LES ROCHES ORNEMENTALES DE CORSE Nous tenons à remercier le Conseil général de la Corse-du-Sud ainsi que tous ceux qui nous ont encouragés et aidés dans nos recherches, et plus particu lièrement les directions des Archives départementales et nationales et le B.R. G.M., qui nous ont permis de consulter leurs fonds documentaires, les géologues, carriers et marbriers insulaires, qui nous ont fait partager leur expérience et offert leurs précieux témoignages. Les auteurs © Editions Le Temps Retrouvé 1991 - 1, rue Sainte Lucie - 20000 Ajaccio - FRANCE Tous droits de publication et de traduction réservés pour tous pays I.S.B.N. : 2-907161-03-2 Jean ARRIGHI Françoise GIORGETTI LES ROCHES ORNEMENTALES DE CORSE Ouvrage publié avec le concours de l'Assemblée de Corse et du Centre National des Lettres EDITIONS LE TEMPS RETROUVÉ Les roches ornementales de Corse Buste en relief de Sampiero Corso réalisé par Pierre Bosdure dimensions : 88 x 82 cm ; poids : 120 kg Cet ensemble est composé de 350 éléments de couleurs variées représentant tous les matériaux naturels de l'île. Sur fond de cipolin se détachent les teintes vert sombre des gabbros et de la diorite orbiculaire, les marbres blancs, rouges, jaunes ... 6 PREFACE Depuis le paléolithique, l'homme a pratiqué dans la nature une abondante collecte d'objets lithiques: galets, minéraux, pigments argileux, fossiles ... Il leur a attribué des vertus variées en raison de leur rareté, de leurs couleurs exceptionnelles, de leur forme, de leur contact tactile, de leur esthétique. .. Ainsi, la collecte et l'intérêt pour les roches ornementales remontent à la préhistoire et sont attestés par la découverte de nombreux objets lors des fouilles archéologiques. Depuis cette lointaine période la collecte d'objets naturels - généralement lithiques - s'est perpétuée à la campagne parmi les gens de la terre. Bergers ou agriculteurs l'ont pratiquée au gré du hasard des « découvertes »jusqu'à nos jours. L'attraction pour les roches ornementales remonte également àl'Antiquité où le choix des matériaux de construction des temples ou des riches demeures s'est porté sur certains sites exceptionnels. A l'aube de notre ère, la Corse occupe dans la Méditerranée occidentale une place privilégiée dans le commerce des <<beaux» matériaux. Elle la gardera - par périodes - jusqu'à nos jours en raison de la richesse de ses sites géologiques et de la qualité des produits finis qu'ils peuvent délivrer. La connaissance de_s sites des matériaux de construction choisis au Moyen Age en raison de leur débit, de leur texture, de la qualité du poli ou de la couleur. .. est restée généralement profondément gravée dans la mémoire collective et a été transmise à la faveur d'une puissante tradition orale de génération en génération grâce à une parfaite connaissance du terroir et aux dons d'observation particuliè rement aiguisés de nos anciens. Ainsi, dans de nombreux villages, on savait, il y a encore quelques années, d'où venaient les matériaux utilisés pour telle église ou telle chapelle dix siècles auparavant. Toutefois, le progrès et plus précisément le développement du machinisme agricole et en contrepartie la progressive désertification d'une partie du terroir français à la suite de multiples crises successives conduisent d'une façon implacable à une dépopulation de la campagne française et à la disparition progressive de cette mémoire collective. La« crise du phylloxera», l'hécatombe de la première guerre mondiale, la dislocation récente du tissu social rural, l'absence de régénération familiale ... jouent un rôle prépondérant dans cette évolution du monde rural. La Corse- comme beaucoup d'autres régions françaises ou européennes -n'échappe pas à cette règle générale. 