Biblioteca Esoterica Esonet.ORG http://www.esonet.org Documents Martinistes par Robert Amadou. AVERTISSEMENT Le contenu de ce travail n'engage que la responsabilité de son auteur. Robert Amadou est un chercheur infatigable et a publié de nombreux documents Martiniste, sans ses efforts, seraient certainement restés oubliés pour de nombreuses années. Pourtant, le lecteur doit aborder cette étude sur deux plans: celui de la publication de documents dont la valeur est incontestable, et celui des opinions du chercheur. Formé à l'école de René Guénon, Robert Amadou entreprend souvent ses recherches patientes pour prouver ses théories, ce qui le mène parfois à des conclusions hâtives. A titre d'exemple: son opinion concernant la filiation Cohen de Martinez de Pasqually est exprimée avec force: selon lui, personne ne la possède. Voilà une affirmation typique; comment peut-on affirmer la chose, alors que Martinez n'a jamais enregistré les Ordinations Cohen qu'il a données, et qu'il existe de bonnes raisons pour que ceux qui l'aient reçue gardent le silence.... Il aurait été bien plus prudent de dire que la chose est probable et de laisser chacun se faire une opinion de par soi-même... SOMMAIRE Qu'est-ce que le Martinisme CHAPITRE PREMIER MARTINES DE PASQUALLY ET L'ORDRE DES ELUS COHEN Le seul bilan biographique exact et aussi complet que le permet l'état présent, très défectueux, de la documentation et, surtout, le seul exposé d'ensemble détaillé et qui soit, lui aussi, exact, de la doctrine martinésienne, ont été publiés, avec biographie de et sur, dans l'Initiation (1969, janvier-mars, pp. 6-30; avriljuin, pp. 58-84; juillet-septembre, pp. 139-174.) Publié en volume: Le Théurge inconnu. Initiation à Martines de Pasqually, à paraître. V. aussi: La Magie des Elus Cohen, op. cit. intra. Il 4. Nous en tirons les indications suivantes, en y joignant quelques compléments. 1. - Une vie encore obscure. Du nom et des origines, rien n'est sûr. La découverte (Pinasseau-Cellier) de l'acte d'inhumation permet de fixer la date de naissance entre le 29 avril et le 21 septembre 1727. Je croirais que c'est à Grenoble ou près de Grenoble. Sur son enfance, sa jeunesse, son instruction, aucune donnée, même hypothétique. Le français n'est pas sa langue maternelle. Il faut attendre de le voir paraître sur la scène maçonnique pour qu'il sorte de l'ombre. Dès lors ces événements-ci de sa vie privee, inextricablement mêlée avec sa vie maçonnique, sont attestés: mariage à Bordeaux (1767); naissance de son fils Jean-Anselme (1768) qui devient commissaire de police, comme Pinasseau et Cellier l'ont découvert; naissance d'un deuxième fils (1771) aux prénoms inconnus et probablement mort en bas âge; le 5 mai 1772, embarquement pour Saint-Domingue; le 20 septembre 1774, décès et le 21 inhumation dans l'île, en un lieu aujourd'hui inconnu. 2) Martines de Pasqually s'est peint lui-même en ces lignes dont un long commerce martiniste, laissant subsister certes mainte énigme, m'a persuadé qu'elles étaient non seulement sincères mais véraces: 1 Biblioteca Esoterica Esonet.ORG http://www.esonet.org Quant à moi, je suis homme et ne crois point avoir vers moi plus qu'un autre homme. [...] Je ne suis ni dieu ni diable, ni sorcier, ni magicien. Mais aussi: Je ne suis qu'un faible instrument dont Dieu veut bien, indigne que je suis, se servir de moi pour rappeler les hommes mes semblables à leur premier état de Maçon, qui veut dire spirituellement hommes ou âmes afin de leur faire voir véritablement qu'ils sont réellement Hommes- Dieu, étant créés à l'image et à la ressemblance de cet Etre tout-puissant. Martines de Pasqually, c'est avant tout sa doctrine et son Ordre des Elus Cohen, exposés dans ses écrits. II. - Ecrits. 1) Traité de la réintégration des êtres dans leurs premières propriétés, vertus et puissance spirituelles et divines. Publié pour la première fois par René Philipon (sous ce titre qui connaît des variantes), Paris. Chacornac. 