001 edito 7/07/08 11:02 Page 1 É d i t o r i a l François Valérian L’évolution des mines françaises d’Outremer, depuis l’après-guerre jusqu’à la fin des années 70, peut sembler paradoxale à plus d’un titre. Il s’agit en grande partie d’une aventure africaine, et cela seul permet de dégager une première contradiction. L’industrie minière française était en expansion quand l’autorité politique de la France était en repli, du fait du processus de décolonisation. La situation du nickel calédonien n’était pas exactement la même, mais des enjeux proches de la décolonisation ont influencé le développement de la Société Le Nickel. En fait, l’enjeu principal pour la France était de conserver une position économique importante, un accès aux ressources et aux profits de la mine, en se cherchant d’autres appuis que le simple fait colonial. La volonté politique et le talent des ingénieurs, leur passion même, dont le présent dossier témoigne, ont permis à la France d’obtenir dans ce domaine des résultats non négligeables. Nous avons choisi de nous borner à cette période d’expansion, dite des «Trente Glorieuses », dénomination qui a du sens pour l’industrie minière car à la fin des années 70, de nouveaux enjeux de mondialisation apparaissent, et il n’est pas sûr que la France y ait fait face comme à la décolonisation. Tel est sans doute le second paradoxe de cette aventure. La France disposait dans les années 70 d’entreprises audacieuses et d’ingénieurs de grand talent. Aujourd’hui, en-dehors de l’uranium et du nickel, on ne peut dire que la France possède des entreprises de tout pre- mier plan. Qu’ont de français les géants miniers mondiaux, BHP Billiton, Rio Tinto ? Or, ces entreprises immenses, qu’ont-elles de particulier ? Elles résultent de la rencontre entre des gisements considérables, australiens, sud-africains, américains, et des places financières très puissantes, Londres, New-York. La volonté politique et les connaissances scientifiques et techniques ne font malheureusement pas tout, surtout quand on veut développer des groupes dans un domaine aussi capitalistique que la mine. Si Paris avait été dans les années 70 ou au début des années 80 une grande place financière, la belle histoire des mines fran- çaises se serait peut-être poursuivie différemment. RÉALITÉS INDUSTRIELLES• AOÛT 2008 1 002-(004) som 7/07/08 11:04 Page 2 AOÛT 2008 - 23,00 € R É A L I T É S ISSN 1148-7941 I NDU S T R I E L L E S UNE SÉRIE DES ANNALES DES MINES FONDÉES EN 1794 Rédaction S o m m a i r e 120, rue de Bercy - Télédoc 797 75572 Paris Cedex 12 Tél. : 01 53 18 52 68 Fax : 01 53 18 52 72 http://www.annales.org François Valérian, rédacteur en chef Martine Huet, assistante de la rédaction LA FRANCE ET LES MINES D'OUTREMER Marcel Charbonnier, lecteur DANS LES TRENTE GLORIEUSES Comité de rédaction de la série Réalités industrielles: Michel Matheu, président, Pierre Amouyel, Grégoire Postel-Vinay, Claude Trink, 1 Éditorial François Valérian François Valérian Maquette conçue par Tribord Amure Iconographe 5 Avant-propos : Les opérations minières lancées pendant les Trente Glorieuses Christine de Coninck - CLAM ! Paul-Henri Bourrelier et Jean Lespine Fabrication :AGPA Editions 4, rue Camélinat 42000 Saint-Étienne 7 Les opérations minières outre-mer. Tél. : 04 77 43 26 70 Fax : 04 77 41 85 04 Le BRGM, acteur central de la politique publique e-mail : [email protected] Paul-Henri Bourrelier et Jean Lespine Abonnements et ventes - ANNEXE 1 : La Société des Mines de Fer de Mauritanie (MIFERMA) Editions ESKA Marc Gallet 12, rue du Quatre-Septembre -ANNEXE 2 : La COMILOG, une «success story» 75002 Paris Philippe Gros Tél. : 01 42 86 55 73 Fax : 01 42 60 45 35 - ANNEXE 3 : Les phosphates de TAIBA (Sénégal) Louis Lasserre - ANNEXE 4 : Les phosphates du Togo Jacques Houyvet Directeur de la publication : Serge Kebabtchieff Editions ESKA SA au capital de 40 000 € 21 La Société Le Nickel Immatriculée au RC Paris Philippe Gros 325 600 751 000 26 Un bulletin d’abonnement est encarté dans ce numéro entre les pages 112 et 115. 