rue du Pont, Québec (Québec) G1K 6M4 / Téléphone 418-529-9680 / Télécopieur 418-529-6933 / Courriel [email protected] / Site Internet www.inter-lelieu.org / ISSN 0825-8708 / Droits d’auteur et droits de reproduction : toutes les demandes de reproduction doivent être acheminées à : Copibec (reproduction papier) 514-288-1664 (sans frais 1 800 717 2022) [email protected] /Inter est subventionnée par le Conseil des arts et des lettres du Québec, le Conseil des Arts du Canada (Aide aux périodiques) et la Ville de Québec. Erratum : Aux pages 62-63 dans Inter, art actuel (no 108, printemps 2011) dans l’article « Le miracle “héroïque” » vous auriez dû lire le nom de Jason St-Laurent au lieu de Stefan St-Laurent. LES ARTS MÉDIATIQUES AU CROISEMENT DES ARTS ET DES SCIENCES : UNION, RÉCONCILIATION OU ACCIDENT DE PARCOURS ? PAR NICOLAS REEVES Une unité peu souhaitable personnel, mais je me trouve fort bien de la différence essentielle entre Parmi les nombreuses tentatives qui sont faites pour en cerner la spéci- l’Art et la Science – et de leurs diversités propres (les arts et les sciences) au ficité, les arts médiatiques sont souvent décrits comme porteurs d’une surplus. Si, scientifique professionnel, mon intérêt pour l’art aboutissait à fusion potentielle entre arts et sciences, du fait qu’ils demandent à celles m’y faire retrouver des attitudes et des œuvres semblables à celles que je et ceux qui s’y consacrent une connaissance suffisante des deux domaines, connais (trop) bien, cet intérêt s’émousserait vite… L’art, et l’art contem- à laquelle s’ajoute une expertise dans les technologies mises en œuvre porain en particulier, m’attire en raison directe de ses différences avec la dans leurs projets. Elles remettent à l’avant-plan un courant, issu des science, et non pas de leurs éventuelles similarités. Je n’ai aucunement années quatre-vingt, qui vise à réunir les arts et les sciences par la mise en la nostalgie d’une Unité perdue de la création – pas plus naturelle (c’est évidence de certaines de leurs similitudes. Précisons d’emblée que l’origine la diversité du monde des pierres, des fleurs, des oiseaux qui en fait la et la formation des artistes en arts médiatiques sont extraordinairement beauté) qu’humaine. » diverses ; que seule une fraction d’entre eux pourrait témoigner, effec- Si l’on ne peut qu’adhérer à une telle position, il est par contre plus tivement, d’une connaissance équivalente des domaines scientifique et difficile de comprendre le jugement que porte l’auteur dans le même artistiques ; que la compétence technologique, fréquemment acquise sur paragraphe à l’endroit de ceux qui, selon lui, n’y adhèrent pas : « L’idée le tas, se limite souvent à celle des dispositifs utilisés dans les œuvres. Cela d’une réunification œcuménique, des grandes retrouvailles de l’art et de ne veut pas dire pour autant que les arts médiatiques ne jouent aucun rôle la science, me paraît relever d’une nostalgie naïve plus que d’un projet dans un rapprochement éventuel entre arts et sciences, mais la nature et informé, fut-il utopique. » les moyens de ces rapprochements ne sont pas de l’ordre de la fusion. Ils Le propos en soi est défendable, comme nous le verrons plus loin ; mais s’étendent au-delà du cadre de la compétence individuelle des artistes cette citation pose problème par la confusion, ou plutôt le glissement, qui et demandent que l’on porte une attention particulière à l’évolution des assimile réconciliation et réunification, et qui se répercute dans l’ensemble pratiques dans ce domaine. de l’ouvrage ; les deux termes sont porteurs de conséquences et de projets La question des relations entre les arts et les sciences et de leur réuni- fort différents. fication est loin d’être neuve. Elle refait régulièrement surface depuis le Encore plus étonnante est l’opinion « dévastatrice »2, selon les termes de début des années quatre-vingt et a donné lieu à de nombreux ouvrages Roger Malina, que l’auteur entretient à l’égard des arts médiatiques et de et conférences. Elle est au cœur d’un livre récent, La Science n’est pas l’Art1 leurs protagonistes, objets d’un chapitre du livre, qui présente les artistes de Jean-Marc Lévy-Leblond, qui discute longuement de l’opportunité en arts médiatiques comme des personnages essentiellement et perpétuel- d’une réunification, une idée qui sous-tend selon lui l’ensemble des rela- lement préoccupés de gadgetterie technologique. La lecture de l’ouvrage tions actuelles entre art, science et technologie, et ce, auprès de tous les en dévoile l’origine : un état des lieux lacunaire, qui transpose une argu- publics. S’opposant – ou plutôt, ne voyant aucun intérêt – à une telle mentation sur les arts plastiques à d’autres formes d’art, sans justification réconciliation et réfutant en termes parfois cinglants une opinion courante réelle ; la limitation des arts médiatiques à leurs aspects les plus superficiels ; qui assimile la science à une forme d’art, il analyse le regard posé par un manque de profondeur historique dans la récapitulation des pratiques chacun des domaines sur l’autre et nous livre en quatrième de couverture du domaine. Un regard plus informé aurait probablement conduit à une ce très beau paragraphe : « Peut-être est-ce une affaire de tempérament opinion moins catégorique et aurait surtout modifié une grande partie 2 À une telle récapitulation, les artistes en arts médiatiques rétorqueront sans attendre que la situation est bien moins tranchée que cette liste ne le laisse croire. Les distinctions entre activités personnelles et commu- nautaires, statut libéral et salarial, création et production, singularité et conformité, vente a priori et a posteriori, sont