1899. Martines de Pasqually, Traité de la réintégration des êtres, créés... Version originale éditée pour la première fois, en regard de la version publiée en 1899, accompagnée du tableau universel, précédée d'une introduction et de documents inédits, Paris, Robert Dumas (puis Henry Veyrier), 1974. 2) Apocryphes. Réferons à la bibliographie de l'Initiation, mais avec une addition. Les titres des ouvrages attribués faussement à Martines par Ragon sont, en fait, ceux d'ouvrages, probablement fictifs, allégués comme leurs par les fictifs Frères de la Rose- Croix qui sont censés s'exprimer dans la Fama fraternitatis de J.V. Andréa, au passage suivant: Confessons d'ailleurs qu'après la mort d'A. aucun de nous n'obtint le moindre détail sur R.C., et sur ses premiers Frères, mis à part ce qu'en relatent notre Bibliothéque philosophique, entre autres, notre Axiomatique, I'ouvrage pour nous capital, les Cycles du monde, l'ouvrage le plus savant, et Protée, le plus utile. (Trad. Gorceix, La Bible des Rose-Croix, P.U.F., 1970, p. 12). 3) Correspondance. Les lettres les plus importantes sont celles a J.-B. Willermoz, qui ont été bien éditées par Van Rijnberk dans son ouvrage cité infra, t. II, pp, 71-166. 4) Documents d'ordre. C'est-à-dire tous textes officiels de l'Ordre des Elus Cohen; rituels, catéchismes, pièces administratives. (Cf l'inventaire des sources in l'Initiation). Depuis la bibliographie de l'Initiation, j'ai publié l'inventaire du fonds Hermete des archives des néo-Cohen, ibid., janv.-mars 1970, pp. 52-53. Ce fonds comporte notamment la pièce suivante: Statuts généraux de la Franche-Maçonnerie des Chevaliers Elus Coëns, original déposé en 1767 dans les archives du Tribunal souverain élevé à la gloire du Grand Architecte de l'Univers sur le grand orient de Paris (fraternellement communiqué par Ivan Mosca), avec les signatures de Bacon de la Chevalerie, Balzac, Luzignan et Cerley. (La copie des statuts par Papus, qui est conservée à Lyon, ne porte pas de signature). Plusieurs documents martinésistes dans la partie des archives de J.-B. Willermoz récemment mise à jour. (Fonds privé L.A.). Ajoutons surtout le très important ensemble rituel inclus dans les papiers posthumes de Saint-Martin, constituant le fond Z (cf. infra, chapitre II). Les éditions les plus importantes sont: catechismes de six grades Cohen ap Papus, Martines de Pasqually...., Chamuel, 1895 (fac-sim. avec une préface de R.A. et une 2 Biblioteca Esoterica Esonet.ORG http://www.esonet.org postface de Philippe Encausse, Paris, Robert Dumas puis Dervy-Livres, 1976), pp 213-283; Extrait du catéchisme des Elus Cohen. ap. Amadou. Trésor martiniste. Les exorcismes des Elus-Coëns par Robert Amblain. Les Cahiers de la Tour SaintJacques, II-III-IV (1960), pp 175-186; Les diplômes coëns de J.-B. Willermoz par Alice Joly ibid, pp 216-223, avec une reproduction photographique de l'un d'eux; enfin François Ribadeau- Dumas a bien voulu déférer à ma requête en reproduisant dans Les Magiciens de Dieu, Robert Laffont, 1970. pp 267-293,1'un des trois textes (et le plus important, puisqu'il s'agit d'un rituel d'initiation au premier degré) qui avaient motivé ma Note sur une source ignorée de l'histoire des rituels coëns. Les Cahiers de la Tour Saint-Jacques,II-III-IV (1960), pp. 187-189. Les documents du fonds Z sont à paraître en 1980-1981 chez Guy Trédaniel, éditeur à Paris (La Magie des élus-coens, t.I, Théurgie; t. II, Franc-Maçonnerie). Y sont joints des documents complémentaires tirés du fonds Prunelle de Lière, à la B.M. de Grenoble. 5) De la bibliographie martinésienne, que récapitule l'Initiation, un livre doit être cité: G. Van Rijnberk, Un Thaumaturge du XVIIIème siècle, Martines de Pasqually. Sa vie, son oeuvre, son ordre,tome. I, F. Alcan, 1935: tome. II, Lyon, Derain-Radet, 1938 (excellente bibliographie critique) René Le Forestier, La Franc-Maçonnerie occultiste au XVIIIème siècle et l'ordre des élus coëns (Paris, Dorbon-Ainé, s.d. [ 1928 ]) fournit un panorama aux tons justes, mais ses essais de reconstitutions rituelles sont aujourd'hui dépassés, grâce aux découvertes et aux publications mentionnées ci-dessus. Les lettres de S.M. à J.