27 La Société Minière et Métallurgique de Peñarroya Gilbert Troly Vente au numéro par correspondance et disponible dans les librairies suivantes : Presses Universitaires de France - PARIS ; Guillaume - ROUEN ; Petit - LIMOGES ; 35 Les mines d’uranium et leurs mineurs français : une belle aventure Marque-page - LE CREUSOT ; Jacques Blanc Privat, Rive-gauche - PERPIGNAN ; Transparence Ginestet - ALBI ; Forum - RENNES ; Mollat, Italique - BORDEAUX. 44 La France, inspiratrice de tentatives pour stabiliser les marchés mondiaux Robert Diethrich Publicité J.-C. Michalon directeur de la publicité Espace Conseil et Communication 44-46, boulevard G. Clemenceau Hors dossier 78200 Mantes-la-Jolie Tél.: 01 30 33 93 57 Fax: 01 30 33 93 58 Table des annonceurs 48 Gaston Moch, polytechnicien combattant de la paix Annales des Mines : 2e- 3e- 4ede couverture, page 4, 68, Paul-Henri Bourrelier 129 et 130. Illustration de couverture: Mine de nickel à ciel ouvert, Nouvelle Calédonie. Ph. © Remi Benali/CORBIS 002-(004) som 7/07/08 11:04 Page 3 62 Le partage des savoirs scientifiques. Enjeux et risques. Compte-rendu du Rendez-vous du Club des Annales des Mines François Boisivon Énergie : faits et chiffres en 2007 69 Le bilan énergétique de la France pour 2007 Richard Lavergne 90 Facture énergétique de la France en 2007 Bernard Nanot 99 L’électricité en 2007 Sylvie Scherrer 103 Le gaz naturel en France : les principaux résultats en 2007 Véronique Paquel 107 Les combustibles minéraux solides Sami Louati 115 Les hydrocarbures Bernard Nanot 121 Les énergies renouvelables en France : les principaux résultats en 2007 Hélène Thiénard 125 Résumés étrangers Le dossier a été coordonné par Paul-Henri Bourrelier 002-(004) som 7/07/08 11:04 Page 4 005-006 avtp Bourrelier 7/07/08 11:05 Page 5 Les opérations minières S O lancées pendant les Trente P O R Glorieuses P - T N A par Paul-Henri BOURRELIER* et Jean LESPINE** V A Pendant trois décennies, de 1950 à 1980 – les nalisations et d’espoirs d’un ordre nouveau dans le «Trente Glorieuses» –, les industries des pays de domaine des ressources naturelles. l’Europe occidentale se sont relevées des dévasta- Dans ce grand élan, les gouvernements et les opérateurs tions de la Seconde guerre mondiale et se sont dévelop- économiques français se sont attachés à la modernisa- pées et modernisées à un rythme qu’elles n’avaient plus tion des infrastructures et des entreprises métropoli- connu depuis un siècle. Le besoin de matières premières, taines, tout en se tournant résolument, lorsque les res- comme d’énergie, était vital. La demande qui en résul- sources naturelles françaises étaient manifestement tait peut se comparer à celle qui découle, aujourd’hui, de insuffisantes en qualité ou en quantité (2), vers la croissance des pays émergents – les principales diffé- l’Outremer et l’international. Ils renouaient, ce faisant, rences résidant dans l’ouverture (désormais complète) de avec une dynamique antérieure à la Première guerre l’économie mondiale, les innovations technologiques et mondiale. A ce titre, d’importants efforts ont été enga- les contraintes environnementales. Les craintes (de res- gés durant cette période en vue de la mise en valeur des trictions sur les flux d’approvisionnement, de perte de ressources des pays d’ancienne obédience française et compétitivité ou d’inflation) suscitées par les variations ce, dans un double but : assurer l’approvisionnement (spéculatives, ou manipulées) des prix ont sans cesse été national, et donner des atouts à ces jeunes économies, présentes à l’esprit des responsables ; elles ont motivé afin d’en assurer la croissance. leur soutien aux actions qui leur étaient proposées. Elles L’effort français a porté sur toutes les dimensions du font encore sens, aujourd’hui (1). développement lié à ces opérations: non seulement sur Ces Trente Glorieuses, vécues sous la menace de la guer- l’investissement scientifique, technologique et matériel re froide, ont connu la décolonisation, le déploiement (3), mais aussi, dans une grande cohérence, sur le droit des institutions multilatérales (autour de l’ONU, de