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tanner la peau humaine en Vendée militaire (1793-1794) PDF

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Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest Anjou. Maine. Poitou-Charente. Touraine 120-1 | 2013 Varia Résonance d’une « perversion » : tanner la peau humaine en Vendée militaire (1793-1794) The resonance of a perverse affair : tanning human skin in the Vendée militaire (1793-1794) Anne Rolland-Boulestreau Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/abpo/2575 DOI : 10.4000/abpo.2575 ISBN : 978-2-7535-2782-9 ISSN : 2108-6443 Éditeur Presses universitaires de Rennes Édition imprimée Date de publication : 30 mars 2013 Pagination : 163-182 ISBN : 978-2-7535-2780-5 ISSN : 0399-0826 Référence électronique Anne Rolland-Boulestreau, « Résonance d’une « perversion » : tanner la peau humaine en Vendée militaire (1793-1794) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 120-1 | 2013, mis en ligne le 30 mars 2015, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/abpo/2575 ; DOI : 10.4000/abpo.2575 © Presses universitaires de Rennes Résonance d’une « perversion » : tanner la peau humaine en Vendée militaire (1793-1794) Anne ROLLAND-BOULESTREAU Maître de conférences, Histoire Moderne, CERHIO UMR 6258, université Catholique de l’Ouest, Angers 1 En 1903, un chanoine angevin publie 2 un article intitulé « Une tannerie de peau humaine à Angers sous la Révolution ». Il y cite une source des Archives départementales de Maine-et-Loire, selon laquelle quatre habi- tants d’une petite ville proche d’Angers, Les Ponts-de-Cé, dénoncent un chirurgien-soldat qui aurait prélevé des peaux humaines sur des cadavres l ottant dans la Loire, en décembre 1793. Suite aux terribles combats du Mans (13-14 décembre 1793), les vendéens 3 rel uent alors vers Angers et cherchent à passer la Loire. Des centaines d’entre eux sont arrêtés, fusillés près d’Angers et leurs corps sont précipités dans le l euve 4. Les témoins de ces faits se taisent pendant près d’un an, jusqu’à ce que la i n de l’année 1794 leur donne l’occasion de témoigner contre les exactions commises par l’armée républicaine en 1793-1794. Morbide affaire s’il en est, la question de la tannerie de peau humaine eut un large retentissement dans l’Ouest, plus particulièrement dans le milieu catholique du début du xxe siècle. Le chanoine Uzureau a pris soin de publier cet article dans deux revues locales, A ndegaviana et Revue de l’An- jou , diffusées dans toute la Vendée militaire et surtout dans le département 1. Cet article est le résultat d’une étude, entreprise à partir de 2010, dans le cadre du centre de recherche « Histoire, Lettres et Arts » (GRILHAM), de l’Université Catholique de l’Ouest. 2. U ZUREAU , François, « Une tannerie de peau humaine à Angers sous la Révolution », Andegaviana , 1903. Dans le titre de cet article, le terme de « perversion » est employé dans un sens psychanalytique, plus fort que le terme de « transgression ». Cf. S. Freud, T rois essais sur la théorie sexuelle , Paris, Gallimard, « Folio essais », 1905 (reéd. 1987), 211 p. 3. J ean-Clément Martin préconise la minuscule au mot « vendéens », qui désigne alors les habitants de la Vendée militaire, territoire dépassant largement le département de la Vendée. 4. GABORY , Emile, Les Guerres de Vendée , Paris, R. Laffont, Bouquins, réédition 1993, p. 309 sqq. Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, tome 120, n° 1, 2013 Anne ROLLAND-BOULESTREAU de Maine-et-Loire. Professeur à l’Université catholique de l’Ouest, il lie ses travaux à la Contre-Révolution, au moment où le centenaire de la Révolution a fortement divisé le département de Maine-et-Loire, et s’impose comme l’historien qui exhume des archives locales méconnues. À cela s’ajoute la fondation récente de l’Université catholique de l’Ouest par Mgr Freppel, député et évêque d’Angers, dans un climat politique tendu 5. Pendant une vingtaine d’années, l’affaire de la tannerie de peaux humaines est régulièrement évoquée. Assez brutalement ensuite, les his- toriens évacuent le problème de l’historicité de « cette tannerie », en ne l’évoquant pas, considérant qu’un tel fait n’est pas crédible, remettant alors en question, au mieux la bonne foi des témoins, au pire l’honnêteté intel- lectuelle du chanoine 6. On le sait depuis les travaux de Jean-Clément Martin, la guerre de Vendée se pose d’emblée comme un cas exemplaire de ce rapport polémique entre l’Histoire et la Mémoire 7, devenues depuis une décennie un objet historio- graphique de premier plan 8. Par une double démarche, historiographique et micro-historique, nous souhaitons délimiter précisément la résonance historique de la représentation de l’ennemi. Plus qu’une profanation du corps de l’ennemi, la tannerie des cadavres suppose le total anéantisse- ment – moral et physique – des vendéens, et trace la frontière ultime de la déshumanisation de l’ennemi. Comme pour la plupart des sujets traitant de la guerre de Vendée, le rapport de la Mémoire à l’Histoire est évidemment au cœur de ce sujet sur les peaux humaines, quitte à oublier les sources et l’analyse historiographique que l’on peut en faire. Car, au bout du compte, il s’agit de comprendre, par ce fait macabre de tannerie de peaux humaines, la part de l’Autre dans l’histoire de la guerre civile. Mémoire et Histoire : la récupération politique des peaux humaines tannées Les années 2000, tanneries et repentance : indépendantistes bretons et royalistes solidaires Le 11 janvier 2006, le collectif des Libertés bretonnes investissait le Muséum des sciences naturelles de Nantes ai n de protester contre l’expo- 5. En 1875. Cf. le colloque sur l’histoire des Universités catholiques, UCO, Angers, 29 mars-1 er avril 2011. L’université d’Angers, datant du Moyen Âge, avait été suppri- mée à la Révolution française. Mgr Freppel, par son mandat de député et par sa charge d’évêque d’Angers, au moment de la commémoration du centenaire de la Révolution et de la Vendée, pose cette « recréation » de l’université dans une perspective politique. 6. D E BAECQUE, Antoine, La France de la Révolution, Dictionnaire de curiosités , Paris, Tallandier, 2011, article « culotte de peau humaine », p. 82. 7. MARTIN , Jean-Clément, L a Vendée de la mémoire (1800-1980) , Paris, Seuil, 1989, 298 p. 8. V oir les polémiques autour de la question de l’esclavage des Noirs, en 2005-2006. Ce rapport Histoire-Mémoire est évoqué par tous les ouvrages historiographiques. Cf . par exemple : M ARTIN , Jean-Clément, « Histoire, Mémoire et oubli », R evue d’Histoire Moderne et Contemporaine , octobre-décembre 2000, n° 47-4, rubrique débats. 164 Tanner la peau humaine en Vendée militaire (1793-1794) sition d’une peau humaine tannée. Selon ce collectif, une peau aurait été prélevée sur un chouan. Après avoir drapé d’un linceul noir, bordé d’une hermine blanche, la vitrine dans laquelle se trouvait la « relique 9 », le col- lectif a expliqué qu’il protestait contre le « génocide » vendéen et chouan, perpétré par la République des droits de l’homme. « C’est moins la Bretagne que la France qui est malade de son histoire et de sa mémoire 10. » Eni n, le collectif demandait à ce que cette peau de chouan soit retirée du musée et lançait un appel aux maires bretons pour que l’un d’entre eux accepte de l’enterrer sur sa commune, ai n « que