largement battues en brèche par la réalité des pratiques contemporaines. Étonnamment, elles situent, dans leurs imprécisions mêmes, les bases de rencontres possibles, réelles et de longue durée entre arts et sciences. Avant d’aborder ce point, je vais Luc Courchesne, Immersion : Soleil Couchant, Paris, 2010. tout d’abord apporter quelques éléments sur la nature possible de ces Projection panoscopique immersive. L’ancrage historique rencontres. par la référence à Monet confirme la nature artistique de l’œuvre, qui utilise pour sa matérialisation des principes d’optique sophistiqués. La création des lentilles de projection monocanal, qui en elle-même sont quasiment de petits objets d’art, a fait l’objet de nombreuses discussions entre l’artiste et le manufacturier. Les aspects artistiques, technologiques et scientifiques sont ici indissociables. Sandeep Bhagwati, concert interactif Vineland Stelae, Montréal, 2011. La musique est le premier domaine à avoir exploité et intégré le potentiel artistique des développements technologiques et scientifiques du XXe siècle. Le travail artistique de Sandeep Bhagwati exploite LES ARTS MÉDIATIQUES AU CROISEMENT toutes les ressources de l’informatique et de l’acoustique pour produire des performances durant lesquelles les DES ARTS ET DES SCIENCES : UNION, instrumentistes interagissent en temps réel avec différents équipements technologiques. La nature des compositions, parfois élaborées en temps réel par un ordinateur, soulève RÉCONCILIATION OU ACCIDENT DE PARCOURS ? un ensemble complexe de questions sur la nature de l’œuvre artistique et les conditions de son émergence. PAR NICOLAS REEVES de l’argumentation générale, montrant qu’au-delà des grands poncifs sur La nostalgie d’une illusion une nouvelle alliance entre Art et Science, les arts médiatiques lancent, par La réunification Art-Science3 semble effectivement un projet bien le truchement de la technologie, de nouvelles passerelles entre ces deux utopique. La nostalgie évoquée est celle du temps d’un paradis perdu pour domaines et ouvrent depuis une vingtaine d’années des pistes de dialogue le savant, la Renaissance, où tous les savoirs auraient été confondus en une aussi inédites que fécondes. connaissance unifiée. Dépourvue des catégories et des disciplines parfois décrites aujourd’hui comme néfastes à son évolution, elle laisse supposer la Un glissement et une dichotomie possibilité de savants universels, personnages mythiques maîtrisant tout le Il est vrai que Lévy-Leblond lui-même présente son livre comme celui savoir de leur époque. Une telle image est évidemment utopique, et erronée. d’un scientifique préoccupé par les rapports de la science avec « quelques Il est maintenant reconnu que les érudits du temps se distinguaient bien aspects des arts plastiques contemporains ». Cette précision est louable, plus par leur capacité à aborder une situation sous plusieurs angles, s’an- mais ne l’empêche pas de tomber, avec une vigueur pamphlétaire, dans des nonçant ainsi comme les précurseurs de la modernité, que par la quantité dichotomies convenues, telle celle qui fait de l’Art une construction de l’es- de savoir qu’ils étaient capables d’absorber. Comme plusieurs des époques prit et de la Science le domaine de la rigueur et de la description du réel, ou qui l’ont suivie et précédée, la Renaissance était une période effervescente celle-ci qui tente d’énumérer les différences entre artistes et scientifiques : et complexe, durant laquelle une vision du monde multiple et religieuse s’est transformée en une cosmologie essentiellement scientifique, discré- ditant toute contribution artistique ou spirituelle. La fracture qui s’est alors ARTISTES SCIENTIFIQUES opérée est devenue abyssale et constitue l’un des très grands changements Activité personnelle Activité communautaire de paradigme de l’histoire de la connaissance : la distinction arts/sciences en termes d’objets et d’objectifs, de méthode et d’heuristique, appartient, Pratique individuelle : valorisée Pratique collective : validée avec le renoncement à toute causalité religieuse ou supranaturelle, aux par sa différence singulière par sa conformité normative (création) (production) fondements mêmes de la modernité. En dehors de toute considération de nécessité ou de faisabilité, la ques- Statut libéral Statut salarial tion d’une réunification apparaît surtout, sur le plan épistémologique, assez Reconnaissance interne futile. Il n’en serait pas ainsi si Art et Science étaient des réalités maté- Reconnaissance externe (critique, expositions publiques) (évaluation par les pairs, rielles, compactes et mutuellement incompatibles, luttant pour établir publications spécialisées) leur hégémonie sur un monde dont elles seraient la substance. Dans les Économie industrielle faits, les mondes qu’elles créent sont intangibles, arborescents et inextri- Économie artisanale (vente à la pièce a posteriori) (financements contractuels a cablement enchevêtrés. Ils naissent de représentations qui émanent non priori) pas d’une nature profonde qui leur serait propre, mais des constructions Échelle industrielle : de qu’elles établissent, l’une – la Science – en tentant une description unique Échelle commerciale : de 0 à quelques millions d’euros quelques millions à quelques du réel dans laquelle les objets, les événements et les phénomènes trou- milliards d’euros vent chacun une place et un rôle, l’autre – l’Art – en élaborant, à partir de ART VS MÉDIAS | 50 ANS APRÈS INTER, ART ACTUEL 109 3 ce monde, des langages qui lui servent à prévoir d’autres propositions sur validation expérimentale totalement étranger à une démarche artistique : le réel, montrant que