la minier (4), les régulations commerciales, la formation Banque Mondiale et du FMI), la constitution de la et l’accompagnement social. Communauté Européenne, l’amorce de la mondialisa- Il est impossible de fournir en quelques articles un tion et le premier choc pétrolier, accompagné de natio- tableau complet de ce foisonnement d’initiatives dans le protections douanières, l’extraction de minerais de fer (et de potasse) dont * Ingénieur général des mines honoraire, Vice-président délégué de l’asso- notre territoire était pourvu, mais dont la qualité était inférieure à ceux des ciation française pour la prévention des catastrophes naturelles gisements compétitifs dans le monde, s’est, comme pour le charbon, pro- Membre du Comité de la prévention et de la précaution (MEDD) gressivement effacée, à partir des années 60, et on n’a heureusement pas Ancien Directeur général du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques différé l’implantation en bord de mer des grandes unités de traitement de et Minières). minerais exotiques: processus de délocalisation certes douloureux, mais plus facile à accepter que ceux que l’on a connus depuis. ** Coframines. (3) La technologie a progressé considérablement dans toutes les grandes (1) Le rapport de la commission Attali évoque cette préoccupation et lui filières de production, mais elle a aussi modifié les produits livrés. Une des consacre une proposition. préoccupations françaises a été d’assurer aux transformateurs français la dispo- nibilité de métaux rares, ou technologiques, tels que le titane, le zirconium, (2) C’était évidemment le cas pour la plupart des substances minérales. les platinoïdes (essentiels à l’industrie chimique, en tant que catalyseurs)… L’exemple des bauxites, minerai d’aluminium dont le nom a pour origine le village des Baux-de-Provence, est typique de ressources limitées tant par (4) Des membres éminents du corps des mines, comme Pierre Legoux et la forme des gisements que par les impératifs de protection du patrimoine. André Marelle, ont également promu la conception française du droit Dès le début de l’extraction de l’uranium, on savait que les ressources minier, effectuant de véritables opérations d’ingénierie administrative et métropolitaines ne correspondraient pas à une politique nucléaire ambi- juridique. Sur cet aspect, on se reportera utilement à d’autres numéros des tieuse. L’espoir de maintenir en France, grâce à la modernisation et aux Annales des Mines. RÉALITÉS INDUSTRIELLES• AOÛT 2008 5 005-006 avtp Bourrelier 7/07/08 11:05 Page 6 S domaine de l’approvisionnement minéral et des mines, l’acceptation du risque et de la vigilance à l’égard des O quand bien même on exclurait les ressources en com- discriminations de prix, dont notre pays a su faire preu- P O bustibles fossiles et les mines situées sur le territoire ve alors. Pour bien des acteurs, ce fut une véritable épo- R national. Nous avons choisi de décrire trois essaims pée, dont la mémoire mérite d’être préservée. P - d’opérateurs : le BRGM, instrument de l’Etat dans le Les auteurs, qui apportent leur témoignage encore vif T N domaine de la l’infrastructure géologique et appui d’émotion, remercient ceux qui ont bien voulu s’y asso- A V d’opérations promues par divers investisseurs, le grou- cier, notamment Claude Beaumont et Jacques Giri, A pe Rothschild, le CEA et les mineurs d’uranium (5). ainsi que Bernard de Villemejane, Yves Rambaud, De ce fait, nous ne décrirons pas autant qu’elles le méri- Jacques Napoly et Louis Lacaille. teraient certaines opérations, comme, par exemple, celles de Péchiney (la bauxite de Guinée) ou d’Ugine (la chromite de Madagascar). ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE Ces trois récits, qui se réfèrent constamment aux varia- tions des marchés, sont complétés par un exposé sur la contribution française aux essais de stabilisation des Jean Audibert : Miferma : une aventure humaine et cours, dont les variations brusques entraînaient – et industrielle en Mauritanie, L’Harmattan, 1991. entraînent toujours –, sous l’effet combiné des déséqui- Guy de Rotshchild : Contre bonne fortune…, Belfond libres entre offre et demande et de la spéculation, de 1983 (en particulier, les chapitres consacrés à «l’aven- graves perturbations pour les pays producteurs les plus ture minière»). faibles, et pour les consommateurs. Eric Fottorino: Le Festin de la terre, L’Histoire secrète des La dimension humaine est fondamentale. Ces années, matières premières, Lieu Commun, 1988. glorieuses pour le développement de nos activités (G-H.) Soutou et (A.) Beltran (sous la direction de) : minières, ont bien évidemment bénéficié des remar- Pierre Guillaumat, La passion des grands projets indus- quables formations françaises d’ingénieurs, en géologie triels, Ed. Rive Droite, 1995. comme en exploitation minière et en métallurgie, qui (P.-H.) Bourrelier et (R.) Diethrich: Le mobile et la pla- ont beaucoup essaimé. Cependant, au fil des décennies, nète, l’enjeu des ressources naturelles, Economica 1989. avec les crises des marchés et l’appel à d’autres orienta- (Explications sur les mécanismes de marché des tions en ce qui concerne les métiers de l’ingénieur, ces matières premières, notamment aux chapitres VII et formations se sont étiolées, jusqu’à finir par nourrir IX). l’inquiétude des milieux professionnels quant à la pérennité de leursactivités minières et métallurgiques. L’économie mondiale s’est transformée, depuis vingt- cinq ans, mais les leçons à tirer de l’Histoire restent per- (5) L’uranium, bien que ressource énergétique, relève de la catégorie des tinentes, ne serait-ce qu’en démontrant les vertus de mines métalliques. L’article concernant son exploitation intègre les mines l’opiniâtreté calculée et de l’enthousiasme créatif, de françaises et les stockages. 6 RÉALITÉS INDUSTRIELLES• AOÛT 2008 007-020 Bourrelier 7/07/08 11:06 Page 7 Les opérations minières T R E E M outre-mer E C E R N T Le BRGM, acteur central A U R O F de la politique publique ’ A D L S E N Poursuivre les opérations minières françaises outre-mer dans un I M contexte qui est vite devenu post-colonial, telle fut la mission du BRGM, outil majeur de la politique minière française jusque dans S E les années 1980. L par Paul-Henri BOURRELIER* et Jean LESPINE** Al’issue de la Deuxième guerre mondiale, tandis (BUMIFOM) (société d’Etat) et le Bureau de Recherches que les entreprises privées de la métropole Minières de l’Algérie (BRMA) (établissement public à consacraient leurs forces à reprendre pied, le caractère industriel et commercial) ; puis, en 1949, le Gouvernement décidait, parallèlement aux nationalisa- Bureau Minier Guyanais (un EPIC, comme le précé- tions dans le secteur de l’énergie, de constituer des dent). Le secteur de compétence du BUMIFOM était structures publiques d’appui à la mise en valeur des res- l’Afrique au sud du Sahara, Madagascar, la Nouvelle- sources minières des territoires sous obédience françai- Calédonie. Ces institutions avaient leur siège à Paris. se. Les techniques d’exploitation à ciel ouvert et les Quelques années plus tard, cette organisation a été besoins d’approvisionnement en minerais avaient, en étendue à la métropole par la transformation du Bureau effet, considérablement évolué durant les hostilités et il de Recherches Géologiques et Géophysiques (créé en fallait reconstituer des capacités minières françaises 1941)en un EPIC, le Bureau de Recherches Géologiques capables de tenir leur place, face aux entreprises étran- Géophysiques et Minières (BRGGM), ce qui ajouta, à la gères, beaucoup plus puissantes. vocation initiale de l’établissement, touchant à l’infra- L’effort a porté sur deux niveaux: structure géologique, une vocation industrielle et com- • celui des Directions des mines et de la géologie, qui exis- merciale faisant de lui un quatrième bureau minier. taient déjà avant la guerre, mais dont les moyens ont été considérablement accrus. Ces services, implantés à Dakar, à Brazzaville, à Tananarive et à Hanoï, étaient chargés de la carte géologique et de la prospection générale; LES GRANDES OPÉRATIONS MINIÈRES • celui des Bureaux miniers devant