Maquette de couverture : Atelier Didier Thimonier © 2017, éditions Jean-Claude Lattès. Première édition septembre 2017. ISBN : 978-2-7096-6093-8 Pour échanger avec le Dr Laurent Alexandre : Mail : [email protected] Twitter : @dr_l_alexandre www.editions-jclattes.fr Ce document numérique a été réalisé par PCA D : U MÊME AUTEUR La Mort de la mort : comment la technomédecine va bouleverser l’humanité, JC Lattès, 2011. La Défaite du cancer : histoire de la fin d’une maladie, JC Lattès, 2014. À Jean-Michel Blanquer : le ministre de l’Intelligence Biologique À Mounir Mahjoubi : le ministre de l’Intelligence Artificielle À tous les enseignants, qui exercent le métier le plus important du e siècle XXI I NTRODUCTION L’intelligence est le moyen dont l’humanité a été pourvue par l’évolution darwinienne pour survivre dans un environnement sauvage. Grâce à elle, nous dominons désormais le monde et la matière. Cet héritage ancestral, fruit de millions d’années d’évolution et de sélection, est notre actif le plus précieux. L’attention et l’énergie que chaque génération consacre à sa transmission sont immenses. Dans certaines classes sociales, elle est même une obsession permanente conditionnant l’ensemble des choix de vie : lieu de résidence, fréquentations, alliances matrimoniales, loisirs. L’éducation est la clé de voûte de ce travail de transmission. Si elle consiste largement en l’acquisition de l’instruction, c’est-à-dire des savoirs utiles à la vie en société, elle n’a de sens que complétée par l’habileté à mobiliser les connaissances et à les associer. C’est ce que l’on nomme l’intelligence. Le principal travail de l’enfant qui grandit est de l’exercer. Des heures innombrables sont passées pour la développer. C’est même le seul effort que l’on demande à nos enfants : exercer leurs cerveaux. L’intelligence est aujourd’hui la seule vraie distinction ; en être dépourvu, le seul vrai handicap. La réussite professionnelle et la hiérarchie sociale en dépendent étroitement. Les diplômes eux-mêmes sont moins la sanction du travail fourni qu’un signal de performance intellectuelle, quel que soit l’effort accompli pour l’atteindre. L’intelligence est l’inégalité que la société corrige le moins bien aujourd’hui. À l’heure où les « plafonds de verre » sont combattus avec détermination – sexe, origines ethniques et sociales –, elle est la dernière frontière de l’égalité. Une frontière qui va être abolie dans les décennies qui viennent. Au pied du mur Le monde a connu trois grandes révolutions technologiques et économiques en deux siècles. La première s’étend de 1770 à 1850, avec les premières usines puis la machine à vapeur et le réseau de chemin de fer. La seconde de 1870 à 1910, avec la naissance de l’aviation, de l’automobile, de l’électricité et de la téléphonie. Ces inventions ont changé le monde autour des réseaux électriques et de transport. La troisième révolution a débuté vers 2000, avec l’arrivée des technologies NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives) qui vont bouleverser l’humanité. La dimension révolutionnaire des nanotechnologies tient au fait que la vie elle-même opère à l’échelle du nanomètre – le milliardième de mètre. Une échelle jusqu’alors hors de portée pour nous. La fusion de la biologie et des nanotechnologies va transformer l’Homme en ingénieur du vivant et lui donnera un pouvoir fantastique sur notre humanité. Les NBIC sont en réalité, de plus en plus, une seule science, dont les volets sont interdépendants : la science du e siècle structurée autour du réseau XXI Internet et de l’Intelligence Artificielle. Elle nous emmène dans un monde dont les règles fondamentales changent rapidement. L’immense puissance informatique met à notre portée des technologies dont nous pouvions à peine rêver il y a cinquante ans. La révolution NBIC n’est pas juste une révolution de plus. Elle comporte trois différences avec la vague technologique de 1870-1910. D’abord, la France de la Belle Époque était en pointe. Elle dictait au monde le rythme du changement. Aujourd’hui, elle passe à côté des NBIC. Ensuite, l’objet des NBIC est la modification de notre humanité biologique, et non plus la manipulation de la matière inanimée, ce qui pose des problèmes inédits. Enfin, les NBIC connaissent un développement exponentiel, ce qui génère une énorme imprévisibilité et rebat en permanence les cartes économiques et géopolitiques. Jamais la vitesse d’évolution de notre société et l’incertitude sur sa direction n’auront été aussi grandes. Entre les premiers hominidés il y a quelques millions d’années, jusqu’au Néolithique, vers 9000 avant J.-C., les changements au cours d’un millénaire étaient insignifiants, l’Homme évoluant très lentement. À partir du Néolithique, le rythme de l’humanité s’est accéléré : sédentarisation, apparition de l’agriculture et des villes, de systèmes administratifs, de l’écriture, explosion démographique et développement des sciences se succèdent en quelques millénaires. Il n’existe cependant quasiment aucune différence importante de connaissance technique ou médicale entre les Babyloniens du IIe millénaire avant notre ère et le e siècle en Europe. En médecine, les théories grecques de XVII l’Antiquité, comme celle des humeurs par exemple, étaient encore des dogmes acceptés ! À partir du e siècle et de la révolution industrielle, le cours de l’histoire a XIX commencé à s’accélérer, et le monde ne ressemblait plus guère en 1900 à ce qu’il était au début de l’Empire, un siècle plus tôt : mécanisation de l’industrie grâce à la vapeur, apparition de l’entreprise moderne, développement du réseau ferré… Le e siècle a été une époque d’accélération du rythme et de l’importance des XX innovations : percées technologiques et médicales, développement