ces objets, ces événements et ces phénomènes ne l’association du terme recherche à une démarche de création soulève sauraient être que ce qu’ils sont. Plusieurs analogies pourraient illustrer leur encore souvent des commentaires acerbes, quand elle ne déclenche pas relation. L’une des plus parlantes dans le cadre du présent essai serait celle des sourires de commisération. de la partition à l’œuvre : si la Science décrit la forme du monde selon une Il serait abusif de dire que les artistes n’ont aucune responsabilité dans graphie codifiée et normalisée, l’Art construit de cette partition une œuvre cette situation. Plutôt que de revendiquer une démarche dont la nature unique étroitement dépendante de l’interprète. et les objectifs leur sont spécifiques, distincts et tout aussi respectables Là s’établit la différence essentielle entre les deux pratiques. La volonté que ceux de la Science, plusieurs ont tenté d’associer à leur œuvre quel- de la Science est de décrire ; pour elle, l’Art devient l’un des phénomènes ques éléments de scientificité, dans l’espoir d’en accroître la crédibilité aux qu’elle décrit, au même titre que la dérive des continents, la précession yeux du profane. Les scientifiques ne sont pas totalement innocents non du périhélie de Mercure, le chant des poissons-crapauds. Elle cherche à plus, en particulier ceux qui, après avoir embrassé une carrière artistique, rendre compte, hors de toute possibilité d’interprétation, de ce qui fait la ont déclaré que leur art était en fait assimilable à une science et que les substance du monde. Ce qu’elle cherche à décrire du monde est ce qu’elle artistes qui croyaient faire autre chose se trompaient6 ; soutenue par la ne peut (ni elle ni l’être humain) en modifier : un ensemble de permanences crédibilité de ses auteurs, cette opinion a connu bien des échos dans les et de persistances indépendant de toute action humaine. Des difficultés années cinquante et soixante, chez les artistes entre autres. Le phénomène qu’elle rencontre dans cette tentative, la plus redoutable est sans doute n’est ni nouveau ni éteint, et contamine encore les domaines voisins : les celle qui la situe elle-même (tout comme l’Art) comme l’un des phéno- critiques d’art ne sont pas rares qui ornent leur discours d’une termino- mènes qu’elle tente de décrire, la rendant à ses yeux seule responsable de logie scientifique inappropriée, la plupart du temps mal comprise, dans sa propre description, et par là même de sa propre définition, tant il est vrai des essais à côté desquels les victimes de Sokal7 apparaissent comme des qu’en Science, description et définition sont largement assimilables l’une modèles d’intégrité. On en veut pour exemple certaines œuvres utilisant à l’autre et qu’ainsi, elle construit tout autant son propre langage que les l’effet Kirlian, les appels multiples à la théorie quantique, l’invocation trop objets qu’elle décrit par ce langage. fréquente des fractales pour modéliser tel ou tel courant et bien d’autres associations superficielles, parant l’art des plumes d’un paon qui n’a jamais Modifier/codifier existé afin de le doter d’une garantie scientifique sans laquelle, il en est sûr, Ce rebouclage semblerait établir un rapprochement avec l’Art, si ce aucun crédit, ni social, ni moral, ni financier, ne lui sera accordé. n’était que le langage de la Science cherche à accéder au statut de code, De telles tentatives, au demeurant trop faciles à réfuter pour mériter au sens propre du terme : un système dans lequel chaque signe, chaque plus qu’une notification de principe, ressurgissent à chaque avancée scienti- terme, chaque vocable représente un et un seul élément, et dont la relation fique notable. Malheureusement trop nombreuses, elles masquent d’autres entre signe et élément ne dépend pas de l’observateur. Or, pas plus que travaux qui, d’ordre indiscutablement artistique, poursuivent systémati- l’œuvre ne se confond avec sa partition, un code ne s’assimile à un langage : quement des investigations de longue haleine, aux étapes individuelle- tout au plus peut-on voir le premier comme une forme extrême et limite ment validables, selon des méthodologies qui, pour être personnelles, du second. Mais le langage de l’Art, lorsqu’il s’intéresse à la Science, tente n’en présentent pas moins un niveau élevé de cohérence et de rigueur précisément d’en extraire, comme avec tout ce dont il se préoccupe, ce en tout point compatible avec la notion de recherche. Les deux dernières qu’elle ne consent pas à dire : elle non plus, sous son regard, ne saurait décennies ont vu l’éclosion d’un nombre accru de telles démarches, que être que ce qu’elle est, qu’elle se présente sous sa forme la plus abstraite l’on retrouve principalement dans le champ des arts médiatiques. Calquant ou matérialisée par quelque dispositif technologique. originalement leurs méthodes et leur heuristique sur celles des sciences Si cette différence d’intention et de statut proscrit toute tentative pures et appliquées, elles donnent progressivement lieu à des façons de de réunification, la question d’une réconciliation est plus que jamais à faire qui leur sont propres et voient émerger des méthodologies spécifi- l’ordre du jour. Pour qu’elle puisse advenir, il s’agit toutefois d’isoler les ques à la recherche artistique. Encore en cours d’élaboration, et donc peu points de friction, c’est-à-dire les aspects des deux domaines qui ont été évidentes à cerner, elles présentent néanmoins quelques points communs placés, en un temps de l’histoire, dans un rapport d’hostilité. Cela n’est en qui méritent que l’on s’y attarde. rien facile puisqu’il s’agirait, pour entreprendre une investigation