L'homme au pardessus de tweed marron croisé et orné de trois petits boutons recouverts de cuir au bas des manches, descendait lentement la rue qui forme l'épine dorsale d'Edimbourg.
Il suivait des yeux les mouettes venues de la côte, qui plongeaient en piqué sur les pavés pour ramasser les débris de poisson jetés par quelque main négligente. En cet instant, seuls leurs cris désolés déchiraient le silence de la matinée d'octobre ; il y avait peu de circulation. La ville était étrangement calme et les passants rares. Sur le trottoir d'en face, un garçonnet sale et ébouriffé tirait un chien au bout d'une ficelle qui lui servait de laisse. Le petit terrier écossais ne voulait pas se laisser faire et regarda l'homme un instant, comme pour supplier qu'on cesse de le tirer et de le traîner de force. Il doit bien y avoir un saint patron pour les chiens comme celui-là, se dit l'homme, le saint patron des chiens prisonniers.
Il arriva au carrefour de St Mary's Street. Au coin à droite se trouvait Le Bout du Monde, un pub fréquenté par des musiciens et des chanteurs ; à gauche, Jeffrey Street traçait une courbe avant de s'enfoncer sous la grande arche de North Bridge. Entre deux bâtiments, il voyait au loin, sur le toit de l'hôtel Balmoral, la croix blanche sur fond bleu du drapeau écossais, les diagonales familières du drapeau britannique, flottant fièrement en haut de leur mât, agités par un vent du nord soufflant de Fife, comme les étendards à la proue d'un navire luttant contre le vent.
Voilà une belle métaphore pour l'Ecosse que ce petit vaisseau tourné vers la mer, malmené par les éléments, se dit-il.
Après avoir traversé, il continua à descendre l'avenue. Il dépassa une poissonnerie dont l'enseigne représentait un poisson doré et laissa sur sa droite une de ces nombreuses petites ruelles pavées qui dévalent la pente, sous les immeubles modestes.
Il était arrivé à son but : l'église de Canongate, édifice à la façade imposante, un peu en retrait de High Street. Au faîte de l'église, les armoiries - ramure de cerf dorée sur croix également dorée - brillaient sur fond de ciel bleu.
Il ouvrit la grille et leva les yeux. Devant ce genre de façade, on aurait presque pu se croire en Hollande. Mais il y avait trop de touches écossaises caractéristiques, le vent, le ciel, la pierre grise. Il y avait surtout ce qu'il était venu chercher, la tombe sur laquelle il se rendait chaque année en ce jour anniversaire de la mort du poète, à l'âge de vingt-quatre ans.
Il traversa la pelouse en direction de la pierre tombale, dont la forme imitait la façade de l'église. Même après deux siècles, l'inscription était encore très nette. Robert Burns lui-même avait payé ce monument avec ses propres deniers en hommage à son frère en poésie, et composé les lignes qui y étaient gravées !
Que cette modeste tombe guide les pas de la blanche Ecosse et qu'elle noie son chagrin dans les cendres de son poète !
Il s'arrêta. Il y avait bien d'autres tombeaux à voir en ce lieu, par exemple celui d'Adam Smith, plus majestueux et plus décoré, qui avait consacré sa vie à l'étude des lois du marché et à l'économie, et engendré une science toute neuve.
Mais c'était cette pierre devant laquelle il se trouvait qui le touchait jusqu'aux larmes.
Il sortit de la poche de son pardessus un petit carnet noir ancien modèle, en moleskine. Il l'ouvrit sur les mots qu'il avait lui-même recopiés à partir d'une anthologie des poèmes de Robert Garioch. Il se mit à réciter à voix basse, bien qu'il n'y eût personne autour de lui, sinon les morts.
« Alexander McCall Smith se glisse parfaitement dans la peau de cette femme en proie aux doutes et aux interrogations existentielles. » Lire
Le livre :
En l’absence de Cat, invitée à un mariage en Italie, Isabel Dalhousie, rédactrice en chef de la Revue d’éthique appliquée, s’occupe de l’épicerie de sa nièce à Édimbourg. Elle rencontre un homme qui vient de subir une greffe du cœur et se retrouve hanté par le souvenir d’événements qui ne lui sont jamais arrivés. Pour elle, il s’agit d’un débat philosophique : le cœur est-il le siège de l’âme ? Ces souvenirs ont-ils un quelconque rapport avec la mort du donneur ? Par ailleurs, elle se méfie de ce bel Italien que Cat ramène à Édimbourg. Et pourtant, quel charme… Voilà deux mystères à résoudre, et Isabel va s’y attacher !
L’auteur :
Alexander McCall Smith est internationalement connu pour avoir créé le personnage de la première femme détective du Botswana, Mma Precious Ramotswe. Ressortissant britannique né au Zimbabwe, il a été professeur de droit appliqué à la médecine et membre du Comité international de bioéthique à l’Unesco avant de se consacrer à la littérature. Alexander McCall Smith a reçu de nombreux prix et a été nommé meilleur auteur de l’année par les British Book Awards en 2004. En 2007, il a reçu le titre de commandeur de l’Empire britannique (CBE) pour services rendus à la littérature. Quand il n’écrit pas, il fait partie de « l’Orchestre épouvantable ». Ses romans sont traduits dans quarante-cinq langues. Il vit aujourd’hui à Édimbourg, en Écosse.