Revue d’histoire des chemins de fer 44 | 2013 Parler de soi, écrire sa vie au travail « Tales of The Rails » : les récits de vie des cheminots anglais « Tales of the Rails » : englishrailwaymen’s life tales Timothy G. Ashplant Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/rhcf/1616 DOI : 10.4000/rhcf.1616 Éditeur Rails & histoire Édition imprimée Date de publication : 10 février 2013 Pagination : 35-56 ISSN : 0996-9403 Référence électronique Timothy G. Ashplant, « « Tales of The Rails » : les récits de vie des cheminots anglais », Revue d’histoire des chemins de fer [En ligne], 44 | 2013, mis en ligne le 13 novembre 2014, consulté le 22 avril 2022. URL : http://journals.openedition.org/rhcf/1616 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhcf.1616 Tous droits réservés Timothy G. ASHPLANT « Tales of The Rails » : les récits de vie des cheminots anglais A u moins un million de personnes (dont plus de 100 000 femmes) ont travaillé dans les chemins de fer de Grande-Bretagne dans les près de deux siècles de leur existence jusqu’à aujourd’hui. Moins de 250 ont laissé des visions assez larges de leur travail, encore moins de l’ensemble de leur vie. Dans la première partie de cet article, je vais examiner quels cheminots ont été poussés à écrire et à publier leurs récits de vie, quand et comment ils ont été publiés. Je vais comparer leurs livres à la configuration générale des auto- biographies ouvrières britanniques. Dans la seconde partie, je vais exposer de courts extraits de textes choisis pour explorer la diversité des formes sous les- quelles les cheminots racontèrent leur vie. Je me concentrerai ici sur des textes écrits par des auteurs qui ont travaillé au xxe siècle. Il y a en Grande-Bretagne une forte tradition d’autobiographies ou- vrières. Les chercheurs bénéficient également d’un guide de la plus grande qua- lité : The Autobiography of the Working Class: an Annotated Critical Bibliography (AWC). Il fut publié en trois volumes entre 1984 et 1989 et dirigé par John Burnett, David Vincent et David Mayall1. Ce travail comprend environ 2 200 1- John Burnett, David Vincent, David Mayall (dir.), The Autobiography of the Working Class: an Annotated Critical Bibliography, 3 vol., Brighton, Harvester, 1984-1989. RHCF 44 - 35 05-ashplant.indd 35 06/02/2013 14:25:09 « Tales of The Rails » : les récits de vie des cheminots anglais autobiographies, écrites par environ 1 900 auteurs, dont 1 100 rédacteurs nés avant 1900. Ces chiffres sont à comparer aux 400 auteurs d’expression française ou allemande (France, Allemagne, Belgique, Suisse) que Mary-Jo Maynes a répertoriés pour la même période2. De ces 2 200 autobiographies ouvrières, 63 (soit 3 %) sont écrites par des cheminots. Pour mener l’analyse jusqu’à nos jours, j’ai compilé un ensemble de 158 autres récits de vie de che- minots qui ne figurent pas dans l’AWC3. Parmi les travailleurs britanniques qui ont écrit des autobiographies, les cheminots constituent un groupe professionnel exceptionnellement nom- breux4. Pour comprendre comment tant de cheminots ont pu publier leurs histoires, et lesquels parmi eux, il est nécessaire d’examiner le marché de l’édi- tion. Le graphique suivant (fig. 1) montre les dates de première publication d’autobiographies de cheminots en périodes successives de cinq ans5. Jusqu’à la fin des années 1960, seulement 21 avaient été publiées. Mais s’est alors développée la nostalgie pour les chemins de fer, à la suite des compressions majeures du réseau consécutives au rapport Beeching (1963) et à la disparition de la vapeur en 1968. Bien qu’une littérature spécialisée visant les amateurs de chemin de fer ait existé depuis longtemps, la disparition de ce qui fut rapi- dement considéré comme un « âge d’or » a créé une demande apparemment 2- Mary J. Maynes, Taking the Hard Road: Life Course in French and German Workers’ Autobiographies in the Era of Industrialization, Chapel Hill (NC), University of North Carolina Press, 1995, p. 7. 