l’enveloppe de cette personne soit remise à la terre qui l’a vu naître 11 ». Un site internet, se présentant comme royaliste 12, s’est fait le relais de cette agitation : « même si nous ne sommes pas partisans de l’indépendance de la Bretagne, nous ne pouvons qu’approuver » cette action. Il estimait que la Révolution était mère de tous les totalitarismes du XX e siècle, de Hitler à Staline, et exigeait la repentance de la France pour tous ses crimes révolutionnaires : « À l’histoire, bien réelle, de graisse humaine récupérée sur les cadavres des femmes vendéennes, on i t place aux bobards sur le savon humain fabriqué par les Allemands tant en 1917 qu’en 1945. À la peau de Chouan, bien réelle et bien visible, on i t place au mythe des “abats- jours en peau humaine” de Buchenwald, peau qui, à l’analyse s’avérait être de la banale peau de chèvre 13. » Eni n, le site royaliste « Vive le roy » concluait en relevant que « la Révolution française et la République qui s’en suivit furent indubitablement bourgeoises. Cette mentalité hédoniste, cupide, jouisseuse, qui nous a amené le malthusianisme démographique et le sacrii ce de notre race sur l’autel du proi t. Nous ne pendrons pas les bourgeois avec les tripes des curés (de toutes façons, même si les curés sont de gauche, il n’y en aurait pas pour tout le monde…) mais avec celles des “peaux de cochons” ». L’action du collectif breton se doit d’être efficace et pédagogique. Photographie de la peau tannée à l’appui, les sites, royalistes et indépen- dantistes, cherchent à choquer. Le titre du site indépendantiste s’afi che clairement dans cette perspective : « Si la vision de cette peau humaine vous choque, c’est que vous êtes visiblement encore sain(e)s d’esprit ! » Cette accroche met forcément le lecteur en empathie avec le sujet. Cette peau humaine tannée devient prétexte à une autre histoire, celle de la 9. S elon les termes du collectif des Libertés bretonnes. 10. S ite : [ http:/libertes.bretonnes.free.fr/Templates/Tract.html] , consulté le 20 octobre 2010. 11. Idem. 12. Site : [ http:/www.viveleroy.fr/Les-tanneries-de-peau-humaine-sous.66] , mise en ligne le 16 mars 2009. 13. C f . site « Devoir de mémoire », [http:/notrememoire.blogspot.com/2006/08/propos- dune-peau…], mis en ligne le 16 août 2006. Il existe peu d’études sur les peaux humaines tannées dans les camps de concentration. Cf. D URAND , Pierre, La Chienne de Buchenwald , Paris, Messidor, coll. « La vérité vraie », 1982, 204 p. sur le rôle de Ilse Koch. 165 Anne ROLLAND-BOULESTREAU condamnation historique et politique de la République française dans son ensemble. Toute cette haine proférée à l’égard de la République repose sur, au moins, une double ignorance. En fait de peau tannée d’un chouan, prélevée lors de la guerre civile, il s’agirait d’une peau tannée d’un Républicain : de son vivant, il aurait souhaité être utile à la République au-delà de la mort, en faisant de sa peau tannée un tambour. Ce soldat tombe le 29 juin 1793 lors de la bataille de Nantes, opposant les vendéens et les Républicains. Conformément à sa volonté, on aurait tanné sa peau, qui aurait été trop fragile pour être utilisée comme tambour : « On s’aperçut que son épaisseur (derme+épiderme) ne permettait aucune résonance 14. » On la garde et elle est conservée depuis le début du X IX e siècle dans le musée des sciences naturelles de Nantes 15. Deuxième erreur de ces sites indépendantistes et royalistes, il y eut bien une « affaire des peaux tannées » de vendéens, mais à Angers, plus exactement aux Ponts-de-Cé, et non à Nantes. Pour ces mili- tants politiques, la peau humaine du musée d’Histoire naturelle est prétexte à une instrumentalisation