appro- fondie, de distinguer les désaccords intervenus entre les protagonistes Démonstration, expérimentation, monstration des arts et des sciences de ceux qui proviennent de l’extérieur des deux Parmi les étapes qu’impliquent ces méthodologies, l’une des plus domaines. Une recherche aussi exhaustive n’est pas de mise ici, mais il critiques est celle qui assure la validation des propositions de départ. La faut néanmoins remarquer que, si Lévy-Leblond appartient à la première recherche artistique ne peut, pour ce faire, se baser sur des expériences catégorie et parle depuis une chaire scientifique, les grands désaccords reproductibles et doit élaborer ses propres mécanismes. Paradoxalement sont principalement induits par des regards externes et dépendent de – ou tout naturellement, selon le point de vue – celui qui semble s’établir facteurs sociaux sur lesquels artistes et scientifiques n’ont que peu de de façon privilégiée est issu d’une pratique scientifique courante qui, en prise. En dépit du succès planétaire d’artistes majeurs, la crédibilité et le sciences, n’est généralement pas reconnue comme processus de vérifi- statut de l’Art ont été depuis des décennies mis à mal par la promotion cation, à savoir la démonstration. Sa transposition en arts médiatiques, la à tout crin des carrières scientifiques et technologiques, qui doivent leur demo, en a progressivement modifié le rôle et la nature. L’une des causes prestige et leur prospérité tant à ce qu’elles ont apporté à l’économie et de son émergence est sans doute l’ampleur et la nature nouvelles des au militaire qu’à des considérations d’ordre plus symbolique4. Le regard ressources mises en œuvre dans ce domaine, elles-mêmes à l’origine de que les sociétés occidentales posent sur l’Art et les artistes ainsi que les projets qui n’auraient pu être envisagés auparavant. Les organismes qui moyens qu’elles leur attribuent n’ont rien à voir avec ceux qu’elles accor- soutiennent ces nouvelles formes de création en sont bien conscients et, dent à la Science5. De même, la caution accordée aux constats objectifs sur pour différentes raisons, pas toutes désintéressées, offrent aujourd’hui à le monde, poussée à l’extrême par les positivistes et encore bien présente leurs protagonistes des moyens supérieurs à ceux proposés pour les arts aujourd’hui, malgré les travaux d’un Merleau-Ponty, d’un Bachelard et traditionnels. Si l’on y ajoute le soutien logistique offert par les universités ou de bien d’autres, situe le domaine de l’imaginaire hors d’une réalité à les centres d’artistes, leur développement implique des argents publics dont laquelle on n’accède que par un principe de lucidité – une lucidité de les montants combinés, bien que modestes par rapport à ceux qui sont attri- nature quasiment idéologique, définie par l’adhésion à un principe de bués aux programmes scientifiques ou technologiques, représentent une 4 NXI GESTATIO [Reeves • St-Onge], automates cubiques volants du projet VOILES | SAILS, centre Winzavod, Moscou, 2009. Ces aérobots réagissent à la voix chantée, aux mouvements, à la lumière. Certaines œuvres en arts médiatiques occupent les espaces laissés libres dans les zones grises entre science, art et technologie. Bien qu’il soit difficile de les associer à l’un ou l’autre de ces domaines, elles peuvent potentiellement produire des retombées dans chacun d’eux, et leur développement fait appel aux protagonistes de plusieurs disciplines. Plusieurs  sont ainsi montrées dans le cadre d’événements artistiques, et font simultanément l’objet de publications ou de conférences  scientifiques ou technologiques. augmentation considérable des moyens proposés aux artistes. Mais d’une tration, évoque le regroupement des trois phases en un seul moment. La part, la nature publique de ces fonds implique une reddition de comptes demo n’exclut pas une validation concomitante par le biais d’articles de et une forme de responsabilisation différentes de celles qui prévalent dans revues ou de présentations avec comités de lecture, mais reste, par la mise les pratiques traditionnelles. D’autre part et surtout, elles ont entraîné l’ap- en contact simultanée du public, des milieux spécialisés et des médias, le parition de véritables programmes de recherche-création, essentiellement, temps privilégié d’une évaluation à la fois technologique et artistique des mais pas exclusivement, dans les universités. Leurs objectifs à long terme, démarches. trop ambitieux pour être atteints en une seule étape, doivent donner lieu à des présentations intermédiaires dont le rôle est multiple : elles témoi- L’émergence de cadres méthodologiques partagés gnent de la bonne marche de la recherche ; elles confirment ou infirment L’importance des ressources requises par les arts médiatiques entraîne la validité de la proposition de l’artiste ; elles garantissent sa capacité à en une autre évolution majeure : celle de la constitution de groupes de maîtriser, avec son équipe, les différents aspects technologiques ; elles recherche dans des disciplines où le travail individuel restait, et reste encore permettent le financement par étapes de projets coûteux, en appuyant bien souvent, la norme. Il y a là un phénomène qui contrecarre partielle- des demandes de fonds successives par des résultats intermédiaires ; et ment les inquiétudes – légitimes – qu’éprouvent de nombreux artistes et surtout, elles évitent des absences trop prolongées sur la scène artistique chercheurs au vu de l’évolution des arts médiatiques, à savoir la possibilité d’auteurs qui se consacrent à des programmes de longue haleine, puisque d’un asservissement des pratiques à la technologie, et celle de voir