-B. Willermoz, pleines de détails rituels, ont fait l'objet d'une première et déplorable édition par Papus, Louis-Claude de Saint-Martin (Paris, Chacornac, 1902).Une transcription exacte a été procurée par R.A. (cf. sa préface à la rééd. par lui établie du susdit Papus, Paris, Pierre Belfond, 1919). III. - La Réintégration. 1) Martines de Pasqually a élaboré une doctrine complexe et précise. A partir de quelles données, outre son expérience personnelle qui, disait-ii, avait été jusqu'à lui faire prendre sous dictée les enseignements de la Sagesse divine même? La critique externe ne dispose d'aucun élément de réponse. La critique interne désigne le courant de l'ésotérisme judéo- chrétien, et plus particulièrement certains de ses rameaux provençaux et espagnols (avec, dans ce dernier cas, une influence islamique de seconde main). Sur la doctrine elle-même, les modernes sont, en revanche, bien renseignés. Le Traité constitue la source principale Adjuvants; les textes rituels, aussi les explications fournies par Willermoz et surtout par Saint-Martin sous le couvert de ses idées propres. A mi- chemin, en quelque sorte, de ces deux dernières sources, les instructions aux Cohen de Lyon, à partir de 1774 (extraits ap. Paul Vulliaud, Les Rose-Croix Iyonnais au XVIlIè siècle....E.Nourry, 1929, pp. 225-252; I'édition de R.A. des Le~ons de Lyon comprend le texte intégral des dix premières leçons par Saint-Martin, le résumé de toutes les leçons, qu'elles soient de Saint- Martin ou d'Hauterive, dans un autographe du premier, avec des développements relatifs a quelques leçons du même, enfin le texte des notes prises exclusivement par J.-B. Willermoz. Une édition de ces dernieres notes exclusivement, aux Editions du Baucens (Braine-le Comte, Belgique, 1975), est mauvaise. 3 Biblioteca Esoterica Esonet.ORG http://www.esonet.org A ces sources puise l'indispensable exposé de l'lnitiation. Ici, I'on esquissera le schéma de l'essentiel. 2) Le titre du Traité l'annonce (à juste titre): la doctrine de Martines est une doctrine de la réintégration des êtres. Réintégration implique expulsion préalable, drame et dénouement. En effet. Et de le savoir sauve. Mais c'est par un savoir opératif. Martines est un gnostique. La reintégration doit être universelle. Sa tâche incombe à l'homme. A lui d'apprendre quelle fut l'origine et quelle est la destination, quelles sont les voies communes de la chute et de la remontée: apprentissage d'une théorie. Mais d'une théorie qui est, en fin de compte, théorie de l'action, qui se confond avec elle, c'est-à-dire théorie de la technique opératoire; théorie des intermédiaires et technique des moyens; techniques des agents et des opérations. Théorie des opérations théurgiques à la manière de Martines de Pasqually. Voilà la gnose particularisée en gnosticisme martinésien, en martinésisme. A cette particularisation concourent aussi - mais l'analyse de la théurgie particulière suffirait à l'indiquer - les modalités et les détails spécifiques, du moins en ' Ir assemblage, de l'épopée martinésiste; dommage que nous en soyons réduits à les porter pour mémoire. 3) Dieu est un, mais ses puissances sont trines et son essence quatriple. Au commencement il émane des êtres spirituels, libres et discrets qui forment sa cour. Certains de ces êtres cèdent à l'orgueil et opèrent - c'est-à-dire agissent - à l'instar de Dieu, en infraction, c'est-à- dire en prétendant à l'autonomie. Pour les punir et sauver la cour divine, ils sont chassés de celle-ci et emprisonnés dans le monde matériel, spécialement créé pour l'occasion par des esprits restés fidèles. La matière est créée, non pas émanéé: elle est illusoire. Dieu émane alors l'homme: mineur sprirituel puisqu'il vient en dernier lieu, mais doué de privilèges supérieurs à ceux de ses aînés. Adam, androgyne, sera tout à la fois chargé de la garde et de la réhabilitation. Mais Adam s'élève, à son tour, par son orgueil