3- Publiés pour 31 d’entre eux jusqu’à l’année 1985, année jusqu’à laquelle l’AWC était en mesure de donner une couverture presque complète (12 jusqu’à 1980, 19 dans la période 1981- 1985). Les 127 restantes sont apparues à partir de 1986. Ma liste (portant jusqu’à l’année 2008) a été compilée à partir de diverses bibliographies (voir outils de recherche bibliographique en fin d’article), le COPAC (« United Kingdom’s National, Academic & Specialist Library Catalogue », www.copac.ac.uk) et les catalogues en ligne des maisons d’édition et des librairies ferroviaires spécialisées. 4- Tim strangleMan, « Constructing the Past: Railway History from Below or a Study in Nostalgia? », Journal of Transport History, vol. 23, n° 2 (septembre 2002), p. 147-158. L’auteur a utilisé ces autobiographies d’ouvriers d’ateliers du matériel pour souligner leur valeur pour les so- ciologues et les historiens. Dans un ouvrage, il rassemble une plus grande sélection d’autobiogra- phies cheminotes pour examiner le changement culturel au sein de l’industrie ferroviaire du point de vue des travailleurs. Voir Tim strangleMan, Work Identity at the End of the Line? Privatisation and Culture Change in the UK Rail Industry, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2004. 5- Ici, mon analyse du développement d’un marché pour de tels livres prend statistiquement en compte le nombre d’auteurs et non de textes. Par conséquent, les dates de publication se réfèrent à la première publication d’un auteur qui aurait publié plus d’un texte. C’est le cas de 34 auteurs (15 %), dont 24 ont publié deux textes, 7 trois textes, 2 quatre textes et 1 cinq textes. J’ai en outre exclu de ce calcul les 14 textes inédits qui sont connus, ainsi que deux textes publiés comme documents historiques longtemps après la mort de leur auteur. 36 - RHCF 44 05-ashplant.indd 36 06/02/2013 14:25:09 Timothy G. ASHPLANT inépuisable de documentation (souvent illustrée) sur toutes les dimensions de l’histoire ferroviaire6. Figure 1. Dates de publication des premières autobiographies de cheminots. N = 204 ; 1 autobiographies n'est pas datée, 2 sont publiées plus tard comme des documents historiques et 14 étaient inédites. 6- La littérature générale des chemins de fer comprenait plusieurs magazines ferroviaires (datant de la fin du xixe siècle), les publications des maisons d’édition spécialisées telles que Ian Allan (fondée en 1942) et des mémoires écrits par les dirigeants et les ingénieurs des chemins de fer. Mais l’évolution vers une orientation spécifiquement nostalgique est devenue évidente dans les années 1960 ; sur cela et le cadrage nostalgique employé par les sociétés de préservation des chemins de fer et les musées ferroviaires dans les années 1980 et 1990, voir Richard sykes, Alastair austin, Mark Fuller, Taki kinoshita, Andrew shriMpton, « Steam Attraction: Railways in Britain’s National Heritage », Journal of Transport History, vol. 18, n° 2 (1997), p. 156-175, cit. p. 167. Pour un commentaire sur « le déferlement permanent de livres sur des sujets ferroviaires » et les précédentes prédictions (erronées) qu’il diminuerait, voir l’avant-propos d’Andrew Scott in George ottley, Grahame Boyes (coll.), Matthew searle (coll.), Donald steggles (coll.), Ottley’s Bibliography of British Railway History: Second supplement 12957-19605, York, National Railway Museum in association with Railway & Canal Historical Society, 1998, p. 10. Pour une première évaluation critique de la « manie nostalgique », voir John R. kellett, « Writing on Victorian