de la société de consommation et enfin mondialisation auront été, si l’on excepte les traumatismes des deux guerres mondiales, les totalitarismes et les génocides, les faits marquants de cette période. Dans les livres d’histoire, le e siècle fera XX néanmoins figure de période assez calme et terne – quoique pleine de bruit et de fureur – comparée au siècle suivant. Une simple transition vers une période d’accélération qui va laisser l’humanité clouée sur son siège. Car nous sommes au pied du mur, ou plutôt au pied d’une croissance explosive et vertigineuse de nos capacités technologiques. L’humanité doit se préparer à escalader la face nord de son Histoire. Il n’y a pas de fatalité en matière d’avenir, mais des logiques profondes qui peuvent être infléchies, à certaines conditions. S’il n’est pas certain qu’une prise de conscience de la neurorévolution1 soit suffisante pour orienter son cours, il ne fait en revanche aucun doute que rester dans l’ignorance et le déni est le meilleur moyen d’aboutir au pire des scénarios. Celui d’un monde ou l’Homme subirait son futur. Celui d’un monde inégalitaire ou seuls les meilleurs sortiraient vainqueurs, laissant la multitude à la merci d’une neurodictature. L’école, sous sa forme actuelle, va mourir. Ce qui reste à déterminer, en revanche, est la façon plus ou moins douloureuse dont elle disparaîtra. Si elle fait trop de résistance, elle risque d’empêcher les enfants, spécialement ceux issus des milieux les plus modestes, de profiter rapidement des bénéfices d’un accès inédit à l’intelligence. Surtout, il faut comprendre que la réinvention de l’école sera la condition d’un sauvetage bien plus fondamental : celui de l’humanité tout entière. Car la nouvelle école que nous allons inventer devra nous permettre de relever le défi immense de notre utilité dans un monde bientôt saturé d’Intelligence Artificielle. Nous devenons des barbares dans notre propre monde Depuis l’envol d’Internet, la plupart des secteurs économiques ont connu une profonde remise en cause. Seule l’institution chargée de la lourde tâche d’accomplir le transfert de l’intelligence et de l’instruction a été à peine touchée. L’école fait encore aujourd’hui figure d’exception, ses méthodes, ses structures et son organisation n’ayant, pour l’essentiel, pas changé depuis plus d’un siècle. On pourrait presque dire depuis l’Antiquité. Dans un monde où tout change, la question de la transmission est pourtant plus brûlante que jamais. Hannah Arendt expliquait, dans « La Crise de l’éducation2 », que chaque génération d’enfants était comme une invasion barbare que les adultes avaient pour tâche de civiliser. Il revenait aux détenteurs de l’ordre, aux connaisseurs des lois du monde, d’initier les nouveaux arrivants. Aujourd’hui c’est le monde lui-même qui se décale sans cesse, laissant rapidement les adultes sur le côté, les plus jeunes accompagnant le décalage avec délices. Dans le maelström numérique du e siècle, ce ne sont pas les barbares qui mettent Rome à sac, XXI mais les vieux Romains qui au matin ne reconnaissent plus leur ville. Nous devenons nous-mêmes barbares à notre propre monde. Nos coutumes et notre savoir deviennent obsolètes, dépassés par une civilisation qui va plus vite que nous. L’Histoire ne déferle plus sur nous pour nous anéantir avant d’édifier quelque chose de nouveau quelques siècles plus tard sur les décombres des guerres et des invasions, elle nous laisse sur place et finit par nous faire comprendre que nous sommes devenus gênants, persona non grata dans un monde qui n’attend plus. Le théâtre de la société change entièrement de décor, laissant les acteurs précédents aussi décalés sur une scène nouvelle que des courtisans du Grand Siècle téléportés au milieu de Paris Plages. La révolution de la transmission de l’intelligence La transmission du savoir ne peut pas signifier la même chose au e siècle XXI qu’auparavant. À la limite, son problème s’est inversé : c’est l’adulte qu’il faut à présent initier aux nouvelles technologies et à qui il faut inculquer les nouvelles clés de lecture du monde. Cela ne veut pas dire que les jeunes n’ont plus besoin d’enseignement. Le contenu des savoirs nécessaires pour comprendre notre monde doit être repensé : les technologies NBIC deviennent des savoirs incontournables de l’honnête homme du e siècle. Surtout, l’école elle-même, XXI en tant que technologie de transmission de l’intelligence, est d’ores et déjà une technologie dépassée qui vit ses derniers instants. Elle va être radicalement remise en cause dans les décennies qui viennent. Au cours des prochaines années, l’école connaîtra certes une modernisation accélérée sous l’effet des technologies numériques, mais il s’agira en réalité des derniers feux d’une institution vouée à prendre place dans l’Histoire au rayon des curiosités du passé, fondées sur une science approximative, au même titre que les sanatoriums3. À partir de 20354, l’éducation deviendra une « branche de la médecine », utilisant les immenses ressources des neurosciences pour personnaliser d’abord la transmission et optimiser ensuite bioélectroniquement l’intelligence. Vers 2080, l’avènement d’un monde dominé par l’IA que nous aurons créée, mais qui pourrait nous échapper, tendra à fusionner les êtres vivants et l’intelligence. L’enjeu pour l’humanité deviendra alors de défendre la survie du corps physique, faisant le choix délibéré de conserver une attache matérielle pour éviter de se dissoudre dans le monde virtuel. Cette perspective finale semble lointaine ; pourtant les premiers bouleversements de l’éducation ont déjà commencé. Ce livre explique pourquoi et comment les petits-enfants de nos enfants n’iront plus à l’école.
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