intervenir en aval, AFRICAINES sur le modèle du Bureau marocain créé en 1928, en col- lectant les indices, en réalisant des reconnaissances de Dans le courant des années cinquante, plusieurs grands gisements (dont certains avaient été repérés depuis projets à la mesure des ambitions retrouvées ont émer- longtemps), puis en participant, éventuellement, en coopération avec d’autres sociétés ou organismes finan- ciers et industriels, à leur mise en exploitation. * Ingénieur général des mines honoraire,Ancien Directeur général du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières). C’est ainsi qu’ont été créés trois Bureaux miniers : en 1948, le Bureau Minier de la France d’Outre-mer ** Coframines. RÉALITÉS INDUSTRIELLES• AOÛT 2008 7 007-020 Bourrelier 7/07/08 11:06 Page 8 R gé, et les tractations pour constituer des opérateurs, versant un aquifère, par congélation (en milieu tropi- E garantir des débouchés, rassembler des financements, cal!) (pour CPC). M E concevoir l’exploitation… se sont engagées, en concer- [Pour une présentation synthétique des entreprises R T tation avec les pouvoirs publics. Dans l’ensemble, par Miferma, Comilog, Taiba et CTMB, voir les U comparaison aux années noires, ces tentatives consti- annexes]. O tuaient un pari et une résurrection. La France, décidée ’ D à la croissance, solidaire avec l’Afrique et avec d’autres S E zones géographiques sous son influence, relevait le défi N du continent américain, de l’Australie et de l’Afrique LA DÉCOLONISATION I M du Sud. Les gisements les plus importants étaient ceux S de minerais de fer (en Mauritanie, en Guinée et au La décolonisation, survenue au cours de la préparation E L Gabon), de bauxite (en Guinée), de cuivre (en de ces opérations, n’a pas affaibli la volonté des diri- T Mauritanie), de phosphate (au Sénégal et au Togo), de geants français, qui désiraient léguer aux pays nouvelle- E manganèse (au Gabon), de potasse (au Congo). ment indépendants des réalisations industrielles qui E C Des acteurs français privés (comme la banque contribueraient à leur viabilité et consolideraient leurs N A Rothschild, Paribas, Mokta…) ou les Mines liens économiques avec l’ancienne métropole. R Domaniales des Potasses d’Alsace, société publique de Mais il fallut alors décider du devenir des directions des F statut privé, savaient se montrer entreprenants, mais, mines et de la géologie: celle de Tananarive a été remi- A L face aux ogres anglais et américains, ils avaient besoin se aux Malgaches ; celle de Hanoi a été reprise par les de l’arbitrage de l’État, qui jouait de son poids pour autorités du Viêt-Minh (les uns et les autres ont conser- fixer, si besoin était, des règles du jeu assurant l’équi- vé religieusement la documentation léguée par les libre, et qui permettait de recourir à des financements Français !). En AEF, les quatre nouveaux Etats étaient comme ceux de la Banque Mondiale. Roland Pré, pré- opposés au maintien de toute structure fédérale, sident du BUMIFOM, conservait le rôle de promoteur mais Yvon Bourges, chargé de veiller à l’évolution de du développement économique qu’il avait antérieure- cette zone, réussit à persuader leurs gouvernements de ment exercé, dans sa fonction de Gouverneur. créer un Institut Equatorial de Recherches Géologiques Chaque opération eut ses caractéristiques propres: et Minières, qui poursuivit son activité pendant • la Miferma (Mines de fer de Mauritanie) réunissait quelques années. Quant à l’AOF, la direction de Dakar quatre entreprises sidérurgiques européennes (anglaise, disparut rapidement; certains Etats créèrent ensuite de française, italienne et allemande) majoritaires, Cofimer petits bureaux miniers, qui restèrent dotés de faibles (Paribas) et des sociétés du groupe Rothschild, le ressources, pour la plupart. BUMIFOM faisant l’appoint (avec 27,15 %), et la Quant aux quatre bureaux miniers dont les sièges Banque Mondiale accordant un prêt de 66 millions de étaient en France, il est apparu judicieux de constituer dollars ; un organisme à large compétence permettant de • dans Comilog (Compagnie Minière