Railways: An Essay in Nostalgia », Victorian Studies, vol. 13, n° 1 (septembre 1969), p. 90-96. Philip Payton, autour d’une ligne de chemin de fer du sud-ouest de l’Angleterre (fermée en 1966 et intensément célébrée par la suite), analyse la construction culturelle au sein du milieu rural d’une continuité, d’une communauté et d’une société sans classes : Philip payton, « “An English cross- country railway”: Rural England and the Cultural Reconstruction of the Somerset and Dorset Railway », in Colin DiVall, George reVill, Philip payton, Railway, Place and Identity, York, Institute of Railway Studies, 1996, p. 17-25. Sept des autobiographes avaient travaillé sur cette petite ligne. Tim Strangleman, enfin, examine la nostalgie possiblement implicite dans les études savantes, qui poseraient le déclin des chemins de fer comme la perte d’un « prolétarien archétypal » : Tim strangleMan, Work Identity…, op. cit. RHCF 44 - 37 05-ashplant.indd 37 06/02/2013 14:25:09 « Tales of The Rails » : les récits de vie des cheminots anglais Dans ce fleuve de publications, les mémoires de cheminots formèrent un ruisseau mineur mais croissant7. Chaque période successive de cinq ans depuis 1975 (sauf une) a vu la publication d’au moins 20 de ces textes, avec un pic de 37 dans la période 1980-1985. Ces livres ont été publiés par quatre types principaux d’éditeurs (fig. 2). Un tiers provenait de cinq grandes mai- sons d’édition spécialisées dans les chemins de fer. De manière surprenante, la maison d’édition établie de longue date Ian Allan, qui avait publié quatre ouvrages de ce type entre 1972 et 1974, n’en a livré que trois autres entre 1975 et 2002. Au lieu de cela, ce marché particulier a été ciblé (et peut-être en partie créé) par quatre autres grandes maisons spécialisées. Le pionnier était D. Bradford Barton, qui a publié les mémoires de 23 auteurs entre 1975 et 1984. À partir de 1985, ses traces ont été suivies par trois autres entreprises d’édition : Oakwood (9 auteurs entre 1985 et 2007, en plus de 2 publiés en 1984) ; Oxford Publishing (7 auteurs de 1985 à 1995, en plus de 3 publiés en 1984) ; et Silver Link (12 auteurs publiés durant la période 1991-2008). Au total, ces quatre dernières entreprises publièrent 56 auteurs, un quart des personnes identifiées. Il ne faut pas non plus oublier les petites maisons d’édi- tion spécialisées dans le domaine ferroviaire : 29 de ces entreprises publièrent des œuvres de 38 autres auteurs entre 1974 et 2011. Ensemble, ces entreprises spécialisées, grandes et petites, comptent pour près de la moitié des mémoires. Autre 3 % > Editeurs Auto- Figure 2. Part de chaque maison généralistes publication d'édition dans les autobiographies 16 % 17 % premières de cheminots. N = 207 ; 14 autobiographies sont inédites. Editeurs histoire Grands éditeurs locale ferroviaires 15 % 31 % Autres éditeurs ferroviaires 18 % 7- Sur l’importance du marché de l’édition ferroviaire en général et l’encouragement à la produc- tion d’autobiographies cheminotes, voir Tim strangleMan, « Constructing the Past…», art. cit. Cet auteur analyse en outre le caractère critique de ce qui pourrait apparaître comme de la « nos- talgie » des conditions de travail et du mode de vie perdus dans les autobiographies cheminotes, suite à la réduction drastique du réseau et à la fin de la vapeur entre le milieu des années 1950 et la fin des années 1960 : voir du même, Work Identity…, op. cit., p. 80-85, 98-99, 101-102. 