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1984 PDF

435 Pages·1972·2.44 MB·French
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Né aux Indes en 1903, d'une famille anglo~ indienne, George Orwell, de son vrai nom Éric Blair, fit ses études à Eton. En 1922, il partit pour la Bir- manie, où il entra dans la Police impériale des Indes. C'était un métier qui lui convenait mal, aussi, en 1928, lors d'un congé qu'il passait en Angleterre, il donna sa démission et voulut vivre de sa plume. Sans ressources, il vint à Paris où il mena longtemps une véritable existence de clochard avant de devenir plon- geur dans un restaurant. C'est de cette période diffi- cile qu'il rapporta son livre de souvenirs Down and out in Paris and in London qui parut en traduction française en 1935, sous le titre La Vache enragée, aux Éditions de la N. R. F. De retour en Angleterre, il fut maître d'école, employé de librairie, puis s'engagea dans les rangs du P. 0. U. M. lors de la guerre civile espagnole. Blessé en 1937 à Huesca, George Orwell, dégoûté du totalitarisme stalinien, déçu par la mol- Titre original : lesse des démocrates, partit pour le Maroc. En 1939, NINETEEN EIGHTY-FOUR il fut mobilisé comme sergent, puis réformé, et dut gagner sa vie en travaillant la nuit dans les usines. Enfin, on lui accorda un poste de speaker à la B. B. C. En 1943, il devient directeur de l'hebdoma- © Éditions Gallimard, 1950, pour la traduction française. daire The Tribune, puis, en 1945, envoyé spécial du Né aux Indes en 1903, d'une famille anglo~ indienne, George Orwell, de son vrai nom Éric Blair, fit ses études à Eton. En 1922, il partit pour la Bir- manie, où il entra dans la Police impériale des Indes. C'était un métier qui lui convenait mal, aussi, en 1928, lors d'un congé qu'il passait en Angleterre, il donna sa démission et voulut vivre de sa plume. Sans ressources, il vint à Paris où il mena longtemps une véritable existence de clochard avant de devenir plon- geur dans un restaurant. C'est de cette période diffi- cile qu'il rapporta son livre de souvenirs Down and out in Paris and in London qui parut en traduction française en 1935, sous le titre La Vache enragée, aux Éditions de la N. R. F. De retour en Angleterre, il fut maître d'école, employé de librairie, puis s'engagea dans les rangs du P. 0. U. M. lors de la guerre civile espagnole. Blessé en 1937 à Huesca, George Orwell, dégoûté du totalitarisme stalinien, déçu par la mol- Titre original : lesse des démocrates, partit pour le Maroc. En 1939, NINETEEN EIGHTY-FOUR il fut mobilisé comme sergent, puis réformé, et dut gagner sa vie en travaillant la nuit dans les usines. Enfin, on lui accorda un poste de speaker à la B. B. C. En 1943, il devient directeur de l'hebdoma- © Éditions Gallimard, 1950, pour la traduction française. daire The Tribune, puis, en 1945, envoyé spécial du The Observer en France et en Allemagne. Atteint de tuberculose depuis plusieurs années, Il mourut dans une clinique de la banlieue londonienne en jan- vier 1960. C'est au cours de ses dernières années, alors qu'il luttait contre la mort qu'il écrivit son t roman « 1984 » où il exprime la plus grave inquié- tude des hommes libres de notre temps. PREMIERE PARTIE The Observer en France et en Allemagne. Atteint de tuberculose depuis plusieurs années, Il mourut dans une clinique de la banlieue londonienne en jan- vier 1960. C'est au cours de ses dernières années, alors qu'il luttait contre la mort qu'il écrivit son t roman « 1984 » où il exprime la plus grave inquié- tude des hommes libres de notre temps. PREMIERE PARTIE I C'était une journée d'avril froide et claire. Les horloges sonnaient treize heures. Winston Smith, le menton rentré dans le cou, s'efforçait d'éviter le vent mauvais. Il passa rapidement la porte vitrée du bloc des « Maisons de la Victoire », pas assez rapidement cependant pour empêcher que s'en- gouffre en même temps que lui un tourbillon de poussière et de sable. Le hall sentait le chou cuit et le vieux tapis. A l'une de ses extrémités, une affiche de couleur, trop vaste pour ce déploiement intérieur, était clouée au mur. Elle représentait simplement un énorme vi- sage, large de plus d'un mètre : le visage d'un homme d'environ quarante-cinq ans, à l'épaisse moustache noire, aux traits accentués et beaux. Winston se dirigea vers l'escalier. Il était inutile d'essayer de prendre l'ascenseur. Même aux meil- leures époques, il fonctionnait rarement. Actuelle- ment, d'ailleurs, le courant électrique était coupé dans la journée. C'était une des mesures d'écono- mie prises en vue de la Semaine de la Haine. Son appartement était au septième. Winston, qui avait trente-neuf ans et souffrait d'un ulcère vari- queux au-dessus de la cheville droite, montait len- 11 le regard des yeux noirs pénétrait les yeux de tement. Il s'arrêta plusieurs fois