du Haut regrouper les moyens techniques et de réduire les frais Ogooué, exploitant le manganèse du Gabon), la parité généraux. Ces quatre bureaux miniers ont donc fusion- entre le sidérurgiste américain US Steel et l’ensemble né, en 1959, formant le Bureau de Recherches des intérêts français (conduits par le BUMIFOM) avait Géologiques et Minières (BRGM). été obtenue à la suite d’une intervention énergique du C’est finalement cet établissement qui a repris le rôle ministre de l’Outre-mer ; des directions de Dakar et de Brazzaville, sur finance- • le leadership de Taïba relevait de Paribas (et, pendant ments du FAC pour le compte des États, tandis que le un court intermède de trois ans, de l’IMCC, dont le FAC finançait directement les recherches du BRGM, siège était en Floride) ; en aval. Ce double rôle du Bureau n’a d’ailleurs pas été • de son côté, la Compagnie Togolaise des Mines du sans créer quelques problèmes d’image ; mais il per- Bénin (CTMB), devenue par la suite l’Office Togolais mettait d’assurer le sauvetage des équipes et de l’expé- des Phosphates (OTP), a été mise sur pied par un cer- rience acquise. tain nombre de sociétés phosphatières d’Afrique du Cette vaste opération de regroupement, difficile sur le Nord (l’Office Chérifien des Phosphates excepté)(le plan humain et logistique, a pu être menée à bien grâce leadership relevait de Paribas) ; à la coopération des différentes autorités de tutelle de • la Compagnie des Potasses du Congo (CPC) était l’établissement, à la patience et la diplomatie des diffé- conduite par les Mines Domaniales des Potasses rents responsables, et au dévouement du personnel géo- d’Alsace (MDPA) ; logue. • Enfin, la Somima (cuivre d’Akjoujt) était dirigée par Si les activités minières occupaient dans la gestion du l’Anglo American. BRGM une place prépondérante, confirmée par la Plusieurs de ces opérations constituaient de véritables nomination à sa présidence (après le départ de Roland exploits techniques : voie ferrée au milieu des dunes Pré) de personnalités issues du monde minier et par (pour la Miferma), téléphérique le plus long du monde une cotutelle du Ministère de la Coopération, l’orga- raccordé au chemin de fer acrobatique Congo-Océan nisme a hérité du BRGGM une vocation scientifique (pour Comilog), creusement d’un puits de mine tra- qui s’est affirmée avec la décision de constituer le centre 8 RÉALITÉS INDUSTRIELLES• AOÛT 2008 007-020 Bourrelier 7/07/08 11:06 Page 9 scientifique et technique d’Orléans. Les moyens des pleine responsabilité de l’affaire en établissant des rela- E N laboratoires, les fortes compétences en matière de gîto- tions de confiance entre les techniciens, les commer- I logie et les pilotes de minéralurgie ont contribué à çants, les financiers et les nouveaux États. P S adosser la partie minière de l’établissement à des Le BRGM était à la tête d’un portefeuille important, E L moyens techniques de pointe. sans avoir été présent dans toutes les opérations : il n’avait N Le regroupement des moyens de l’État dans le domai- pas suivi, dans l’exploitation de phosphate au Togo, dans A E ne géologique et minier patiemment poursuivi par la l’extraction de chromite (montée par Ugine à J Direction des mines s’achevait, en 1968, avec leur rat- Madagascar) et celle de bauxite (ouverte en Guinée par T E tachement au BRGM, après de difficiles et délicates Péchiney), ni dans les exploitations d’uranium au Gabon R négociations avec les milieux géologiques universitaires (puis au Niger), où il avait découvert les premiers indices. E I L E R R U O B I R N E H - L U A P © Marta Nascimento/REA Le nickel calédonien a toujours été l’une des principales ressources métalliques de la France d’outre-mer (mine à ciel ouvert, province Nord). du Service de la Carte Géologique (resté depuis sa créa- Par ailleurs, les conditions dans lesquelles la Guinée s’est tion, en 1868, sous l’autorité de cette Direction). détachée ont durablement retardé le projet de minerai de fer de Nimba – Simandou. L’incertitude qui régnait sur l’avenir statutaire de la Nouvelle-Calédonie