38 - RHCF 44 05-ashplant.indd 38 06/02/2013 14:25:09 Timothy G. ASHPLANT La moitié restante des auteurs accédèrent à une gamme variée de formes de publication, que l’on peut classer en trois groupes. D’abord, les maisons d’édition commerciales généralistes, qui firent peu d’efforts dans ce domaine. Plusieurs grandes entreprises ont produit de nombreux livres ferroviaires, mais aucune parmi elles n’a choisi de publier plus qu’occasionnellement des mé- moires cheminots8. Un grand nombre d’autres maisons d’édition généralistes se sont contentées d’un ou deux de ces travaux. Ensemble, ces 27 entreprises commerciales généralistes publièrent seulement 34 auteurs. En deuxième lieu, 27 groupes d’édition d’histoire locale très divers publièrent les livres de 31 auteurs9. Troisièmement, quelque 35 auteurs ont auto publié leurs œuvres : 6 par le biais d’entreprises commerciales d’autoédition, qui possèdent un ca- talogue fourni, les 29 autres à travers des initiatives personnelles ou de très courte durée. La grande majorité de ces auteurs auto publièrent dans les an- nées 1990 (15) ou les années 2000 (12). Cela reflète sans doute à la fois la baisse des coûts de publication et la perception des maisons d’édition spécia- lisées de l’intérêt que présentent de telles histoires10. Le caractère de ces autobiographies publiées a lui aussi changé. Jusqu’en 1974, la majorité (18) comprenait les récits de vie d’hommes qui avaient tra- vaillé dans les chemins de fer, mais avait une longue histoire à raconter, tandis qu’un plus faible nombre (12) concernait surtout le travail ferroviaire. Mais la balance pencha nettement ensuite, alors que le boom de la nostalgie des che- mins de fer avait débuté. Entre 1975 et 1984, 11 autobiographies intégrales ont été publiées, contre 46 mémoires professionnels ferroviaires11. 8- Allen & Unwin a publié deux auteurs entre 1980 et 1983, John Murray, trois (1981-1987), David & Charles, trois (1976-1987). 9- Il y a un certain chevauchement entre les petites maisons d’édition ferroviaires et les groupes d’édition d’histoire locale. Je les ai classés d’après la catégorie à laquelle appartient la majorité de leurs publications incluses dans COPAC. 10- Autobiographies et mémoires cheminots font partie du plus large corpus de la littérature de réminiscence. Celle-ci comprend en effet des récits personnels courts (entre deux et vingt pages) publiés dans les nombreuses revues ferroviaires, des ouvrages collectifs rassemblant de courts souvenirs (souvent un groupe de travailleurs unis par une ligne, une gare ou un dépôt particulier), des biographies des cheminots écrites par des enthousiastes du rail (généralement basées sur des entretiens), des mémoires d’enfants de cheminots, enfin des souvenirs d’ama- teurs de chemin de fer et train spotters (passionnés) qui ne travaillaient pas eux-mêmes dans les chemins de fer. 11- Ma liste n’ayant pas été compilée dans le cadre d’une enquête plus vaste sur les autobiogra- phies ouvrières, il n’est pas possible d’étendre cette comparaison au-delà de 1985. Mais il est probable que la prédominance de mémoires a continué (voir note 18). RHCF 44 - 39 05-ashplant.indd 39 06/02/2013 14:25:09 « Tales of The Rails » : les récits de vie des cheminots anglais La nature de ce marché aide à déterminer quels cheminots ont été les plus susceptibles de publier leurs livres. Géographiquement, on constate des différences assez représentatives. En 1923, confrontées à des pertes financières, les 120 compagnies de chemin de fer britanniques créées au cours du xixe siècle ont été « regroupées » en quatre grandes entreprises : London, Midland & Scottish Railway (LMS), London & North Eastern Railway (LNER), Great Western Railway (GWR), et enfin Southern Railway (SR). Ces sociétés à leur tour formèrent la base des quatre grandes régions à partir desquelles British Railways a été constituée après la nationalisation en 1947. Puis, au cours des vingt années suivantes, jusqu’à la fin de la vapeur, de nombreux cheminots et passionnés du rail ont continué à prendre en compte l’identité