politique évidente de la Révolution française. Les années 1900 – L’histoire engagée : le travail du chanoine Uzureau Le premier à dénoncer les excès de la Révolution par la question des peaux humaines tannées est le chanoine Uzureau, mais avec une méthode diamétralement opposée à celle des militants du X XI e siècle : chez lui, nul pathos, nul effet de style spectaculaire. Sa démarche consiste à citer les sources des archives départementales, plus précisément celles trouvées dans la riche série L et consacrées à l’époque révolutionnaire 16. Sa méthode est bien connue : il a pour habitude de citer des archives brutes, sans com- mentaire, pour les laisser à la disposition des chercheurs. Rares sont celles pour lesquelles il propose une analyse des documents. Uzureau est avant tout un compilateur et non un enquêteur. Les textes qu’il publie avec régularité, quatre fois par an, – Andegaviana s’appuie sur la Revue de l’Anjou qu’il va diriger pendant une cinquantaine d’années (de 1900 à 1948) –, ont tous un point commun : dénoncer les 14. S elon la i che documentaire du Muséum d’histoire naturelle de Nantes, présentant « l’origine, l’exploitation, la valorisation et l’expertise scientii que » de la peau tannée. Je remercie Marie-Laure Guérin, attachée de conservation du patrimoine, de m’avoir communiqué ce document. 15. L a peau humaine du musée a été récupérée par Dubuisson, en 1811, quand il devint le premier directeur du muséum, appelé alors cabinet privé d’histoire naturelle. Il l’aura rachetée pour 15 francs. Elle est mentionnée dans le registre d’inventaire des collections de Dubuisson, établi entre 1813 et 1819, et reste dans l’oubli pendant un siècle et demi. Ce n’est que dans les années 1960 que se multiplient les mentions de cette pièce, y com- pris dans le Guide bleu B retagne en 1987. Cf. la i che documentaire du Muséum d’histoire naturelle de Nantes. 16. L es Archives départementales de Maine-et-Loire ont la chance d’avoir conservé sur place les papiers révolutionnaires, à la différence par exemple des Archives de la Vendée. 166 Tanner la peau humaine en Vendée militaire (1793-1794) atrocités commises par les républicains en Vendée militaire. La première mission du chanoine Uzureau fut d’être aumônier du Champ des Martyrs à Avrillé et, à ce titre, de faire connaître les victimes vendéennes des fusillades d’Avrillé. Avec sa nouvelle mission d’enseignement et de recherche à l’uni- versité catholique de l’Ouest, il élargit cet objectif et veut recenser le nom des victimes vendéennes et celui des bourreaux républicains, ai n d’ins- truire le procès historique de la Révolution. Reste que l’honnêteté intellectuelle du chanoine Uzureau est difi cile- ment contestable. Il cite avec soin les sources et indique, fait notable pour l’époque, les cotes et les références. Présentant une bonne synthèse de la série L des Archives départementales de Maine-et-Loire, il est régulièrement cité par les historiens qui travaillent sur la Contre-Révolution. En 1927, Émile Gabory, défenseur lui aussi de la cause vendéenne, reprend le titre d’Uzureau : « Ce que l’on ne vit pas à Nantes se vit à Angers, une tannerie de peau humaine 17. » L’historien se contente d’écrire qu’il « existe des témoignages écrits et certains » et, en note, de citer Andegaviana . En fait, à partir de ce moment, les historiens, favorables à la Contre-Révolution, utilisent l’affaire des Ponts-de-Cé pour dénoncer la Révolution, mais ne prennent pas le soin de consulter les documents à la source. L’affaire est alors entendue. En 1994, en pleine polémique entre la commémoration du bicentenaire de la Vendée et le génocide franco-fran- çais 18, Reynald Sécher écrit : « Les pires atrocités sont commises : à Angers ou dans d’autres lieux, on tanne la peau des Vendéens ai n d’en faire des culottes de cheval destinées aux ofi ciers supérieurs 19. » Il accuse les his- toriens qui remettent en cause ce type d’atrocités en Vendée d’être des « révisionnistes » favorisant « les falsii cations 20 » en toute connaissance de cause. Et il conclut son article par cet effet de manche : « Et malheur à celui qui essaie tant bien que mal de rappeler la réalité des événements 21 », sans vraiment appuyer cette « réalité » sur les sources. En 1995, autre exemple, une historienne connue des amateurs de l’histoire vendéenne et chouanne, Anne Bernet propose une biographie de Charette. Elle dépasse le cadre de la biographie et évoque les atrocités commises par les républicains en Vendée. Cela va des mariages républicains à Nantes à la tannerie de peaux humaines à Angers : « À Angers, on récupère les cadavres des fusillés pour les tanner… Les peaux de jeunes i lles font de superbes pantalons 22… » 17. GABORY , Émile, L a Révolution et la Vendée d’après des documents inédits , vol. II , La Vendée militante et souffrante, Perrin, 1926, rééd. 1927, p. 265. 18. S elon le titre d’un ouvrage de Ronald S ÉCHER , Le Génocide franco-français, La Vendée- Vengé , Paris, PUF, 1986, 338 p. 19. SÉ CHER , Ronald, « La Vendée : génocide et mémoricide », B ulletin de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de Loire-Atlantique , 1994-1995, tome 130, p 173-179. 20. Ibid em, p 179. 21. Ibid . 22. B ERNET , Anne, M onsieur de Charrette (1763-1796) et l’insurrection vendéenne , Lyon, LUGD, coll. Hommes et régions, 1995, p. 55. 167 Anne ROLLAND-BOULESTREAU Pour en rajouter à l’horreur, Anne Bernet dépasse les sources citées par Uzureau. 1890 – Un témoin convoqué au tribunal de l’Histoire C’est méconnaître une autre source complétant la première : celle du témoignage de la comtesse de La Bouëre, première à relater les faits relatifs à la tannerie de peaux humaines. Noble de Jallais, épouse d’un chef ven- déen, elle est restée tout au long de la guerre civile dans les Mauges, cachée dans les métairies avoisinantes. Après le conl it, elle commença la rédaction de ses mémoires en espérant les publier. Elle mourut en 1867, avant de voir ce souhait réalisé. Ce fut sa belle-i lle qui prit soin de les éditer en 1890. La comtesse de La Bouëre y raconte que, lors d’un voyage qu’elle i t en 1829 du côté de La Flèche, elle chercha à se renseigner sur les événements liés à la Virée de galerne. Elle rencontra un vieil homme, ancien soldat répu- blicain, qui « se vanta d’avoir écorché des brigands pour en faire tanner la peau à Nantes 23 », d’avoir porté l’un des pantalons qu’il avait fabriqués, d’en avoir vendu douze autres. Ultime transgression, il rapporta que l’un de ses acheteurs de pantalon l’a porté le jour de Pâques dernier, sans être allé à la messe pour autant : « Est-ce que nous allons à l’église, nous ? Nous n’entendons jamais la messe 24. » La comtesse de La Bouëre resta assez circonspecte sur ce témoignage : le soldat avait servi sous tous les chefs républicains des colonnes infer- nales. Il semblait être partout : à Nantes où il aidait Carrier à noyer les pri- sonniers, à Clisson où il précipitait les vendéens dans un puits, où il faisait fondre 150 femmes pour avoir leur graisse et aux Ponts-de-Cé où il aida à écorcher des cadavres 25. Elle en conclut : « Il y a à croire que ce fanfaron de crimes les exagère. » Elle dit plus loin : « Cet homme avait-il bien sa raison, ou ne l’avait-il pas 26 ? » Le témoignage placé en i n des mémoires de la comtesse n’en reste pas moins intéressant : d’abord parce qu’elle le rapporte