en chemin pour Winston. Au niveau de la rue, une autre affiche, se reposer. A chaque palier, sur une affiche collée dont un angle était déchiré, battait par à-coups au mur, face à la cage de l'ascenseur, l'énorme dans le vent, couvrant et découvrant alternative- visage vous fixait du regard. C'était un de ces por- traits arrangés de telle sorte que les yeux semblent ment un seul mot : ANGSOC. AU loin, un hélicop- tère glissa entre les toits, plana un moment, telle suivre celui qui passe. Une légende, sous le por- une mouche bleue, puis repartit comme une flèche, trait, disait : B IG BROTHER VOUS REGARDE. dans un vol courbe. C'était une patrouille qui venait A l'intérieur de l'appartement de Winston, une mettre le nez aux fenêtres des gens. Mais les pa- voix sucrée faisait entendre une série de nombres trouilles n'avaient pas d'importance. Seule comp- qui avaient trait à la production de la fonte. La tait la Police de la Pensée. voix provenait d'une plaque de métal oblongue, miroir terne encastré dans le mur de droite. Wins- Derrière Winston, la voix du télécran conti- ton tourna un bouton et la voix diminua de nuait à débiter des renseignements sur la fonte volume, mais les mots étaient encore distincts. Le et sur le dépassement des prévisions pour le neu- son de l'appareil (du télécran, comme on disait) vième plan triennal. Le télécran recevait et trans- pouvait être assourdi, mais il n'y avait aucun mettait simultanément. Il captait tous les sons moyen de l'éteindre complètement. Winston se émis par Winston au-dessus d'un chuchotement dirigea vers la fenêtre. Il était de stature frêle, très bas. De plus, tant que Winston demeurait plutôt petite, et sa maigreur était soulignée par dans le champ de vision de la plaque de métal, il la combinaison bleue, uniforme du Parti. Il avait pouvait être vu aussi bien qu'entendu. Naturelle- les cheveux très blonds, le visage naturellement ment, il n'y avait pas moyen de savoir si, à un sanguin, la peau durcie par le savon grossier, les moment donné, on était surveillé. Combien de fois, lames de rasoir émoussées et le froid de l'hiver et suivant quel plan, la Police de la Pensée se bran- qui venait de prendre fin. chait-elle sur une ligne individuelle quelconque, personne ne pouvait le savoir. On pouvait même Au-dehors, même à travers le carreau de la imaginer qu'elle surveillait tout le monde, constam- fenêtre fermée, le monde paraissait froid. Bans la ment. Mais de toute façon, elle pouvait mettre rue, de petits remous de vent faisaient tourne! en une prise sur votre ligne chaque fois qu'elle spirale la poussière et le papier déchiré. Bien que le désirait. On devait vivre, on vivait, car l'habi- le soleil brillât et que le ciel fût d'un bleu dur, tude devient instinct, en admettant que tout son tout semblait décoloré, hormis les affiches collées émis était entendu et que, sauf dans l'obscurité, partout. De tous les carrefours importants, le visage tout mouvement était perçu. à la moustache noire vous fixait du regard. Il y en avait un sur le mur d'en race, BIG BROTHER Winston restait le dos tourné au télécran. Bien vous REGARDE, répétait la légende, tandis que qu'un dos, il le savait, pût être révélateur, c'était 12 13 le regard des yeux noirs pénétrait les yeux de tement. Il s'arrêta plusieurs fois en chemin pour Winston. Au niveau de la rue, une autre affiche, se reposer. A chaque palier, sur une affiche collée dont un angle était déchiré, battait par à-coups au mur, face à la cage de l'ascenseur, l'énorme dans le vent, couvrant et découvrant alternative- visage vous fixait du regard. C'était un de ces por- traits arrangés de telle sorte que les yeux semblent ment un seul mot : ANGSOC. AU loin, un hélicop- tère glissa entre les toits, plana un moment, telle suivre celui qui passe. Une légende, sous le por- une mouche bleue, puis repartit comme une flèche, trait, disait : B IG BROTHER VOUS REGARDE. dans un vol courbe. C'était une patrouille qui venait A l'intérieur de l'appartement de Winston, une mettre le nez aux fenêtres des gens. Mais les pa- voix sucrée faisait entendre une série de nombres trouilles n'avaient pas d'importance. Seule comp- qui avaient trait à la production de la fonte. La tait la Police de la Pensée. voix provenait d'une plaque de métal oblongue, miroir terne encastré dans le mur de droite. Wins- Derrière Winston, la voix du télécran conti- ton tourna un bouton et la voix diminua de nuait à débiter des renseignements sur la fonte volume, mais les mots étaient encore distincts. Le et sur le dépassement des prévisions pour le neu- son de l'appareil (du télécran, comme on disait) vième plan triennal. Le télécran recevait et trans- pouvait être assourdi, mais il n'y avait aucun mettait simultanément. Il captait tous les sons moyen de l'éteindre complètement. Winston se émis par Winston au-dessus