de ces réseaux régionaux au sein de la culture de leurs entreprises. Environ un quart des autobiographes cheminots avaient travaillé pour chacune des sociétés LMS, LNER et GWR (et / ou les sociétés qui les ont précédées ou les régions qui leur ont succédé). Moins d’auteurs (seulement un sur six) ont travaillé dans le groupe SR, ce qui reflète peut-être le fait que la SR avait commencé l’électrifi- cation avant 1914 et l’avait achevée avant 1947, et que donc le « roman de la vapeur », qui a fourni la base du début du boom de publication, n’a pas affecté outre mesure cette région (voir fig. 3). Figure 3. Les régions dans lesquelles les autobiographes ferroviaires travaillaient. N = 193; 28 inconnus. East 22 % "West" = GRW & British West 28 % Railways (Western Region); "East" = LNER & BR (North- Eastern & Eastern Regions); "London Midland" = LNWR & London BR (London Midland Region); Scotland > Midland 5 % South 18 % 27 % "South" = SR & BR (Southern Region); "Scotland" = voies de LMS & LNER en Écosse & BR (Scottish Region). Il est également aisé de repérer quelles catégories professionnelles de che- minots étaient perçues comme ayant les histoires les plus attrayantes. Parmi les auteurs pour lesquels l’information est disponible, les trois cinquièmes (118) étaient membres de l’équipage du train, et les plus éminents d’entre eux étaient ceux des équipes de traction (mécaniciens, chauffeurs, respectivement 49, 35) ou aiguilleurs signalmen (22). Le deuxième groupe en importance était le personnel de supervision et de direction (32, dont 18 chefs de gare), et 40 - RHCF 44 05-ashplant.indd 40 06/02/2013 14:25:10 Timothy G. ASHPLANT les travailleurs affectés à l’entretien et à la construction des voies (27)12 (voir fig. 4). 7 1 6 5 1 - Équipage train 2 - Aiguilleurs 4 3 - Personnel de direction 1 4 - Voie 5 - Administration 6 - Gares 7 - Autres 3 2 Figure 4. Les emplois des autobiographes ferroviaires. N = 204 ; 17 sont inconnus. Parmi ceux dont les dates de naissance sont connues, un quart est né au xixe siècle et a commencé sa carrière avant la Première Guerre mondiale. Les deux tiers sont nés dans les quatre premières décennies du xxe siècle, entre 1900 et 193913 (voir fig. 5). Chaque décennie, des années 1910 aux années 1940, apporte un nombre toujours croissant de débuts de carrière d’auteur (voir fig. 6). À ce sujet, plus des trois quarts de ceux pour lesquels l’information est connue ont commencé leur carrière entre 14 et 17 ans, c’est- à-dire dans les deux ou trois années qui suivent la fin de la scolarité (voir fig. 7). 12- Cela correspond au type plus large des autobiographes ouvriers, parmi lesquels figurent en majorité des artisans qualifiés ou des individus qui en raison de leur mobilité sociale ascendante ont rejoint la petite bourgeoisie ou la classe moyenne. Trois seulement étaient des femmes : une aiguilleuse, une guichetière et une ouvrière pendant la Seconde Guerre mondiale. 13- Le nombre nettement plus réduit des hommes nés dans les années 1910 peut s’expliquer par le taux de chômage élevé lorsque cette cohorte de naissance est entrée sur le marché du travail, entre 1925 et 1934. Henry Orbell, né 1913, entra en 1929 à la LNER (London and North Eastern Railway). Il se rappelle que, au fond de la Dépression et face à la chute du trafic, la compagnie le mit à pied à la fin de 1932 ainsi que beaucoup d’autres âgés comme lui de 20 ans ou moins. Il a fallu quatre ans pour qu’ils puissent reprendre le travail à plein temps (Henry orBell, Crossing Fences, March, March Museum, 2004, p. 35, 40). Voir également Norman Dixon, Yorkshire Locoman: LNER Memories, Truro, D. Bradford Barton, 1983, p. 43-48. RHCF 44 - 41 05-ashplant.indd 41 06/02/2013 14:25:10 « Tales of The Rails » : les récits de vie des cheminots anglais Figure 5. Dates de naissance des autobiographes N = 128 ; 93 sont inconnues. Figure 6. Dates de début de carrière des autobiographes N = 167 ; 54 inconnues. Figure 7. Âge au début de carrière des autobiographes N = 107 ; 114 inconnus. 