en ne cessant de dire à quel point elle était attentive à bien tout retenir. Elle précise même l’en- droit où elle a rencontré ce soldat « dans la rue (de La Flèche) qui mène au cimetière de cette ville ; il était dans un petit enfoncement que forment les maisons à gauche 27 ». Le témoignage est tellement incroyable que la com- tesse plante le décor pour en accréditer la réalité. Ensuite, sa démarche est exceptionnelle. La comtesse n’a pas suivi l’armée vendéenne dans sa Virée de galerne, mais elle veut se renseigner sur les événements qui ont eu lieu autour de La Flèche, Le Mans, Angers. Elle accumule alors les témoignages 23. L A BOUÈRE, Antoinette Charlotte Le Duc, comtesse de, L a guerre de la Vendée, 1793- 1796 : mémoires inédits , Paris, Plon, 1890, p. 310. 24. Ibidem, p. 311. 25. Ibid ., p. 312. 26. Ibid ., p. 314. 27. Ibid ., p. 315. 168 Tanner la peau humaine en Vendée militaire (1793-1794) sur cette période vendéenne. Cette rencontre, due au hasard, l’emmène sur toutes les atrocités des troupes républicaines commises en Vendée en 1793 et 1794 : la Virée de galerne se fond alors dans les colonnes infernales et les actions de Carrier. Eni n, le travail d’analyse critique fait par la comtesse de La Bouëre est à souligner : elle rapporte les faits ; elle prend aussi le soin d’en souligner les limites. C’est une façon aussi de ne pas apparaître comme une affabulatrice : si mensonge il y a dans ce texte, il est dû au soldat répu- blicain, pas à celle qui retranscrit ses paroles. Les mémoires de la comtesse de La Bouëre n’ont jamais eu le même écho que ceux de la marquise de La Rochejaquelein, pour des raisons faci- lement compréhensibles. Les érudits et les historiens ont largement cité la seconde, lui donnant du crédit à cause de sa position de femme de chef vendéen de premier plan, sa familiarité avec le commandement, la densité de son témoignage, à la fois intime et politique. Ils ont moins repris les mémoires de la comtesse de La Bouëre, puisant essentiellement dans les chapitres concernant la vie quotidienne d’une vendéenne durant la guerre de Vendée (les six premiers chapitres, de l’insurrection à la pacii cation). Il est vrai que son ouvrage se termine par une liste des victimes de son entou- rage, dans laquelle est placé ce témoignage du soldat républicain. Ce pas- sage précis est oublié dans les ouvrages historiques, y compris lorsqu’ils évoquent les peaux tannées de l’article d’Uzureau. Est-ce à dire qu’ils pré- fèrent la source première au témoignage indirect ? Précisément, la manière dont la comtesse de La Bouëre le recueille nous en apprend beaucoup sur les conséquences de la guerre de Vendée. Des dizaines d’années après, l’ancien soldat républicain raconte des horreurs à la comtesse vendéenne et ne peut les oublier, comme le révèle son logeur à la comtesse 28. Il effraie les voisins par ces récits d’une violence inouïe. Célibataire (« à cause de tout cela, est-ce que j’aurais trouvé une femme 29 ? »), ne vivant que de ses butins de guerre, il n’a jamais pu tourner la page de la Vendée. Cette forme de trauma qui ne dit pas son nom n’a pas été étudiée par les historiens de la Vendée. En revanche, cette rencontre illustre ce que Jean-Clément Martin, dans ses recherches 30, a parfaitement mis en valeur : ce témoignage atteste du poison de la Vendée, longtemps après la guerre, parce qu’il n’y a eu ni reconnaissance des victimes, ni jugement des bourreaux. Virée de galerne et fusillades aux Ponts-de-Cé : un retour aux sources Entre le témoignage de 1829 de la comtesse de La Bouëre et la source de 1794 citée par le chanoine Uzureau en 1903, il nous faut repartir du fonds d’archives en lui-même, en le replaçant dans le contexte de l’époque et en 28. L A BOUËRE, comtesse de, Souvenirs…, op. cit., p. 311. 