jusqu'à vouloir être créateur tout seul. Il lie sa puissance divine avec celle des démons et il effectue une création de perdition Sa création, sa créature Houwa, est ratée. Mais, après son forfait, il dégénère et devient l'opprobre de la terre. Son corps glorieux devient ténébreux, en se matérialisant. De pensant il devient pensif et la communication directe, dont il jouissait, avec Dieu, est coupée. Elle ne pourra plus s'effectuer désormais que par le truchement, éventuellement obtenu, des esprits, des intermédiaires. Pour entrer en rapport avec ceux-ci, I'homme, en partie matérialisé, devra user de procédés en partie matériels. La mystique s'est dégradée en théurgie cérémonielle, science et sacrement. Le théurge prie d'abord, il demande à Dieu de lui restituer son pouvoir primitif sur les esprits. Puis il commande aux esprits bons et exorcise les mauvais. Des signes, quelquefois auditifs et tactiles, mais habituellement lumineux, indiquent le succès. La faute d'Adam fut suivie d'une seconde. Dieu avait maintenu le coupable dans ses droits et devoirs et l'avait pourvu des moyens nouveaux requis par la nouvelle situation. Pourtant, ingrat, I'homme s'unit à sa femme dans une fougue sexuelle digne des bêtes. De cet emportement, Caïn est issu. Mais Dieu demeure encore fidèle à ses promesses et l'homme n'est point destitué de son poste. 4 Biblioteca Esoterica Esonet.ORG http://www.esonet.org La postérité de Caïn est incapable de tenir le rôle du mineur. Naissance d'Abel. Caïn le tue. Seth sera l'ancètre des opérateurs, des théurges. Aussi bien après le déluge, plus de Caunites. Noé perpétuera la postérité de Seth (mais Cham réincarnera Caïn).Ainsi d'une race pure sortiront, au cours de l'histoire, des mineurs élus, grands et petits prophètes. Les Cohen y seront agrégés par élection. La gnose martinésiste discerne, et s'approprie, dans les choses ce qui tient des choses de l'esprit, les symbolise, y mène. Elle trace le plan de la figure universelle où toute la nature spirituelle, majeure, mineure et inférieure opère; où les immensités céleste et temporelle qu'enceint l'immensité de l'axe feu central communiquent, à travers l'immensité surcéleste, avec l'immensité divine. Pour se réintégrer et aider à la réintégration des autres hommes et de tous les êtres (point de réintégration complète sans réintégration universelle), celui qui a cette vocation sacerdotale, I'Elu Cohen, considère le nombre de ses doigts de pieds (les nombres, fondement de toute loi de création temporelle et de toute action divine...) et s'instruit du nom des anges. Il suit une ascèse (actes de piété, règles alimentaires, etc), une morale. Il célèbre la théurgie. Saint-Martin abandonnera la théurgie cérémonielle pour une mystique spéculative dont la déité du Christ est le pivot; Willermoz n'en soufflera mot dans les instructions correspondant aux différents grades et à la Profession de l'Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, car ceux-ci n'auront pas reçu l'ordination cohen. Mais la pensée de Saint-Martin se définit le mieux par sa continuité avec la pensée de Martines et le Régime Ecossais Rectifié, I'un des rares régimes maçonniques à posséder une doctrine systématique, avec l'Ordre des Elus Cohen, n'aura pas une autre doctrine que ce dernier, le martinésisme. IV. - L'Ordre des Elus Cohen. 1) Martines de Pasqually était Franc-Maçon, reconnu pour tel par ses Frères. Quand et où a-t-il reçu la lumiere maçonnique? On l'ignore. 2) Il produira devant la Grande Loge de France une patente apparemment délivree à son père par Charles Edouard Stuart en 1738 et transmissible à lui-même. Elle pourrait n'être pas apocryphe si, contrairement à la probabilité, le prétendant avait été Franc-Maçon. 3) Martines de Pasqually fut le Grand Souverain de l'Ordre des Elus Cohen. Et son fondateur? Oui, à ce qu'il paraît. Non à ce qu'il assurait, en parlant de ses prédécesseurs, de ses collègues, de ses archives. Voici un tracé de sa carrière maçonnique, cohen. De 1754 peut-être, de 1758 sûrement, à 1760, propagande dans le Midi de la France, à Lyon, à Paris. 