avait amené le Ministre à évincer provisoirement du Territoire le LES RÉSULTATS MINIERS ET LA POSITION BUMIFOM, qui, entre autres, avait été réceptionnaire DU BRGM DANS LES ANNÉES 1960 des titres miniers de Goro, hérités de la mise sous séquestre des biens japonais. Deux opérations ont brillamment réussi : Miferma (démarrée en 1963), et Comilog (démarrée en 1962); Taïba a connu de sérieuses difficultés mais elle les a sur- montées, grâce à la ténacité de Cofimer (groupe (1) Les quelques forages d’exploration effectués sur le gisement du Congo apparaissaient tellement favorables que l’investissement minier et Paribas) et à l’équipe qui l’a reprise en main ; les diffi- de transport a été engagé directement, sans phase exploratoire intermé- cultés géologiques et techniques ont eu raison de la diaire par travaux miniers. L’expérience géologique et minière des MDPA était circonscrite au bassin alsacien, seule leur filiale, la Société CPC (1) et de la Somima, et ont entraîné la perte de Commerciale des Potasses d’Alsace, ayant acquis une position interna- tous les capitaux investis. Dans l’ensemble, le succès a tionale dans la chimie des engrais et leur distribution. L’encadrement ne s’est pas impliqué dans les deux opérations minières lancées hors-métro- dépendu de la maîtrise de la complexité technique des pole, l’une au Congo, l’autre au Saskatchewan (Canada), qui ont aussi opérations et de la capacité de l’équipe à assumer la connu des déboires. RÉALITÉS INDUSTRIELLES• AOÛT 2008 9 007-020 Bourrelier 7/07/08 11:06 Page 10 R Au fil des ans, le BRGM a, par contre, été impliqué n’existe, dans le monde entier, aucune société de E dans d’autres grands projets, qui ont fait long feu: quelque importance qui puisse vivre de façon durable M E • A la suite de la promesse faite par le général de Gaulle, uniquement de la vente de gisements après en avoir R T lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie, de créer une démontré l’exploitabilité. Le profit minier ne peut – le U seconde entreprise métallurgique de nickel (2), le cas échéant – se réaliser que dans la durée: une décou- O BRGM y était rappelé en 1968; il lui était demandé de verte minière ne peut jamais être vendue à sa valeur ’ D former, avec Inco, leader mondial, une société de pro- réelle. Parce que, sans nouvelle dotation en capital, il S E jet qui se dénommerait Cofimpac, dont un ancien pré- n’avait pas les moyens financiers qui lui auraient permis N fet et le premier directeur général du BRGM, Henri de participer significativement à l’exploitation, parce I M Nicolas, prendraient la tête. Le BRGM apportait des que la doctrine voulait qu’il cédât le résultat de ses tra- S gisements qu’il n’avait pas eu la possibilité d’explorer, et vaux, au moment de la mise en exploitation, le BRGM E L détenait 60 % des actions ; INCO fournissait les était acculé à vendre (au moins en partie) à ses parte- T moyens, y compris un procédé de traitement qui restait naires, au moment, précisément, où ceux-ci devaient E à mettre au point. Cet attelage déséquilibré ne pourra mobiliser les importantes ressources financières néces- E C résister au retournement de la conjoncture. saires. Par ailleurs, demeurant, dans le meilleur des cas, N A • N’ont pas davantage abouti à l’exploitation les tra- minoritaire dans la société d’exploitation, sa capacité R vaux faits sur le gisement de fer de Mékambo au d’intervention restait limitée et il n’avait pas la possibi- F Gabon, ou sur les gisements de cuivre et de cobalt du lité de s’opposer éventuellement aux décisions qui lui A L Katanga (à Tenké-Fungurumé), que le président du paraissaient inappropriées. Zaïre avait enlevés à l’Union Minière pour les mettre à disposition d’un homme d’affaires américain. Tout en poursuivant l’exploration en Afrique grâce aux crédits (d’un volume déclinant) attribués par le ministè- LE CHOC PÉTROLIER ET LE NOUVEL ORDRE re de la Coopération, le BRGM a développé son activi- ÉCONOMIQUE DES ANNÉES 1970 téd’exploration minière en France et dans le monde, en particulier au Canada, en Australie et en Amérique