29. Ibidem, p. 311. 30. Cf. par exemple : MARTIN , Jean-Clément, « Histoire, Mémoire et oubli », op. cit . Il parle « d’occultation qui empoisonne l’Histoire de la Vendée ». 169 Anne ROLLAND-BOULESTREAU enquêtant sur les témoins premiers, ceux qui ont vu le chirurgien-soldat prélever des peaux sur les cadavres des vendéens. Les notables de 1794 dénoncent À partir de l’été 1794, le contexte change radicalement en France et en Vendée militaire. La condamnation de Robespierre, guillotiné le 28 juillet 1794, est le prétexte pour les Conventionnels de changer la donne poli- tique et militaire en Vendée militaire. Pour ne prendre qu’un exemple, Turreau, général en chef des colonnes républicaines en Vendée, est rem- placé par Vimeux. Certains généraux des colonnes ne sont pas reconduits dans leurs fonctions. Le mot d’ordre est la pacii cation, proposée à la population vendéenne, à défaut des chefs. La Convention est désireuse d’instruire des procès contre ceux qui auraient dénaturé par leurs excès l’esprit de la Révolution. Elle charge alors des commissaires de faire des enquêtes sur les exactions et les crimes de l’armée ou des administrateurs en place. Des sociétés populaires reçoivent cette mission, de nouvelles commissions sont établies en vue de cette vaste enquête ; ainsi en est-il à Luçon, à Challans, etc. En brumaire an II (octobre-novembre 1794), à Angers, une commis- sion exceptionnelle est réunie pour juger les membres des précédentes instances judiciaires : la commission militaire et le comité révolutionnaire d’Angers, qui étaient chargés de statuer, en 1793 et pendant une bonne par- tie de 1794, sur le sort des vendéens prisonniers à Angers ou dans les envi- rons. Cette commission exceptionnelle entend des centaines d’habitants du district, rapportant volontairement des faits dont ils ont été victimes ou témoins. Des dizaines d’habitants des Ponts-de-Cé incriminent alors le pouvoir abusif des agents en place durant l’époque la plus sanglante de la guerre de Vendée, à savoir les conséquences de la Virée de galerne (octobre-décembre 1793) et des colonnes dites républicaines, vite nom- mées colonnes infernales (janvier-avril 1794). Et dans l’affaire qui nous inté- resse, le 16, le 19 et le 20 brumaire an II (soit les 6-9 et 10 novembre 1794), quatre témoins se présentent : Chesneau, Rontard, Poitevin et Humeau, des notables des Ponts-de-Cé comme nous le verrons plus loin, évoquent le fait qu’un chirurgien de l’armée républicaine a écorché des corps de vendéens, noyés dans la Loire. Les deux derniers vont plus loin dans leur dénonciation : ils afi rment que ces peaux ont été tannées chez un tanneur des Ponts-de-Cé, Langlais 31. Les témoins évoquent les fusillades des Ponts-de-Cé, rappellent les lieux précis d’exécutions « entre les ponts libres et Saint-Jean », nomment les exécuteurs, « Goupil était le conducteur des prisonniers », le chef militaire qui commandait les troupes, le général Moulin, et décrivent les conditions d’exécution, noyade, fusillade, les humiliations que subissent les condam- nés : ils sont mis à nu parfois, une « grande quantité de prisonniers atta- 31. Arch. dép. du Maine-et-Loire, 1 L 1227/3. 