1762: arrivée, le 28 avril, à Bordeaux où il demeure jusqu'en 1766. Fin 1766 - début 1767: pourparlers et différends avec la Grande Loge de France. Fin 1766: Paris. Première rencontre avec J.-B. Willermoz. 1767: à l'équinoxe de printemps, installation du Tribunal souverain et promulgation des statuts de l'Ordre. En avril: départ de Paris, propagande en route, retour à Bordeaux en juin. 1768: première rencontre avec Saint-Martin. 5 Biblioteca Esoterica Esonet.ORG http://www.esonet.org 1769-1770: le clerc tonsuré Pierre Fournié, secrétaire de Martines, incapable tous deux de diriger et d'organiser l'Ordre qui, pourtant, se développe. Le 11 juillet 1770, Martines annonce, pour la première fois, qu'il travaille au Traité. 1771-1772: Saint-Martin secrétaire de Martines. Le travail s'améliore et s'intensifie. Mais Martines s'en va. 1772-1774: à Saint-Domingue. Martines poursuit le travail général et développe l'Ordre au plan local, sans désemparer jusqu'a sa mort. 4) Ajoutons quelque chose sur l'Ordre des Elus Cohen après la mort de Pasqually. A sa mort, Caignet de Lestère, que Martines avait désigné à cette fin, occupe la charge de Grand Souverain de l'Ordre, mais il meurt lui-même le 19 décembre 1779. Il a choisi pour successeur Sébastien de Las Casas. Celui-ci, en novembre 1780, conseilla aux Chapitres Cohen, qui souhaitaient de lui une direction plus ferme, de se dissoudre ! La désagrégation avait commencé dès la mort de Pasqually, peut-être un peu avant, tandis qu'il paraissait s'attarder à Saint-Domingue. Peu à peu les Temples s'effondrent ou changent d'appartenance. Des Cohen, cependant, continuent d'opérer. Le Chapitre toulousain, encouragé par d'Hauterive, persiste (révélation du fonds Du Bourg, en cours de publication). Des deux disciples les plus distingués de Martines, Saint-Martin et Willermoz, le premier n'était pas enclin à favoriser le maintien, et encore moins l'essor de l'Ordre des Elus Cohen; le second pour des raisons analysées ailleurs, préféra infuser dans un autre Rite Maçonnique, la Stricte Observance Templière métamorphosée en Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, la doctrine martinésienne de la réintégration, sauvant ainsi, croyait-il, la FrancMaçonnerie et ladite doctrine du même coup. La doctrine, disje, et l'on ne saurait trop remarquer que rien de l'initiation, rien de l'ordination cohen, ni, par conséquent, rien de la théurgie cérémonielle propre aux Elus Cohen ne passa chez les Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte. Willermoz refusa de confondre une secte sacerdotale à la forme maçonnique (même si luimême éprouvait plus que d'autres la force et la valeur de cette forme) avec un Rite Maçonnique et un ordre chevaleresque dont le but, comme la doctrine, serait identique, mais le moyen different, quoiqu'il ne pût être qu'analogue. Le 26 janvier 180~, Bacon de La Chevalerie parle des Elus Cohen toujours agissant sous la plus grande réserve en exécution des ordres suprêmes du Souverain Mâître $,le G $ W $ J $ (lettre à Chefdebien ap. Benjamin Fabre, Franciscus Eques a Capite galeato, Paris, la Renaissance française, 1913, p. 421). De quoi, de qui s'agit-il? Je me le demande bien, et depuis longtemps. En 1822, dans une lettre, au baron de Turkheim, datee du 21-31 mars, conservée à la Bibliothèque municipale de Lyon (ms. 5900) et contenant, selon une annotation du signataire, des conseils pour la lecture du Traité de la réiotégration des êtres par Pasqually, Willermoz déclare: De tous les R... [sc. Réaux-Croix] que j'ai connus particulièrement, il n'en reste point de vivant. Ainsi il me serait vraiment impossible de vous indiquer aucun pour après moi. Je doute même que le temps présent soit propre à en préparer, mais nous savons tous que le Tout-Puissant plein d'amour et de miséricorde peut, quand il voudra, faire nâître des pierres mêmes des enfants d'Habraham. Ce qui est 6 Biblioteca Esoterica Esonet.ORG http://www.esonet.org