celle-ci ces événements modulaires deviennent des présentations à part entière. s’établir comme une tête de pont de l’industrie dans les universités et les C’est de la rencontre de cette pratique scientifique, ayant une nature centres d’artistes, hypothéquant de fait la recherche indépendante. S’il plutôt pédagogique, et des impératifs spécifiques aux arts qu’a progressi- est essentiel de rester vigilant face à ces risques, qui sont bien réels – le vement émergé la demo, qui conjugue en un temps unique l’expérimenta- taux de recherches indépendantes dans les autres disciplines, telles que tion, la démonstration et la présentation artistiques à des auditoires élargis. les sciences sociales, a drastiquement diminué ces dernières années –, La Science distingue très clairement ces trois phases, la validation restant il faut également prendre acte du potentiel de ces concentrations de l’apanage de l’expérience ; le spectacle de la science, pour fascinant qu’il ressources sur les plans de la synergie et du syncrétisme des pratiques. soit, ne relève pas d’une méthodologie scientifique. En une coïncidence L’expérience de la recherche-création universitaire démontre en effet que qu’il vaut la peine de relever, le terme demo ne se présente non plus comme le partage des expertises autour d’équipements hautement spécialisés, la simple abréviation de démonstration, ce qui lui attribuerait une signifi- inaccessibles aux chercheurs individuels et mis en commun pour le béné- cation incorrecte, mais comme un acronyme (D.E.Mo) qui, en regroupant fice d’un vaste ensemble de travaux transdisciplinaires, résulte en échanges les premières lettres des termes Démonstration, Expérimentation et MOns- méthodologiques fréquents, eux-mêmes à la base des premiers cadres ART VS MÉDIAS | 50 ANS APRÈS INTER, ART ACTUEL 109 5 méthodologiques communs – un processus à peu près impensable dans la d’ailleurs surprenante, puisque les termes mis en opposition sont loin d’être pratique traditionnelle des arts où le secret sur les manières de faire restait incompatibles : une construction de l’esprit peut être implacablement la norme. Il existe bien sûr depuis longtemps des équipes d’artistes dont le rigoureuse et décrire le réel ; l’expression construction de l’esprit est préci- travail se base sur des présupposés et des manières de faire collectifs, mais sément, dans le domaine philosophique, associée à la Science. Quant au dont le partage des méthodologies ne dépasse pas un cercle restreint de second terme, qui laisse supposer que la rigueur demeure l’apanage de créateurs. Ici, il s’agit d’échanges d’informations entre équipes d’origines cette dernière, il se voit également infirmé par bon nombre de programmes variées, œuvrant sur des projets fort différents. Loin d’être confinés à leur de recherche-création, où elle est loin d’être laissée pour compte ; et il n’est seul rôle instrumental, les technologies se retrouvent à catalyser l’émer- pas nouveau d’affirmer que la description du réel par la Science en laisse gence de projets communs. Tout organisme disposant d’une plateforme échapper des pans entiers – dont plusieurs ne sont accessibles qu’à une technologique ouverte et polyvalente, même modeste, devient à sa propre investigation d’ordre artistique. échelle l’équivalent pour la recherche-création de ce que sont les grands La vision des arts médiatiques, et des arts en général, portée par équipements scientifiques (accélérateurs de particules, observatoires) pour l’ouvrage de Lévy-Leblond illustre le travail qui reste à accomplir pour que la recherche fondamentale – à ceci près qu’ils ne sont pas confinés à une la recherche-création accède au statut de recherche à part entière. Il reste seule discipline, mais assurent un soutien aux pratiques intrinsèquement essentiel de préciser qu’au bout du compte, la spécificité qu’elle vise ne transdisciplinaires du numérique. repose pas sur une distinction entre arts médiatiques et non médiatiques, pas plus qu’elle n’introduit une telle distinction : elle s’élabore sur toute Des arts médiatiques à la recherche-création vision du monde, naïve ou informée, immédiate ou savante ; sa constitu- Il ne faut certainement pas souhaiter voir l’Art concentrer ses recherches tion inclut l’ensemble des démarches de recherche en arts, qu’elles soient autour de quelques méthodologies dominantes, au risque de le rapprocher, médiatiques ou non. À ce titre, on notera que le présent article ne s’intéresse un peu trop encore, de la démarche scientifique. Il ne s’agit pas non plus justement pas à la question de ce qui rend un art médiatique. Traité par de de privilégier les arts susceptibles de donner lieu à un tel partage, au détri- multiples auteurs, le sujet a donné lieu à plusieurs essais de catégorisation ment de ceux qui favorisent les démarches individuelles. Il s’agit plutôt de basés sur des critères de statuts fort différents : la nature interactive ou prendre acte de la nouveauté de ce phénomène, qui contredit le deuxième informationnelle des arts médiatiques, le statut du visiteur, simultanément point de la liste de Lévy-Leblond, par lequel s’éclaireront peut-être un jour acteur et observateur de l’œuvre, la rupture avec l’aesthesis traditionnelle, quelques aspects mystérieux du processus de création ; il confronte l’Art la nature non représentationnelle des installations, le regroupement autour à un impératif de communicabilité, et même, dans le cas des créateurs du numérique et bien d’autres, qui frôlent parfois avec l’ésotérisme, en universitaires, d’enseignabilité. C’est par lui que s’amorce depuis plusieurs particulier lorsqu’il s’agit des arts du réseau. Tous ces essais conduisent