170 Tanner la peau humaine en Vendée militaire (1793-1794) chés deux a deux des deux sexes » Humeau dit que c’était un spectacle déchirant. Rontard rappelle que lui et la municipalité ont « vu bien de la douleur ». C’est avant tout ces fusillades que ces témoins dénoncent. Dans les descriptions macabres, viennent s’ajouter l’écorchement et le tannage des peaux de vendéens. Rontard « a vu le nommé Pequel chirurgien en écorcher sur le bord de la Loire » ; Chesneau, lui aussi, rapporte : « Qu’un jour, étant à faire des charges de farine pour la manutention, le déclarant fut pour faire mettre les cadavres hors de la vüe, il a trouvé Pequel chirurgien au 4e bat[aill]on des ardennes, qui avait dépouillé un nombre de cadavres, dont il avait les peaux dans une poche. » Ce Pequel aurait menacé plusieurs tanneurs dont Alexis Le Monier, chamoiseur 32. Ils auraient tous refusé, sauf Langlais qui aurait cédé sous la menace. Ce sont donc des témoignages précis, circonstanciés, que recueille la commission de 1794. Pour autant sont-ils crédibles ? Le premier point porte sur le 4 e bataillon des Ardennes, envoyé en Vendée militaire. À lire les carnets de route d’un Conventionnel, Dornier, ce bataillon y était bien présent. Dornier, nommé représentant en mission d’août 1794 à juin 1795 33, et, à ce titre, constam- ment sur le terrain, sillonne une partie de la Vendée et, dans ses déplace- ments, il rencontre différents bataillons, dont celui des Ardennes. L’état- major de l’armée de l’Ouest mentionne aussi ce bataillon dans la Vendée 34. Mais les archives ne sont pas précises au point d’énumérer tous les soldats des régiments et des bataillons, fussent-ils ofi ciers ou chirurgiens. Pequel est d’ailleurs tantôt qualii é d’ofi cier de santé, de chirurgien-major, de chirurgien ou de fusilier 35. Un seul registre, datant de juillet 1796, recense tous les noms des hommes du bataillon des Ardennes. Au-delà des noms hauts en couleur et habituels dans le milieu militaire 36, comme Petitequeue, Perpette, d’Anjou, Paquet, la piste pour retrouver le soldat chirurgien Pequel tourne court 37. C’est un autre registre relatant l’histoire du bataillon des Ardennes de sa création à sa fusion avec la 64 e demi-brigade qui donne un état nominatif des ofi ciers et membres de l’état-major 38. Parmi eux, 32. C ’est-à-dire un spécialiste du tannage des cuirs souples et i ns. 33. D ORNIER , Claude-Pierre, Une Mission en Vendée militaire, Carnets de route d’un Conventionnel (août 1794-juin 1795), présentés et annotés par X. du BOISROUVRAY , Paris, Tallandier, coll. « In-texte », 1994, p. 104-105. 34. Service Historique de la Défense, B 5/10 ; 305-306, Fontenay, 9 septembre 1794 : le chef d’état-major de l’armée de l’Ouest à la Commission exécutive de la guerre. 35. Même le terme de « chirurgien » rel ète une grande variété, entre les chirurgiens ayant étudié en faculté de médecine et les chirurgiens dits de « petite » ou « légère expérience » dont la formation reste réduite et lacunaire. Cf ., pour aller à l’essentiel, GOUBERT , Jean-Pierre et al. , Atlas de la Révolution française, Médecine et santé , tome 7, Paris, Éditions de l’EHESS, 1993, p. 20. 36. C f . , pour illustration, C ORVISIER , André, L ’Armée française de la fi n du XVII e siècle au ministère Choiseul , Paris, PUF, 1964. 37. S ervice Historique de la Défense, 16 Yc 42, Contrôle du 4 e bataillon des gardes natio- nales volontaires du département des Ardennes, La Roche Sauveur, 1e r thermidor an IV. 38. Service historique de la Défense, 16 yc 42. Merci à Arnaud Blondet qui m’a fourni cette cote. Cf. B LONDET , Arnaud, Les grenadiers de la Gendarmerie de 1789 à 179 5, mémoire de Master II, Paris I Panthéon-Sorbonne (sous la direction de Bernard Gainot) . 171

Description:
En 1903, un chanoine angevin publie2 un article intitulé « Une tannerie de peau humaine à Angers sous la Révolution ». Il y cite une source des. Archives départementales de Maine-et-Loire, selon laquelle quatre habi- tants d'une petite ville proche d'Angers, Les Ponts-de-Cé, dénoncent un.
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