équivoque, quand on prend garde, mais signifie au moins que les Cohen survivants étaient rares et dans l'ignorance les uns des autres; ce qui confirme que l'Ordre avait disparu sans que personne s'attachât à le réveiller. A la fin du XIXè siècle, très vaguement, puis au XXè précisément, sont nées des sociétés qui revendiquèrent soit une filiation cohen directe, soit une filiation cohen indirecte. Les prétentions des néo-Cohen sont critiquées infra V. 5) La structure de l'Ordre des Chevaliers Maçons Elus Cohen de l'Univers, pour lui donner son titre entier, est celle d'un Rite maçonnique, d'un système de Hauts Grades souchés sur les trois degrés bleus, selon le modèle écossais. Les listes de grades cohen fournies par les différents auteurs et même celles qu'on peut établir sur la base des documents officiels ne concordent pas toutes. Mais les variantes sont plus minces qu'il ne se colporte. Voici la hiéarchie définie par les statuts de 1~67, à l'article XII. Des honneurs et des préséances, suivant le sens descendant: ~(Lc Sou~erain Juge [ = S.J. ou S.I., les initiales aussi de Supérieur Inconnu ] Réaux + est le premier grade la maçonnerie, ensuite le commandeur d'orient, le chevalier d'orient, le grand architecte, le maître, le compagnon et l'apprenti coën; le maître parfait élu, les maîtres, compagnon et apprenti bleus. Ces statuts fournissent des renseignements minutieux sur l'organisation de l'Ordre, distribués en six chapitres qui comportent respectivement trente, deux, dix-neuf, quinze, sept et cinq articles. (La copie Papus, à la B.M. de Lyon, cotée 5474, ne reproduit que le premier chapitre. C'est pourquoi les signatures qui viennent après le sixième, manquent). Le nombre des Temples cohen ne dépassa guere la douzaine, répartis, il est vrai, à travers toute la France. Leurs tribulations endogènes et exogènes, furent quasi permanentes. Sur tout cela Cf Van Rijnberk, op. cit. et les ouvrages qu'il recommande et qui sont rares. V. - Les Néo-Cohen. - A. - L'Ordre des Chevaliers Maçons Elus Cohen de l'Univers semble avoir disparu avant la Révolution. Sa survivance au début du XIXè siècle est douteuse. Papus, le premier ensuite, reparle des Elus Cohen comme d'un Ordre vivant, ou plutôt survivant de quelque maniere, bien incerraine, dans son Ordre martiniste. Bricaud revendique, quand il devient Grand Maître de l'Ordre martiniste, la succession cohen en ligne directe, et, pour l'Ordre martiniste, l'héritage martinésiste en même temps que celui de Saint-Martin. - B. - Robert Ambelain, pour sa part, reconstitue l'Ordre des Elus Cohen, en 1942, sous le patronage de Georges Bogé de Lagrèze, Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte et peut-être Grand Profès (non liquet) et de Camille Savoire, Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte. Il l'associera à partir de 1958 à l'Ordre martiniste Cf Chap. IV, Le Grand Maître Lagrèze habilite, le 12 novembre 1945, 1' Imperator de l'AMORC à établir loges et chapitres de son Ordre aux Etats-Unis d'Amérique et au Canada. A la mort de Lagrèze, en 1946, Ambelain lui succède. En 1967, Ambelain démissionne au profit d'Ivan Mosca. Celui-ci reprend pour son Ordre en même temps que l'indépendance son titre primitif ~< Ordre des Chevaliers Maçons Elus Cohen de l'Univers et pour lui le titre non moins primitif ~< grand souverain ~> (Cf L'lnitiation, juillet-décembre 1967, p.ll3). Mais inquiet de la légitimité du réveil de 1942, il 7 Biblioteca Esoterica Esonet.ORG http://www.esonet.org ne tarde pas (1968) à mettre l'Ordre en sommeil, pour une durée indéterminée (Cf l'Initiation, octobre, décembre 1968, pp. 230-231). - C. - L'histoire de l'Ordre des Elus Cohen relève directement de l'histoire de la FrancMaçonnerie. Cet Ordre est un Rite maçonnique. Ses modernes champions ont continué à le tenir pour tel et il est caractéristique que la maçonnisation de l'Ordre martiniste par Bricaud ait coïncidé avec sa revendication de l'héritage martinésiste. 