à années déjà l’autonomisation de la recherche-création ainsi que la conso- des délimitations variables qui ne se recoupent que par endroits. Il y aurait lidation de son statut comme mode spécifique de production de savoirs probablement une piste à explorer du côté de l’antinomie média/immédiat, et de transmission de connaissances. Cette évolution ne profite d’ailleurs qui établit une distinction en fonction du parcours perceptif et intellectuel pas seulement aux artistes en arts médiatiques : toutes les formes d’art ont que le visiteur doit suivre pour accéder à l’essence de l’œuvre. Mais la défi- à gagner à la constitution de ce nouveau domaine. Il clarifie le paysage de nition la plus précise a probablement quelque chose à voir avec l’idée que la recherche par l’ouverture d’une troisième voie, distincte des recherches les arts médiatiques s’élaborent à partir d’un monde déjà transformé par fondamentales et appliquées, et offre de premiers éléments de réponse à des technologies qu’ils considèrent comme une nature artificielle et qui ceux qui se questionnent sur les aspects artistiques de la science ou sur les portent leur propre poétique. Ils s’établissent sur une réalité qui est déjà, aspects scientifiques de l’art en déclarant, comme un manifeste, que, s’il y dans son état primordial, médiatisée. a aujourd’hui de la science et de la technologie dans la recherche-création, Le regard qui voit les arts et les sciences comme réconciliables place la recherche-création n’est ni science ni technologie, mais une forme de l’évolution de leurs relations dans un rapport chronologique : alliés d’une recherche à part entière. époque, ils seraient devenus les adversaires d’une autre et chercheraient Issue du domaine des arts médiatiques, la recherche-création acquiert à retrouver aujourd’hui une fraternité perdue. Si ce modèle, simplifié progressivement ses lettres de noblesse, mais avance encore en terrain mais relativement exact, génère des conséquences fécondes, il semble fragile. Elle court entre autres le risque de voir les investigations qui lui aujourd’hui plus fructueux de placer arts et sciences dans un rapport de sont propres confondues avec les aspects strictement techniques ou tech- synchronicité, et de lire leurs rencontres sur un plan spatial, sur un territoire nologiques de la pratique artistique : dans l’histoire, nombreux sont les où la recherche de lieux de rencontre se substitue à celle de moments d’al- artistes qui ont participé au développement des technologies associées à liance. Dans ce modèle, c’est la persistance de ces lieux qui laisse supposer leur médium, depuis les frères van Eyck et leur travail sur les pigments et la possibilité de cadres méthodologiques stables et partageables. Une les liants jusqu’à Bach et ses explorations sur la facture des orgues ; mais il cartographie qui chercherait à repérer les zones de validité et les domaines s’agit là de composantes de la pratique qui ne sauraient la résumer, dont de pertinence respectifs des arts et des sciences ne serait pas simple à lire. la validation n’a que peu à voir avec celle de l’œuvre au sens strict et dont Elle révélerait d’innombrables interpénétrations, ramifiées à l’extrême, les objectifs ne sont pas à proprement parler artistiques. Si la recherche- un labyrinthe dont les branches aboutissent sur des zones passablement création commande de tels développements, qui peuvent dans bien des floues, territoires hybrides où le partage des influences devient quasiment cas constituer de véritables avancées pour leur domaine, elle ne s’initie impossible. C’est de ces territoires indéfinissables, impossibles à éliminer, réellement qu’une fois ceux-ci accomplis pour s’orienter vers sa spécificité longtemps considérés avec circonspection par les scientifiques comme propre qui n’est ni la description d’une réalité que l’on veut partageable, par les artistes (qu’on pense aux recherches formalistes en art), qu’ont comme dans le cas des sciences pures, ni l’élaboration des moyens d’agir émergé, il y a un demi-siècle (près d’un siècle si l’on inclut le domaine de sur cette réalité, comme dans le cas des sciences appliquées, mais bien la musique), les premières pratiques associables aux arts médiatiques. la production et l’invention de sens à partir d’éléments du réel – ce qui Longtemps vues de l’extérieur comme un handicap, l’impossibilité de les s’apparente bien plus à la construction de mondes qu’à une construction classer dans les catégories traditionnelles de l’Art et du savoir n’est plus vue de l’esprit. comme un manque de clarté ou de détermination, mais comme l’amorce de Ici encore, ce constat contredit l’une des dichotomies proposées par nouvelles façons de faire dont le regroupement, précisément basé sur une Lévy-Leblond, qui associe l’Art, justement, à une construction de l’esprit volonté délibérément transdomaniale, trans et postdisciplinaire, annonce et la Science, à la rigueur et à la description du réel. Cette distinction est la possibilité même de la recherche-création. 