7 Les roches ornementales de Corse Les deux auteurs ont parfaitement compris l'extrême urgence d'une sauvegarde de cette mémoire. Consigner dans un ouvrage les documents - souvent inédits-, les témoignages verbaux, les descriptifs des gisements aujourd'hui dégradés ou à tout jamais perdus dans le maquis si l'on n'y prend pas garde, constitue une initiative heureuse pour les générations futures. Dans le domaine des roches ornementales, cette initiative est exemplaire car unique pour la sauvegarde d'un patrimoine culturel aussi particulier. Dans son esprit et sa démarche, elle servira à coup sûr de référence pour un inventaire plus général qui reste à établir pour la plupart des autres régions françaises. Elle suscitera ailleurs, avant qu'il ne soit trop tard, un réflexe de préservation et de recherches salutaires sur le sujet. Enfin, à maintes reprises dans l'ouvrage, les auteurs attirent l'attention à juste raison sur la dégradation poussée de certains sites géologiques aux capacités limitées et soumis de nos jours à une insidieuse «exploitation» et à l'avidité mercantile de quelques trafiquants. Il faut que ce type d'activité cesse : que restera t-il de ces sites fabuleux dans quelques années? Il est temps de disposer de moyens vraiment sérieux afin de les sauvegarder, de les protéger et d'éviter l'irréparable. Là aussi, il est urgent d'agir! Certaines roches ornementales corses font partie d'un patrimoine qu'il faut res pecter, ne serait-ce qu'en raison de leur rareté ou de leur intérêt scientifique ! Michel PIBOULE professeur à l'Université Joseph Fourier - Grenoble I 8 PREAMBULE La Corse est sans contredit un des départements les plus riches en pierres « d'ornementation de toutes natures ; mais est-ce là une richesse qui puisse être mise en valeur et faut-il s'étonner, avec beaucoup d'habitants du pays, du délaissement où nous voyons aujourd'hui la plupart des carrières ? En ce qui concerne les pierres dures, granites, diorites, porphyres, la Corse en possède d'immenses variétés; sans parler des roches communes. La richesse de leurs couleurs, l'originalité de leur structure devrait assurer le premier rang dans les pierres d'ornementation ... Cependant l'insuffisance des capitaux avec lesquels on a abordé la tâche difficile de faire entrer dans le commerce de la marbrerie ces produits nouveaux, a fait avorter les tentatives [. . .] La presque totalité des richesses minérales de la Corse n'est qu'à l'état d'espérance . [. .] Conclusion : J'ai pensé qu'un exposé complet et impartial de la question pourrait n'être pas sans intérêt, en présence des exagérations, tantôt naïves, tantôt intéressées, qui se font jour dans les conversations, dans les publications relatives à la Corse. » Ce texte1 rédigé à Marseille le 19 juin 1862 est encore d'actualité. D'hier à aujourd'hui, des exploitations artisanales souvent éphémères. En 1959 un groupe de personnalités bastiaises fonde une société anonyme, La ROC (Roches Ornementales Corses), ayant pour objet la recherche, l'étude et éventuellement l'exploitation des roches de qualité de l'île. Malgré des résultats techniques encourageants, cette société doit cesser ses activités en 1963, faute de moyens matériels suffisants. Un nouvel espoir, avec la mise sur pied récente de grandes unités dotées d'un matériel moderne performant, comme celle d'Olmeto, de Porto, ou de Granicorse à Biguglia, pourrait permettre d'envisager l'avenir avec optimisme. Actuellement quatre grandes exploitations de granite sont en activité: Calvi (granite gris), Porto (granite rouge), Olmeto (granite jaune), Zonza (granite rose), auxquelles il faut ajouter quelques carrières de moindre importance. Les carriers font de plus en plus appel aux géologues, aux techniques modernes : prospections géoélectriques ... Les encouragements et les subventions ne manquent pas : Assemblée régionale, D.R.I.R. (Direction Régionale de l'industrie et de la Recherche), P.I.M. (Programmes Intégrés Méditerranéens). Pour 1995 on escompte une production annuelle de 25 à 30 000 m3 pour une quinzaine de sites en activité. La filière pierre connaîtra-t-elle enfin le développement important qu'elle mérite? L'étude de l'histoire des roches ornementales de la Corse semble apporter quelques éléments de réponse intéressants. 1. Rapport de l'ingénieur des Mines sur la situation du Service des Mines en Corse. Réf. 8 S5, Arch. dept. Corse-du-Sud. 9