2 - Les néo-Cohen sont-ils héritiers légitimes? La question exige, tant elle fut embrouillée, une réponse exacte, et, d'abord, à cette fin, une analyse systématique du problème. - A. - Suivant l'enseignement et la pratique constante de Martines de Pasqually, premier grand souverain connu de l'Ordre dit, en abrégé, des Elus Cohen, on tiendra pour acquis: I'entrée et le progrès dans l'Ordre s'effectuaient par la communication d'initiateur(s) qualifié(s) à récipiendaire qualifié (et, au cas du degré suprême de Réau-Croix, d'ordinant(s) qualifié(s) à ordinand qualifié, selon des modalités différentes et successives correspondant aux grades hiérarchiques, d'un influx sui generis; toutes réserves faites sur l'origine et la nature de cet influx. - B. - L'histoire nous assure que les détenteurs de cet influx, qualifiés pour le transmettre, ont existé jusque dans le premier tiers du XlXè siècle; toutes réserves faites sur le nombres de grades que chacun avait ou n'avait pas, respectivement, le pouvoir de conférer. (En effet, tout Cohen n'était pas autorisé - question de validité? question de licéité? voilà un hic subsidiaire - à conférer seul son propre grade, ni même les grades inférieurs au sien, ni, évidemment, ceux qui lui étaient supérieurs. Tout Réau-Croix, en particulier, n'était pas autorisé à ordonner un autre Réau-Croix, c'est, par exemple, la raison, ou l'une des raisons pourquoi Saint-Martin refusa, peu avant sa mort, d'ordonner Joseph Gilbert, son ultime disciple). 3 - A. - La seule prétention contemporaine de moi connue, à détenir la succession cohen en ligne directe, a été exprimée par Jean Bricaud (Cf Notice historique sur le martinisme, nouv. éd., Lyon, Editions des Annales initiatiques, 1934, p. 10. La première edition est de 1928). Bricaud nomme les frères Bergeron et Bréban-Salomon, le médecin danois Carl Michelsen; Edouard Blitz, surtout, médecin américain (d'origine israélite belge, préciseraije), ~< héritier légitime de Martinez et successeur direct de Willermoz et d'Antoine Pont. Blitz aurait, semble-t-il, d'après Bricaud, initié à son tour Fugairon et Charles Détré, dit Téder. Bricaud se donne pour rattaché lui-même à cette lignée, mais ne dit pas quel aurait été son propre initiateur. - B. - Inutile d'entrer dans le détail. Rappelons seulement la magistrale critique avancée par Robert Ambelain (Le Martinisme contemporain et ses véritables orgines, Paris, Les Cahiers de Destins, 1948, pp. 22-30). Au terme de cette analyse dévastatrice et inattaquable, il appert que non seulement aucun des personnages cités par Bricaud, ni, par conséquent, Bricaud luimême, n'a été certainement en possession de la succession cohen (I'absence de preuves est totale et aux prétendants appartient la charge de prouver); mais encore que tous les indices décelables vont à l'encontre d'une telle hypothèse. Mes recherches dans le fonds Papus conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon et dans les divers fonds privés d'archives relatives à l'Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte et au Rite Ecossais Rectifié, rendent plus invraisemblable encore, pour ne pas 8 Biblioteca Esoterica Esonet.ORG http://www.esonet.org dire impossible, que Blitz et Téder, en particulier (et ils sont les deux hommes clefs de la filiation revendiquée par Bicaud) aient été en possession de la succession cohen. Ajouter qu'une confusion a pu se produire chez Bricaud entre succession cohen et succession de la Grande profession du Régime Ecossais Rectifié, dont il n'entretenait qu'une idée très vague et qui n'est effectivement pas sans rapport avec le martinésisme, quoiqu'elle n'ait rien à voir avec l'Ordre des Elus Cohen. En résumé, Bricaud a parlé sans produire de preuves et son affirmation est des plus constestables. 