6 Imaginez une œuvre d’art… PAR SUSANNE JASCHKO Parfois, dans un moment de rêverie, je pense à une œuvre d’art. Une œuvre qui n’existe pas encore. Une œuvre qui, à ce moment-là, n’existe que dans mon esprit, ou peut-être également dans le vôtre. Peut-être que vous l’avez déjà imaginée, vous aussi. Sinon, et si vous poursuivez votre lecture, je vais peut-être semer l’idée de cette œuvre d’art dans votre esprit à vous aussi, et l’idée va y grandir, et changer, et prendre différentes formes. Et cela aurait 12. M M du sens, puisque l’œuvre dont je rêve est un processus. RI, H Imaginez l’endroit où vous vivez – la maison, la rue, le voisinage, la ville. Cela fait un certain temps que vous K U O Notes habitez là. Tout est familier. Vous connaissez ce lieu et, chaque jour, vous voyez des changements se produire. Le B 1 JSecaienn-cMe anr’ce sLté pvays- Ll’eAbrtl o: bnrdè,v Leas gardien de sécurité ne se tient jamais exactement au même endroit, le sac de plastique qui s’est pris dans les bran- ESMA B rencontres, Hermann, 2010, 119 p. ches de l’arbre devant votre maison est de plus en plus déchiré, la voisine qui vous saluait à peine samedi dernier O : 2 CHfo. gRwogasehr  M? :a Ali Rneab, Iust Atartl -tSoc Jieenacne- vous regarde aujourd’hui avec un drôle de sourire. Mais des changements plus importants se produisent aussi. Un PHOT Marc Levy Leblond [en ligne], beau matin, vous vous réveillez et il y a un bulldozer qui bloque votre rue : vous apprenez qu’il vous faudra vivre 17 avril 2011, www.malina. avec le bruit et la poussière pour les six prochains mois. Et sur le panneau publicitaire de l’autre côté de la rue, on diatrope.com/2011/04/17/is-art- science-hogwash-a-rebuttal-to- a accroché une affiche choquante pour solliciter des dons afin d’aider les victimes du tremblement de terre et de jean-marc-levy-leblond/. la pollution nucléaire au Japon. Tout cela se passe autour de vous, et vous en faites partie, car vous changez, vous 3 J’adopterai au long du texte la convention qui met une aussi. Tout est constamment en mouvement, en développement, dans plusieurs directions, à différentes vitesses majuscule aux termes Art et et à différents degrés de complexité. Science lorsqu’ils sont employés au singulier pour désigner les Imaginez maintenant une œuvre d’art qui aurait ces mêmes caractéristiques. Une œuvre qui, comme vous, domaines proprement dits. est reliée à ce qui se passe autour d’elle, et qui fait partie de votre vie tout comme l’arbre au sac de plastique. Une 4 La Science est historiquement le premier domaine qui voit ses œuvre présente au quotidien, mais qui bouge et change, guidée par ce qui est en train de se passer ici ou ailleurs. énoncés prédictifs se réaliser, Une œuvre d’art public, même, que vous partagez avec d’autres, qui est signifiante pour eux aussi. Une œuvre dans des cadres il est vrai très restreints, mais de façon qui définit un lieu et contribue à son identité autant que les gens, les événements et les choses autour de lui. Un quasiment systématique. processus visible, ou audible, ou sensible, tissé dans la trame de la ville, de votre maison, de votre entourage. Une 5 Au Québec, une récente controverse, lancée par un chose subtile à laquelle vous pouvez porter attention si le cœur vous en dit ou que vous pouvez ignorer si votre article d’une rare indigence esprit est occupé ailleurs ; une chose dont vous pouvez parler avec la voisine, tout comme vous parlez avec elle intellectuelle paru dans un quotidien montréalais, démontre des fluctuations constantes de la météo. à l’envi l’ignorance revendiquée Il faudra peut-être encore 50 ans avant que l’art ne produise cette pièce et, si effectivement elle voit le jour, elle et le mépris d’une partie de la société envers la chose artistique. sera certainement faite avec de « nouveaux » médias, qu’ils soient électroniques et numériques ou organiques et 6 Voir par exemple Pierre Barbaud, vivants, ou tout autre matériau donnant place au processus, au flux et aux changements. Peut-être suis-je senti- La musique : discipline scientifique. Introduction à l’étude élémentaire mentale de penser que l’art peut ajouter quelque chose à la vie qui soit plus qu’un défi intellectuel, un simple des structures musicales, Dunod, événement émotif et sensoriel, une histoire autoréférentielle, une intervention cathartique ou un bel objet. En fait, 1968, 155 p. 7 Cf. Alan Sokal et Jean Bricmont, c’est cet espoir d’un « plus » qui m’a d’abord attirée vers les arts médiatiques. Cela s’est produit au milieu des années Impostures intellectuelles, Odile quatre-vingt-dix, quand l’interactivité et l’art Web commençaient à se répandre, quand une poignée de festivals Jacob, 1997, 276 p. étaient activés par l’expérimentation, l’invention et l’idée d’une culture et d’une société nouvelles. Même si la révolution numérique n’a pas transformé la société comme les idéalistes l’auraient voulu, elle a eu Formé en architecture et en un immense impact sur la manière dont nous vivons. Il n’est pas nécessaire de rappeler tout ce que l’ordinateur et physique, Nicolas Reeves enseigne à l’Université du Québec à Montréal. Internet ont fait aux communications, à la diffusion globale des informations, à notre façon de comprendre le temps Son œuvre se caractérise par une et l’espace, le concept d’auteur, etc. Cette transformation culturelle est si profonde et continue que nous ne pouvons utilisation hautement poétique des sciences et des technologies. pas prendre de recul, nous en extraire, afin d’évaluer ses conséquences dans leur entière et complète complexité. Actuellement directeur du pôle À l’art, la technologie a apporté, entre autres, de se baser davantage sur le temps et le processus : le premier HexagramCIAM de recherche- création en arts médiatiques, il a décrit le développement d’un récit, d’une séquence d’événements dans une œuvre d’art en relation à la progression été vice-président de la Société des du temps ; le deuxième se rapporte à l’ouverture d’un développement dans le temps, à un certain degré d’auto- arts technologiques de 1998 à 2008. Il dirige le laboratoire de design Nxi organisation et de performativité. Gestatio qui a produit des œuvres La prochaine étape, qui reste à franchir, est la combinaison de la durée et du processus, un concept qui est reconnues (Harpe à nuages, SAILS, un