42 - RHCF 44 05-ashplant.indd 42 06/02/2013 14:25:10 Timothy G. ASHPLANT À partir de ces données, il est possible d’esquisser une trajectoire de vie typique de l’autobiographe cheminot. Assez souvent, il était le fils d’un cheminot, ou en avait un dans sa famille proche. Il a rejoint le secteur, soit immédiatement après avoir quitté l’école à quatorze ou quinze ans (jusqu’en 1947 pour le premier cas), ou après deux ans d’attente. Sa motivation peut être la passion pour les trains, ou le simple fait de suivre les traces de son père. Mais il peut aussi s’agir de l’impératif (le sien, ou imposé à lui par ses parents) de trouver un « emploi à vie », une place sûre alors que le marché du travail était incertain14. Cela était particulièrement fréquent chez ceux entrés dans la carrière avant la Seconde Guerre mondiale. Après 1945, lorsque stagnaient les salaires ferroviaires et que le secteur était clairement en déclin, le marché du travail encouragea certains à trouver ailleurs de meilleurs salaires (et plus encore, peut-être, la satisfaction au travail)15. Diverses motivations ont conduit les cheminots à écrire leurs histoires de vie. Certains y ont été poussés par le souhait très répandu de faire le point sur ce qu’ils ont vécu, ou de consigner pour leurs enfants leur biographie. D’autres ont répondu aux invitations d’amateurs de chemin de fer, qui étaient devenus des amis, et qui parfois servirent d’interlocuteur ou de transcripteur16. Certains avaient tenu un journal et y eurent recours alors pour préciser des points importants de leur vie17. 14- Né en 1919, Arthur Grigg quitte l’école en 1933, lors de la Grande Dépression. Sa mère, qui l’avait exhorté à chercher un emploi dans les chemins de fer, fut ravie de « l’emploi à vie » qu’il obtint en étant pris comme nettoyeur en 1935. Voir Arthur E. grigg, A Job for Life: Bletchley Man of Trains, Whittlebury, Baron Birch, 1993. 15- Tim strangleMan, Work Identity…, op. cit., p. 91-99. Derek Mutton, né en 1928, s’engagea à la London, Midland and Scottish Railway (LMS) en 1943, avec l’ambition de devenir mécanicien. En 1956, encore chauffeur et avec des perspectives de promotion bloquées par les fermetures de ligne de plus en plus fréquentes, il démissionna pour s’engager dans la police (Dereck Mutton, Off Northampton Shed: the Reminiscences of an LMS Fireman, Didcot, Wild Swan Publications, 2006). Albert Grose, né en 1940 et entré au chemin de fer en 1955, démissionna par désillusion en 1961 alors qu’il était sur le point de réaliser son ambition de devenir mécanicien : voir Albert grose, The Ramblings of a Great Eastern Engineman, Little Clacton (Essex), A. Grose, 1999. 16- Le texte de Gordon Shurmer, Swindon Engineman, est le fruit de dix années d’entretiens, transcrits et corrigés par Mike Fenton. Voir Gordon shurMer, Swindon Engineman, Didcot, Wild Swan Publications, 2006 ainsi que les livres cités en notes 19 et 20. 17- Le livre de Bob Jackson s’appuie par exemple sur des journaux et des souvenirs restés vifs (Bob Jackson, Steaming Ambitions: Recollections of a Preston Engineman, Leigh, Triangle Publishing, 1999). En revanche, James Street, un mécanicien qui avait battu un record de vitesse dans les années 1930, écrivit dans I Drove the “Cheltenham Flyer” que malgré des encouragements répétés à écrire l’histoire de sa vie, il ne l’avait envisagé que douze ans après sa retraite. Alors, il n’avait RHCF 44 - 43 05-ashplant.indd 43 06/02/2013 14:25:10
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