4. - L'influx en cause dans l'Ordre des Elus Cohen étant sui generis (même si cette proposition signifie seulement que l'Ordre des Elus Cohen a sa personnalité propre), la succession cohen qui le transmet ne peut être identifiée elle-même avec aucune des successions suivantes (contrairement à la démarche qui prétendit justifier certains réveils); toutes réserves faites sur le caractère hypothétique ou fallacieux de l'une ou de l'autre desdites successions: A. Succession apostolique. B. Succession dite gnostique, de Jules Doinel. C. Succession dite martiniste, de Louis-Claude de Saint-Martin. D. Succession de la Société des Philisophes Inconnus. E. Succession des Philosopbes Inconnus. F. Succession des propriétaires d'une partie des archives, en partie cohen, de Jean- Baptiste Willermoz. (Si étrange qu'il y paraisse, Papus semble avoir cru, ou laissé croire, que la propriété de certains papiers cohen - à lui échus dans des circons-tances bien élucidées par Jean Saunier, <~ Elie Steel-Maret et le renouveau des études de la Franc- Maçonnerie illuministe à la fin du XIXè siècle, Revue de l'histoire des religions, juillet, 1972, pp, 53-81 -, équivalait à quelque investiture, voire à quelque initiation !) - La succession cohen ne peut non plus être identifiée avec la succession des Grands Profès, classe secrete de l'Ordre intérieur des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte; cette succession s'étant d'ailleurs perpétuée jusqu'à nos jours, comme il a été officiel- lement révélé en 1969, pour arrêter les ragots et prévenir des profanations (Cf Maharba, <~ A propos du Régime Ecossais Rectifié et de la Grande Profession ~>, Le Symbolisme, octobre-décembre 1969, pp,63-67). J.-B. Willermoz a défini le sens où il rédigea l'instruction secrète de la Grande Profession, dont il est le fondateur, en écrivant: Lié d'une part par mes propres engagements [sc. de secret envers l'Ordre des Cohen] et retenu de l'autre par la crainte de fournir des aliments à une frivole curiosité, ou de trop exalter certaines imaginations, si on leur présentait des plans de théorie qui annonceraient une pratique, je me vis obligé de n'en faire aucune mention et même de ne présenter qu'un tableau très raccourci de la nature des êtres, de leurs rapports respectifs, ainsi que des divisions universelles. (A Charles de Hesse-Cassel, du 12 octobre 1781, ap. G. Van Rijnberk, Martines de Pasqually, t.l, Paris, Alcan, 1935 p.l68) Et il y a d'autres textes ! Comment, dès lors, prétendre que l'acces à la Grande Profession, que suffit à donner la communication autorisée de l'instruction secrète y afférente, comportait l'initiation ou l'ordination à un degré cohen, quel qu'il Mt? 9 Biblioteca Esoterica Esonet.ORG http://www.esonet.org 6. Conclusions: A. - Personne, à notre connaissance, ne détient aujourd'hui la succession cohen, ni au sein d'aucun Ordre, ni en sauvage. B.- Il est possible, à strictement parler, que la succession cohen se soit perpétuée jusqu'à aujourd'hui, à notre insu. Mais cette éventuali~e ~emblc très improbable. C. - Il y aurait beaucoup à écrire sur la transmission légitime des pouvoirs initiatiques. On ne voit pas pourquoi des organisations entierement disparues aujourd'hui ne pourraient être relevées s'il s'avère que leur tradition ésotérique a été retrouvée et pourvu que l'investiture initiatique leur soit conférée régulièrement, c'est-à-dire hiérarchiquement. Les choses qui ont cessé d'exister sur le plan historique visible demeurent vivantes et virtuelles sur le plan spirituel. Il ne s'agit pas de recréer, mais de ré-animer. (Hervé-Masson, Des processus psychologiques du symbolisme, Le Symbolisme, octobre-décembre 1965, p. 51. n.l.). Si l'on admet la perspective ainsi ouverte, tout essai de réanimation de l'Ordre des Elus Cohen n'exigerait que la fidélité la plus profonde à l'enseignement de Martines de Pasqually, gnostique et kabbalistique, relevant de l'ésotérisme judéo-chrétien; à la structure administrative de l'Ordre, qui est de caractère maçonnique; au rituel, et notamment à la théurgie cérémonielle. Cette théurgie, au demeurant, perrnettrait, grâce aux éventuelles réponses de la chose, de verifier expérimentalement la réanimation de l'Ordre, le rattachement réinventé à sa succession interrompue. 10
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