d'un chuchotement dirigea vers la fenêtre. Il était de stature frêle, très bas. De plus, tant que Winston demeurait plutôt petite, et sa maigreur était soulignée par dans le champ de vision de la plaque de métal, il la combinaison bleue, uniforme du Parti. Il avait pouvait être vu aussi bien qu'entendu. Naturelle- les cheveux très blonds, le visage naturellement ment, il n'y avait pas moyen de savoir si, à un sanguin, la peau durcie par le savon grossier, les moment donné, on était surveillé. Combien de fois, lames de rasoir émoussées et le froid de l'hiver et suivant quel plan, la Police de la Pensée se bran- qui venait de prendre fin. chait-elle sur une ligne individuelle quelconque, personne ne pouvait le savoir. On pouvait même Au-dehors, même à travers le carreau de la imaginer qu'elle surveillait tout le monde, constam- fenêtre fermée, le monde paraissait froid. Bans la ment. Mais de toute façon, elle pouvait mettre rue, de petits remous de vent faisaient tourne! en une prise sur votre ligne chaque fois qu'elle spirale la poussière et le papier déchiré. Bien que le désirait. On devait vivre, on vivait, car l'habi- le soleil brillât et que le ciel fût d'un bleu dur, tude devient instinct, en admettant que tout son tout semblait décoloré, hormis les affiches collées émis était entendu et que, sauf dans l'obscurité, partout. De tous les carrefours importants, le visage tout mouvement était perçu. à la moustache noire vous fixait du regard. Il y en avait un sur le mur d'en race, BIG BROTHER Winston restait le dos tourné au télécran. Bien vous REGARDE, répétait la légende, tandis que qu'un dos, il le savait, pût être révélateur, c'était 12 13 plus prudent. A un kilomètre, le ministère de la Winston pouvait encore déchiffrer sur la façade Vérité, où il travaillait, s'élevait vaste et blanc au- l'inscription artistique des trois slogans du Parti dessus du paysage sinistre Voilà Londres, pensa-t-il avec une sorte de vague dégoût, Londres, capitale LA GUERRE C'EST LA PAIX de la première région aérienne, la troisième, par LA LIBERTÉ C'EST L'ESCLAVAGE le chiffre de sa population, des provinces de l'Océa- L'IGNORANCE C'EST LA FORCE nia. Il essaya d'extraire de sa mémoire quelque souvenir d'enfance qui lui indiquerait si Londres Le ministère de la Vérité comprenait, disait-on, avait toujours été tout à fait comme il la voyait. trois mille pièces au-dessus du niveau du sol,- et Y avait-il toujours eu ces perspectives de maisons des ramifications souterraines correspondantes. Dis- du xixe siècle en ruine, ces murs étayés par des séminées dans Londres, il n'y avait que trois autres poutres, ce carton aux fenêtres pour remplacer constructions d'apparence et de dimensions ana- les vitres, ces toits plâtrés de tôle ondulée, ces logues. Elles écrasaient si complètement l'archi- clôtures de jardin délabrées et penchées dans tous tecture environnante que, du toit du bloc de la les sens? Y avait-il eu toujours ces emplacements Victoire, on pouvait les voir toutes les quatre bombardés où la poussière de plâtre tourbillonnait, simultanément. C'étaient les locaux des quatre où l'épilobe grimpait sur des monceaux de décom- ministères entre lesquels se partageait la totalité bres? Et ces endroits où les bombes avaient dégagé de l'appareil gouvernemental. Le ministère de la un espace plus large et où avaient jailli de sordides Vérité, qui s'occupait des divertissements, de l'in- colonies d'habitacles en bois semblables à des caba- formation, de l'éducation et des beaux-arts. Le nes à lapins? Mais c'était inutile, Winston n'arri- ministère de la Paix, qui s'occupait de la guerre. vait pas à se souvenir Rien ne lui restait de son Le ministère de l'Amour qui veillait au respect de enfance, hors une série de tableaux brillamment la loi et de l'ordre. Le ministère de l'Abondance, éclairés, sans arrière-plan et absolument inintelli- qui était responsable des affaires économiques. gibles. Leurs noms, en novlangue, étaient : Miniver, Minipax, Miniamour, Miniplein. Le ministère de la Vérité — Miniver, en nov- langue l — frappait par sa différence avec les Le ministère de l'Amour était le seul réellement objets environnants C'était une gigantesque cons- effrayant. Il n'avait aucune fenêtre. Winston n'y truction pyramidale de béton d'un blanc éclatant. était jamais entré et ne s'en était même jamais Elle étageait ses terrasses jusqu'à trois cents trouvé à moins d'un kilomètre. C'était un endroit mètres de hauteur. De son poste d'observation, où il était impossible de pénétrer, sauf pour affaire officielle, et on n'y arrivait qu'à travers un laby- rinthe de barbelés enchevêtrés, de portes d'acier, 1 Le novlangne était l'idiome officiel de l'Océaaia, Sut le de nids de mitrailleuses dissimulés. Même les rues novlangue, voii l'appendice. 14 15

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