lati- La France avait appuyé, avant même la décolonisation, ne. Les prospecteurs, emmenés par Jacques Bertraneu, les efforts visant à stabiliser les cours des matières pre- travaillaient en Europe avec les équipes dirigées par mières, dont les fluctuations perturbaient les écono- François Foglierini (pour Peñarroya) et Jacques mies, souvent fragiles, des pays exportateurs (4). La Bernazaud (pour SNEA) (3). L’équipe du BRGM, flambée du prix du nickel avait été un signal précurseur diversifiée de par ses origines et ses champs d’opération, d’une reprise des cours de la plupart des métaux de immergée dans ce monde minier entreprenant, adossée base, à partir de 1964. Le Club de Rome, à la fin de la à l’expertise de ses laboratoires, acquiert une compéten- décennie, l’avait interprétée comme un effet de l’épui- ce d’avant-garde en matière d’exploration. sement des ressources minières, un phénomène qu’il En métropole, plusieurs gisements – d’importance exagérait. Il n’est pas surprenant que le choc pétrolier moyenne au niveau mondial – découverts par le de 1973-1974 se soit répercuté au-dehors du secteur BRGM seront exploités, le Bureau restant partenaire énergétique, en générant des illusions sur les profits que dans COMIREN (étain de Saint-Renan, dans le les États producteurs pourraient retirer de nationalisa- Finistère) et laSociété Minière d’Anglade (exploitation tions et de l’organisation de cartels de producteurs, de tungstène de Salau, dans l’Ariège), et cédant ses comme celui du phosphate, qui se montra efficace. Le droits sur les gisements au moment de la mise en choc se traduisit, pour les opérateurs industriels fran- exploitation de la barytine et du plomb des Farges (en çais, par des pressions accrues de la part des pays déten- Corrèze), de la barytine de Chaillac, des terres rares de teurs des gisements et une compétitivité compromise Loire-Atlantique, du plomb-zinc de Saint-Salvy. Cependant l’activité minière du BRGM s’exerçait dans (2) Les gisements de nickel de Nouvelle-Calédonie constituaient la seule ressource française de classe mondiale. Les exportations de minerais vers le des conditions ambiguës et financièrement fragiles : la Japon (à la faveur de hautes protections élevées), par des mineurs indépen- République, au plus haut niveau, considérait qu’il était dants et (temporairement) par la société Le Nickel, s’étaient développées à le canal d’un soutien stratégique aux pays africains et à un point tel que le gouvernement avait dû les limiter, afin de réserver les minerais pour des traitements sur place (les fondeurs japonais n’ont jamais certains opérateurs privés, alors que le ministère des accepté de venir s’installer sur le territoire français). Ugine avait esquissé Finances avait tendance à considérer que les dotations un projet d’électrométallurgie dans le Nord de l’archipel. Inco, leader mondial, avait proposé de traiter par voie chimique les latérites du sud, en capital qu’il avait reçues devaient lui rapporter des dont cette société avait mis en évidence l’importance. C’est dans ce revenus suffisants pour lui permettre de poursuivre sa contexte mouvementé que la SLN a réalisé sa modernisation (voir l’article mission. Ce postulat financier ignorait la réalité écono- de Philippe Gros). mique de l’activité minière, qui va de l’exploration à (3) La Société des Pétroles d’Aquitaine (SNEA), sous l’impulsion de l’exploitation – et jusqu’à la réhabilitation des sites Gilbert Rutman, s’est beaucoup intéressée aux minerais métalliques. Son implication, puis celle de l’ERAP dans le sauvetage de la SLN, s’inscrit exploités : cette activité ne saurait être viable qu’à la dans la suite de cette logique. La CFP a porté son intérêt vers l’uranium condition qu’il y ait participation à l’exploitation, et (et le charbon). que cette participation permette de tirer le parti opti- (4) Voir l’article de Robert Diethrich, dans ce même numéro des Annales mal des coups de chance que réserve l’exploration. Il des Mines. 10 RÉALITÉS INDUSTRIELLES• AOÛT 2008
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