ensemble d’automates cubiques intrinsèque aux systèmes vivants. Ce changement incessant, la transition continue d’un état à l’autre, est ce que volants capables de développer Henri Bergson décrit comme la propriété de l’existence humaine dans le premier chapitre de Creative Evolution. des comportements autonomes...). Titulaire de plusieurs prix et TRADUCTION : CHRISTINE COMEAU. bourses, il a présenté ses travaux et conférences dans de nombreux pays. Il collabore régulièrement avec des équipes de scientifiques Susanne Jaschko est une commissaire en art contemporain qui vit et travaille à Berlin, en Allemagne. Après s’être concentrée principalement ou d’ingénieurs ainsi qu’avec sur les arts médiatiques, elle a récemment fondé Prozessagenten, une organisation basée sur les réseaux, qui fait de la recherche et produit différents artistes, notamment les des œuvres d’art et de design processuelles intersectant avec la vie. Récemment, elle a été directrice de présentation pour le programme artistes montréalais Luc Courchesne, Artistes-en-Résidence du Netherlands Media Art Institute à Amsterdam (2008-2009), commissaire (1997-2000) et commissaire-directrice franco-italienne Lorella Abenavoli et adjointe (2001-2004) de Transmediale, un festival d’art et de culture numériques. Elle détient un doctorat en philosophie et histoire de l’art, australien Stelarc. donne régulièrement des conférences et écrit sur des sujets en lien avec sa pratique de commissaire [www.sujaschko.de]. ART VS MÉDIAS | 50 ANS APRÈS INTER, ART ACTUEL 109 7 50 ans D’ARTS MÉDIATIQUES NEUF SOIRÉES POUR RECONSIDÉRER ART, THÉÂTRE ET TECHNIQUES PAR PATRICK TRÉGUER Cinq décennies pour porter un jugement, envisager une analyse sur le développement des arts médiatiques, numériques, leurs liens avec les mouvements artistiques antérieurs comme Dada, Fluxus et les arts conceptuels qui interrogent chacun à leur façon la maté- rialité de l’objet d’art. Quelle qu’en soit sa valeur relative, cette période nous interroge sur les transformations qui s’opèrent sur le site du monde et ses résidents, transformations inéluctables qui se réalisent, entre autres, par une contamination technologique qui n’est pas sans influences sur nos modes de pensée, nos comportements, et qui est tout à la fois porteuse d’espoir et d’inégalités profondes. Le rôle des artistes, qui n’attendent pas et n’ont jamais attendu la déclaration officielle ou institutionnelle d’une éventuelle révolution numérique pour utiliser ce médium, balise ces nouveaux parcours, ces nouveaux codes et symboliques dans nos espaces mentaux. Il transcende la notion d’outil pour aller chercher ce qui fait sens et qui finalement permet d’interroger notre humanité. Cette approche est plutôt vivifiante face au trop nombreux débats et colloques qui circonscrivent le « numérique » dans le fort limité territoire de la vision industrielle et économique, à l’instar, par exemple, du tout récent conseil du numé- rique français où aucun représentant de la société civile, des consommateurs (et néanmoins citoyens) ni du tissu associatif n’avait voix au chapitre. Un focus sur un événement ponctuel peut offrir à une méthodologie d’analyse un angle d’attaque afin de tenter de comprendre les ressorts et les dynamiques qui ont engendré la situation, notre situation, en prenant en compte un environnement où la vitesse et son accé- lération sont des enjeux prépondérants pour accéder au pouvoir, comme le martèle Virilio depuis des décennies, ou bien en luttant contre la misère symbolique décriée par Stiegler qui s’insinue dans les propositions d’un marketing de masse porteur des dernières tech- niques et découvertes quant au fonctionnement du cerveau : « Pour gagner ces marchés de masse, l’industrie développe une esthétique où elle utilise en particulier les médias audiovisuels qui vont, en fonctionnalisant la dimension esthétique de l’individu, lui faire adopter des comportements de consommation. Il en résulte une misère symbolique qui est aussi une misère libidinale et affective, et qui conduit à la perte de ce que j’appelle le narcissisme primordial : les individus sont privés de leur capacité d’attachement esthétique John Cage, Variation VII, performances à des singularités, à des objets singuliers1. » La pensée d’Edgard Morin sur une méthodologie présentées dans le cadre de 9 Evenings : de la « complexité », reste une boîte à outils intellectuelle extrêmement utile pour décrypter Theatre and Engineering, New York, 15-16 octobre 1966. Photographies tirées cet environnement et parfois s’y retrouver, un environnement aux bords flous, fourvoyeur du film16 mm 9 Evenings : Theatre and de contradictions, de fantasmes, mais également de nouveaux possibles. Engineering. Courtoisie d’Experiments in Il faut garder à l’esprit, enfin, que l’art numérique (et son cousin médiatique) est né sous Art and Technology. le sceau de la méfiance, lié à l’intrication au complexe militaro-industriel, aux centres de recherche ainsi qu’à la culture de consommation de masse et aux technologies associées. De Memex à UNIVAC, en passant par l’ENIAC, les premiers essais et premières prospectives asso- ciés à l’ordinateur, aux technologies digitales (0,1) de ces époques d’après-guerre, posent les bases d’une grande partie de la technologie actuelle et de son exploration artistique2. 8

Description:
chose subtile à laquelle vous pouvez porter attention si le cœur vous en dit ou . ciés à l'ordinateur, aux technologies digitales (0,1) de ces époques une bouteille d'alcool rectifié (90°), un dessin des instructions sur papier Vous n'avez qu'à coller votre œil dessus pour Arduino pour
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